Thomas L. McClellan (éd.), El-Qitar: A Bronze Age Fortress on the Euphrates
Thomas L. McClellan (éd.), with contributions by Hijlk Buitenhuis, Edward Polak, Romain Prevalet, David S. Reese and Claudia Sagona, El-Qitar: A Bronze Age Fortress on the Euphrates (Subartu XLI), Turnhout, Brepols, 2019, 21,6 × 28, 511 p., 326 ill, ISBN : 978-2-503-57995-5.
Texte intégral
1Voici un imposant ouvrage rendant compte des fouilles du site d’El-Qitar, conduites de 1976 à 1987 lors de l’aménagement des lacs artificiels El-Assad et Tishreen sur le cours supérieur de l’Euphrate à son entrée en Syrie. C’est avec plaisir que l’on salue une publication si longuement documentée sur une fouille, certainement très difficile, entreprise lors de la Campagne internationale de sauvegarde des antiquités de l’Euphrate.
2Il s’agit d’une publication riche en documents qui, après une introduction portant sur les campagnes et les buts de l’opération, consacre dix chapitres (2 à 11) au système défensif et à ses portes, au plan de la cité et à l’étude de sept édifices (implantation, restes architecturaux, analyse des plans). Les chapitres suivants sont consacrés au matériel : l’un (chap. 12) étudie la céramique, un autre (chap. 13) les divers objets retrouvés dans les fouilles (une tablette cunéiforme, des sceaux, des empreintes, des figurines humaines ou animales, des outils de pierre ou de métal, des perles, des coquillages…) ; le chapitre 14 est consacré à un important trésor de bijoux d’argent, le plus souvent en fragments, et le suivant (chap. 15) rend compte d’une belle boucle d’oreille en or d’époque hellénistique ; un rapport sur des relevés du champ magnétique forme le seizième chapitre, tandis que les restes de la faune sont étudiés dans le dix-septième. Le chapitre 18 est consacré à des analyses quantitatives appliquées aux divers matériels. Les conclusions d’ensemble, rassemblées dans une douzaine de pages, insèrent ces résultats dans une vision régionale dans laquelle il introduit des sites comme Mumbaqa et Bazi. Enfin, cinq appendices, sous forme de tableaux, rassemblent des données numériques et quantitatives portant sur des trous de poteaux, la répartition des céramiques dans les différents groupes, les objets retrouvés dans les pièces et des mesures sur les éléments de squelette animaux. Une bibliographie sélective termine l’ouvrage.
3Dans ce compte rendu il n’est guère possible d’analyser de façon détaillée tous les résultats et mes remarques porteront seulement sur quelques questions clés : principalement sur l’architecture (les modalités d’une prise en compte des realia, accompagnées de quelques remarques sur les édifices, leur structure, les fondations, leur fonctionnement, le niveau d’usage, le rôle des portes), les données stratigraphiques, la nature du trésor des bijoux d’argent et les datations.
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4Mais, auparavant, précisons la base de l’approche méthodologique mise en œuvre dans l’entreprise El-Qitar, caractérisée par un esprit désireux d’utiliser volontairement l’outillage scientifique. On est ainsi frappé du très grand nombre de diagrammes divers (dans le cours du texte) et de tableaux (plus d’une centaine de pages si l’on ajoute aux 50 pages des appendices les tableaux insérés dans certains chapitres comme celui des objets) rassemblant des données chiffrées : c’est l’indice d’une approche systématique par le nombre, approche qui favorise la comparaison – laquelle est pour l’archéologie, comme on le sait, une des bases de la démarche scientifique. Je ne suis pas sûr cependant que l’on ait tiré parti de cette masse de renseignements, mais le fait que ces données aient été consignées permet de penser que des études complémentaires pourront être entreprises.
