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Nécrologies

Agnès Spycket (Paris, 1er septembre 1921 – 17 janvier 2022)

Nicole Chevalier
p. 339-341

Texte intégral

Agnès Spycket à l’occasion de ses 100 ans, Paris 2021

Agnès Spycket à l’occasion de ses 100 ans, Paris 2021

Cliché N. Chevalier

1Notre collègue et amie Agnès Spycket s’est paisiblement éteinte au milieu du mois de janvier 2022 à son domicile parisien de la rue de la Rochefoucauld. Quelques mois auparavant, elle avait fêté dans l’intimité ses cent ans, une intimité souhaitée par elle mais rendue surtout nécessaire dans le contexte sanitaire de ces derniers mois. Avec sa disparition, c’est un pan entier de l’histoire de la recherche et de la mémoire de l’archéologie française au Proche et Moyen-Orient de la seconde moitié du xxe siècle qui s’éloigne. Avec Pierre Amiet, disparu l’année dernière, elle incarnait toute une époque, toute une génération d’orientalistes français, celle de l’immédiat après-guerre qui avait encore pu croiser René Dussaud et bénéficier à l’École du Louvre des dernières conférences de Georges Contenau et des premiers cours d’André Parrot.

2L’Orient et le musée du Louvre ont tenu une place essentielle dans la vie d’Agnès Spycket. Elle rappelait qu’accompagnée de son père, elle avait été « subjuguée » par les taureaux assyriens du musée du Louvre. Un premier contact qui explique probablement que dès l’âge de 19 ans, en pleine guerre, elle ait débuté sa formation d’orientaliste en suivant des cours d’hébreu et d’arabe, d’abord à l’Institut catholique, puis à l’École pratique des hautes études avec Édouard Dhorme pour l’hébreu, René Labat pour l’akkadien et enfin Jean Nougayrol et Raymond Jestin pour le sumérien. Toutefois, ce furent les cours d’archéologie orientale à l’École du Louvre, surtout ceux de Georges Contenau sur les tombes royales d’Ur, complétés par ceux d’André Parrot sur Baalbeck et Byblos, qui décidèrent de sa carrière d’archéologue et qui l’écartèrent ainsi de la philologie.

3C’est au lendemain de la guerre qu’Agnès Spycket débuta sa carrière d’orientaliste. Dès 1946, elle intégra le CNRS en tant que collaboratrice technique d’Édouard Dhorme – successeur de Charles Fossey à la chaire d’assyriologie du Collège de France – et assuma également la fonction de bibliothécaire du Cabinet d’assyriologie ; une tâche qu’elle exerce jusqu’en 1959 à la demande de René Labat. Même si la bibliothèque du Collège tint une place importante dans sa carrière, toute sa vie Agnès Spycket resta très attachée au musée du Louvre où elle avait été accueillie par Georges Contenau lorsqu’elle avait eu l’opportunité d’intégrer le département des Antiquités orientales dès janvier 1945 en tant que chargée de mission ; une fonction bénévole mais qui, dans le contexte du retour au Louvre des œuvres stockées en province pendant la guerre et du réaménagement des salles du département, était certes passionnante mais trop prenante, ce qui l’obligea à faire un choix et à s’éloigner pour un temps du musée. Toutefois, en 1964, à la demande d’André Parrot, elle reprenait ses fonctions de chargée de mission avant de pouvoir, après le décès de Édouard Dhorme en 1966, rejoindre le département à temps complet comme collaboratrice technique de Pierre Amiet, alors conservateur adjoint, et qu’elle connaissait depuis 1946 alors qu’ils suivaient ensemble le cours de sumérien de Georges Contenau à l’Institut catholique.

4Agnès Spycket, elle-même, soulignait que sa carrière scientifique ne s’était pas déroulée sans qu’elle ait à franchir nombre d’obstacles. Si, dès 1946, elle avait soutenu sa thèse de l’École du Louvre sur La coiffure féminine en Mésopotamie dirigée par André Parrot, ce n’est que vingt ans plus tard, dans le cadre de la Ve section à l’EPHE, et après avoir vaincu bien des difficultés, qu’elle put enfin présenter son mémoire sur la Statue de culte en Mésopotamie, qu’elle publia, grâce au père Roland de Vaux, dans les Cahiers de la Revue biblique sous le titre Les statues de culte dans les textes mésopotamiens, des origines à la 1re dynastie de Babylone (Gabalda, 1968). Ce n’est qu’en 1973, sous la direction de Jean Nougayrol puis de Maurice Birot, qu’elle put intégrer le corps des chercheurs en tant que chargée de recherche au CNRS, ce qui lui permit de se consacrer pleinement à ses publications. Ainsi, sur la proposition de Jean Nougayrol, elle publiait « La musique instrumentale mésopotamienne », Journal des Savants, juillet-septembre 1972, p. 153-209. Surtout, en 1971, à la suite de ses travaux sur les statues de culte, le professeur Barthel Hrouda de l’université de Munich lui proposait de rédiger le volume du Handbuch der Orientalistik sur La statuaire du Proche-Orient ancien (Leyde-Cologne, 1981) ; un travail considérable qu’elle mena à bien, avant de se consacrer à l’étude des figurines de Suse. En effet, sous la direction de Pierre Amiet devenu conservateur en chef, qui lui avait confié cet énorme corpus, elle publia le premier volume sur Les figurines humaines IVe-IIe millénaires av. J.-C. (MDP 52, Paris, 1990).

