1Il s’agit du sixième volume de la collection des Jerash Papers publiés aux éditions Brepols, édité par Achim Lichtenberger (Westfälische Wilhelms-Universität Münster) et Rubina Raja (Aarhus Universitet), visant à présenter les résultats des analyses environnementales (géoarchéologie, archéobotanique, archéozoologie, anthropologie biologique, datation radiocarbone), de télédétection et de prospections géophysiques réalisées dans le cadre du Danish-German Jerash Northwest Quarter Project I. Il est composé d’une contribution présentant le site archéologique et les objectifs du projet ainsi que de neuf chapitres regroupés au sein de deux parties principales : l’une intitulée « Archéologie environnementale » et l’autre « Télédétection et modélisation ». Le site archéologique de Jérash, situé en Jordanie, a été occupé durant plusieurs millénaires depuis la préhistoire jusqu’à la période moderne. Il est connu notamment pour ses grands monuments de période romaine qui ont attiré les voyageurs occidentaux depuis au moins le début du xx^e siècle. La cité devient prospère au cours de l’Antiquité tardive et des premiers temps de l’Islam avant d’être abandonnée à la suite d’un tremblement de terre en 749, puis d’être réoccupée brièvement à la fin de la période islamique médiévale.

2Dans la première contribution, les éditeurs présentent les objectifs du Danish-German Jerash Northwest Quarter Project I (2011-2016) et la chronologie générale du site. Ce projet a pour but d’améliorer la compréhension de l’histoire de la cité de Jérash en se concentrant sur le quartier nord-ouest de la ville. En effet, ce dernier est situé sur une éminence comprenant peu de vestiges visibles en surface, ayant par conséquent fait l’objet de peu d’attention jusqu’à présent. Il s’agit de replacer l’ensemble des phases d’évolution de ce quartier en les resituant dans l’histoire de la ville et plus globalement dans celle de la région. L’exhaustivité visée par les différentes contributions a pour but de fournir des données qui puissent être utilisées par d’autres chercheurs, librement de toute interprétation, avec une approche critique des sources et des méthodes qui se retrouve tout au long de la monographie. Après une présentation des systèmes d’enregistrement du projet, les différentes tranchées ouvertes sont décrites en détails, montrant la grande diversité des vestiges mis au jour (complexe monumental romain, citernes, pressoir à huile, murs de la ville, structures domestiques…). Dans le quartier, l’occupation se concentre surtout entre l’Antiquité romaine et les premiers temps de l’Islam avant une réoccupation durant la période islamique moyenne. La première contribution se termine sur les remerciements qui mentionnent la plupart des membres qui ont contribué et les institutions qui ont participé au financement ainsi que la liste des plus de 90 références bibliographiques rapportées au projet qui permet d’apprécier son étendue et le dynamisme de l’équipe de recherche.

3Dans le deuxième chapitre qui ouvre la partie sur l’archéologie environnementale, par Geneviève Holdridge, il s’agit de décrire la géologie et la géomorphologie du site archéologique de Jérash, en particulier du quartier nord-ouest, qui s’inscrit au sein des grands évènements géologiques du Levant et de la plaque Arabique. Nous avons particulièrement apprécié la dernière partie expliquant en quoi des éléments du paysage (formations calcaires pour matériaux de construction, sources et aménagement de citernes) ont pu favoriser l’installation des sociétés anciennes dans le secteur.

4Le troisième chapitre, rédigé par la même autrice avec Søren M. Kristiansen, Achim Lichtenberger, Rubina Raja et Ian A. Simpson, a pour objectif de présenter les résultats de l’analyse physique et chimique des sols dans l’optique de déterminer les facteurs (humains, climatiques, tectoniques) ayant influencé la cité et son environnement. L’analyse a consisté surtout en l’évaluation de la capacité d’échange des cations (CEC) des sols en provenance de deux profils stratigraphiques (l’un dans le quartier, l’autre dans le Wadi Suf) afin de déterminer leur caractère naturel ou anthropique et d’identifier des processus pédologiques anciens. Des premières conclusions ont été émises (influence anthropique du profil intra-site, possibles épisodes climatiques secs) bien que les auteurs souhaiteraient mener d’autres analyses pour les confirmer.

