• 1  Étienne et Salles 2010. Onze auteurs ont participé à sa rédaction : Chr. Augé, L. Borel, J.-P. Bra (...)
• 2  Géoréférencement du départ de l’escalier d’accès : UTM 36 : X 760.325 – Y 3534.790 – Z 480.

1ʿIraq al-Amir, aujourd’hui situé dans la grande banlieue d’Amman, se trouve à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de l’agglomération de Wadi es-Sir, dans la vallée du même nom 1. Le site est essentiellement connu pour ses vestiges d’époque hellénistique appelés Qasr al-ʿAbd (« le château du serviteur »). À 700 mètres au nord du palais, dans une falaise d’une vingtaine de mètres de hauteur orientée vers le sud, s’alignent seize grottes naturelles ou artificielles qui ont fait l’objet d’une occupation et d’aménagements humains (fig. 1 et 2). Cette falaise, qui marque le paysage, justifie le toponyme ʿIraq al-Amir, « la falaise du prince ». Six grottes se situent à la base de la falaise tandis qu’une dizaine d’autres se succèdent sur un vaste joint de strates, marqué par une belle vire presque horizontale, dominant le sol de 5 à 12 m. Cet étroit replat qui court le long de l’escarpement montagneux permet de circuler et de passer d’une grotte à l’autre sans difficulté. Partant d’une route moderne au pied de la falaise, un escalier de construction récente permet d’y accéder 2. Un enclos de pierres cerne aujourd’hui la zone de la falaise où se trouvent les grottes.

• 3  Irby et Mangles 1823.
• 4 Vogüé 1864, p. 37-43, pl. 34-35.
• 5 Saulcy 1867.
• 6 Conder 1889, p. 65-87.

2Le site fut révélé aux Européens lors d’une courte halte qu’y firent en 1818 les officiers de la Royal Navy C.-L. Irby et J. Mangles. Ils relatent cette visite dans une publication parue en 1823 3. Concernant les grottes, il fallut attendre le voyage de Melchior de Vogüé en 1862 pour qu’elles soient signalées 4. Les débats qui s’ensuivirent à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, avant même la publication de ce récit de voyage, amenèrent Félicien de Saulcy à visiter le site dès octobre 1863. L’ouvrage qui suivit, publié en 1867 5, présente une description de l’ensemble des vestiges, accompagnée de nombreux dessins et photographies ; y sont en particulier publiés les premiers relevés topographiques des grottes, effectués par l’architecte C. Mauss. Une vingtaine d’années plus tard, C. R. Conder publia un premier inventaire de ce complexe souterrain et un croquis de chacune des grottes 6.

• 7 Lapp 1962 ; Lapp 1963.
• 8 Will 1977.
• 9 Cretaz 1983.
• 10 Borel 2006 ; Étienne et Salles 2010, p. 77-82.
• 11 Je remercie la direction de l’Ifpo qui m’a permis d’entreprendre une visite de vérifications en ma (...)

3Les premières fouilles archéologiques du Qasr al-ʿAbd et de l’ensemble du site sont menées entre 1961 et 1963 par Paul W. Lapp, et leurs comptes rendus rapidement publiés 7. Dès cette époque, un premier sondage est ouvert à proximité de la grotte 4 (plan, fig. 3). Les recherches de l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient (IFAPO) débutent en 1976 sous la direction d’Ernest Will 8. Elles livrent l’essentiel des études effectuées sur le site. En 1982 et 1983, sous la direction scientifique de François Villeneuve, Chantal Cretaz effectue des fouilles dans les grandes pièces rupestres 2 et 4 de l’étage inférieur, livrant un intéressant rapport de ses travaux resté malheureusement inédit 9. Enfin, en 2000, Laurent Borel entreprend un relevé d’ensemble du site troglodytique, effectué en compagnie de l’auteur. Il s’agit du premier relevé qui s’attache à placer les cavités naturelles et artificielles les unes par rapport aux autres et dans leur contexte géographique. Deux publications suivent en 2006 et 2010 10. Dans la publication de 2006, L. Borel s’étend sur l’ensemble du site de ʿIraq al-Amir, ne réservant que deux pages à l’ensemble troglodytique et à la curieuse grotte 13 à étages, privilégiant l’étude détaillée du bassin perché de Zahr al-ʿIraq. En 2010, l’Ifpo publie un petit guide concernant tous les aspects du vaste site de ʿIraq al-Amir ; L. Borel y évoque rapidement la partie troglodytique, sans poser toutes les questions qu’elle génère. Après avoir participé à de nombreuses études sur les cavités occupées ou aménagées par l’homme, j’ai souhaité revenir, comme géomètre et spéléologue, sur le travail auquel j’avais participé en 2000, et livrer ici une réflexion plus complète sur le site troglodytique de ʿIraq al-Amir 11.

