• 1 Laborde 1837, p. 33, pl. XXII-42 et 43.
• 2 Publiée dans Dussaud 1921, p. 67, fig. 15.
• 3 Renan 1864, p. 134-135.
• 4 Krencker et Zschietzschmann 1938, p. 4-7 et pl. 3-4.
• 5 Il s’agit notamment de cinq documents graphiques portant les numéros 1123, 1331, 1332, 1333 et 133 (...)

4Le temple de Bziza a depuis toujours séduit les différents voyageurs de passage dans la région. Son état de conservation et la qualité de son décor soigné contrastent avec ceux de beaucoup de monuments antiques régionaux, notamment le temple de Hardine, dont le décor est resté épannelé. La plus ancienne représentation connue du temple a été réalisée par Léon de Laborde, qui en publia une gravure dans son Voyage de la Syrie en 1837 (fig. 2) 1. Une autre gravure, contemporaine, fut réalisée par Monfort 2. Le monument fut visité par Ernest Renan dans les années 1860, qui fut plus occupé à trouver une inscription dans les environs qu’à le décrire lui-même 3. Il faut donc attendre le début des années 1900 pour que le monument soit complètement relevé et documenté par la mission allemande de D. Krencker et W. Zschietzschmann 4. Cette documentation reste la plus complète avant les travaux de restauration effectués dans les années 1930, qui aboutirent au démontage de certains ajouts de l’époque médiévale liés à la transformation du temple en église biconque. Aucune documentation de ces restaurations n’a été retrouvée. Des travaux supplémentaires, qui mirent tout particulièrement au jour les restes du podium du temple, ont été effectués en 1960 par H. Kalayan. Des documents graphiques remontant à cette période (plans et élévations restituées, élévation sud-ouest avec ses épures…) sont conservés dans les archives de la DGA 5 ainsi que des photos remontant à la même époque.

• 6 Atallah 1971, p. 50.
• 7 Taylor 1986, p. 113.
• 8 Nordiguian 2005, p. 192-199.
• 9 Aliquot 2009, p. 245-247.

5Par la suite, plusieurs publications grand public ainsi que des timbres-poste montrent des aspects du site au fil des années. Citons notamment celle de S. Atallah, dans laquelle on pouvait encore voir l’état du temple avant l’anastylose de la colonne ouest, avec des fragments du fût posés le long du mur sud-ouest, avant le dégagement du podium 6. Citons aussi les photos dans celle de G. Taylor, sur lesquelles il était encore possible de voir les bases du podium du côté sud-ouest 7. Plus récemment, L. Nordiguian a publié dans son livre sur les temples d’époque romaine au Liban un ensemble de photos de détail 8. J. Aliquot publia à son tour une notice historique et descriptive du monument dans le cadre de son étude sur les aspects de la vie religieuse au Liban sous l’Empire romain 9.

• 10 Renan 1864, p. 134.
• 11 L’actuelle église Saint-Georges de Amioun remploie la majeure partie des blocs d’un temple romain (...)
• 12 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 8-19, vol. 2, pl. 5-11 ; Nordiguian 2005, p. 200-205.
• 13 Nordiguian 2005, p. 188-189 ; Yasmine 2009, p. 121-134.

6Le temple occupe une légère plate-forme au centre du village de Bziza, situé à 450 m d’altitude. Étymologiquement, le nom du village semble être la contraction des deux mots Beth Aziz, comme le propose E. Renan, soit la « maison d’Aziz », ancienne divinité sémitique 10. Cette nomenclature indique déjà la présence d’un culte ancien voué à ce dieu. En effet, la présence de l’actuel temple de Bziza n’est pas l’unique témoin des cultes antiques dans le secteur. Il occupe plutôt une position centrale dans une région parsemée de temples d’époque romaine qui se font face. Ainsi, plusieurs temples remontant à cette époque sont conservés sous des formes plus ou moins évidentes dans les villages voisins de Amioun 11 au nord de Bziza, de Ain Ekrin (Qasr Naos) au nord-est 12 pour finir, au sud-est, avec le temple de Mercure à Hardine, qui culmine à 1 500 m d’altitude 13. Un peu plus loin, du côté sud de la rivière de Nahr el-Joz, le chapelet de temples entourant Bziza se poursuit avec ceux de Hosn Bcheʾleh à 1 500 m d’altitude et d’Assia à 900 m d’altitude (fig. 3).

• 14 À propos de cette église, Nordiguian 2015-2016, p. 397-405.

7L’environnement direct du monument a été très peu exploré. Le jardin dans lequel il se dresse ne présente aucune limite de téménos claire tandis que la présence d’habitations et le passage de la route moderne qui fait le tour de ses deux côtés nord-est et sud-est ont effacé toute trace de constructions antiques potentielles. Par ailleurs, l’église Saint-Élie des Maronites, située à 70 m à l’ouest du temple, fait des remplois massifs de blocs antiques qui proviendraient du temple lui-même mais aussi d’autres monuments actuellement disparus 14.

• 15 Le niveau + 0,00 m par rapport auquel seront présentées toutes les mesures de niveau ainsi que les (...)

8Actuellement situé dans un jardin aménagé par la municipalité du village, le temple, prostyle-tétrastyle d’ordre ionique, se dresse sur les restes d’un podium dont nous pouvons discerner les limites actuelles sur les côtés latéraux et arrière de la cella. Son débordement par rapport aux murs de cette dernière est de 2,75-2,80 m sur les côtés nord-est et sud-est, tandis qu’il n’est pas bien défini sur le côté sud-ouest. La moulure de base du podium, telle qu’elle est actuellement conservée, ne présente de retour d’angle que du côté nord-est, alors que, du côté sud-ouest, elle dépasse la limite extérieure du mur du temple d’environ 1,47 m. Toutefois, un long alignement de blocs de fondation parallèle au mur sud-ouest du temple et qui se trouve à environ 3 m de celui-ci permet de constater la présence du podium de ce côté-ci. D’autre part, le niveau de fondation du podium se situe à la cote -1,55 m 15, alors que sa hauteur conservée est de 1,25 m, dont 0,455 m pour la moulure de la base, constituée, de bas en haut, d’une plinthe haute de 0,075 m, d’un tore haut de 0,105 m, d’une bande plate (0,03 m), d’une doucine renversée (0,19 m) et finalement d’un chanfrein. Selon les blocs, ce chanfrein est parfois ravalé sur toute sa hauteur égale à 0,055 m et parfois traité en bande plate surmontée d’un chanfrein de taille plus réduite. Du côté nord-ouest (façade principale) aucun prolongement du podium n’est conservé, ni aucune trace d’un potentiel escalier. Toutefois, le mur de fondation situé dans le prolongement de celui de la cella du côté nord-est et en dessous de la colonne angulaire du même côté dépasse la limite de la base de cette dernière. Il présente les traces de l’arrachement de son prolongement vers le nord-est, qui devait délimiter l’escalier d’accès au monument.

• 16 Il faut noter que cette colonne a été redressée dans les années 1960, comme le montrent les photos (...)

11L’actuelle disposition des colonnes de la façade prostyle est plus ou moins irrégulière. Alors que les deux entrecolonnements latéraux sont identiques (1,48 m), celui du centre est de 2,48 m. D’une part, la distance séparant la colonne de l’extrémité nord-est de la face du mur d’ante du même côté est de 1,63 m, celle du côté opposé (sud-ouest) est de 1,87 m 16. D’autre part, les plans de D. Krencker permettent de mesurer une distance de 1,45 m entre les colonnes latérales et leurs antes correspondantes. Il faut toutefois rappeler que la colonnade, comme d’ailleurs une partie du temple, a été démontée et remontée au cours de travaux de restauration menés sur le site dans les années 1930. De plus, contrairement aux trois autres colonnes du prostyle qui restèrent toujours debout, celle de l’angle sud-ouest n’a été remontée que pendant ces travaux (fig. 10 et 11). En tout cas, le positionnement de l’axe de la colonnade présente une déviation de 2° par rapport à l’alignement des deux antes.

• 17 En fait, cette porte est légèrement désaxée par rapport au milieu du mur dans lequel elle est perc (...)