5Le quatrième chapitre, rédigé par Mette Marie Hald, est consacré à l’étude carpologique des échantillons des niveaux romains et omeyyades du quartier nord-ouest. Au début de cette contribution, un certain nombre d’éléments (processus antédépositionnels, modes de conservation, nature des restes) sont présentés de manière détaillée, permettant ainsi aux néophytes de se familiariser avec des notions indispensables à connaître pour l’interprétation de ce type de matériel. Bien que des échantillons sédimentaires aient été prélevés et traités par flottation, la plupart correspondent à des prélèvements manuels. Comme indiqué par l’autrice, ce paramètre incite à la prudence pour l’interprétation de l’assemblage. Par exemple, elle indique bien que l’écrasante domination de l’olive est à relativiser en raison de son abondance dans les prélèvements manuels qui privilégient les restes visibles à l’œil nu. Les fragments d’olive ont été interprétés comme pouvant être issus du pressurage des fruits (association avec les pressoirs à huile) mais d’autres explications sont apportées (fourrage). D’autres cultures comme la vigne, l’orge et la lentille renseignent sur l’alimentation végétale et les stratégies de production agricole des habitants de la ville. L’utilisation secondaire de restes comme fourrage puis celle du fumier comme combustible a été soulignée par l’autrice comme une possible explication à leur présence dans l’assemblage (par exemple, graine de prosopis associée à du fumier). Ainsi, malgré le peu de données disponibles, il a été tiré de l’assemblage le plus d’informations possible sur la vie quotidienne des habitants tout en conservant une prudence dans l’interprétation qui peut être appréciée. Néanmoins, le tableau du chapitre aurait pu comporter des informations supplémentaires (distinction entre prélèvements manuels et sédimentaires, entre noyaux d’olives entiers ou fragmentaires, volume de litres prélevés…) et le diagramme sur la fragmentation des noyaux d’olive comporter le total sur lequel les calculs de pourcentage sont basés.

6Le cinquième chapitre, écrit par Pernille Bangsgaard, est dédié à l’analyse des ossements animaux trouvés dans le quartier nord-ouest de Jérash. Plus de 13 000 fragments d’ossements d’animaux ont été étudiés et décrits de manière détaillée (pièces anatomiques, espèces, dommages causés par l’homme ou l’environnement). Des tableaux permettent de rendre accessible la plupart des données (par exemple, proportions des taxons), alors que des graphiques (courbes d’abattage) et diagrammes (distribution des parties anatomiques par taxons) offrent une meilleure visualisation des résultats. Des photographies illustrent des pathologies observées sur les ossements (ostéoarthrite, fractures guéries). L’autrice prend en compte des paramètres (prélèvement, identification) qui ont pu avoir influencé la composition de l’assemblage pour l’interprétation des résultats, faisant montre d’une prudence bienvenue. La plupart des ossements appartiennent à des mammifères domestiques (79 %), parmi lesquels les moutons sont dominants : les courbes d’abattage révèlent d’ailleurs qu’ils étaient exploités non seulement pour leur viande mais également pour leur laine. Des traces de découpe (dépeçage, démembrement) démontrent une consommation du porc, mais aussi des ânes, des bovins et des dromadaires, ces derniers vraisemblablement utilisés comme bêtes de somme (ostéoarthrite, exostose). La volaille comprend notamment des races de poules pondeuses déjà observées sur d’autres sites. Nous pouvons aussi remarquer la présence d’autres mammifères, peut-être utilisés comme auxiliaires de chasse (chat, chien) ou gibier (gazelle, cerf), ou attestés comme commensaux (souris, rat). La présence de poissons d’eau salée suggère leur importation sous forme séchée depuis la Méditerranée ou le golfe Persique et l’intégration du site dans les réseaux d’échanges. L’évolution diachronique de l’assemblage faunique (poules surtout durant la période romaine, porcs la période byzantine et moutons/chèvres la période omeyyade) montre des variations qui pourraient s’expliquer par des changements dans les modes de production et de consommation qui restent à être mieux compris.

7Le chapitre 6, rédigé par Marie Louise S. Jørkov, est consacré à l’étude des deux premiers squelettes humains trouvés dans le quartier. Les ossements trouvés au cours de la fouille et la méthodologie utilisée sont décrits de manière détaillée afin de déterminer l’âge et le sexe des défunts ainsi que les pathologies qui les affectaient, le tout accompagné de plusieurs photographies. Le premier squelette correspond à un enfant probablement tué dans le tremblement de terre qui a détruit la ville en 749 tandis que l’autre, une adolescente (?), appartient à une inhumation vraisemblablement musulmane. Des informations relatives à leur vie quotidienne et leur état de santé ont pu être obtenues : ces deux squelettes comportaient des marques de stress physiologique, ayant eu lieu durant la petite enfance, peut-être dû à la malnutrition. Ils fournissent l’occasion de tester la possibilité de dater au radiocarbone du collagène extrait d’ossements mal conservés comme le montre le chapitre suivant de Bente Philippsen et Jesper Olsen. Leur contexte de découverte permettant de connaître déjà leur datation, celles obtenues par radiocarbone peuvent ainsi être vérifiées. En dépit des efforts déployés pour obtenir le plus de collagène possible (déminéralisation, réassemblage du collagène), la quantité extraite des ossements n’était pas suffisante. De plus, des contaminants ont entraîné des datations erronées : la victime du tremblement de terre a été rattachée à une période trop récente en raison des ruissellements et l’adolescente de la sépulture islamique a été contaminée par les niveaux romains environnants. Les auteurs recommandent de mesurer préalablement la quantité de collagène disponible avant de commencer les manipulations car une préservation initiale trop mauvaise ne permettra pas d’obtenir une datation fiable.