• 12 Étienne et Salles 2010, p. 51.
• 13 Étienne et Salles 2010, p. 69.

4À Amman, le calcaire est souvent apparent, en petits bancs exploités en carrières. Ce calcaire d’origine crétacée descend vers l’ouest jusqu’à la vallée du Jourdain. À ʿIraq al-Amir, il a permis la formation d’une falaise de plus de 20 m de haut, sur 500 à 600 m de long, mais d’une constitution différente des carrières d’Amman. Est-ce du calcaire dolomitique comme l’indiquent les auteurs du guide de 2010 12 ? La forte stratification n’a pas l’aspect ruiniforme généralement caractéristique de la dolomie et certains bancs de roche font plutôt penser à de la calcarénite, qui se prête mieux au creusement que d’autres calcaires massifs et plus durs. On en trouve par exemple en Provence sous le nom de safre. Mais cela serait à confirmer. Jean-Pierre Braun décrit des carrières situées non loin au sud-est, comportant soit des calcaires tendres, soit des calcaires durs situés à des étages différents 13. Cela confirme le manque d’homogénéité des strates rocheuses constaté autour des grottes étudiées ici. Cette carrière proche génère aussitôt une question : est-ce le caractère troglodytique de notre falaise et son occupation par l’homme jusqu’à une époque récente qui en a épargné l’exploitation en carrières ? Comme le montrent bien la photo et le croquis du site (fig. 4 et 5), le long balcon horizontal qui barre le milieu de la falaise correspond à un joint de strates. Du fait du manque d’homogénéité des couches rocheuses, la base de la strate supérieure est d’une nature plus friable ; cela a permis à l’érosion de créer tout au long de la strate un retrait formant un abri sous roche continu, balcon permettant de circuler de grotte en grotte (fig. 6). À certains endroits, à la faveur de ce joint, en utilisant des petites fracturations et l’hétérogénéité de la roche, l’érosion a pu créer des excavations plus profondes que l’homme a agrandies et aménagées (fig. 7). À d’autres endroits, l’écroulement partiel de la strate supérieure a permis d’obtenir un balcon beaucoup plus large (plan, fig. 3). À l’extrémité orientale du site, une faille a créé un rejet, c’est-à-dire un décalage vertical des strates qui met fin au balcon de circulation et à l’utilisation des cavités naturelles. Nous verrons plus loin l’importance de ce balcon « inter-grottes » dans l’occupation des lieux.

• 14 On se demandera si c’est cette citerne et son alimentation que J.-P. Braun met en relation avec l’i (...)

8La grotte 5 est la seule citerne du niveau inférieur (fig. 8 et 9). La plus vaste de toutes, elle pouvait contenir 60 m³ à ras du déversoir. Elle est remarquable par sa forme et les escaliers qui permettent d’en atteindre le fond. Son sol, revêtu d’une couche de terre et de pierres, n’a à ma connaissance jamais été fouillé. Le niveau des dernières marches d’accès indique que la couche de débris recouvrant le sol ne doit pas dépasser 20 cm. Sur les parois, des fissures sont bouchées par des pierres et du mortier alors que l’ancien enduit d’étanchéité ne se devine que sur une très petite surface. Son système d’alimentation la distingue des autres citernes du site. Un brouillon manuscrit de 1982, non signé et retrouvé dans les archives (C. Cretaz ?), mentionne pour la citerne 5 « un important dispositif d’amenée d’eau par le haut », mais sans plus de détails. En réalité, l’alimentation se fait par la petite grotte-fissure accolée à son côté oriental ; cet aménagement creusé dans une fracturation verticale de la falaise permet de canaliser les écoulements au cours des périodes pluvieuses, ou encore l’eau provenant du bassin de la falaise qui sera décrit plus loin. À la sortie de cette grotte, un petit canal de deux mètres de long a été creusé dans le sol rocheux et se dirige vers l’extérieur, tandis qu’un autre se dirige vers la citerne (fig. 8 et 10) 14.

