Kassem Toueir (Deir ez-Zor, 23 septembre 1936 – Damas, 10 mai 2021)
Texte intégral
Kassem Toueir et Claude Frédéric-Armand Schaeffer lors de la cérémonie d’inauguration du colloque international des études ougaritiques à l’occasion du cinquantenaire des fouilles archéologiques à Ras Shamra/Ugarit (Lattaquié 10-13 octobre 1979)

Photographie communiquée aimablement par Yazan Toueir (© famille Toueir/Damas)
1Alors que l’année 2021 avait commencé avec l’espoir d’oublier une période sanitaire désastreuse, la nouvelle est venue nous frapper avec brutalité, l’archéologie syrienne a perdu un archéologue spécialiste de la période islamique le 10 mai 2021 à l’âge de 85 ans des suites d’une maladie pulmonaire due à la Covid 19.
2Kassem Toueir est né à Deir Ez-Zor le 23 septembre 1936 d’une famille de commerçants de sucreries et de chocolat. Il a passé son enfance entre Beyrouth et Damas avant de terminer ses études scolaires dans sa ville natale en 1956.
3Par la suite, il étudia l’archéologie islamique à Berlin-Est (faculté de philosophie de l’université Humboldt) à partir de 1957 et il obtint en 1962 son diplôme avec le soutien du Prof. Dr Ernest Kuehnel sur la salle alépine de la maison Wakil, transférée au musée islamique de Berlin en 1912. Ce travail académique minutieux, intitulé Die Malereien des Aleppo-Zimmers im Islamischen Museum zu Berlin und das arabische Haus islamischer Herkunft in Syrien, fut abrégé dans un article publié dans Kunst des Orients VI/1, 1969, 6, p. 1-42.
4De retour en Syrie en 1963, il commença immédiatement une carrière à la Direction générale des antiquités au moment du grand bouleversement dû au départ de Sélim Abdulhak en 1965 et à la nomination de Toufic Souleiman, membre du parti Baath, à la tête de la DGAM (1966-1967). Cette période, qui a vu l’intensification du conflit d’influence entre les deux écoles française et allemande, a apporté un climat d’instabilité à la DGAM. La rivalité, entre un courant qui adopte une vision étroite de l’action archéologique et un autre qui pense que la richesse du patrimoine consiste avant tout à appliquer un esprit de collaboration, a créé une atmosphère de tension, qui a directement affecté le travail dans de nombreux domaines, y compris dans les musées ou les fouilles. Dans ce cadre précis, K. Toueir a joué un rôle en soutenant la consolidation des idées qu’Anton Moortgat avaient transmises à ses étudiants syriens lorsque ces derniers étaient étudiants en Allemagne. Cependant, cette situation prit fin avec l’arrivée de M. Abou al-Faraj el-Uch (1967) et puis de A. Darkal (1967-1971) à la tête de cette institution et le retour de l’équilibre dans les décisions scientifiques, qui aboutit à l’organisation à Damas en 1969 du IXe congrès d’archéologie classique et des festivités du cinquantenaire de la fondation du Musée national de Damas.
5L’activité de terrain de K. Toueir débuta au milieu des années soixante avec les fouilles des monuments abbassides de Raqqa (1966-1969), puis dans la région du futur barrage de Tabqa à Tell ʿAbd et Inab al-Safinah (1971-1973) sous la direction d’Adnan Bounni et sur le site de Dibsi Faradj (1971). À partir de 1977, il consacra ses missions au dégagement des fabuleux monuments abbassides de Heraqla (érigé en mémoire de la grande victoire sur les Byzantins) et de Qasr al-Banat, afin de révéler l’activité de construction menée par le calife Harun el-Rashid (766-809).
6Durant toute cette période, il collabora avec plusieurs missions en Syrie : Tell Mardikh-Ebla (1968-1969), Meskéné-Balis (1970-1971), Qasr el-Hayr el-Sharqi (1970-1972), Ras el-Bassit (1971-1975), al-Rahba-Mayadin (1976-1980). Notons qu’il participa également à la mission archéologique arabe de la nécropole de Sār El-Jisr à Bahreïn (1977-1978) et qu’il dirigea à partir de 1969 plusieurs chantiers de sauvetage à Damas et dans la Damascène. En 1973, il effectua, en collaboration avec G. Saadé, à Ras Ibn Hani, la fouille de sauvetage du caveau funéraire de type ougaritique du palais nord qui avait été fortuitement découvert par des travaux de récupération de terrain à la surface du site.