14Dans le mur de fond du pronaos, s’ouvrent deux portes (fig. 14). La première, centrale 17, a une largeur de 2,60 m du côté extérieur. Sa hauteur est de 4,35 m. Un chambranle large de 0,48 m est composé, à l’image des architraves du prostyle, d’une succession de trois fasces séparées par des filets droits ainsi que d’une moulure constituée de trois cavets. Ces moulures sont lisses sur l’ensemble de la hauteur des piédroits de la porte. L’aspect décoratif change complètement au niveau de la partie horizontale du chambranle. Cette partie, constituant d’office le linteau de la porte et jouant en même temps, par sa composition architectonique, le rôle d’une architrave, présente un décor bien plus élaboré associé à la même séquence de moulures que celle des piédroits. Les filets séparant les fasces de la zone de l’architrave s’ornent chacun d’une série de perles et de pirouettes qui se trouvent dans un état très abîmé. Les trois cavets qui, associés au listel plat qui les surmonte, forment le couronnement de l’architrave, sont eux aussi richement décorés : de bas en haut, ils se couvrent d’une série de rais de cœur, suivie d’une autre d’oves et de dards et, finalement, une rangée de palmettes formées chacune de sept feuilles simples entourées, de part et d’autre, par des feuilles en forme de volutes, toutes étant ajourées. Cet ensemble est surmonté d’un entablement corinthien, constitué d’une frise haute de 0,32 m et d’une corniche haute de 0,40 m. La surface de la frise est ornée d’un rinceau de onze motifs floraux, partiellement conservés du côté nord-ouest, moins du côté nord-est et totalement effacés au centre de la frise. Contrairement à la plupart des portes des temples du Liban de la même époque, celle de Bziza ne présente pas les deux consoles que l’on retrouve généralement au niveau de leur couronnement, mais deux reliefs de victoires placées en diagonale.

• 18 Cet éloignement est mesuré par rapport à la position du mur au niveau de la niche, soit à une haut (...)

16Le mur de fond du pronaos, constitué d’un seul parement, a une épaisseur qui varie entre 0,90 m au niveau de la porte principale et 1,07 m au niveau de son contact avec le mur sud-ouest de la cella. Cette dernière, d’un plan rectangulaire, a une longueur de 8,65 m et une largeur de 6,28 m (fig. 15 et 16). Ses murs, à double parement en appareil isodome d’une épaisseur de 0,77 m, sont inégalement conservés. Celui du côté nord-ouest (mur de fond du pronaos) est presque intégralement en place jusqu’au niveau de l’entablement (fig. 17). Celui du côté sud-ouest est conservé jusqu’à une hauteur variant entre 4,50 m et 6,50 m. L’angle ouest supérieur de ce mur est surmonté de deux blocs d’architraves qui se prolongent sur une partie du côté nord-ouest. La hauteur de ces architraves est de 0,51 m, soit la même que celles du pronaos. Une porte haute de 2,20 m (quatre assises du mur) et large de 1,20 m du côté intérieur et 1,04 m du côté extérieur est percée dans ce mur sud-ouest. Elle est distante de 2,45 m de l’angle sud-ouest intérieur de la cella et de 4,55 m de la limite extérieure du pilastre d’ante du même côté. De part et d’autre de cette porte, à 2,75 m de hauteur, s’ouvrent deux niches dans le mur (fig. 18). Leur largeur est de 0,65 m alors que leur profondeur est de 0,10 m environ. La hauteur totale de ces niches est de 2,65 m (5 assises du mur), dont 0,54 m (une assise) pour les consoles et 0,54 m (une assise) pour leur couvrement, en forme de coquille. Ce couvrement n’est en fait conservé que pour la niche du côté ouest. Le diamètre de sa cavité (0,78 m), supérieur à celui de la cavité de la niche, semble plaider en faveur d’un remploi. Des colonnettes devaient sans doute occuper les angles saillants. Ces deux niches sont séparées d’une distance de 1,90 m et celle du côté ouest se trouve à 1,25 m de l’angle ouest de la cella 18. Par ailleurs, sur le côté sud du mur sud-ouest de la cella, deux pilastres encastrés sont conservés (fig. 19, 24 et 25). Leurs bases attiques, hautes de 0,19 m, se situent à 1,70 m (trois assises du mur) du sol (niveau + 0,00 m). La largeur de ces pilastres est de 0,30 m alors que leur épaisseur est de 0,035 m. Ils sont espacés de 1,50 m tandis que celui du côté sud se trouve à 0,58 m de l’angle sud de la cella. La hauteur conservée de ces pilastres est de 2,70 m (5 assises du mur).

• 19 En fait, leur axe est dévié de 16° par rapport à l’est (18° selon le plan de Krencker) et de 32° p (...)
• 20 L’impossibilité de mesurer le reste des arêtes est actuellement due à la présence d’un grand arbre (...)

17Contrairement aux deux murs de l’angle ouest, assez bien conservés, ceux de l’angle est ne le sont que très partiellement. En effet, le mur du côté sud-est n’est conservé que sur une seule assise. Seul son angle sud est encore debout jusqu’à la hauteur du chapiteau du pilastre d’angle, toujours en place (fig. 20). Les faces de ce pilastre ont une largeur de 0,66 m. Le mur du côté nord-est a, quant à lui, été démonté pour installer à sa place les deux absides de l’église qui est venue occuper l’intérieur de la cella (fig. 21 et 22). Sachant que le temple est orienté par ses angles et non ses côtés, il semble que les constructeurs de l’église se soient efforcés d’orienter les absides le plus possible vers l’est. Il en résulte que la position de celles-ci fut biaisée par rapport à l’axe du mur nord-est 19. Elles occupent presque la totalité de la longueur de ce côté. La première, côté sud, a un diamètre intérieur de 3,55 m. Son quart sud s’encastre dans le mur sud-est du temple. Celle du côté nord a un diamètre de 3,13 m. Son extrémité nord se prolonge par un mur rectiligne long de 1,70 m qui rejoint l’extrémité nord du mur nord-est, dont seul un arrachement de l’angle nord, long de 1,15 m, a été conservé. De plus, ces deux absides sont séparées par un mur épais de 1,25 m, contre lequel s’accole un pilastre rectangulaire épais de 0,70 m. La longueur de ce pilastre, dont l’axe est perpendiculaire à celui du temple et non à celui des absides, est de 1,27 m du côté de l’abside nord et 0,94 m du côté de l’abside sud. De l’extérieur, les murs des absides ne sont pas curvilignes, mais rectilignes, suivant une disposition polygonale. Ainsi, l’abside nord s’inscrit dans un demi-octogone dont seules les deux arêtes nord, irrégulières, sont actuellement mesurables. Elles mesurent respectivement 1,15 m et 1,82 m. Celle du sud présente les mêmes caractéristiques. Là aussi, seules les deux arêtes sud ont pu être mesurées ; elles font respectivement 0,95 m pour celle du côté du mur sud-est de la cella et 1,37 m pour l’autre 20.

• 21 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 4, fig. 7.

18Les deux absides ne sont pas également conservées en hauteur. Alors que celle du côté nord est conservée sur deux assises, celle du côté sud l’est sur huit assises, soit 3,50 m. La 8^e assise, haute de 0,25 m, forme la corniche saillante traçant la limite entre le mur de l’abside et le départ de son couvrement, dont certains blocs étaient encore in situ lors du passage de la mission allemande 21 (fig. 16). Quant au pilastre accolé au mur qui sépare les deux absides, il est conservé sur une hauteur d’environ 3,95 m (9 assises et demi). Le départ de la voûte qui devait rejoindre l’autre côté de la cella se situe au niveau de la 8^e assise, soit à une hauteur de 3,10 m.

• 22 Ces bandes sont clairement identifiables sur le côté droit de la niche. La mauvaise conservation d (...)
• 23 Nordiguian 2005, p. 154.
• 24 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 21-22.
• 25 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 136, vol. 2, pl. 60 ; Yasmine 2007, vol. 1, p. 70-71  (...)
• 26 Nordiguian 2005, p. 68.

20Toutefois, les deux blocs les plus intéressants sont conservés dans l’espace du monument lui-même. Le premier, actuellement déposé dans la cella, devant l’abside nord, fait 0,78 m de haut pour 0,50 m de large et 0,40 m d’épaisseur (fig. 26 et 27). La face principale de ce bloc est creusée d’une niche. L’intérieur de cette niche fait 0,28 × 0,51 m pour une profondeur de 0,13 m. Son espace intérieur présence une sorte de marche haute de 0,06 m et profonde d’autant. Cette niche est surmontée d'une moulure formée par des bandes lisses successives dont les sept inférieures font un retour sur ses côtés latéraux 22. Quant au second bloc, il constitue l’angle d’une sorte d’entablement de petites dimensions (fig. 28 et 29). Haut d’environ 0,50 m, il présente sur deux faces angulaires ce que l’on pourrait identifier comme une zone d’architrave à trois fasces surmontées d’un couronnement, l’ensemble ayant une hauteur de 0,18 m. Cette première zone est surmontée d’une frise à la surface concave haute de 0,08 m. Une corniche très endommagée couronne l’ensemble. Sur sa zone inférieure, nous identifions une première bande d’oves haute de 0,025 m surmontée d’un listel plat. La base de ce bloc présente, posés à 0,06 m de ses deux extrémités extérieures, deux canaux larges de 0,09 m, à fond convexe lisse et aux extrémités arrondies, similaires à ceux que nous trouvons sur les soffites des architraves. Chacune des extrémités de ces deux canaux s’éloigne de l’angle conservé du bloc de 0,12 m, définissant ainsi un espace plat ayant sans doute servi de lit de pose pour une colonnette. L’association de ces deux blocs permettrait de reconstituer un petit monument à colonnettes comparable à ceux que nous retrouvons à Faqra 23, Sfireh 24, Hosn Niha 25 et Qsarnaba 26 (fig. 30). La présence des canaux susmentionnés indique la présence de colonnettes d’angle seulement.

