• 1 Downey 1961, p. 85.
• 2 Libanios, Or. XI, 94. Voir le commentaire ad loc. de C. Saliou dans Casevitz, Lagacherie et Saliou (...)
• 3 Malalas, Chron. 234, 2-9 (éd. Dindorf) [= éd. Thurn, p. 178].
• 4 Ammien XXII, 13, 1 : […] Dafnaei Apollinis fanum, quod Epiphanes Antiochus rex ille condidit. Cf. V (...)
• 5 Libanios, Or. XI.
• 6 Sur l’importance des ressources en eau dans les éloges des cités, voir Pellizzari 2011, p. 133-137.
• 7 Pour d’autres détails sur ces monuments, Casevitz, Lagacherie et Saliou 2016, p. 176-183.

1Le temple d’Apollon à Daphné, avec la célèbre statue du dieu érigée par le sculpteur Bryaxis 1, avait été fondé par Séleucos I^er dans le lieu où, selon la tradition locale, le dieu avait été témoin de la métamorphose en laurier de la jeune fille homonyme 2. Il avait été reconstruit plus tard et encore embelli par ses successeurs 3 : selon Ammien Marcellin, il avait été érigé par Antiochos IV Épiphane entre 175 et 163 av. J.-C., bien qu’il soit évident que l’intervention de ce souverain s’était limitée à sa restauration et à son agrandissement 4. Avec le temple de Zeus, le théâtre et le stade, il était l’un des monuments les plus connus de Daphné, dont les paragraphes 234-243 de l’Antiochicos 5 célèbrent la beauté naturelle, en particulier celle de ses sources et, en général, l’abondance de ses ressources en eau 6 et les grands bâtiments qui s’y trouvent 7.

• 8 Ammien, XIII, 13, 1 : die undecimo kalendarum Novembrium.
• 9 Ammien, XIII, 13, 1 : subita vi flammarum exustum est. Outre chez Ammien, le récit de l’incendie se (...)
• 10 Ammien, XXII, 13, 2 (trad. J. Fontaine) : Suspicabatur enim id Christianos egisse, stimulatos invid (...)

2Le sanctuaire fut détruit par un incendie la nuit du 22 octobre 362, selon la datation précise que fournit Ammien 8 : des flammes soudaines le « brûlèrent complètement 9 ». La suite du récit d’Ammien précise que Julien commença une enquête pour identifier les responsables du sacrilège, soupçonnant en particulier des chrétiens. Ceux-ci auraient été rendus envieux « parce qu’ils voyaient […] avec déplaisir que le temple était entouré d’un péristyle somptueux 10 ».

• 11 Julien, Misop. 361bd : après avoir évoqué le transfert du martyr Babylas qui « souillait » le sanct (...)
• 12 Selon Norman 1992, p. 177, cette commission échappait à l’autorité de la curie antiochienne, puisqu (...)
• 13 Libanios, Ep. 1376, § 3 : τῷ τινας ἐν τοῖς ἔμπροσθεν χρόνοις ἄνδρας ἀρίστους οὐκ εἰρῆσθαι μόνον κακ (...)
• 14 Cf. Libanios, Ep. 930 et le commentaire de Pellizzari 2017, p. 144-146.

3Le même empereur accusa expressément les chrétiens de ce crime dans le Misopogon 11. La Lettre 1376 (de 363) de Libanios – qui faisait partie de la commission d’enquête nommée par l’empereur, avec Héliodoros et le bouleute Astérios 12 – nous apprend que l’un d’entre eux peut être identifié au futur sénateur de Constantinople Vitalios, auquel l’orateur écrit en 390 une lettre lui demandant d’intercéder pour son collaborateur Thalassios, désireux d’entrer au Sénat afin d’échapper aux munera curialia. Dans cette lettre, l’allusion à des gens qui avaient été autrefois non seulement calomniés, mais aussi ruinés 13 semble correspondre parfaitement au cas de Vitalios qui avait pu être accusé de ce crime à cause de sa profession de foi chrétienne 14.

• 15 L’Or. LX n’était pas incluse dans le corpus original des discours de Libanios. Par conséquent, elle (...)
• 16 Libanios, Or. LX, 10 : τί ποτε ἄρα πρὸς αὑτὸν εἶπεν ὁ τὸν πόλεμον ἀράμενος; πόθεν ποτὲ τὸ θάρσος; π (...)
• 17 Théodoret, HE III, 11, 5 : καὶ τῶν πλησιοχώρων δὲ ἀγροίκων τινὲς ἀφικόμενοι ἔφασαν οὐρανόθεν τὸν πρ (...)
• 18 Ammien, XXII, 13, 3 : autem licet rumore levissimo.
• 19 Il s’agit de l’hellénisation de la déesse phénicienne Astarté, actuellement désignée comme la dea S (...)
• 20 Ammien, XXII, 13, 3 (trad. J. Fontaine) : Ferebatur autem licet rumore levissimo hac ex causa confl (...)