5Ce même esprit scientifique s’exprime dans l’utilisation des « matrix » qui accompagnent nombre des figures définissant les coupes : le but est certainement d’établir une séquence logique, voire chronologique, des dépôts, mais est-ce à dire que l’on a vraiment compris les relations entre les différents dépôts et les artefacts ? Elles sont conçues pour rendre compte d’un développement linéaire du temps et ne mettent pas en évidence les différentes possibilités de modalité de dépôt : si l’ordre cumulatif rend compte du principe du fil du temps, il ne peut signaler de la même façon les phases d’érosion et de recul, donc des disparitions ; dans une certaine mesure ce procédé ne fausse-t-il pas l’approche du déroulement réel du temps, ne transmet-il pas une idée d’un temps qui n’a jamais existé de la façon dont il est montré ?
6Cette volonté scientifique n’a pas empêché des imprécisions, par exemple :
- sur aucun plan n’apparaissent les sigles X et Y utilisés dans le texte pour désigner des parties du champ de ruines ;
- qu’exprime la différence de taille des points et des chiffres indiquant des cotes d’altitude, dont je n’ai pas trouvé l’explication dans une quelconque légende, par ex. fig. 6.9 ?
- quoique cela ne soit pratiquement jamais indiqué, les plans sont orientés vers le nord, mais selon le nord géographique ou le nord magnétique ?
- dans le tableau p. 434 rassemblant des plans de 13 temples, intitulé « Late Bronze Age temples on the middle Euphrates », apparaît en seconde position un prétendu « Baal Temple 2 d’Emar », daté par U. Finkbeiner du Bronze moyen mais qui est en réalité une interprétation abusive de quelques pierres non appareillées :
- si la minutie du dessin des pierres de surface répond à ce souci de précision, on s’étonne que la terre du rempart associé à la porte Ouest ne fasse l’objet d’aucune analyse précise. l’ampleur de l’ouvrage explique peut-être certaines de ces imprécisions que je ne listerai pas ici. Maladresse ou imprécision étrange aussi, celle qui fait que les escaliers taillés dans le roc qui unissent ville basse et ville haute n’apparaissent que sur des photos (fig. 5.12) mais non sur les plans des installations urbaines (fig. 5.1, 5.13).
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7L’architecture, habituel premier champ d’informations des fouilles lors de la publication, nous retient sur plusieurs points. Tout d’abord, on peut s’interroger sur la façon dont sont représentés dans la publication les vestiges de l’architecture ; il s’agit de restes bien réels que l’on peut désigner comme des realia, et les modalités de leur représentation n’est pas une question anodine puisqu’il s’agit de rendre compte non seulement des objets eux-mêmes, mais aussi de leur disposition dans le terrain. Peut-être parce que les pierres constitutives des murs apparaissaient dès la surface du tell, s’est imposé le parti de dessiner simplement par leur contour les pierres immédiatement visibles, sans tenir compte de celles qui étaient recouvertes, ni des particularités de chacune ; cependant toutes les pierres visibles à la surface n’appartenaient pas forcément à un mur ; aussi, pour permettre d’opérer les distinctions indispensables, le fouilleur a-t-il recouvert les murs identifiés comme tels d’une trame grise qui recouvre une partie du dessin des pierres ; cependant, ce procédé a été mis en place aussi lorsque les limites du mur étaient incertaines, et la trame recouvre des parties manquantes du mur à l’instar des pointillés. Ce procédé entraine quelques gênes de lecture dont voici quelques exemples que je ne multiplie pas :
- le grisé de la trame ne permet pas toujours de distinguer immédiatement exactement les pierres qui constituent effectivement le mur, et les lacunes du mur sont plus difficilement perceptibles, en particulier quand le mur est étroit, par ex. fig. 5.10, 6.21 ;
- il peut y avoir des désaccords entre certaines limites du mur et le tracé du mur, fig. 6.9, ou il se peut qu’une pauvre densité de pierres ne soutienne que très mal l’hypothèse d’un mur, fig. 4.19 ;
- il arrive qu’aucune des deux limites du mur n’ayant été conservée la largeur du mur n’est alors pas évaluable, fig. 5.11 : l’impression donnée par un coup d’œil sur l’ensemble du plan est que l’on est en présence de murs bien réels, alors que la vérité est beaucoup plus aléatoire, comme il apparaît si on analyse avec soin la situation ; c’est le cas de la fig. 5.7, qui se répète assez fréquemment ;
- un épandage de pierres, non organisé en mur mais associé par le dessin à la limite d’un mur, crée une incertitude de lecture, par exemple fig. 4.19 en A 12 ;
- la superposition de deux niveaux apparaît à l’occasion (fig. 11.1, p. 155), mais sans le témoignage des cotes d’altitude réunies sur le même relevé ; pour retrouver celles-ci, il faut se reporter aux fig. 10.8 pour l’édifice 14 et fig. 11.7 pour l’édifice 15, sans que la relation soit établie entre chacun de ces deux relevés.