• 27 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 4, fig. 7, p. 6, fig. 11 et p. 7, fig. 12 et 14, vol. (...)
• 28 Ce pilier, bien que marqué sur le plan de Krencker, n’est pas visible dans ses photos et ne figure (...)
• 29 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 4, fig. 10.

23À la suite de la restauration du monument dans les années 1930, plusieurs éléments datant surtout de la phase « église » ont été démontés. Ces éléments sont repérables sur les plans et les photos de Krencker (fig. 31). Il s’agit notamment de trois piliers dont deux se situaient dans les angles nord et ouest de la cella 27, et le troisième face à son mur sud-ouest, au niveau de la 2^e niche 28. Sur les photos, nous pouvons remarquer que ces piliers étaient conservés jusqu’à des hauteurs dépassant le départ des voûtes qu’ils supportaient (fig. 16). Un autre départ de voûte a été semble-t-il démonté dans l’angle sud de la cella ; mais contrairement aux autres, supportés par des piliers, ce dernier était directement intégré au mur de la cella 29. Concernant les absides, une des photos de D. Krencker montre que celle du côté est avait encore partiellement conservé, au niveau de son angle sud, le départ de son cul-de-four sur une hauteur de deux assises. Cet élément a actuellement disparu. Enfin, la porte ajoutée entre les deux colonnes centrales du prostyle a également disparu. Cette porte, visible sur des photos anciennes, était formée de deux piédroits et d’un linteau qui les surmontait (fig. 2 et 10).

• 30 Vitruve III, 3.

28Les bases des colonnes et des pilastres du temple sont de type attique. Elles ont une hauteur totale de 0,45 m. Elles se composent d’une plinthe divisée en deux registres et d’un tore entre deux filets insérés entre deux scoties. La hauteur totale de la plinthe est de 0,205 m. Celle-ci se particularise par ses deux registres dont l’inférieur, haut de 0,085 m, a un côté de 0,99 m, et le supérieur, haut de 0,12 m et légèrement en retrait, a un côté de 0,96 m. Les deux scoties ont respectivement 0,092 et 0,06 m de hauteur, tandis que le tore qu’elles encadrent a une hauteur de 0,093 m. Ce modèle de base est le plus répandu sur les sites locaux, régionaux et même au niveau de l’empire romain. Selon le modèle vitruvien, les diverses proportions devraient être, pour une base prise sans sa plinthe et divisée en 4 parties, de 1,5 partie pour le tore inférieur et de même pour la scotie et ses deux listels, ainsi qu’une partie pour le tore supérieur 30. Ceci se traduit pratiquement par un tore supérieur égal aux 2/3 du tore inférieur, ce dernier étant égal à la scotie et ses deux listels. Ce fait se trouve vérifié sur les bases du temple de Bziza, à quelques millimètres près. Par comparaison, cette règle est généralement appliquée dans les temples de Afqa et ceux de Jupiter et Bacchus à Baalbeck, mais pas dans les temples voisins de Qasr Naos. Par ailleurs, le même modèle vitruvien stipule que la plinthe devrait avoir une hauteur égale au 1/6 de celle de la base, soit 0,075 m. Or notre plinthe de 0,205 m est exactement trois fois plus haute. Cette hauteur excessive se traduit par ailleurs par une dimension supérieure aux 2/3 du diamètre inférieur du fût de la colonne, au lieu du 1/2 canonique. Notons toutefois que le lit de pose de ce dernier (0,71 m) est clairement inférieur au lit d’attente de la base (0,78 m), ce qui nous laisse penser à un remploi de blocs, probablement les bases, qui ne conviennent pas tout à fait aux fûts. Ces derniers ont un diamètre inférieur de 0,652 m et un diamètre supérieur de 0,60 m, soit un rapport de 6/6,5. Nos colonnes mesurant exactement 20 pieds romains de haut, ce rapport suivant le canon vitruvien devrait être de 5,5/6,5. Nos colonnes ont donc une entasis moins accentuée que la moyenne vitruvienne. Ce fait s’explique par les hauteurs des deux autres composantes de la colonne, la base et le chapiteau (tab. 2). En effet, suivant le modèle vitruvien, la base devait avoir une hauteur de 0,325 m (1/2 diamètre) au lieu des 0,45 m actuels et le chapiteau une hauteur légèrement supérieure de 0,343 m (1/2 diamètre + 1/36) au lieu des 0,38 m actuels. La hauteur du fût (5,10 m) s’en trouve ainsi amoindrie d’un demi-module (5,26 m théoriques), induisant sans doute cette forme légèrement plus trapue.

• 31 Nous retrouvons ce détail sur certains chapiteaux ioniques de la région du mont Hermon. Toutefois, (...)
• 32 Les chapiteaux des pilastres ont des faces qui ont une longueur de 0,695 m, à comparer avec le dia (...)

29Contrairement à la plupart des chapiteaux ioniques des monuments du Mont-Liban que nous retrouvons le plus souvent dans un état épannelé, les chapiteaux de Bziza (fig. 32 à 38) présentent un décor élaboré. Le bloc des chapiteaux a une hauteur totale de 0,58 m, délimitée, du côté inférieur, par un listel et un astragale (H = 0,04 m). L’astragale couronne le fût. La zone du collet, lisse, occupe une hauteur de 0,315 m, ce qui laisse une hauteur totale de 0,265 m au chapiteau proprement dit. Ce dernier est couronné par un abaque épais de 0,05 m surmontant un canal haut de 0,04 m. Le centre des abaques latéraux des deux chapiteaux des pilastres des antes sont occupés par des motifs figurés, sur lesquels nous reviendrons. Le centre des faces de l’abaque du seul chapiteau angulaire encore conservé présente un détail inattendu sur un chapiteau ionique, sous la forme d’un bourgeon floral du type que nous retrouvons généralement sur les abaques des chapiteaux corinthiens (fig. 34). Les volutes des chapiteaux, à trois enroulements, ont un diamètre de 0,265 m. Sur le seul chapiteau de colonne d’angle conservé, les volutes prennent une direction de 45°, suivant la diagonale du lit d’attente du chapiteau et leurs tranches sont couvertes par une feuille d’acanthe qui suit leur enroulement 31. Ces volutes délimitent une zone centrale composée d’une échine à oves longue de 0,385 m et haute de 0,095 m. Sur les chapiteaux centraux de la face du prostyle (fig. 35 à 37), les oves sont au nombre de trois tandis que, sur les faces des chapiteaux angulaires ainsi que sur les chapiteaux de pilastres, sensiblement plus larges que ceux des colonnes 32, les oves sont au nombre de cinq sur chaque face (fig. 33, 34 et 38). La forme parfaitement ovoïde que prennent ces oves se caractérise par leur extrémité inférieure pointue, qui se détache presque totalement de la base de leur registre, à laquelle seul un petit point mince la lie, tandis que, du côté haut, le retour curviligne de leur forme vers l’intérieur laisse une surface de contact limitée avec la zone supérieure du registre. Les coquilles qui les enveloppent se caractérisent par leur forme qui suit de près celle de leurs oves et qui présente donc peu d’évasement. Les oves latéraux sont quant à eux toujours partiellement cachés par les paires de palmettes qui prennent naissance du haut du deuxième enroulement des volutes. Les dards qui séparent ces oves prennent une allure linéaire mince aux extrémités pointues. Sous le registre des oves, une bande épaisse de 0,035 m est ornée d’un astragale de perles et de pirouettes sur les deux chapiteaux centraux du prostyle, tandis qu’elle est laissée lisse sur le chapiteau de la colonne angulaire nord-est ainsi que sur ceux des pilastres de la cella. Cet astragale présente une alternance de deux pirouettes pour une perle. Sa position coïncide avec l’axe passant par le centre des yeux des volutes de chaque chapiteau. Quant aux faces latérales des chapiteaux des deux colonnes centrales du prostyle, là aussi, un décor élaboré est au rendez-vous. En effet, chacun des deux balustres de chaque chapiteau est orné de quatre feuilles d’acanthe placées deux à deux de part et d’autre d’un baudrier composé de trois bandes verticales (fig. 35 et 37).

• 33 À propos de la forme des oves et leur évolution dans le contexte régional, voir notamment Gros 197 (...)
• 34 Nordiguian 2005, p. 120.
• 35 Dentzer-Feydy 1990, p. 160, fig. 19.