4En prononçant sa Monodie (Or. LX) dans les jours ou les mois qui suivirent immédiatement la destruction du temple 15, Libanios attribue la responsabilité du crime à un « ennemi » du dieu – issu sans doute du peuple chrétien – qui aurait opéré intentionnellement et dont l’orateur semble vouloir reconstruire les arrières pensées 16. Peut-on identifier la cause du drame : les chrétiens ont-ils délibérément mis le feu ou l’incendie fut-il seulement accidentel ? Théodoret de Cyr invoque le témoignage de quelques paysans qui, « arrivés sur place, dirent aussi qu’ils avaient vu le feu tomber du ciel 17 », probable allusion à la foudre. Ammien se fait encore l’écho d’une rumeur, assez infondée de son propre point de vue 18, selon laquelle le philosophe cynique Asclépiades « arrivé de l’étranger dans ce faubourg pour rendre visite à Julien, plaça devant les pieds de la haute statue une petite effigie en argent de la déesse Caelestis 19, qu’il avait l’habitude de porter avec lui partout où il allait, et après avoir allumé des cierges selon l’usage, il quitta les lieux. De ces cierges, à minuit passé, alors que personne ne pouvait être là ni porter secours, des étincelles, volant ça et là, entrèrent en contact avec de très vieilles pièces de bois, et le feu, alimenté en combustible sec, monta en consumant toutes les parties qui pouvaient être atteintes, même si elles étaient éloignées pour leur position très élevée 20 ».

• 21 Libanios, Or. LX, 1 : Ἄνδρες, ὧν τοῖς ὀφθαλμοῖς ἀχλὺς κατακέχυται, ὥσπερ οὖν καὶ τοῖς ἐμοῖς, μήτε κ (...)
• 22 Libanios, Or. LX, 7 : Ὀλύμπια μὲν οὐ μάλα πόρρω, συγκαλέσει δὲ ἡ πανήγυρις τὰς πόλεις. αἱ δὲ ἥξουσι (...)

5Dans la Monodie libanienne, les passages descriptifs qui permettent d’évoquer la structure du temple ne sont pas nombreux. L’objectif de Libanios consiste à souligner l’ancienneté de la relation privilégiée qui unit le temple d’Apollon, le faubourg de Daphné et Antioche, ainsi que le sentiment de perte irréparable que sa destruction signifiait pour la ville. Celle-ci ne pourra plus être dite belle ou grande comme auparavant 21 et ne pourra plus désormais organiser les concours olympiques quadriennaux avec l’ancienne pompe et le même enthousiasme 22.

• 23 Libanios, Or. LX, 2 : Τόν τοι βασιλέα Περσῶν τοῦ νῦν τούτου πολεμοῦντος πρόγονον προδοσίᾳ τὸ ἄστυ λ (...)

6Cette tragédie est d’autant plus grave, poursuit l’orateur, qu’elle a été provoquée par la haine d’une seule personne (§ 10), qui n’a pas eu de respect pour un dieu et pour un temple qui avaient été pourtant épargnés par les ennemis acharnés d’Antioche, les Perses. Ceux-ci avaient occupé deux fois la ville, en 256 et 260 apr. J.-C., et le roi Shahpur I, monté à Daphné avec l’intention de la brûler, comme il avait déjà fait à Antioche, se prosterna au contraire devant le dieu qui lui était apparu 23. Dans ce récit, est souligné le contraste entre la magnanimité de l’ennemi perse envers l’ancien sanctuaire et l’ennemi sournois qui, sans recours à des soldats ou à des armes, a tout détruit d’une seule étincelle (§ 3) : il s’est approché du temple avec un flambeau que le grand roi avait au contraire tenu éloigné.