8Bien entendu, ces incertitudes ne signifient pas que tous les murs sont incertains : les relevés ont permis de déterminer l’existence d’éléments d’architecture ou des édifices ; mais il faut se demander si on a tiré de ce matériel tous les enseignements possibles, par exemple en évoquant les points suivants.
9Devant certaines hésitations dans la lecture des plans, on est ainsi conduit à regretter l’absence de toute étude systématique et comparative portant sur les formats des pierres de construction, la structure des murs, leur hauteur restante, les types de fondations, d’éventuelles murs de terrassement. En effet, le dessin du contour des pierres repérées comme constituant les murs montre des formes et des tailles très différentes d’un exemple à l’autre ou dans la même unité structurale : on a parfois affaire à d’imposants blocs parallélépipédiques, à l’occasion aussi à de gros blocs arrondis, mais le plus souvent à des moellons assez grossièrement taillés, souvent proches du concassage et de tailles variées. Une typologie des murs selon les caractéristiques des matériaux constituants aurait été bien utile pour distinguer les différentes fonctions des murs repérés : les murs de maison ou de monument ne présentent pas toujours les mêmes caractéristiques, un mur d’architecture civile et un mur de terrassement non plus, sans parler d’une fondation et d’une superstructure ; un mur de casemate peut-il être vraiment identifié à partir de quelques alignements de pierres qui ne sont pas des pierres de taille ?, etc.
10Aucune question ne semble s’être posée aux fouilleurs en ce qui concerne la cohésion des murs repérés ; pourtant les seuls assurés d’une stabilité naturelle étaient ceux édifiés à l’aide des gros blocs taillés, même en opus incertum comme ceux utilisés dans les portes urbaines ou à la base de certains murs d’enceinte (fig. 3.5, 3.10, 4.1, 4.2, 4.5, tour 6 en couverture…). Pourquoi les orthostates de l’édifice 14 (fig. 10, p. 152) sont-ils tous sur la face interne des murs et aucun sur les faces externes ? Cependant un très grand nombre des murs retenus par les fouilleurs ne sont que des accumulations de moellons entassés, sans le moindre élément de liaison ; parfois, des moellons de taille homogène sont assez bien disposés sur les faces d’un mur pour assurer un bon alignement, mais l’intérieur du mur est plutôt le résultat d’un remplissage de moellons souvent de plus petite taille avec de la terre (ce sont des « murs fourrés », par ex. fig. 11.4-e) : de tels murs sans un matériau liant les pierres entre elles ne peuvent s’élever en hauteur et servir de superstructure ; en revanche ils peuvent parfaitement remplir leur rôle en fondation. C’est le cas de très nombreux murs repérés à El-Qitar.
11La question des tranchées de fondation
À examiner avec soin les photographies et les très nombreuses coupes, on ne voit représentée aucune tranchée de fondation. Cette absence est très étrange car, en architecture de terre, les édifices « à cru » ne laissent généralement pas de trace et, s’il y a eu fondations en terre ou en pierre, deux modes opératoires peuvent avoir été mis en œuvre :
- soit on creuse une tranchée de fondation plus large que le mur à venir et à profondeur variable selon la charge des superstructures et la stabilité de la base ;
- soit, sur un niveau prédéfini, on élève des murs qui deviennent des fondations après remplissage de l’espace qui les sépare avec de la terre ou un autre matériau meuble rapporté.
12Dans le premier cas, en coupe, on voit très bien le profil de la tranchée et du mur qui l’occupe et, dans le second, il n’y a aucune tranchée mais des couches du matériau de remplissage en contact direct avec deux murs parallèles. C’est manifestement ce dernier cas que l’on rencontre à El-Qitar : l’absence totale de toute tranchée de fondation prouverait-elle alors que l’on se trouve partout en niveau de fondation ?