30L’aspect de ces chapiteaux s’apparente à des séries bien connues dans l’Orient romain dans le courant du ii^e s. apr. J.-C. Plusieurs éléments caractéristiques permettent d’établir des comparaisons avec les modèles régionaux et de proposer une datation à ces chapiteaux. La forme des oves est bien ramassée et pointue aux extrémités, induisant ainsi un détachement de la paroi du bloc. Cette forme caractérise les oves à partir de la moitié du ii^e s. apr. J.-C. Avant cette date, cette forme est moins ovoïde, tronquée à la base, et accolée au registre supérieur par une large surface de contact. La même logique s’applique aux coquilles des oves qui, avant cette même date, présentaient, elles aussi, un aspect tronqué et évasé pour commencer ensuite par s’isoler petit à petit et suivre la forme géométrique de l’ove, cas qui s’applique aux chapiteaux de Bziza 33, tout comme à un ensemble de chapiteaux régionaux, tels que ceux du temple de Hibbariyeh 34 (fig. 39), mais aussi à Bosra dans les thermes du sud 35, ainsi qu’à un ensemble de blocs d’entablements de Baalbeck et de Tyr. Le nombre de ces oves est caractéristique. En effet, J. Dentzer-Feydy fait remarquer que les échines à cinq oves, courantes à l’époque hellénistique et à l’époque augustéenne, disparaissent dans le courant du i^er s. au profit de l’échine à trois oves pour refaire apparition à partir du règne d’Hadrien en concurrence à celle aux trois oves jusqu’à la fin du ii^e s.

• 36 Bingöl 1980, p. 86-120
• 37 Bingöl 1980, p. 178-180 et pl. 29, n^os 85, 88 et 95.
• 38 Dentzer-Feydy 1990, p. 160, fig. 20.

31La deuxième caractéristique majeure est celle du décor des balustres (fig. 35 et 37). D’après O. Bingöl, la présence du décor en feuilles d’acanthe divergentes du baudrier est un usage typiquement micrasiatique remontant à la période impériale et qui a duré jusqu’à l’époque sévérienne 36. Les modèles les plus proches, présentant deux feuilles indépendantes de chaque côté, sont conservés au musée de Burdur en Turquie et sont essentiellement datés de l’époque trajane 37. D’autres, présentant des feuilles à l’aspect plus simplifié, proviennent de la zone des thermes sud de Bosra 38.

• 39 Notons que les chapiteaux ioniques figurés sont relativement rares. Un rare exemple régional est c (...)
• 40 Aliquot 2009, p. 142-145 ; 209.
• 41 Nordiguian 2005, p.112, 205.
• 42 Fani 2005, p. 262.
• 43 Seyrig 1933, p. 255.
• 44 Fani 2004, p. 264.
• 45 Renan 1864, pl. XXXII.
• 46 Nordiguian 2005, p. 177.
• 47 Un chapiteau corinthien du péristyle du temple de Majdel Anjar porte, au centre de l’une de ses fa (...)
• 48 Sur cette question, voir Aliquot 2009, p. 142-145.

32Quant aux motifs figurés qui ornent le centre des faces latérales des abaques des chapiteaux des pilastres des antes, représentant des bustes du dieu Sol (fig. 40 et 41), leurs têtes sont très endommagées et nous ne pouvons donc que difficilement discerner quelques-uns des rayons qui les couronnent 39. Au contraire, leurs parties inférieures sont bien conservées, et il est facile d’identifier, pour chacun d’eux, des plis de leurs tuniques. À l’époque romaine, la représentation de Sol ou bien d’Hélios était un attribut des grands dieux, tout comme celle de Luna 40. Ainsi, nous retrouvons la représentation de Sol dans de nombreux sanctuaires ruraux, sur des frontons de temples (Ain Hersha, Qasr Naos 41…), des linteaux (Bir el-Khan 42, Palmyre 43), des façades de temples (Chhîm 44), des autels (Maschnaka 45, Akoura 46…) et, dans notre cas, sur les chapiteaux 47. La présence de ces motifs sur nos chapiteaux n’est pas nécessairement en rapport avec l’identité de la divinité, encore inconnue, du temple 48. Nous ne pouvons donc interpréter leur présence que comme faisant partie d’une tradition locale qui prit l’habitude de les représenter indépendamment de l’identité de la divinité à laquelle est dédiée le monument.

• 49 Vitruve, III, 3.
• 50 Dentzer-Feydy 1990, p. 146.

33L’étude des proportions des chapiteaux ioniques s'appuie sur un ensemble de rapports définis originellement par Vitruve dans son livre III 49. Toutefois, si la comparaison par rapport au modèle vitruvien reste le plus souvent indicative, celle réalisée avec des modèles régionaux semble être plus adéquate. Ces rapports concernent aussi bien les mesures principales des chapiteaux (longueur, largeur, hauteur…) que les mesures des petits détails (saillie de l’échine, profondeur de l’abaque…). Dans son étude typologique d’un ensemble de chapiteaux ioniques provenant de la Syrie méridionale, J. Dentzer-Feydy identifie plusieurs groupes typologiques. Son groupe 2 (G2 ci-dessous), présente les caractéristiques identifiées ci-dessus pour les chapiteaux de Bziza, qu’elle cite par ailleurs comme faisant partie de ce groupe. Les proportions moyennes des chapiteaux de ce groupe sont énoncées dans le tableau 3 de son article 50.

• 51 À ce propos, voir Hoepfner 1968, p. 213-234, et Bingöl 1980, p. 142-153.

34Le tableau 3 permet de constater que les proportions des différentes composantes mesurées sur les chapiteaux de Bziza présentent plusieurs similarités avec ceux du groupe 2 de J. Dentzer-Feydy alors que, pour certaines autres proportions, ils semblent plus s’aligner sur le canon vitruvien. Ainsi, le rapport de la longueur totale sur la hauteur, celui de la hauteur de l’abaque rapporté à la hauteur totale ainsi que la longueur totale par rapport à l’entraxe des volutes semblent plutôt s’aligner sur le modèle de Vitruve, avec lequel ils présentent moins d’écart qu’avec la moyenne des chapiteaux du groupe 2. Pour certains autres rapports (largeur de l’abaque rapportée à la longueur totale, hauteur totale sur la hauteur de la face), nous constatons un rapprochement avec ceux du groupe 2, tout en notant que parfois les trois modèles présentent des rapports similaires. En effet, ces rapprochements proportionnels entre les chapiteaux qui s’apparentent aux modèles micrasiatiques et le modèle vitruvien ont été constatés par Bingöl qui remarque que le modèle vitruvien correspond dans ses lignes principales aux modèles produits en Asie Mineure pendant l’époque hellénistique et qui s’est perpétué sans grands changements à l’époque impériale romaine 51.

• 52 L’arc d’Hadrien à Gerasa est l’un des rares monuments qui fait exception à cette règle avec quatre (...)

38La composition de l’entablement, répond, par sa forme et ses composantes, aux grandes lignes de l’entablement ionique traditionnel. La composition de l’architrave en deux registres, dont le plus bas est composé de trois fasces, correspond au modèle le plus répandu sur les monuments romains locaux et régionaux 52. La présence de baguettes lisses qui s’insèrent entre les fasces et que nous retrouvons à Bziza est assez courante notamment sur les temples au décor élaboré, là où elles se transforment parfois en une bande de perles et pirouettes comme sur les monuments héliopolitains. La frise, lisse comme dans la majeure partie des temples ruraux du Liban, présente une face convexe, aspect que nous retrouvons sur les temples de Qasr Naos et de Faqra ainsi que sur le nymphée de Byblos et maints autres temples de la Békaa. La corniche appartient aussi aux modèles locaux et régionaux traditionnels, tout en gardant un aspect simplifié de ses composantes.

• 53 Wiegand 1923, p. 15, fig. 27, et p. 16, fig. 28.
• 54 Un seul bloc de ce type, en remploi, actuellement disparu, a été répertorié par Kalayan lors des t (...)

44La frise, haute de 0,32 m, présente une face ornée d’un rinceau floral similaire à ceux trouvés sur les architraves en calcaire des monuments romains de Tyr maritime et sur le temple de Bacchus à Baalbeck 53, mais aussi sur certains temples ruraux tel qu’à Yanouh 54. Les motifs floraux de ce rinceau, au nombre de onze, sont assez bien conservés sur les angles du bloc, mais très endommagés le long de sa zone médiane. Leur technique de taille présente peu de reliefs ajourés et toutes leurs composantes restent accolées à la surface initiale du bloc.

• 55 Nous retrouvons cette forme des oves sur les corniches du temple de Jupiter à Baalbeck, remontant (...)
• 56 Gros 1979, p. 150 ; Weigand 1914, p. 50-51 ; Wienholz 2008, p. 283.