• 15 Cretaz 1983, p. 4.

14Situées au pied de la falaise, ces deux cavités, qui ont fait l’objet de fouilles en 1982, paraissent entièrement taillées de la main de l’homme. Elles sont remarquables par leurs dimensions, le soin de leur taille et leur forme. Vastes, avec un plafond à 10 m de haut, elles forment de grands parallélépipèdes d’une base de 18 m par 11 m pour la chambre rupestre 2 et de 14 m par 8 m pour la chambre rupestre 4. Dans les plus anciennes galeries connues de l’Antiquité, le creusement dans le roc respectait la forme d’une voûte ; c’était le dispositif qui répartissait au mieux la pression du rocher et évitait l’effondrement du plafond. Dans la salle 2, le plafond n’est pas plat, mais forme une voûte surbaissée, décorée à sa naissance d’une moulure double, peut-être à l’origine une gorge égyptienne (fig. 15). La salle 4 étant beaucoup moins large, on a taillé son plafond de façon à le rendre presque plat. Curieusement, leur niveau de sol est beaucoup plus bas que celui des sols extérieurs. Il est vraisemblable que des ravinements et des tremblements de terre ont provoqué la chute de matériaux venus de la falaise, ce qui a créé devant leur entrée une épaisse zone d’éboulis, plus haute que le sol des grottes et dans laquelle des escaliers ont été aménagés à l’époque moderne (fig. 16). De fait, un sondage ouvert en 1982 montre que la salle 2 était à l’origine de plain-pied avec l’extérieur 15. Deux gros rochers éboulés ont ainsi éventré la façade de la grotte 2 avant d’y pénétrer (fig. 16 et 17). Le rocher comporte plusieurs strates de dureté différente. La strate du bas étant la plus friable, elle a été entamée par l’érosion dans les deux salles (fig. 15), ce qui a amené l’écroulement de leur façade. Dans la salle 2, seul subsiste le haut de la grande fenêtre de façade, la porte située en dessous a disparu. Dans la salle 4 subsiste une belle fenêtre, mais la porte d’entrée a disparu (fig. 18).

• 16 Josèphe, A.J. XII, 4, 231 : « Dans la falaise située vis-à-vis de l’éminence, falaise dont il [Hyr (...)
• 17 Étienne et Salles 2010, p. 81.

15L’utilisation de certaines chambres rupestres de la falaise comme salle de banquet est évoquée par Flavius Josèphe, au i^er siècle de notre ère 16. On a depuis suggéré qu’il « pourrait s’agir de tombeaux non utilisés » 17, proposition peut-être justifiée par le nom de famille Tobiah écrit à l’entrée des deux grottes (fig. 19 et 20) mais qui étonne en l’absence de loculi. Par ses dimensions, la grotte 2 rappelle la salle du Diwan à Hégra qui abrite un grand triclinium rupestre (fig. 21). Malheureusement, le sol de la « grotte 2 » est aujourd’hui recouvert de 0,9 m à 1,3 m de terre et de débris. Lors de notre relevé de 2000 ainsi que lors de notre visite de 2018, trois sondages étaient visibles au sol ; nous les avons reportés sur notre plan mais ils ne couvraient qu’une surface restreinte. C. Cretaz indique dans son rapport inédit que deux sondages furent ouverts en 1982 dans la « grotte 2 », de la paroi orientale à la paroi occidentale de la chambre rupestre, pour « rechercher des traces de banquettes nous rappelant une salle de banquet ou un triclinum ». Les résultats furent négatifs, le sol s’avérant plat. On ne peut cependant exclure l’utilisation de mobilier. À ce stade de l’enquête, la nature de l’utilisation de ces chambres rupestres 2 et 4 ne peut être déterminée, et la question de l’antériorité ou de la concomitance éventuelle de leur utilisation avec le Qasr ne peut être tranchée. On peut en tout cas douter que ces deux chambres rupestres soient le résultat d’un creusement de carrière, auquel cas leur entrée aurait sans doute été aussi large que l’intérieur de la grotte et aurait été ensuite fermée par un bâti, ce qui n’est pas le cas.