13La mise en œuvre d’une architecture sur des sols en pente : une infrastructure compartimentée ?
C’est un sujet qui ne semble pas avoir retenu l’attention des fouilleurs ; c’est pourtant une question importante, puisqu’El-Qitar a été édifié sur une montagne. Si des cotes d’altitude ont été indiquées en assez grand nombre sur les plans des édifices, les courbes de niveau, elles, n’y ont été reportées qu’assez rarement. On les trouve en rapport avec l’architecture plutôt dans les plans d’urbanisme, donc à une échelle assez petite et là où une trame grise n’a pas été surajoutée, c’est-à-dire sur les rues : il n’est donc pas possible de les utiliser pour connaître de façon précise le dénivelé des maisons. Dans quelques cas cependant des plans d’architecture sont associés au tracé des courbes de niveau (par ex. fig. 5.3 à 5.11) ; mais alors aucune valeur métrique n’accompagne les courbes de niveau. On sait cependant qu’un mètre de dénivelé les sépare sur les plans retenus ci-dessous ; on peut donc établir de façon assez précise la valeur de la pente pour quelques ensembles construits de la ville basse ; c’est ainsi que :
- l’édifice 8 (p. 63) s’appuie sur un dénivelé de 9 m, pour une longueur d’env. 19 m ;
- l’édifice 18 (p. 65) sur un dénivelé de 8 m pour une longueur d’env. 20 m ;
- l’édifice 19 (p. 66) sur un dénivelé de 8 m pour une longueur d’env. 30 m ;
- les édifices 21 et 22 (p. 67) sur un dénivelé de 14 m pour une longueur d’env. 35 m ;
- l’édifice 23 (p. 68) sur un dénivelé de 6 m pour une longueur d’env. 30 m ;
- l’édifice 24 (p. 69, inachevé vers l’O. ?) sur un dénivelé de 5 à 6 m pour une longueur d’env. 15 m ;
- l’édifice 25 (p. 70) sur un dénivelé de 6 m pour une longueur d’env. 18 m ;
- l’édifice 26 (p. 70) sur un dénivelé de 8 m pour une longueur de 24 m env. ;
- les édifices 28 et 29 (p. 71) sur un dénivelé de 8 m pour une longueur d’env. 20 m.
14Si on laisse de côté les groupements de deux édifices (21 et 22, ainsi que 28 et 29), car on ne voit pas les limites proposées pour chaque unité, on constate que, pour chaque ensemble considéré par le fouilleur comme un édifice, les dénivelés entre la cote basse et la cote haute sont dans 3 cas de l’ordre de 5 à 6 m et dans 5 autres cas de l’ordre de 8 m, voire 9 m, soit des valeurs d’un étage et demi pour la première série et de deux étages pour la seconde ; si l’on tient compte du fait que les sols des maisons sont nécessairement horizontaux, on ne voit pas très bien comment toutes les contraintes ont pu s’accorder entre elles. Il est très difficile de tenter une reconstruction des édifices à partir d’une pente continue, et c’est la solution des paliers successifs qui a généralement été retenue.
15Une telle démarche, qui permet de fixer l’accrochage des édifices sur de fortes pentes, aurait dû être conduite dans le secteur du franchissement de la double porte Ouest. Ce compte rendu n’est pas le lieu de la développer, mais elle fournirait d’intéressantes informations sur le fonctionnement de ce secteur.
16En réalité, il faut réinterpréter ces plans, qui n’ont en commun ni traits morphologiques, ni organisation planimétrique, et dans lesquels aucun élément de fonctionnement ne s’impose. Certains d’entre eux sont dans une telle harmonie avec la pente (parallélisme) que l’on peut tout à fait y reconnaître des vestiges de limites de terrasses qui supportaient les maisons et que normalement on doit trouver dans un terrain en pente. On se trouve donc en présence du même système que celui qui a présidé à la refondation d’Emar. À cet égard, les portes sont particulièrement révélatrices, en particulier par leur seuil.