47Les oves de la première bande présentent une forme bien ovoïde pointue à l’extrémité inférieure et assez arrondie au sommet. Ces éléments se détachent clairement, au niveau de leurs extrémités, des registres qui les encadrent, hormis une très fine tige. Les coquilles qui les enveloppent, assez évasées, sont tronquées au contact des deux registres inférieurs et supérieurs, tout en suivant le mieux possible la forme des oves. Quant aux dards qui les séparent, ils prennent la forme de pointes de flèche bien tracées. Cette forme des oves, plutôt allongée, et son rapport avec les registres qui les encadrent est caractéristique de la deuxième moitié du ii^e s. En effet, dans l’Orient romain, la forme de ces oves sur les monuments les plus anciens est généralement moins circulaire et tronquée à la base ce qui génère une large surface rectiligne qui s’accole au registre supérieur par une large surface de contact 55. Le développement de leur forme aboutit à une surface plus bombée qui se détache de la paroi du bloc, leur surface de contact avec le registre supérieur se réduisant ainsi à une simple tige fine au tournant du ii^e et du iii^e s. 56. Ce développement est suivi par celui des coquilles ainsi que par celui des dards qui, de simples formes arrondies noyées dans l’épaisseur de leurs registres, s’en détachent et prennent des formes plus élaborées en pointe de flèche comme celles que nous retrouvons sur le temple de Bziza.

• 57 Leon 1971.
• 58 Wienholz 2008, p. 278 ; Turnheim 1989, p. 122.
• 59 Leon 1971, p. 245-246.
• 60 Weigand 1924, p. 165-169; Wienholz 2008, p. 278.
• 61 Lauffray 1940, pl. 2 ; el-Achi el-Saadi 2015, p. 58-60.
• 62 Gatier et al. 2001, p. 108, fig. 11.
• 63 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 188, fig. 284-285 ; Nordiguian 2005, p. 91.
• 64 Turnheim 1989, p. 126, fig. 2 et p. 127, fig. 4.
• 65 Wienholz 2008, p. 278, fig. 13.

49Les diverses variantes de ce type d’ornement ont été étudiées et classées par F. Leon 57. Une variante particulière simplifiée, désignée comme type « syrien » 58 et répandue dans la région du Levant, est dérivée du type C de son classement 59. Cette variante est présente sur une multitude de sites locaux et régionaux tels que Baalbeck 60, Byblos 61, Yanouh 62, Majdel Anjar 63, Gerasa, Bostra, Scythopolis 64, etc. Ce motif de base commence, à partir du ii^e s., à se désintégrer et ses formes originelles cèdent la place à des éléments plus stylisés, qui deviennent indépendants les uns des autres et sont séparés par de profondes rainures. Même les feuilles qui les séparent se désintègrent petit à petit jusqu’à ce que leurs deux folioles soient complètement séparées par une autre rainure. Le motif résultant de cet ensemble de transformations est observable sur les entablements du temple de Bacchus et de la grande cour du temple de Jupiter à Baalbeck 65, ainsi qu’aux propylées du sanctuaire d’Artémis à Gerasa. Tous ces monuments sont globalement datés du milieu du ii^e s. apr. J.-C.

• 66 Wiegand 1923, p. 16, fig. 28 et 29.
• 67 Kahwagi-Janho à paraître.

50Les modillons se caractérisent par les feuilles d’acanthe qui ornent leurs faces inférieures. Nous retrouvons ce détail sur ceux des corniches du temple de Bacchus 66 ainsi que sur les blocs d’architraves éparpillés dans maints endroits du site maritime de Tyr 67, mais plus rarement ailleurs. Les zones du soffite qui s’y intercalent sont ornées de fleurs dont les pétales se détachent parfois de la surface du bloc, formant ainsi pratiquement, avec les fleurons du chapiteau angulaire de la colonnade du prostyle, les seuls éléments en haut-relief de l’ensemble.

• 68 Wiegand 1923, pl. 80 et 83.
• 69 Il s’agit de l’entablement du grand temple « bleu » du site, ce monument étant daté du milieu du i (...)
• 70 Pour les corniches et leur décor, Turnheim 1998 ; à propos du théâtre et sa datation, Applebaum 19 (...)

51L’ornementation de la surface de la cimaise présente, comme le reste de cet entablement, une richesse de formes décoratives. Cette ornementation se compose d’une alternance de feuilles d’acanthe « pleines » appartenant aux deux types de feuilles pointues, de feuilles molles et de feuilles de fougère. Sur ces dernières, le faible enroulement de leurs extrémités, qui se soudent directement à la surface de leurs voisines, leur donne l’aspect de feuilles au contour filaire et au centre évidé. Ce type d’ornementation est lui aussi assez courant sur certains monuments locaux, notamment ceux de Baalbeck 68 et de Yanouh 69, mais aussi sur un ensemble de monuments régionaux de Syrie et de Palestine dont les plus proches modèles sont ceux du théâtre de Scythopolis daté du ii^e s. apr. J.-C. 70. Notons toutefois la grande différence de technicité du travail des motifs héliopolitains et la richesse de leur répertoire comparée aux autres exemples connus dans la région.

• 71 Nordiguian 2005, p. 36-37.
• 72 Nordiguian 2005, p. 32.
• 73 Nordiguian 2005, p. 210-211.
• 74 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 71, fig. 99 et p. 73, fig. 102.
• 75 Yasmine 2007, vol. 2, pl. H-38, fig. 4.
• 76 Fani-Alpi 2016, p. 143.

52Par ailleurs, la principale caractéristique de cette corniche reste les deux victoires qui prennent une direction oblique et remplacent ainsi les consoles que nous trouvons généralement en cet endroit, comme sur le temple de Bacchus à Baalbeck 71, le temple A de Niha 72 et le temple A de Hosn Sfireh73. Elles ne sont toutefois pas sans nous rappeler celles, plus grandes, qui sont posées verticalement au même endroit sur les propylées de Hosn Sleiman 74 ou bien celles des deux colonnes intérieures des propylées du grand temple de Faqra, qui jouent le rôle de consoles pour les architraves des portiques 75. La mieux conservées des deux victoires, côté nord-est (fig. 54), a été décrite par Z. Fani-Alpi. Il s’agit d’un motif d’une longueur d’environ 0,15 m accolé le long de son dos à la surface angulaire du soffite du bloc. Ses ailes déployées et lisses entourent son corps, enveloppé d’une tunique ouverte sur la jambe droite laissant ainsi cette dernière à nu. Une ceinture placée juste en dessous du buste est marquée par deux sillons et forme le seul élément décoratif de cette tunique. La tête de cette victoire est assez érodée et ne se raccorde plus au corps que par une mince pointe encore conservée du cou. Z. Fani-Alpi constate que ses attributs brisés ne nous permettent aucune identification76.

• 77 Le rayonnement des chantiers de Baalbeck est aussi bien clair sur les chapiteaux d’ordre corinthie (...)

53L’étude de l’ensemble de ces ornementations, qui semble largement s’aligner sur les modèles héliopolitains et, dans une moindre mesure, régionaux, a révélé la présence de plusieurs tailleurs qui ont travaillé simultanément sur la taille des motifs décoratifs de cet entablement. Ce fait a été tout particulièrement mis en évidence par les formes diverses des rais de cœur de l’architrave et de la corniche. Toutefois, ces deux tailleurs sont clairement formés à la même école, fait discernable par la grande similarité de la forme des oves et des éléments qui les accompagnent. Cette école s’identifie à celle des chantiers de Baalbeck, dont le rayonnement s’est propagé à travers l’ensemble de la Békaa et du Mont-Liban 77.

• 78 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 2, pl. 7 et 8.
• 79 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 2, pl. 33.
• 80 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 1, p. 216, fig. 225 ; Nordiguian 2005, p. 120.

55Les deux niches conservées dans la paroi intérieure du mur sud-ouest et qui avaient sans doute leurs pendants dans le mur opposé font partie d’un décor assez courant dans les temples d’époque romaine au Liban. Elles se trouvent le plus souvent intégrées dans des décors plus élaborés qui ornent l’ensemble de la cella, notamment des colonnes engagées, comme dans les cellas des temples de Bacchus et de Vénus à Baalbeck, de Majdel Anjar et de Niha. Cependant, ce type de décor est moins courant dans les petits temples ruraux du Mont-Liban, où les cellas sont plus dénudées et sobres. Toutefois, nous le retrouvons dans le temple est de Qasr Naos 78, ainsi que dans le mur des propylées nord de Hosn Sleiman79 et dans le mur de fond du pronaos du temple de Hibbariyeh 80.

• 81 Les chapiteaux lisses ainsi que tout le décor architectural qui les accompagne étaient devenus une (...)