• 18 Cretaz 1983, p. 11.
• 19 Tholbecq 2018, p. 19 ; 38-41.

22Cette grotte a été décrite en détail par Ch. Cretaz 18 après l’avoir bien nettoyée ; nous y ajoutons nos propres observations. En bordure de la vire d’accès, cette grotte s’ouvre par une large entrée, donnant sur une salle de 9 m de long sur 6 m de large et 2 m de haut. Elle se poursuit par un couloir qui permet de court-circuiter une interruption de la vire qui longe les grottes (fig. 3). On est intrigué par la structure circulaire de 5 m de diamètre et d’une quinzaine de centimètres de profondeur qui en entaille le sol au pied de ses parois. Par ses irrégularités, tant sur le tracé que sur la profondeur, elle ne correspond pas à la bande de roulement d’une meule. De plus, neuf petites excavations de moins de 30 cm de diamètre, irrégulièrement réparties creusent la structure (fig. 30 et 31), et ajoutent à la difficulté de lui donner une explication et de la rattacher à d’autres exemples connus. L’aspect lisse de la roche et l’absence de traces de creusement font penser à une structure très ancienne. Les meilleurs parallèles qui viennent à l’esprit sont des cavités circulaires rupestres aménagées à l’époque hellénistique à Nea Paphos et à Pétra, dans des contextes cultuels 19. Mais nous ne voyons pas la fonction exacte de la rigole d’écoulement citée par Ch. Cretaz au sortir de la grotte.

• 20 Conder 1889, p. 73.
• 21 Borel 2006, p. 319, fig. 10.

23Abordons enfin la grotte la plus curieuse du site et celle qui génère le plus de questions. Elle s’ouvre par une fenêtre au milieu de la paroi verticale, juste au-dessus de la grotte 13, et n’est aujourd’hui accessible qu’en descendant en rappel à partir du haut de la falaise (fig. 32 et 33). C’est la raison pour laquelle je suis enclin à appeler « Grotte suspendue » cette cavité que C. R. Conder désigne Mgharet esh-Shari 20. Pourtant cette cavité entièrement artificielle en milieu de falaise n’a pas toujours été inaccessible. Au cours du colloque de 2004, L. Borel s’est référé au relevé topographique dressé en 1863 par Ch. Mauss et publié en 1867 par de Saulcy 21 (fig. 34). En dépit de quelques maladresses entre la vue en plan et la coupe longitudinale, ce document est très instructif. Sur la coupe accompagnant le plan, trois étages sont représentés et l’on pouvait accéder au second étage à partir de l’étage inférieur (grotte 13) dont le plafond s’était effondré. En 2000, cet accès n’existait plus, l’entrée de la grotte 13 à partir de la vire étant obstruée par un éboulement. L’importance de la masse de ce nouvel éboulement a bouché la majeure partie de la grotte 13 (fig. 35), à l’exception de son extrémité nord, et en interdit désormais l’étude.

• 22 Saulcy 1867, planche VII.
• 23 Conder 1889, p. 73.

24La coupe de Mauss (fig. 34) indique sur le plafond effondré de la grotte 13 une petite amorce ressemblant à deux marches. Mais elle est trop imprécise pour qu’on puisse affirmer qu’il s’agit bien d’un escalier reliant les deux niveaux. Le texte de Saulcy n’apporte aucune information, la description ne permettant pas de trancher 22. Par contre, C. R. Conder, qui a lui aussi dressé un plan de la grotte (fig. 36), quasi identique à celui de C. Mauss, mais pas de coupe, signale des traces de marches sur le côté de l’ouverture vers l’étage supérieur 23. Sur les deux plans, cette petite amorce d’escalier semble placée de façon illogique sur le bord irrégulier de l’effondrement du plafond. Cette amorce n’a rien d’un escalier qui aurait été conçu au moment du creusement de la grotte et qui logiquement aurait dû se situer contre une paroi. De plus, d’après ces plans, cette minuscule amorce d’escalier a moins de 40 cm de large. On peut s’interroger sur cette amorce de marches sans suite. C. R. Conder estimait que la hauteur de la grotte 13 n’était que de 1,1 m par rapport au sol de déblais, ce qui permettait d’après lui d’accéder facilement à la cavité Mgharet esh-Shari.