17Crapaudine et niveau d’usage
Une remarque préliminaire : aucune étude n’a été réservée dans la publication aux sols dégagés par la fouille. C’est dommage, parce qu’ils peuvent révéler beaucoup sur la nature de l’occupation. Pour fonctionner, la crapaudine ne peut être placée de façon incertaine : elle doit se trouver à une certaine profondeur, éventuellement protégée dans un coffre ; par conséquent elle ne représente pas le niveau exact du sol d’usage, lequel se trouve nécessairement au-dessus pour que la base du battant puisse bouger librement sans racler le sol avant de venir se plaquer contre le seuil normalement surélevé.
18Ainsi, dans tous les cas où à El-Qitar les crapaudines apparaissent sur une surface prise par les fouilleurs pour un sol, on peut être sûr que le niveau d’usage réel était au-dessus, ce qui pose un problème en ce qui concerne la situation stratigraphique des objets recueillis : étaient-ils sur ou sous le sol d’usage ? Dans le premier cas ils permettent de dater le sol, dans le second ils appartiennent à une période antérieure, même s’ils sont au niveau des fondations. Parmi d’autres exemples, c’est le cas en R 51 fig. 6.13, où la crapaudine est actuellement à 20 cm au-dessus d’une des pierre du seuil, ce qui met le sol réel 30 à 40 cm – au moins – plus haut que la surface considérée comme le sol ; même type de constat pour la porte de R 53 (fig. 6.29), avec des valeurs altimétriques évidemment différentes ; situation du même ordre dans l’édifice 10, identifié comme un temple (fig. 9.1), à chacune des deux portes où la photo de la fig. 9.3-d montre une crapaudine reposant sur une surface horizontale qui ne peut être qu’un arrêt de fouille et non un sol de maison.
19Sens de fonctionnement des portes
Notons encore que la porte est un élément majeur pour expliquer le fonctionnement de l’édifice à partir de l’étude de l’emplacement des crapaudines puisqu’on ne peut la fermer, et donc l’ouvrir, que du côté de la crapaudine ; ainsi, l’emplacement de la crapaudine implique celui de l’homme qui assure son fonctionnement : après une fermeture, il ne peut que rester du côté de la crapaudine et, par conséquent, dans certains cas s’enfermer lui-même ; ainsi, dans l’édifice 12 (fig. 7.1 p. 114) la crapaudine de la porte de R 7 n’a pas été retrouvée, alors que celle de R 6 était encore en place et obligeait celui qui l’avait fermée à rester bloqué dans la petite pièce sans aération et sans lumière : pendant combien de temps cela était-il possible ? De telles situations ont existé, mais il faut vraiment chercher ce qu’elles impliquent en ce qui concerne le fonctionnement et trouver un lien éventuel avec la partie disparue de l’édifice, par exemple l’étage.
20Absence de toute réflexion sur les volumes
Un aspect qui n’a pas du tout été abordé dans cette publication : comment apparaissait l’architecture repérée sur le site. Le fouilleur pense avoir identifié des portes urbaines, un temple, un centre de commandement, des maisons, mais il en reste toujours à l’analyse du seul plan, plus ou moins repéré en fouille, souvent incomplet ou incertain, et jamais il ne cherche à retrouver le volume originel, ni même à engager une simple approche de celui-ci. Or l’architecture n’existe que par son volume et celui-ci est un jeu de forces qui laisse des indices dans les plans : on ne peut pas toujours retrouver toutes les données du volume, mais une approche qui rend compte de certaines conditions de vie est souvent possible : elle n’apparaît jamais ici.
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21Les données stratigraphiques
Nombre des difficultés et des incertitudes touchant à l’architecture viennent de questions stratigraphiques ; la stratigraphie existante résulte d’une occupation permanente des hommes dans le courant du IIe millénaire, sans doute accompagnée d’un aménagement du site, et de l’érosion de celui-ci durant les trois millénaires qui ont suivi son abandon à la fin du IIe : telle était la situation rencontrée par l’équipe archéologique quand elle a commencé ses travaux et que l’on doit prendre en considération, lors de l’interprétation des observations faites durant les fouilles.