• 24 Le martyre de Babylas à l’époque de Dèce (249-251) est attesté chez Eusèbe, HE VI, 29, 4 ; 39, 4. P (...)
• 25 Jean Chrysostome, De s. Babyla contra Iulianum et gentiles 67-69 ; 76 (SC 362, p. 178-185 ; 195). C (...)
• 26 Libanios, Or. LX, 5 : πονηροῦ γειτονήματος ἀπαλλαγείς, νεκροῦ τινος ἐνοχλοῦντος ἐγγύθεν, « délivré (...)
• 27 Ammien, XXII, 12, 8 : eo ritu quo Athenienses insulam purgaverant Delon. Sur la purification de Dél (...)
• 28 Julien, Misop., 361b (pour le texte, cf. supra, n. 11).
• 29 Ammien, XXII, 13, 2 : maiorem Ecclesiam Antiochiae. Il s’agit de l’Église octogonale, dont la const (...)

7Bien qu’ils ne soient pas explicitement nommés, Libanios est convaincu – comme l’est d’ailleurs Julien – de la responsabilité des chrétiens dans ce qui s’est produit. La raison de leur geste est la vengeance qu’ils auraient voulu exercer après que Julien eut décidé de transférer les restes de Babylas, évêque martyrisé sous l’empereur Dèce (249-251) ou un peu plus tard 24. C’est en honneur de ce martyr que le césar Gallus avait voulu ériger une chapelle à Daphné à proximité du temple d’Apollon 25. Il s’agit du « cadavre qui trouble Apollon 26 » et que Julien avait fait disparaître selon le même rite par lequel « les Athéniens avaient purifié l’île de Délos 27 ». La correspondance étroite entre le transfert des restes de Babylas ordonné par Julien et l’incendie du temple d’Apollon explique la colère de l’empereur, colère partagée par Ammien 28. En effet, le souverain vit dans ce geste perpétré contre le plus prestigieux sanctuaire de la ville un affront à sa politique religieuse de la part de franges de chrétiens hostiles. Il y répondit en ordonnant la fermeture de la « grande église d’Antioche 29 ».

• 30 Libanios, Or. LX, 6 : ἀκυμάντοιν μὲν ἀμφοῖν, πλείω δὲ τὴν ἡσυχίαν παρεχομένου τοῦ δευτέρου.
• 31 Libanios, Or. LX, 6 : τίς μὲν οὐκ ἂν αὐτόθι νόσον ἀπέδυ, τίς δὲ οὐκ ἂν φόβον, τίς δὲ οὐκ ἂν πένθος; (...)
• 32 Libanios, Or. LX, 8 : Τιτυός τις οὗτος ἕτερος ἢ Ἴδας ὁ ἀδελφὸς Λυγκέως, οὐ μέγας μέν, ὥσπερ ἐκεῖνος (...)

8Dans la suite de la Monodie, Libanios en vient à la description de l’événement et à celle des structures du temple et des décorations détruites. Le rhéteur souligne la parfaite harmonie environnementale entre le temple d’Apollon et le faubourg de Daphné qui l’abrite : ils sont tous les deux des « ports à l’abri des vagues, mais le second (le temple) offr[e] un calme plus profond 30 » en raison de la fonction apaisante des rites qui s’y déroulent ; les prières et les offrandes au dieu apportaient aux fidèles soulagement des maux physiques et spirituels 31. Cependant, un peu plus loin (§ 8) éclate le contraste avec l’action du destructeur, comparée à celle de personnages mythologiques négatifs tels que Tityos, un géant, fils de Zeus et d’Elara, qui avait été précipité dans les enfers pour avoir tenté de violer Latone, et Idas, fils d’Aphareus et Arenas, qui avait lutté contre Apollon pour l’amour de Marpessa. Toutefois celui qui, à Daphné, est entaché d’un tel crime n’a rien de la mauvaise puissance de ces gens-là, ni la présence physique de l’un ni l’audace de l’autre, mais il partage seulement avec eux leur « folie » contre les dieux 32.

• 33 Libanios, Or. LX, 9 : τί τοῦ κακοῦ τὸ προοίμιον; ἆρα ἐξ ὀροφῆς ἀρξάμενον ἐπὶ τἄλλα προὔβη, « Par où (...)
• 34 Ammien, XXII, 13, 1 : et simulacrum in eo Olympiaci Iovis imitamentum, eiusque aequiparans magnitud (...)
• 35 Libanios, Or. LX, 11 : ἡμερότητα μορφῆς, ἁπαλότητα δέρης ἐν λίθῳ, ζωστῆρα περὶ τῷ στήθει συνάγοντα (...)
• 36 Libanios, Or. LX, 11 : τὸ δὲ ᾆσμα ἄρα ἦν ἔπαινος τῆς γῆς, « son chant était sans doute une louange (...)
• 37 Ὑάκινθος est le nom d’une pierre appartenant à la famille des améthystes : Pline, NH 37, 122-126. H (...)
• 38 Philostorge, HE VII, 8a : ἐξ ἀμπέλου μὲν αὐτῷ συνεπεπήγει τὸ σῶμα πανθαυμάστῃ δὴ τέχνῃ πρὸς μιᾶς συ (...)