56L’étude du décor architectural a démontré que ce dernier se présente comme l’un des plus riches des temples ruraux de haute montagne au Liban. En effet, alors que, dans la plupart de ces monuments, les différents éléments architectoniques sont restés dans un état épannelé, soit par manque de moyens soit volontairement 81, une grande partie du décor du temple de Bziza a été largement travaillé dans l’ensemble de ses détails, notamment les chapiteaux et l’entablement de la porte. Ce décor ainsi exécuté appartient, dans ses grandes lignes, aux formes et modèles appliqués sur les sites libanais du courant du ii^e s. et qui prenaient les formes héliopolitaines comme modèle de base, dans le sillage de ce que l’on désigne généralement par le « rayonnement de Baalbeck ».

• 82 Yasmine 2005 et Yasmine 2007, p. 216-222.
• 83 Cependant, de légères variations sur cette proportion sont à noter : si la limite de la porte prin (...)

59Le tracé du temple ne suit pas la proportion en double carré traditionnelle que l’on retrouve dans une large partie des temples d’époque romaine du Liban. En effet, cette proportion forme la base des tracés des monuments cultuels remontant aussi bien à l’époque hellénistique qu’à la période romaine, tel que l’a démontré J. Yasmine 82. La présence de cette proportion induit généralement un étirement du plan, et sa position varie d’un monument à l’autre pour définir tantôt la limite de l’ensemble du bâti (prostyle ou péristyle inclus) et tantôt la cella jusqu’à la limite extérieure des antes (dans les cas où les colonnades sont un ajout ultérieur). Le cas de Bziza, avec sa cella aux dimensions réduites et aux antes qui s’accolent presque au mur de fond du pronaos, reste différent, mais pas tout à fait exceptionnel. En effet, les diverses dimensions principales du monument ont révélé qu’il est régi par une proportion de base de l’ordre de 3/5 (fig. 59). Cette proportion définit les limites extérieures des murs de la cella, des côtés nord-est, sud-est et sud-ouest, tandis que du côté nord-ouest elle définit la limite intérieure du prostyle du temple. Ainsi la colonnade du prostyle est exclue de ce tracé, mais s’y positionne tangentiellement 83.

• 84 Gatier et al. 2001, p. 110, fig. 14.

61Par ailleurs, l’espace intérieur de la cella présente une proportion qui lui est propre. En effet, la limite de l’adyton, actuellement disparu, est marquée, sur le mur sud-ouest, par la présence du pilastre encastré. La limite intérieure de ce pilastre marque une distance égale à 6,25 m, soit une mesure égale à la largeur de la cella. Cette dernière prend donc une proportion carrée de 1/1, qui marque la séparation de son espace avec celui, surhaussé, de l’adyton, une proportion que nous retrouvons à titre d’exemple dans le temple de Yanouh, où l’espace de la cella elle-même – en retranchant celui de l’adyton – prend presque exactement la forme d’un carré de 20 × 20 modules 84.

• 85 Vitruve, III, 3.

64Pour ce qui est de l’élévation du monument, la hauteur du volume bâti, entablement inclus, est égale à exactement 7 m (dont 5,93 m pour les colonnes et 1,07 m pour l’entablement). Cette hauteur correspond à la moitié de la longueur globale du temple. Nous constatons donc une proportion d’un double carré générant la section longitudinale du temple. Par ailleurs, la restitution de la façade principale avec son fronton pourrait correspondre à deux possibilités : la première répondrait à un schéma théorique défini par Vitruve, selon lequel la hauteur du tympan est égale au 1/9^e de la longueur totale de l’entablement de la façade correspondante, mesuré au niveau de sa cimaise 85, soit un angle du fronton égal à 17°. Cette hauteur est donc de 0,92 m (la longueur de l’entablement étant égale à 8,30 m). Elle s’ajoute aux 7 m correspondant à la hauteur de la colonnade et de son entablement pour donner un total de 7,92 m, soit pratiquement une dimension égale à largeur de la cella (avec une erreur de 0,07 m). La proportion de la façade ainsi définie est celle d’un carré parfait (1/1), en mesurant la hauteur de cette élévation jusqu’à la limite du tympan restitué (fig. 60).

• 86 Ces épures, que nous retrouvons sur plusieurs temples d’époque romaine au Liban, notamment à Baalb (...)

65Toutefois, le relevé effectué par H. Kalayan de l’épure tracée sur la façade sud-ouest donne un fronton ayant un angle de 19° et un tympan haut de 1,12 m (soit 0,20 m plus haut que celui du tracé vitruvien) 86.

• 87 Les monuments majeurs de cette période présentent des pieds ayant une valeur métrique située entre (...)
• 88 Yasmine 2007, vol. 1, p. 223, tab. 36.
• 89 Yasmine 2005, p. 305 ; Yasmine 2007, vol. 1, p. 223, tab. 36.

67Cette valeur métrique égale à 0,327 m semble être bien éloignée de la valeur traditionnellement utilisée à l’époque romaine, située autour de 0,29-0,30 m 87. Bien que cette valeur du pied présente parfois certains écarts plus larges allant jusqu’à des valeurs inférieures égales à 0,285 m comme à Hardine et Faqra et supérieures jusqu’à 0,3041 m comme l’a démontré l’étude de J. Yasmine sur les temples de la montagne libanaise 88, elle reste cependant largement inférieure à la valeur définie ci-dessus. Toutefois, l’étude de J. Yasmine prouve que, dans certains monuments, des unités bien supérieures à la valeur traditionnelle du pied sont aussi utilisées. Ainsi, dans le temple A de Hosn Niha, la valeur du module est de 0,322 m. Dans le temple D du même site, elle est de 0,3565 m, tandis qu’à Yanouh elle est de 0,36 m 89. La valeur définie pour le temple de Bziza n’a donc rien d’exceptionnel et s’apparente de près à celle du temple A de Hosn Niha.

• 90 Yasmine 2007, p. 113-114. Notons que plusieurs monuments de l’époque médiévale et ottomane dans le (...)
• 91 Ce même module semble en usage pendant l’époque médiévale, sa valeur ayant été identifiée sur plus (...)
• 92 La valeur de cette coudée est assez proche de celle utilisée à Niha, dans le temple B (0,54 m) et (...)

68Dans son étude du temple A de Hosn Niha, J. Yasmine essaie de fournir une hypothèse sur la provenance de cette valeur modulaire, qu’il qualifie d’hybride. Pour le module du petit temple D de Hosn Niha (et de fait pour celui de Yanouh), J. Yasmine fournit une hypothèse liée aux systèmes métriques régionaux. Il suppose que la valeur de 0,35-0,36 m peut être aussi bien liée à celle du pied babylonien (0,37 m) qu’à celle de la coudée babylonienne ou royale égyptienne (la valeur de 0,35-0,36 m étant égale aux 2/3 de la valeur de ces coudées variant entre 0,525 et 0,55 m) 90. Par contre, pour la valeur du module du temple A, proche de celle du temple de Bziza, il avance une hypothèse directement liée au site et suppose que la valeur de ce module est une moyenne pondérée entre celle du pied romain régulier et celle du temple D, égale aux 2/3 de la coudée antique. A priori, cette hypothèse semble assez improbable, les constructeurs ayant bien pu faire usage de l’un ou de l’autre des modules sans avoir à chercher un troisième égal à leur moyenne. Par contre, l’usage de ce même module à Bziza confirme la présence de cette unité de mesure hors du site de Hosn Niha 91. La définition de sa valeur est donc à chercher dans le cadre des systèmes métriques antiques régionaux. Tout calcul fait, cette valeur serait égale aux 3/5^e de la coudée antique, cette dernière étant égale à 0,542 m, soit une valeur intermédiaire entre la coudée royale égyptienne et la coudée babylonienne, toutes les deux en usage au Liban 92.

• 93 Yasmine 2007, p. 210-211 et pl. H44 ; Yasmine 2009, p. 132.
• 94 Krencker et Zschietzschmann 1938, vol. 2, pl. 118.
• 95 À propos des épures : Kalayan 1971, p. 271 et pl. 66, mentionnées dans Capelle 2017.
• 96 Kalayan 1971, p. 269. Cette hypothèse de l’agrandissement du temple prostyle en un monument péript (...)