7À la DGAM, il occupa durant plus de trente ans (1963-1994) trois postes successifs : conservateur au Musée national de Damas, directeur adjoint au Service des fouilles et directeur du Département de recherches archéologiques (de 1975 jusqu’à sa retraite en 1994). Sa présence à la tête de ce département lui permit de publier régulièrement les AAAS et d’organiser plusieurs colloques internationaux sur les antiquités de Ras Shamra-Ougarit (1979), de Raqqa (1981), de Deir ez-Zor (1983) et d’Idlib (1989). En même temps, il traduisit en arabe de nombreux ouvrages de base sur les antiquités syriennes présentant divers sujets :
- sur Damas durant la période islamique : K. Wulzinger et C. Watzinger, Damaskus, die islamische Stadt, Berlin et Leipzig, 1924, et D. Sack, Damaskus, Entwicklung und Struktur einer Orientalisch-Islamischen Stadt, Mainz am Rhein, P. von Zabern, 1989 ;
- sur les découvertes de la mission italienne de Tell Mardikh-Ebla ;
- sur la révolution néolithique : J. Cauvin, Les premiers villages de Syrie-Palestine du IXe au VIIe millénaire avant J.-C., Lyon, 1978 ;
- sur l’archéologie du Proche-Orient : A. Moortgat, Geschichte Vorderasiens bis zum Hellenismus, Hildesheim-New York, G. Olms, 1984 ;
- sur l’histoire ancienne de la Syrie : H. Klengel, Geschichte und Kultur Altsyriens, Leipzig, Koehler & Amelang, 1979 ;
- sur la ville arabe : A. Raymond, Grandes villes arabes à l’époque ottomane, Paris, Sindbad, 1985 ;
- ainsi que plusieurs recueils d’articles sur les dernières découvertes en Syrie au Levant (Bilad el-Sham).
8Son activité d’enseignement (archéologie et architecture islamique) débuta à la faculté d’architecture de l’université de Damas dès son retour de l’Allemagne en 1963, puis il s’engagea à l’université du Roi-Saoud de Riyad (1982-1983) pour terminer, avant le déclenchement de la guerre civile, à l’université de Téhéran.
9Parallèlement à ces activités intenses, il participa, en Europe et aux États-Unis d’Amérique à des colloques et des rencontres scientifiques où il présenta ses recherches, ses fouilles et surtout sa vision de l’archéologie syrienne et islamique.
10Cette intense activité au sein de la DGAM s’interrompit brusquement en août 1994 en raison d’un différend avec cette institution. K. Toueir fit alors ses adieux, clôturant une longue et riche carrière. Toutefois, il resta en activité puisqu’il consacra ses années de retraite à une réflexion profonde sur la philosophie de l’archéologie syrienne et proche-orientale. Son article publié dans les mélanges à la mémoire de James A. Sauer en 2000, qui porte le titre emblématique « Muhammad as prophet and mayor. City planning from the perspective of the Qurʾan, Hadith, and Islamic law. Case study, Damascus », révèle sa capacité à apporter à notre discipline des aspects mystiques à partir de l’étude des Livres saints.
11Courageux et insouciant, il s’est volontairement établi en gardien de nos valeurs à l’heure où la DGAM perdait rapidement son existence. K. Toueir était le dernier témoin de la génération qui a suivi les premiers fondateurs. Avec sa mort, le rideau tombe sur une période fondamentale de l’histoire de l’archéologie syrienne où il joua un rôle remarquable et sur un homme d’une grande capacité et d’une énergie étonnante.
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Titre | Kassem Toueir et Claude Frédéric-Armand Schaeffer lors de la cérémonie d’inauguration du colloque international des études ougaritiques à l’occasion du cinquantenaire des fouilles archéologiques à Ras Shamra/Ugarit (Lattaquié 10-13 octobre 1979) |
Crédits | Photographie communiquée aimablement par Yazan Toueir (© famille Toueir/Damas) |
URL | http://journals.openedition.org/syria/docannexe/image/13712/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 65k |
Pour citer cet article
Référence papier
Michel al-Maqdissi, « Kassem Toueir (Deir ez-Zor, 23 septembre 1936 – Damas, 10 mai 2021) », Syria, 98 | 2021, 459-461.
Référence électronique
Michel al-Maqdissi, « Kassem Toueir (Deir ez-Zor, 23 septembre 1936 – Damas, 10 mai 2021) », Syria [En ligne], 98 | 2021, mis en ligne le 29 août 2022, consulté le 30 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/syria/13712 ; DOI : https://doi.org/10.4000/syria.13712
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