Alain Chambon (Nîmes, 23 mars 1940 – L’Étang-la-Ville, 2 juin 2021)
Texte intégral
Alain Chambon en 1993 pendant une saison de fouilles à Dharih (Jordanie), après sa découverte d'une tête en haut relief figurant le signe du cancer dans le zodiaque

Photo F. Villeneuve, © Mission franco-jordanienne Dharih
1Le décès subit d’Alain Chambon à la fin du printemps 2021, à son domicile de l’Étang-la-Ville, où son activité associative était fort importante, a douloureusement surpris de nombreux archéologues praticiens des terrains jordanien et palestinien – ses deux pays de prédilection pour ses activités archéologiques depuis la fin des années 1970 – et bien des membres de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF), de l’Ifpo et du laboratoire ArScAn à Nanterre et Paris, les trois institutions avec lesquelles il a fidèlement collaboré depuis des décennies. Il était du nombre de ceux qui, sans jamais, ou presque, avoir de position académique ou d’emploi fixe, apportent aux équipes de terrain et aux centres de recherche un beau talent, un goût certain, une grande liberté, puis une riche expérience. Sa carrière d’archéologue, entièrement consacrée au Proche-Orient après une brève introduction iranienne, est en effet singulière puisqu’il n’y a pas été titulaire d’une fonction ou d’un contrat durable, n’hésitant jamais, en revanche, à s’expatrier pour de longues fouilles ou de très longues études des résultats des fouilles, ni à consacrer de longs mois à des publications collectives ou personnelles, moyennant quelques compensations et prises en charge. Sa collaboration était très demandée, car il était reconnu comme un spécialiste précieux : fouilleur infatigable, esprit pratique, homme de culture, dessinateur de haut niveau, doté d’une belle compréhension des architectures anciennes.
2Il s’était formé à l’histoire de l’art à l’École du Louvre. De là, André Parrot, alors directeur du musée du Louvre, le fit partir en 1970, comme boursier de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, à l’EBAF. Sa mission y était de coopérer avec Roland de Vaux, le fouilleur de Tell el-Fârʾah en Samarie, pour en publier les vestiges du début du premier millénaire av. J.-C. Il en tira un beau volume, publié en 1984 (Tell el-Farʾah I. L’âge du Fer, Paris). De cette année de bourse à l’EBAF datent une implication constante dans la vie et dans les travaux archéologiques de cette École, notamment aux côtés du dominicain Jean-Baptiste Humbert, ainsi qu’une connaissance intime de la vieille ville de Jérusalem.
3Doté d’un coup d’œil et d’un coup de crayon remarquables, il fut recruté comme dessinateur sur les fouilles de Suse, que dirigeait Jean Perrot, dans le sud-ouest de l’Iran, en 1976-1977. Tout en restant un dessinateur hors pair, il put vite passer à des responsabilités dans les fouilles proprement dites, dans les publications, et dans l’organisation d’expositions, où son sens pratique et artistique faisait merveille, quelle que fût la période historique concernée, entre l’âge du Fer et l’époque médiévale.
4Il est ensuite resté toute sa vie un collaborateur de premier plan de la plupart des fouilles de l’École biblique en Israël, en Palestine, et à Jérusalem même. À l’extrême fin des années 1970, il travailla à Tell Keisan sur la côte en Galilée. En 1987, il fut chargé de fouilles préventives sur le site de Notre-Dame de France (devenu Notre Dame Center) à Jérusalem, un chantier dont le beau matériel céramique byzantin fut étudié, dans les années 2010 seulement, par Laura Vié, avec qui il devait procéder à la publication finale.
5De 1995 à 2005, dans la première décennie de l’autonomie palestinienne, il contribua avec une véritable passion aux nombreuses opérations archéologiques de l’EBAF dans la bande de Gaza, en particulier sur les sites de Blakhieh et de Jabaliyeh. Plus encore que par la fouille, c’est par son activité muséographique qu’il s’y illustra, en essayant de transformer en musée, doté d’un catalogue, une grande collection privée. Cette réalisation fut victime de bombardements répétés, mais en subsistent un ouvrage de qualité, dont A. Chambon fut la cheville ouvrière et l’éditeur scientifique (Gaza. From Sand and Sea. Art and History in the Jawdat al-Khoudary Collection, Ramallah-Gaza, 2011), et un article de synthèse (« Le musée archéologique de Gaza, al-mathaf, et la collection al-Khoudary », dans R. Elter [éd., Patrimoine en Palestine : enjeux et obstacles de sa mise en valeur, Paris, 2014, p. 281-296).