22Les photographies aériennes du tell, avant ou pendant les fouilles, (par ex. 6.1, 9.3, 16-9-a…) mettent clairement en évidence que des murs de pierre affleurent partout à la surface, mais de façon irrégulière. Par ailleurs, les fouilleurs n’ont, semble-t-il, pas observé de murs de briques crues – du moins de tels murs ne sont-ils jamais représentés sur les plans publiés : serait-ce à dire que l’architecture de terre n’était pas utilisée sur ce site et que les murs étaient entièrement élevés avec des pierres ? C’est une thèse difficilement défendable : même si la pierre apparaît dans la destruction du site comme le matériau dominant, on sait que, dans la Syrie du Nord-Ouest, avant l’époque classique, un mur dont la base était constituée de pierre se poursuivait en superstructure par des briques de terre (et pas seulement à Emar).
23Cette remarque conduit alors à souligner que le niveau d’arasement visible à la surface du tell et où l’on ne voit que des pierres se situe vers la base des murs, donc à proximité du niveau d’usage : la question alors est de déterminer si celui-ci a été préservé ou si l’arasement l’a fait disparaître en ne laissant en place que les fondations. Il faut aussi comprendre que le niveau d’usage n’a aucune épaisseur réelle et qu’il est seulement la face à l’air de la couche supérieure des fondations, éventuellement aménagée pour que l’homme y circule et y mène sa vie quotidienne. Un revêtement spécifique peut parfois le déterminer ; sinon seules les traces de l’activité des hommes permettent de le définir.
24Ainsi, un arrêt de la fouille à proximité de la base des murs ne signifie pas que l’on se trouve sur le sol d’usage et une approximation sur cette question risque d’entraîner des confusions, en particulier dans les datations d’objets, retrouvés sur ou sous celui-ci. Or, dans cette publication, les sols ne sont généralement pas définis de façon précise, ce qui laisse planer une incertitude qui apparaît bien lorsque l’on voit que les crapaudines presque systématiquement se situent sur le sol, alors que dans la pratique architecturale ancienne elles se situent sous le niveau d’usage pour permettre le placage exact du battant contre le mur sur le pourtour de l’ouverture. Il s’agit là d’une imprécision qui vient s’ajouter aux autres.
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- 1 Jean-Claude Margueron et Béatrice Muller (dir.), Recherches au pays d’Aštata. Emar III. Le matériel (...)
25La nature du trésor des bijoux d’argent
Dans les objets recueillis lors de la fouille, ce « trésor » apparaît tout à fait intéressant ; il est remarquable par sa nature et par ses ressemblances avec un matériel identique retrouvé à Emar et d’autres exemplaires qui jalonnent l’histoire des âges du Bronze et du Fer que je ne développerai pas ici, mais que l’on peut retrouver dans la publication des objets d’Emar1. Plutôt qu’un lot de bijoux abîmés ou de débris d’argent destinés à être refondus chez un orfèvre, il faut y voir un moyen de paiement selon le poids de ces fragments d’argent pour faire l’appoint, comme l’a bien montré le Professeur Le Rider dans son cours au Collège de France.
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26Les datations
Elles se sont appuyées principalement sur des études céramiques et sur des analyses 14C. Sans entrer de façon détaillée, dans ce compte rendu, sur le bien-fondé de ces approches, je voudrais présenter quelques remarques qui devraient conduire dans certains cas à relativiser certains postulats faisant office de dogmes.
27En ce qui concerne la céramique, on a vu depuis longtemps que les étapes de la transformation de ses formes sous la main du potier permettaient de s’ancrer dans des moments précis de l’évolution chronologique. Il n’y a pas lieu de revenir sur ce point. Le point que je voudrais souligner, parce qu’il n’est pas assez pris en considération, c’est qu’un tesson ou un vase peuvent être clairement datables par la forme ou un détail technologique, mais que leur présence à un endroit précis de la fouille ne permet pas d’attribuer en toute certitude au milieu où on l’a trouvé sa date de fabrication car, tesson ou vase, c’est toujours un objet meuble qui peut être très facilement transporté à l’occasion de n’importe quelle manipulation ou transfert de terre : le seul emplacement qui peut être daté avec vraisemblance par sa présence est un sol d’usage clairement identifié comme celui d’un édifice habité. Cette question est d’autant plus importante que les villes ne sont pas des lieux de stabilité stratigraphique, mais au contraire des lieux de bouleversement des stratigraphies naturelles par des mises à niveau et des reconstructions globales accompagnées d’importants transferts de terre (pour l’infrastructure) au cours desquels tessons, vases et objets peuvent franchir des siècles. Donc seul un sol bien défini peut être daté par un vase ou un tesson lui-même bien daté : toute autre déduction est à rejeter.