9Il semble que même les dieux aient été impuissants face à une telle violence : ni Apollon ni Héphaïstos ni Zeus lui-même ne purent rien contre un incendie qui, du toit, se propagea au naos et détruisit la statue chryséléphantine du dieu 33 qu’Ammien dit égale en forme et en taille à celle de Zeus à Olympie dont elle suivait le modèle canonique 34. S’efforçant de s’en remémorer les caractéristiques, Libanios en donne la description, faisant allusion à « l’élégance de sa tournure, la délicatesse de sa peau – et cela sur la pierre –, la ceinture qui ramène sa tunique dorée autour de la taille, en sorte qu’une partie de cette tunique repose dessus et que l’autre ressort par dessous 35 ». Le dieu était en partie assis, en partie en position verticale à la manière de ceux qui jouent de la harpe ; aussi Libanios imagine-t-il le dieu chantant un chant qui célébrait la beauté d’Antioche et de ses environs 36. Nous pouvons également rappeler le passage de Philostorge qui décrit ainsi la statue : « tout son corps était fait de ceps de vigne, ajusté par un art admirable de manière à produire l’effet d’une seule composition ; tout le péplum qui le vêtait était d’or et s’accordait en une beauté indicible aux parties du corps laissées à nu et sans or ; debout, il avait en main la cithare comme s’il menait un chœur de Muses ; sa chevelure et sa couronne de laurier étaient mêlées d’or, pour que sa grâce pût rayonner vivement aux yeux des spectateurs ; deux grandes pierres d’hyacinthe occupaient la place des yeux, en souvenir de Hyakinthos l’enfant d’Amyclées 37 ; et la beauté et la taille des pierres donnaient continuellement à la statue la plus grande parure, car les sculpteurs s’étaient particulièrement attachés à lui donner un bel aspect, afin que le plus grand nombre possible s’y laissât prendre et l’adorât, attiré par la splendeur des formes apparentes 38 ». Nous ignorons d’où Philostorge tirait tous ces détails, car, lorsqu’il écrivait (425-430 apr. J.-C.), la statue avait disparu depuis longtemps.

• 39 Il pourrait s’agir du consularis Syriae Siderios (PLRE I, p. 399-400), destinataire de la lettre 30 (...)
• 40 Libanios, Or. LX, 12 : ὃ καταλαμβάνει τοὺς ἀπὸ γῆς ναυαγίαν ὁρῶντας, ὧν ἡ βοήθεια δακρύσαι τὸ γιγνό (...)
• 41 Libanios, Or. LX, 12 : δοκοὶ δὲ ἐφέροντο κάτω φέρουσαι πῦρ, ὅτῳ πελάσειαν φθείρουσαι, τὸν Ἀπόλλω μὲ (...)

10Par un soudain changement de perspective, comme s’il s’agissait d’une nouvelle séquence, l’attention de l’orateur passe au récit des moments où l’on apprend le démarrage du feu : le cri d’un voyageur, le trouble de la prêtresse du dieu, la propagation funeste de la nouvelle qui arrive jusqu’aux oreilles du gouverneur (ἄρχων) 39 cherchant en vain à fournir les premiers secours, l’entassement de la foule – spectacle typique de beaucoup de tragédies, anciennes et récentes – observant, impuissante, le feu qui dévore les chevrons 40. Enveloppés par le feu et effondrés, ils portaient « le feu à tout ce dont ils approchaient, détruisant tout de suite Apollon parce qu’il était peu éloigné du toit, puis les autres beautés : images des Muses fondatrices, pierreries éclatantes, gracieuses colonnes 41 ».

• 43 Cf. SC 362, p. 20-22.
• 44 Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Bab. 113 (SC 362, p. 248-249) : Καὶ τὸ μὲν τινας τῶν τὴν Δάφνην οἰκού (...)

12Parmi les sources de Philostorge on doit compter vraisemblablement le De sancto hieromartyre Babylas, l’homélie que Jean Chrysostome écrivit et prononça en 378-379 43, et qui nous a conservé, comme on l’a vu, un abrégé de la Monodie libanienne. Le prêtre d’Antioche confirme ce qu’écrit son ancien professeur à propos du désespoir de certains habitants : « Que certains des habitants de Daphné aient pleuré, ainsi que leurs voisins, et que le gouverneur de la cité ait été embrasé de colère et n’ait rien fait d’autre que de se lamenter, cela n’a rien d’étonnant 44 ». En tout cas, tout ne fut pas détruit :

• 46 Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Bab. 117 (SC 362, p. 254-257) : Ἰδοὺ γὰρ εἰκοστὸν ἔτος ἐξ ἐκείνου λοι (...)