8La dernière partie de l’ouvrage commence avec le chapitre 8 rédigé par Søren M. Kristiansen et David Stott concernant la cartographie de Jérash par la méthode de télédétection au LIDAR (Laser imaging detection and ranging). Cette contribution a pour but de comprendre le processus du développement urbain de la cité sur le long terme grâce à cette technologie, en croisant les données avec des photographies aériennes. Non seulement l’impact des anciennes fouilles et des dégradations successives a été évalué, mais les informations obtenues et confrontées aux données archéologiques apportent un éclairage nouveau, notamment sur la gestion du système de transport et de distribution d’eau à Jérash et dans les environs. Les auteurs ont cherché à démontrer l’intérêt d’une approche combinant le LIDAR avec des photographies aériennes et des méthodes de terrain pour reconstituer le développement urbain de villes complexes sur le long terme.

9Le chapitre 9, écrit par Rudolf Knieß, Achim Lichtenberger, Dana Pilz et Rubina Raja, est consacré aux prospections géophysiques menées sur le quartier nord-ouest de Jérash en préalable aux fouilles archéologiques. En effet, ce type de prospections a pour but d’orienter les choix de l’archéologue dans la planification des campagnes à venir. Malgré le terrain pentu et accidenté, la prospection magnétique a tout de même pu couvrir une surface étendue et permis d’identifier de grandes structures tandis que le GPR (Ground penetrating radar), circonscrit à une zone restreinte, n’a fourni quasiment aucun résultat. Cependant, l’originalité de cette publication réside dans la réévaluation des données géophysiques a posteriori à l’aune des découvertes archéologiques. Les auteurs ont cherché à perfectionner le classement des anomalies géophysiques et leur interprétation d’un point de vue archéologique tout en adoptant une approche critique méthodologique. Ainsi, la similitude des signatures électromagnétiques entre les structures archéologiques, le substrat et les débris a entraîné des difficultés quant à l’identification et la localisation des vestiges. Les auteurs insistent ainsi sur la nécessité de réévaluer les résultats géophysiques avec les données topographiques et archéologiques dans le but de perfectionner leurs interprétations.

10Enfin, le chapitre 10, rédigé par Bente Philippsen et Jesper Olsen, est dédié aux plus de 150 datations radiocarbone réalisées dans le cadre du projet. Après une présentation des méthodes de traitement des charbons (pré-traitement, datation) et des données (calibration), l’ensemble des datations obtenues sont présentées de manière détaillée par tranchée. Elles sont regroupées en fonction de leur proximité géographique afin de montrer la contribution des datations dans la compréhension de chaque ensemble avant de montrer leur implication dans la chronologie générale du quartier. Les indications chronologiques initiales basées sur le matériel archéologique et la provenance exacte des charbons sont renseignées et les datations obtenues et leurs significations commentées. Un tableau exhaustif contient de manière claire toutes les datations radiocarbone, pour certaines accessibles pour la première fois ; il aurait été préférable que les charbons aient été identifiés de manière plus précise pour prendre en compte un éventuel effet « vieux bois » mais peut-être qu’ils ne présentaient pas un état de conservation suffisant.

11En somme, cette monographie fournit de nouvelles données substantielles sur l’environnement, les stratégies de subsistance et l’organisation de la ville de Jérash durant les périodes antique et médiévale islamique. Peuvent être particulièrement appréciées la grande rigueur de la démarche scientifique des différents auteurs et l’approche critique des sources et méthodes utilisées pour éviter non seulement des erreurs d’interprétation mais aussi apporter des avancées méthodologiques à leur propre discipline (par exemple, datation du collagène, prospections géophysiques). Cet ouvrage apporte ainsi une nouvelle pierre à l’édifice en permettant une meilleure compréhension des sociétés du Proche-Orient antique et médiéval.