• 24 Conder 1889, p. 73.

25En 2018, dix-huit ans après mon intervention de 2000, mes souvenirs avaient perdu de leur acuité. De plus, les profils de cette cavité s’étaient égarés. Entre-temps, en 2014, j’avais visité après escalade des grottes inaccessibles utilisées comme tombeaux dans des falaises de la commune d’Enfeh au Liban. J’avais alors fait un rapprochement : si Mgharet esh-Shari était inaccessible avant l’effondrement du plafond de la grotte 13, était-ce pour protéger une fonction funéraire ? Ma visite de 2018 ne confirma pas cette hypothèse, car sous l’une des salles de cette grotte suspendue se trouvait une citerne (fig. 37, 38 et 39) qui avait échappé à ma mémoire. Comme nous l’avons vu plus haut, cette citerne, d’un diamètre de 3,8 m, avait une contenance de 12 m³. Si ces creusements sont contemporains, une citerne de cette importance ne paraît pas compatible avec une cavité funéraire et inaccessible. Cependant, vu le caractère artificiel de cette cavité et sa position en hauteur dans la falaise, il m’était difficile d’abandonner cette notion d’inaccessibilité volontaire. Une hypothèse peut alors être émise : cette citerne n’aurait-elle pas été creusée après que l’effondrement du plafond de la grotte 13 ait permis un accès à cette Mgharet esh-Shari ? La coupe dressée par Ch. Mauss en 1863 montre que, bien que moins obstruée qu’en 2018, la citerne de la grotte 13 était touchée par les éboulis. Notre visite de 2018 nous a permis de voir que les parois de cette citerne étaient de piètre qualité, à l’inverse de celle de Mgharet esh-Shari, située sous la même couche aquifère (fig. 38). N’aurait-on par conséquent pas pu creuser une nouvelle citerne dans un contexte plus favorable ? Remarquons que cette citerne de Mgharet esh-Shari ne figure pas sur les plans de Ch. Mauss et de C. R. Conder, alors que l’ouverture y donnant accès est représentée. C. R. Conder signale quand même la présence d’une « espèce de puits » (a sort of well) de 6 pieds de profondeur 24. Il est étonnant qu’aucun des deux explorateurs ne soit descendu dans la citerne pour la dessiner.

• 25 Borel 2006 ; géoréférencement du bassin : UTM 36 : X 760.305 – Y 3534.970 – Z 550.

29Environ 130 m au nord de la falaise, L. Borel a étudié un bassin qu’il a dénommé « bassin de la falaise », ou Zahr al-ʿIraq et qui était alimenté autrefois par une source qui semble aujourd’hui tarie (fig. 41) 25. Il évoque son aspect complexe et recherche les raisons de sa belle architecture. Il évoque également son rôle dans l’alimentation des citernes des grottes, ce qui avait été ignoré auparavant. Mais vu ce que nous avons dit précédemment à propos des citernes, je ne pense qu’à une alimentation de la seule citerne 5, car elle se trouve dans l’alignement nord-sud du bassin, donc au plus près de celui-ci. Cependant, en surface, dans le terrain accidenté séparant le bassin du haut de la falaise et depuis peu couvert d’une plantation d’oliviers, la recherche d’une rigole ou d’un petit conduit le confirmant est difficile. La recherche d’un lien éventuel avec le bassin aujourd’hui comblé, au-dessus de la « Grotte suspendue », devient encore plus aléatoire.

• 26 Étienne et Salles 2010, p. 19 et 21-24.
• 27 Étienne et Salles 2010, p. 19 et 21-25.
• 28 Augé 2001, p. 485.