69La découverte en 1960 du podium (fig. 61 à 63), jusqu’alors totalement inconnu, a induit un changement de perspective concernant la typologie du temple. En fait, cette découverte a remis en question sa typologie apparente, celle d’un prostyle tétrastyle, et Kalayan propose alors de restituer un temple pseudo-diptère, dans lequel l’actuel prostyle ne formerait que la colonnade intérieure de la façade principale du péristyle (fig. 64 à 65). Le plan ainsi restitué n’est pas une rareté au Liban. Plusieurs temples semblent l’avoir suivi, le premier d’entre eux n’étant autre que le temple voisin de Hardine 93. D’autres temples situés essentiellement dans la Békaa présentent ce même plan (Majdel Anjar, Deir el-Aachayer, Nahlé, Serain, Hosn Sfiri A) 94. Pour restituer cette typologie, Kalayan se fonde sur deux éléments : la largeur du podium et les épures sur les murs du temple 95. Concernant la question de la largeur du podium, celui-ci déborde de 2,75-2,80 m de chacun des côtés latéraux et arrière du temple. Ce débord excessif ne peut pas en tout cas correspondre au temple prostyle actuel et invite tout naturellement à imaginer la présence d’un péristyle entourant la cella. Toutefois, dans son article concernant les épures, Kalayan émet l’hypothèse d’une construction en deux phases, le temple prostyle étant l’œuvre d’un groupe de maçons (qu’il désigne comme « groupe B ») travaillant suivant les normes de « l’école grecque » et le projet de l’ajout du péristyle, survenu plus tard, ayant été confié à un second groupe de maçons (qu’il nomme « Groupe A ») travaillant suivant les normes de « l’école libano-syrienne » 96. C’est à ce deuxième groupe (A) que Kalayan attribue les épures tracées grandeur nature (échelle 1/1) que nous retrouvons sur les murs nord-est et sud-ouest du temple. Si l’épure du mur sud-ouest est intégralement conservée, celle du mur opposé ne l’a été que partiellement, ce mur ayant été en grande partie démonté pour céder la place aux deux absides de l’église qui y ont été aménagées. L’épure du mur sud-ouest, qui présente le tracé d’un demi-fronton, avec son axe central bien marqué, permet de restituer une longueur totale de 15 m exactement, soit 46 modules de 0,326 m (fig. 66 et 67). Et force est de constater avec Kalayan que cette dimension est bien plus grande que la largeur du podium, égale à 13,35 m (soit 41 modules). Pour résoudre ce problème, Kalayan propose l’hypothèse selon laquelle les constructeurs exécutèrent le fronton en suivant l’épure du mur nord-est, qui devrait en fin de compte être une sorte de correction de la première. Cette hypothèse reste bien évidemment invérifiable du fait de la disparition de la majeure partie de la deuxième épure, d’autant que l’angle du rampant de cette deuxième épure est toujours égal à celui de la première. Ce fait signifie que seul un changement de la position de l’axe vertical qui marque le centre du fronton aurait dû former la différence entre les deux épures, détail qui aurait pu être facilement rectifié sur la première au lieu d’en retracer une complètement nouvelle sur le mur opposé. D’autre part, l’ordonnance des colonnes du prostyle induit que, en appliquant l’entrecolonnement des colonnes latérales du prostyle sur le péristyle supposé, l’axe des colonnades latérales de ce dernier se trouverait en retrait de 0,92 m par rapport à la face du corps du podium, soit un retrait de 0,60 m de la face extérieure des fûts et 0,40 m de celles de leurs bases. Or, canoniquement, les faces externes de ces dernières devraient être posées à l’aplomb du mur du podium, sauf dans le cas où, à l’instar des temples de Jupiter et de Bacchus à Baalbeck, un ensemble de marches contournant le péristyle induit un retrait de la position des colonnes.

• 97 À propos de ces péristyles non exécutés : pour Sfireh A, Krencker et Zschietzschmann 1938, p. 32, (...)

71Ces indices montrent donc un historique tout à fait contraire à l’hypothèse de Kalayan. En effet, il semblerait que le projet initial d’un temple périptère ou pseudo-périptère aurait été abrégé pour le transformer en un temple prostyle. Ce changement de projet serait survenu après avoir posé les bases du podium correspondant au projet initial, induisant donc son abandon et un rétrécissement de sa largeur au niveau de la façade principale du temple. Cela expliquerait la conservation de toutes les colonnes du prostyle mais d’aucune de celles du péristyle, puisque celles-ci n’ont tout simplement jamais dû exister. La position angulaire des volutes de la colonne latérale ouest du prostyle plaiderait elle aussi en faveur de cette hypothèse. Cette transformation du programme initial monumental d’un temple périptère en un projet moins ambitieux, un prostyle tétrastyle dans notre cas, n’est pas un cas isolé au Liban. Ce serait aussi le cas du temple A de Sfireh et de celui de Deir el-Achayer, où de larges podiums auraient été construits pour recevoir des péristyles, qui ne semblent avoir jamais été réalisés 97.

• 98 Cf. Gatier et al. 2002, p. 212-214.

72Malgré la disparition complète de son volume, la forme de l’adyton se laisse partiellement deviner à travers quelques traces conservées dans la paroi intérieure du mur sud-ouest de la cella. En effet, les deux petits pilastres engagés dans ce mur permettent de définir plusieurs caractéristiques de ce petit monument intégré dans l’espace de la cella, à commencer par ses dimensions. Ainsi la limite du pilastre nord-ouest indique sans aucun doute celle de l’adyton, qui devait ainsi avoir une largeur maximale de 2,75 m, tandis que le niveau de sa plate-forme, correspondant à celle du lit de pose des bases de ces mêmes pilastres, devait se situer à 1,70 m au-dessus du niveau du sol. Une cavité rectangulaire peu profonde creusée dans le bloc de la première assise, en contrebas du pilastre qui marque la limite de l’adyton, aurait permis de mieux ancrer le mur de celui-ci dans la maçonnerie de la cella. Une dizaine de marches devaient être nécessaires pour aboutir à la plate-forme de l’adyton, soit un escalier d’une longueur pratiquement égale à la largeur de ce dernier. Ce fait nous induit à poser l’escalier en position externe au volume de l’adyton, s’accolant ainsi contre sa face tournée vers la cella, disposition semblable à celle restituée pour l’adyton du temple de Yanouh 98. Une saignée large de 0,14 m et haute de 0,85 m, surmontée d’une mortaise (0,23 × 0,16 m) placée 1 m au-dessus, indique la présence d’une sorte de barrière ou d’un parapet surmonté d’un linteau ou d’une corniche, qui aurait fait partie de l’édicule construit sur la plate-forme de l’adyton.

• 99 Donceel-Voûte 1988, vol. 1, p. 347-353 ; Nordiguian 2005, p. 160.
• 100 Krencke et Zschietzschmann 1938, vol. 2 , pl. 19. L’abside ajoutée lors de la transformation du te (...)
• 101 À propos de ce temple et sa transformation, Kahwagi-Janho 2016.
• 102 Nordiguian 2009 établi une liste des églises faisant des remplois massifs de blocs antiques.

73La transformation du temple en une église biconque se place dans un processus très connu au Liban. Ce processus commença très tôt, à l’époque byzantine ; des églises, le plus souvent de type basilical, s’installent alors dans les cours et les téménos des temples. Les exemples de ce type sont nombreux et couvrent presque tous les sites renfermant des temples romains à travers le pays. Dans certains rares cas, l’église est venue s’installer à l’intérieur du temple romain. Les cas de Ghiné 99 et de Yanouh 100 sont les plus clairs. Cette tradition se perpétua et s’accéléra tout au long de l’époque médiévale. Pendant cette période, nous assistons au démontage systématique des anciens sanctuaires désaffectés et à un usage massif de leurs blocs dans les murs des églises. Les cas de Saint-Georges à Eddeh-Jbeil, Saint-Élias de Blat, Saint-Georges de Amioun et Notre-Dame de Boksmaya pour ne citer que quelques exemples parmi des dizaines en sont les meilleurs témoins. Toutefois, l’installation de l’église dans le temple lui-même restait là aussi une rareté : Saint-Charbel à Maad 101, Sainte-Thècle et Saint-Estéphan de Chamat, Saint-Rouhana de Ain Kefaa 102. Le cas de Notre-Dame-des-Colonnes, le nom donné au temple de Bziza suite à sa transformation en église, se place dans cette dernière catégorie.

• 103 Nordiguian 2015-2016, p. 396.
• 104 Notons que l’étude du temple de Hardine a révélé une possible transformation du temple lui-même en (...)