5Surtout, Agnès Spycket put se libérer plus facilement pour participer à des fouilles car, bien qu’au lendemain de la guerre les recherches sur les grands chantiers français aient repris, elle dut attendre le début des années 1960 avant de pouvoir partir dans tout le Proche-Orient : à Jérusalem en 1962 et 1963 où le père de Vaux, directeur de l’École biblique, commençait des fouilles conjointement avec Kathleen Kenyon, directrice de la British School à Jérusalem ; en Iran à Suse avec Roman Ghirshman en 1964/1965 et 1966/1967 ; en Israël à Tell Keïsan, de nouveau avec l’École biblique, en 1971, 1972, 1973 et 1975 ; en Irak à Isin en 1978, 1983, 1986 et 1988, et à Sirkeli en Turquie en 1994 avec Bartel Hrouda ; et enfin en Syrie, en 1995 et 1997, à Ashara/Terqa avec Olivier Rouault et Maria-Grazia Masetti-Rouault.

6Si Agnès Spycket se consacra principalement à la recherche, elle accorda toutefois une partie de son temps à l’enseignement dans la mesure où ses fonctions au Cabinet d’assyriologie puis au musée du Louvre le lui permirent. À la demande d’André Parrot, elle succéda à Marguerite Rutten, en assurant pendant vingt-sept ans, de 1961 à 1987, au musée du Louvre, les cours publics d’histoire de l’art sur le Proche-Orient ancien de la fondation Rachel Boyer ; ce n’est qu’à l’automne 1988 qu’elle y renonça pour participer à des fouilles en Irak. De même, elle présenta de nombreuses conférences, tant en Europe qu’aux États-Unis. C’est ainsi qu’en 1978 elle n’hésita pas à répondre à l’invitation à enseigner pendant un semestre à Austin (université du Texas) ; un séjour qui fut pour elle l’occasion de rencontrer longuement et amicalement de nombreux collègues chercheurs et conservateurs de musée tant à Chicago, Philadelphie que New York.

7En effet, grâce à ses fonctions à la bibliothèque d’Assyriologie et du fait de sa présence active aux côtés de Jean Nougayrol et de Georges Dossin au moment de la création des Rencontres assyriologiques internationales dont elle assura le secrétariat et dont elle relata l’historique – « La genèse des Rencontres assyriologiques internationales », Akkadika 32, mars-avril 1983, p. 56-59 –, Agnès Spycket put tisser de solides liens d’amitié avec un grand nombre de chercheurs français et étrangers qui marquèrent la discipline. Cette amitié se concrétisait en 1996 par la remise, à l’initiative de B. Hrouda et d’Herman Gasche, d’un beau volume d’hommage : Collectanea Orientalia. Histoire, arts de l’espace et industrie de la terre. Études offertes en hommage à Agnès Spycket (CPOA 3), Neuchâtel-Paris, 1996.

8Sa retraite du CNRS en 1986 ne mit nullement fin à son activité scientifique et lorsqu’en 1992 elle arrêta sa collaboration avec le département des Antiquités orientales, par amitié et reconnaissance envers Édouard Dhorme, elle entreprit de classer ses archives déposées à Paris, à la bibliothèque du Saulchoir dépendant de l’ordre de St Dominique, et dont elle fit une présentation – « Les archives d’Édouard Dhorme (1881-1966) à la bibliothèque du Saulchoir », Revue biblique 104, 1997, p. 5-39. Elle mit un point final à sa carrière d’orientaliste en publiant en 2004 un petit ouvrage, À temps et à contretemps. Un siècle d’archéologie et de contacts dans le domaine du Proche-Orient, (Recherches et Publications), Neuchâtel-Paris, dans lequel elle dépeignait le paysage archéologique français de la seconde moitié du xxe siècle. Au fil des ans, sa longue carrière avait fait d’Agnès Spycket la « Mémoire » du département des Antiquités orientales. Jusque dans ses derniers mois, elle était régulièrement sollicitée par les plus jeunes afin d’évoquer ses souvenirs, lesquels étaient devenus d’autant plus précieux que le xxe siècle s’éloignait. À ces occasions, à côté des grands noms de l’assyriologie qu’elle avait pu côtoyer, elle évoquait ceux souvent oubliés de Lucienne Laroche, Jeanne-Marie Aynard ou Marguerite Rutten, modestes collaboratrices au Louvre qu’elle associait à son propre parcours, témoignant ainsi pour elles et pour elle-même des difficultés de faire alors une carrière au féminin.

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Table des illustrations

Titre Agnès Spycket à l’occasion de ses 100 ans, Paris 2021
Crédits Cliché N. Chevalier
URL http://journals.openedition.org/syria/docannexe/image/14776/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 432k
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Pour citer cet article

Référence papier

Nicole Chevalier, « Agnès Spycket (Paris, 1er septembre 1921 – 17 janvier 2022) »Syria, 99 | 2022, 339-341.

Référence électronique

Nicole Chevalier, « Agnès Spycket (Paris, 1er septembre 1921 – 17 janvier 2022) »Syria [En ligne], 99 | 2022, mis en ligne le 15 mai 2023, consulté le 30 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/syria/14776 ; DOI : https://doi.org/10.4000/syria.14776

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Auteur

Nicole Chevalier

Ancien membre du département des Antiquités orientales, musée du Louvre

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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