30Les grottes inférieures sont d’accès facile. Les plus anciens écrits s’y rapportant sont les Antiquités juives de Flavius Josèphe (37-100 de n. è.). F. Zayadine s’y réfère et se demande si le creusement des deux vastes chambres rupestres 2 et 4 de l’étage inférieur peut avoir été lié à l’arrivée des Tobiades à l’origine du Qasr al-ʿAbd 26. Les inscriptions araméennes « Tobiah » (fig. 19 et 20) qui se trouvent à l’entrée des grottes 2 et 4 et datent de la fin du iv^e ou iii^e siècle av. n. è. suggèrent une antériorité de ces cavités par rapport au complexe construit 27. Ces grottes ont-elles pu fournir aux Tobiades une résidence en attendant la fin de la construction de Qasr al-ʿAbd ? L’indice est insuffisant, le village proche ayant révélé les vestiges de vastes constructions qui pourraient également avoir précédé l’érection du Qasr. Nul doute que le site joua un rôle majeur dans la protection du territoire lagide face aux campagnes séleucides, ce dont témoigne le trésor monétaire découvert en 1993 en contrebas des grottes et enfoui vers 242 avant notre ère 28. Ces grottes ont-elles pu servir de refuge en des temps incertains ?

• 29 Étienne et Salles, p. 73.

31À l’inverse, les grottes de l’étage supérieur, aménagées à partir de cavités naturelles existantes et reliées par le long balcon formé par le joint de strates, sont d’accès difficile. Elles constituent un site d’occupation humaine idéal et facile à défendre avec l’à-pic le bordant. Il suffisait de bâtir une courte barrière ou une porte de défense à l’entrée ouest de la vire, un peu avant la grotte n^o 6, au rétrécissement marqué par le pigeonnier (fig. 42). Près de l’extrémité orientale, une tranchée a été creusée dans la vire, barrant le passage à ceux qui auraient pu y accéder par les pentes escarpées situées de ce côté (fig. 5 et 43). Cette caractéristique défensive et la facilité de communication entre les cavités ont probablement favorisé la première occupation du site par l’homme. Comme dans de nombreux sites troglodytiques défensifs, une question se pose : leur occupation était-elle permanente, ou limitée à quelques périodes spécifiques (par ex. de conflits) ? Dans ce cas, les familles des pasteurs qui n’habitaient pas dans le village et ne bénéficiaient pas de la protection de ses remparts pouvaient y trouver refuge. On pouvait aussi y stocker des réserves agricoles et y abriter du bétail. La datation de l’occupation des sites souterrains est toujours délicate. Une utilisation sur la très longue durée a effacé de nombreux vestiges anciens. Ici, l’épaisse couche de suie qui assombrit les murs de plusieurs grottes témoigne d’une occupation importante à travers les âges, jusqu’à une époque récente. De plus, sur un sol rocheux comme celui de ces grottes, on trouve rarement des amas de sédiments et une stratigraphie comparable à celle des sites aériens. En raison de la faible hauteur sous plafond, les occupants de la grotte ne pouvaient laisser s’accumuler les couches d’occupation successives et diminuer ainsi l’espace utile. Une grotte comme l’écurie-étable a dû être nettoyée régulièrement. Aucun ossement humain n’a été découvert dans les fouilles menées. Quant aux citernes, elles n’ont pas fait l’objet de fouilles et ne peuvent par conséquent pas être datées par du mobilier céramique. Nous devons donc nous référer aux fouilles extérieures pour tenter de proposer une datation. D’après F. Villeneuve, l’occupation humaine la plus ancienne de la zone, déduite de l’étude des céramiques retrouvées au sud de la falaise, en direction du village, daterait du Bronze ancien 29. C’est sans doute vers cette période, voire même plus tôt, qu’il serait possible de situer la première occupation humaine de ces grottes. Il est difficile à priori, de rattacher à la même période les citernes des grottes 6, 7 et 12, ou les installations de la grotte 14 : en raison de leur complexité et de leur degré de finition, leur occupation paraît plus récente. Elles pourraient par exemple avoir été aménagées en même temps que les grottes 9 et 10, en vue d’abreuver les bêtes qui y étaient parquées.