6Une autre de ses contributions majeures à l’archéologie du Levant, dans le registre classique des publications d’architecture, stratigraphie et céramique de fouilles anciennes, concerne Qumran, site pour lequel il s’attacha de la fin des années 1990 au début des années 2010 à seconder le travail, piloté par J.-B. Humbert, de publication des données archéologiques des fouilles conduites par R. de Vaux dans les années 1950 et 1960 : J. B. Humbert et A. Chambon (éd.), Fouilles de Khirbet Qumran et de Aïn Feshkha I. Album de photographies, répertoire du fonds photographique, synthèse des notes de chantier du père Roland de Vaux OP, Fribourg-Göttingen, 1994 (éd. anglaise 2003) ; Iid. et J. Mlynarczyk, Khirbet Qumran et Aïn Feshkha : fouilles du père Roland de Vaux IIIA. L’archéologie de Qoumran : reconsidération des interprétations ; les installations périphériques de Khirbet Qoumran, Göttingen, 2016.
7Les chemins de l’École biblique ayant fréquemment franchi le Jourdain, il travailla beaucoup aussi en Jordanie, à partir du début des années 1980 : sur les vestiges archéologiques de la citadelle d’Amman, ou encore le palais proto-islamique de Fedeyn – coiffant un important site de l’âge du Fer – en bordure de la steppe.
8C’est encore en Jordanie, avec l’Institut français du Proche-Orient, l’université jordanienne du Yarmouk et le laboratoire ArScAn, qu’il donna la pleine mesure de son talent de fouilleur et de muséographe. D’une part en mettant au jour, à Dharih, dans le sud du pays, non loin de Pétra, au prix de douze longues campagnes de fouilles (1985-2007), d’abord un intéressant tombeau monumental nabatéen des années 100 ou 110 apr. J.-C., puis l’intégralité du temple, un joyau d’architecture et de sculptures du iie siècle apr. J.-C., qui s’était entièrement effondré sur lui-même et avait été recouvert par des mètres d’épaisseur de constructions d’époques ultérieures, byzantine à fatimide. D’autre part comme maître d’œuvre de plusieurs expositions consacrées en tout ou partie à Dharih (à l’Institut du monde arabe à Paris en 1997, à l’université du Yarmouk en 2000), dont surtout une remarquable exposition globale à l’hôtel de ville d’Amman en 2002 (A. Chambon, M. Janif, Z. al-Muheisen et F. Villeneuve [éd.], Khirbet edh-Dharih. Des Nabatéens au premier Islam, Amman, 2002). Son goût pour les arts décoratifs dans l’architecture le conduisait à une prédilection pour la difficile question du décor stuqué, auquel il consacra, pour le temple de Dharih, une étude pionnière : « Les enduits et le décor stuqué du temple nabatéo-romain de Dharih (Jordanie) », dans J. Dentzer-Feydy, A. Guimier-Sorbets et C. Delplace (éd.), Stucs d’Orient. Traditions orientales et cultures hellénisées (Syria supplément V), 2019, p. 141-162. Il travaillait encore à l’étude collective du temple de Dharih au moment de son décès subit, qui l’aura empêché de reprendre ses séjours au Levant, interdits pendant de longues années par les soins qu’il prodiguait à sa femme, décédée un an avant lui.
9En la personne d’Alain Chambon, les archéologues du Proche-Orient perdent une de leurs figures les plus douées, les plus étonnantes et les plus attachantes, qui aura beaucoup marqué de nombreux jeunes savants de toute nationalité.
Table des illustrations
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Titre | Alain Chambon en 1993 pendant une saison de fouilles à Dharih (Jordanie), après sa découverte d'une tête en haut relief figurant le signe du cancer dans le zodiaque |
Crédits | Photo F. Villeneuve, © Mission franco-jordanienne Dharih |
URL | http://journals.openedition.org/syria/docannexe/image/13717/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 141k |
Pour citer cet article
Référence papier
François Villeneuve, « Alain Chambon (Nîmes, 23 mars 1940 – L’Étang-la-Ville, 2 juin 2021) », Syria, 98 | 2021, 463-465.
Référence électronique
François Villeneuve, « Alain Chambon (Nîmes, 23 mars 1940 – L’Étang-la-Ville, 2 juin 2021) », Syria [En ligne], 98 | 2021, mis en ligne le 29 août 2022, consulté le 01 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/syria/13717 ; DOI : https://doi.org/10.4000/syria.13717
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