Et ce qui avait survécu à l’incendie « vingt ans après » était encore élevé « fermement et solidement, assez robuste pour durer cent ans, deux fois plus et bien plus longtemps encore 46 ».

• 47 Libanios, Or. LX, 13 : ὁ Ζεὺς ὁ ἐγγύς που καθήμενος.
• 48 Libanios parle encore en Or. I, 103, d’une statue de Calliope située près de la rue à colonnades d’ (...)
• 49 Libanios, Or. LX, 13 : μέγαν δὲ δαιμόνων μυρίων ὅμιλος ἐν τῷ ἄλσει διαιτωμένων, οὐδὲν ἐλάττω θρῆνον (...)

13Contrairement à Jean Chrysostome, qui écrit au moins quinze ans après les événements, et à Philostorge, Libanios ne mentionne d’aucune manière la survie des structures, même défigurées, du temple. Peut-être est-ce parce qu’il écrit immédiatement après l’incendie et que le désastre lui apparaît total : les derniers paragraphes insistent sur la douleur universelle causée par la destruction du temple. Le cri des hommes qui sont décrits en larmes et impuissants devant le feu se transmet aussi aux dieux, ceux de Daphné, comme Zeus « qui résidait tout près 47 », ou les diverses divinités des bois et des sources qui peuplaient ce locus amoenus, ou encore ceux de la ville comme Calliope, la muse de l’éloquence, qui était, avec Apollon et Artémis, une des divinités tutélaires d’Antioche 48, elle aussi accablée de voir le coryphée des Muses « maltraité par le feu 49 ».

• 50 Libanios, Or. LX, 5 : στόμα βασιλέως τῷ ποδὶ δεξάμενος, « après avoir reçu la bouche sacrée de l’em (...)
• 51 Julien, Misop. 361bd.
• 52 Gros 2002, p. 337.

14La destruction du temple signifia aussi l’abandon définitif de celui-ci par la divinité. Julien crut que le dieu s’en était déjà éloigné avant l’incendie. Dans le Misopogon il rappelle son expérience, lorsque, étant entré pour la première fois dans le temple – et ayant baisé les pieds de la statue du dieu, comme l’évoque Libanios dans la Monodie 50 –, le dieu lui-même lui aurait annoncé son abandon ; et l’empereur conclut : « et j’invoque à l’appui de mes dires le témoignage du Grand Soleil contre quiconque en douterait 51 ». En effet, détruire le temple d’un dieu, selon Pierre Gros, « ce n’est pas seulement abolir sa demeure terrestre, c’est lui refuser l’existence dans le monde des hommes, surtout si sa statue cultuelle disparaît dans la catastrophe 52 ». Sa présence était d’autant moins jugée possible si on se rappelle que les croyances néoplatoniciennes, soutenues alors par Porphyre et Julien, parlaient de l’existence réelle de la divinité dans ses simulacra. Cela explique donc que Julien ait cru qu’Apollon avait quitté le sanctuaire avant l’incendie.

• 53 Libanios, Or. XVII, 30 : τοῦτο ἦν ἄρα νεὼς Ἀπόλλωνος πυρὶ δαπανώμενος, ἐξέλιπεν ὁ θεὸς τὴν γῆν μιαί (...)
• 54 Libanios, Or. LX, 14 : οἷον νυμφίου τινὸς πλεκομένων ἤδη <τῶν> στεφάνων ἀπελθόντος.

15Libanios évoque à son tour le départ du dieu dans la Monodie de Julien (Or. XVII), écrite en 364-365 : « Cela s’était produit quand le temple d’Apollon avait été consumé et que le dieu avait abandonné la Terre sur le point d’être souillée, cela s’était traduit alors par des séismes qui secouaient la Terre tout entière, annonciateurs du désordre et du chaos imminents 53 ». Mais cette image de la colère divine vengeresse qui punissait une action impie par des catastrophes naturelles et la menace de maux futurs apparaît néanmoins diluée dans la conclusion élégiaque du discours LX, où l’éloignement du dieu est comparé à celui d’un jeune fiancé qui « s’en va au moment où l’on tresse déjà les couronnes de mariage 54 ».