74La transformation du temple en église occasionna plusieurs démontages et ajouts sur le monument. Ainsi, l’ensemble du mur nord-est fut démonté pour laisser la place aux deux absides qui furent ajoutées à sa place. L’adyton fut lui aussi complètement démonté pour libérer la cella devenue nef. Des piliers aux angles ainsi qu’au centre des deux côtés longitudinaux de la cella furent construits pour supporter un couvrement constitué de deux voûtes d’arêtes. Cette transformation et ces ajouts s’accompagnent du percement d’une porte au milieu de la façade sud-ouest et de l’ajout d’une autre entre les colonnes médianes du prostyle, actuellement disparue. Nordiguian se demande, non sans raison, si ceci n’était pas pour créer une séparation entre hommes et femmes 103, les hommes se servant de la porte nouvellement ouverte pour avoir un accès direct à la cella transformée en nef et les femmes empruntant la porte du prostyle pour occuper le pronaos, devenu ainsi une sorte de narthex. Toutefois, cette transformation du pronaos laisse pendantes plusieurs questions. La première concerne la porte ajoutée. Les photos anciennes qui attestent de la présence de celle-ci ne montrent aucune barrière ou mur ajouté entre les entrecolonnements latéraux pour barrer l’accès au pronaos et, en l’absence de barrières au niveau de ces derniers, la présence de cette porte perd tout son sens 104. Le second questionnement concerne la hauteur du mur qui devait surmonter cette porte et sur son existence même. En effet, si un mur devait cloisonner tout l’espace, il devait donc avoir la hauteur des colonnes, sinon l’espace serait resté partiellement à découvert. Cette deuxième option nous amène avant tout à nous interroger sur l’usage de cet espace pendant la saison hivernale et donc à poser la question du couvrement de cet espace : en l’absence de tout indice relatif à l’installation d’une voûte à arêtes comme pour l’espace de la cella/nef, l’espace du pronaos avait-il gardé son couvrement en toit à double pente ? Avait-il été laissé à découvert (ramenant donc la question de son usage pendant l’hiver) ou bien l’avait-on couvert avec une nouvelle toiture ? Les traces d’encastrement de poutres formées par des sortes de canaux ouverts sur presque toute l’épaisseur des faces internes des architraves du prostyle (fig. 12) pourraient-elles avoir servi à la fixation d’un couvrement en toit terrasse ? Cette hypothèse reste la plus probable. La présence, à l’époque médiévale, de porches devant les églises, ouverts sur l’extérieur, est monnaie courante. Ces porches pouvaient aussi bien faire partie intégrante de la structure des églises qu’être des ajouts ultérieurs. Les églises Saint-Lucius de Smar Jbeil, Saint-Sabas de Eddeh-Batroun, Saint-Georges de Rachkida et celle, bien plus proche, de Saint-Georges à Amioun en sont quelques exemples. L’ajout de la porte dans la colonnade du temple pouvait donc s’inscrire dans cette tradition. Toutefois, la position du « porche » par rapport à l’accès à l’église reste problématique avec l’ouverture de la nouvelle porte dans l’axe des deux absides, dans la façade sud-ouest. Si celle-ci était devenue la porte principale, le « porche » ainsi créé se trouvait donc en position latérale, un cas aussi attesté dans l’église Saint-Georges de Amioun ainsi qu’à Saint-Luc de Kfar Akka, tous les deux voisins de Bziza.

• 105 Dimitrokallis 1976.

76Cette catégorie renferme un nombre limité de monuments, ne dépassant pas la douzaine, dont une bonne moitié sont troglodytes. La raison d’être de ces églises, remontant presque toutes au Moyen Âge, reste mal identifiée et aucune hypothèse unique ne permet de répondre à la multitude de cas de figures existants. En effet, si les églises doubles ou juxtaposées peuvent trouver quelques explications relatives à leur appartenance à deux familles ou à deux communautés religieuses ou même villageoises, les églises biconques ne peuvent avoir une telle explication. Leur disposition peut résulter de leur consécration à deux saints associés comme Saints-Serge-et-Bacchus. La dénomination de notre « église », Notre-Dame-des-Colonnes, permet de constater que nous ne sommes pas dans ce cas de figure, mais plutôt dans une église dédiée à la Vierge à qui on aurait adjoint un saint. Les cas semblables sont assez fréquents. La première de ces églises n’est autre que celle de Behdaydet, avec laquelle nous avons identifié de fortes ressemblances dans la technique de construction de son abside ouest et dont la nef arrière (est) est dédiée à la Vierge tandis que celle avant (ouest) est dédiée à saint Nicolas. Pas moins d’une dizaine d’autres cas présentent une association similaire. Par ailleurs, notons que cette typologie d’églises biconques est la plus courante dans les Balkans, où G. Dimitrokallis identifie plusieurs dizaines de monuments 105.

• 106 Cette hypothèse est avancée par Sader 1989. Elle est contestée par J.-M. Fiey, qui pense que ce ty (...)
• 107 Nordiguian et Yon 2011, p. 74-75.

77Enfin, notons la présence, sur certains des fûts des colonnes ainsi que sur les parois intérieures de la cella devenue nef et des absides, de plusieurs croix bifides et trifides (fig. 69 et 70). Celles-ci, traditionnellement attribuées à tort à la présence des stylites à l’époque byzantine 106, deviennent assez courantes sur les monuments religieux médiévaux du Liban. Nous en trouvons ainsi dans les églises Saint-Georges à Amioun et Sainte-Barbe à Kousba, ainsi que dans l’église Saint-Mames de Ehden 107 et sur l’un des blocs de l’angle nord-ouest de l’église Sainte-Thècle de Chamat.

• 108 La présence de blocs de cette qualité dans les monuments médiévaux est le plus souvent liée à des r (...)
• 109 Kalayan 1971, p. 271 ; Nordiguian 2015-2016, p. 396 ; Aliquot 2009, p. 247. En effet, Nordiguian p (...)
• 110 Kahwagi-Janho 2017, p. 38-44.
• 111 Ces fouilles menées sur le site de l’église par une mission libano-hongroise ont précédé les travau (...)

79La transformation du temple en église a été attribuée à l’époque byzantine par Krencker et Zschietzschmann. Ils se sont sans doute fondés sur la qualité de la stéréotomie de ces ajouts, assez courante à l’époque byzantine, mais quasi inexistante sur les monuments de l’époque médiévale, sauf quand il s’agit de blocs de remploi 108. De son côté, H. Kalayan et à sa suite L. Nordiguian et J. Aliquot proposent une datation médiévale, remontant aux débuts de l’époque des Croisés, sans pour autant avancer d’arguments étayant cette hypothèse 109. Toutefois, la transformation du temple en église semble plutôt remonter à la fin de l’époque médiévale. En effet, le système de couvrement, reposant sur des piliers et des voûtes d’arêtes, ne peut en aucun cas être antérieur à la fin du xii^e s., date à laquelle cette technique de construction fut introduite au Liban 110. La stéréotomie des deux absides ajoutées présente de son côté de fortes ressemblances avec celle de Saint-Nicolas de Behdaydet. Les fouilles menées dans cette dernière pendant l’été 2018 ont mis au jour, devant son abside, une monnaie de Bohémond III de Tripoli 111. Ce dernier ayant régné entre 1152 et 1187, la datation se trouve en concordance avec la typologie des ajouts de la période « église » de Bziza, notamment le système structural employé pour couvrir le monument ainsi transformé.

• 112 Déjà, sur les photos de Krencker et Zschietzschmann, seul le piédroit nord-ouest était encore en pl (...)

80La phase récente marque des changements majeurs dans l’aspect du monument. Les travaux de restauration menés à partir des années 1930 ont fait disparaitre plusieurs éléments de la période « église ». Ainsi, le démontage des murs du temple, désolidarisés et en perte d’aplomb, en vue de leur reconstruction dans leur position initiale a par ailleurs occasionné la disparition définitive de tous les piliers de l’église (sauf celui séparant les deux absides). La porte ajoutée dans le pronaos a elle aussi complètement disparu 112. Par ailleurs, les fouilles de la DGA dans les années 1960 ont révélé l’existence du podium, jusqu’alors complètement inconnu. Ils ont aussi permis le redressement de la colonne sud du prostyle.

• 113 Il faut noter que cette datation permet d’attribuer le temple au groupe des monuments de la période (...)

81Pour conclure, il semble bien que, par sa typologie actuelle, le temple de Bziza se place sans difficulté parmi les monuments similaires de son temps. En effet, les temples prostyles, et plus particulièrement tétrastyles, sont généralement parmi les plus courants au Liban, avec environ une quinzaine de monuments. Son programme architectural, dont l’étude a permis de proposer une datation avec une fourchette chronologique assez précise (vers le milieu du ii^e s.) 113, se place lui aussi dans le sillage des modèles qui se sont développés dans la région, attenant au rayonnement héliopolitain. L’ordre ionique du temple de Bziza n’est pas exceptionnel. En effet, bien que cet ordre reste minoritaire au Liban, à l’exception de la zone du Mont-Hermon, où nous le retrouvons sur la majorité des temples, sa présence à Bziza n’est toutefois pas isolée. Ainsi, cet ordre est aussi bien présent à Hardine qu’à Sfiré et à Hosn Sleiman. La présence du podium largement débordant sur ses trois côtés atteste, non pas, comme on l’a généralement supposé, la présence d’un péristyle disparu, mais plutôt un projet de péristyle non exécuté. La transformation du temple en une église biconque ne sort pas non plus du cadre historique général des sanctuaires païens du Liban, qui subirent pour la plupart une christianisation dès l’époque byzantine, qui se poursuivit à l’époque médiévale et qui prit plusieurs formes. Toutefois, cette transformation adopte une forme (biconque) plutôt rare parmi les typologies des églises de l’époque.