28Outre qu’on regrette l’absence, dans la publication, d’une liste des prélèvements accompagnée de leurs résultats, la datation par le 14C peut présenter des incertitudes du même ordre que celles de la céramique. Certes, la procédure scientifique de datation de l’objet n’a pas à être mise en cause et, quand on sollicite un fragment de bois brûlé, il n’y a pas lieu pour l’archéologue de mettre en doute le résultat obtenu. Mais là où ce dernier doit intervenir avec la plus grande finesse analytique, c’est dans la relation qui existait entre l’objet prélevé, destiné à l’analyse, et le milieu : comment être sûr, par exemple, que le charbon de bois recueilli est en harmonie chronologique avec la terre, le sol, le mur… où il a été recueilli ? L’analyse 14C à partir d’une maison incendiée, qui donne une grande profusion de bois brûlé, donne-t-elle la date de cet incendie ou bien la date à laquelle le bois des poutres a été coupés, éventuellement 2, 3 ou 4 siècles plus tôt, comme j’ai pu le constater dans ma vie privée ? Dans les pays orientaux où les poutres sont rares et sont importées de loin, elles peuvent aussi avoir été réutilisées dans plusieurs édifices successifs… Dans tout cela, la vigilance est de rigueur.
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29Pour conclure, je n’interviendrai pas ici sur les commentaires avancés pas l’auteur dans son chapitre de conclusion sur des sites voisins de celui d’El-Qitar, comme Bazi ou Mumbaqa, ni sur une évidente sous-estimation de l’importance historique de la région de la boucle de l’Euphrate dans le fonctionnement du Proche-Orient. Mais je crains que sa méconnaissance du site d’Emar, dont il ne cite dans sa bibliographie qu’une seule publication (et non la plus riche !) sur les 23 qui lui ont été consacrées (jusqu’à la date de la publication d’El-Qitar), l’ait empêché d’estimer à leur juste valeur les découvertes faites sur les sites de Meskéné et de Faqʾous (ce dernier site n’étant jamais évoqué). Je reviens sur cette question dans ma prochaine publication des fouilles d’Emar, mais le schéma qu’il propose pour définir l’évolution de la région me paraît très incertain et ne reposant que sur des comparaisons bien fragiles et des vues incomplètes.
30Je me contenterai, finalement, de souligner que l’image d’El-Qitar donnée dans ce rapport pourrait être assez différente de ce qu’a été la réalité de la ville antique. Il conviendrait certainement d’y reconnaître une installation fortifiée, construite à flanc de coteau sur des terrassements étagés et dont n’a a subsisté qu’une faible proportion des niveaux de fonctionnement avec architecture. Sans doute avec Jebel Ahmar situé sur la rive droite, dans la seconde moitié du Bronze récent, elle dominait et contrôlait une zone de rétrécissement de la vallée de l’Euphrate, donc éventuellement aussi un point de passage transversal.
Notes
1 Jean-Claude Margueron et Béatrice Muller (dir.), Recherches au pays d’Aštata. Emar III. Le matériel de Tell Meskéné et de Tell Faqʾous (BAH 222), Beyrouth, Ifpo, 2022, p. 607-614.
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Référence électronique
Jean-Claude Margueron †, « Thomas L. McClellan (éd.), El-Qitar: A Bronze Age Fortress on the Euphrates », Syria [En ligne], Recensions, mis en ligne le 22 février 2024, consulté le 13 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/syria/15008 ; DOI : https://doi.org/10.4000/syria.15008
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