• 1 A. Michel, « Le culte des reliques dans les églises byzantines de Jordanie », Hortus artium mediev (...)
• 2 C’est dans ce sens que N. Duval interprète ce dispositif (N. Duval, « Architecture et liturgie dan (...)
• 3 M. Piccirillo, « Ricerca storico-archeologia in Giordania xv - 1995 », Liber Annuus 45, p. 520. Da (...)
• 4 La façade septentrionale de l’édifice est néanmoins trop mal conservée pour que l’on repère l’exis (...)

3Le complexe ecclésiastique est composé d’une église à plan centrée à laquelle est adjointe, du côté sud, une petite basilique à trois nefs. Une cour s’étendait au sud. Au nord, un atrium ouvrait par trois accès monumentaux sur l’axe principal de part et d’autre duquel s’organisait la vie économique et sociale de la cité : le Décumanus Maximus. Cette cour à péristyle assurait le lien entre l’extérieur et le portique du narthex situé devant la façade ouest du monument. Ce dernier présente un espace central octogonal et un déambulatoire inscrits à l’intérieur d’un bâtiment de plan carré aux angles pourvus d’absides. La description des ruines et des divers éléments trouvés en cours de fouille permet de mieux comprendre l’organisation spatiale et liturgique de cet édifice qui entretient de toute évidence une relation étroite avec le culte des reliques. Les archéologues ont mis au jour, dans la partie est de l’octogone central, l’emplacement des reliques du/des martyr(s) vénéré(s), devant une étonnante petite abside axiale à deux degrés plaqués de marbre qui a pu servir de siège, ou peut-être d’autel. Des remaniements montrent qu’à l’endroit de la tombe primitive a été inséré un double reliquaire. L’octogone, accessible par le nord, était fermé par des murets (entre B3 et B4 ; B5 et B6) et des chancels qui laissaient aux fidèles la liberté de contempler cet espace depuis le déambulatoire. Des pôles liturgiques secondaires se sont également développés dans les absides orientales (celles de l’ouest sont trop endommagées pour en faire l’étude). L’exèdre nord-est présente un grand reliquaire en basalte stuqué en forme de sarcophage au pied duquel deux sépultures ont été aménagées dans le sol a posteriori. Ces dernières sont certainement des tombes de « privilégiés » soucieux de reposer au plus près des reliques. La chronologie entre ces différents aménagements n’est cependant pas établie. Notons ici la rareté de ce type de reliquaire dans une province où les petits coffrets sont beaucoup plus courants 1. L’abside sud-est, fermée par un chancel, se distingue quant à elle par la présence d’une petite colonne hexagonale qui pourrait être assimilée à un cippe 2. Par ailleurs, deux mortaises aménagées dans le seuil du chancel permettent de restituer une table disposée contre la clôture. La question de l’évolution de ces dispositifs n’est pas posée, mais il est possible d’envisager, sans que cela puisse être toutefois vérifié, qu’une table ait été abandonnée au profit d’une autre dont le cippe hexagonal a pu servir de pied. On connaît par exemple le remploi d’un cippe en pied d’autel dans l’église n^o 1 de Hayyan al-Mushrif 3. Le négatif laissé dans le pavement dans la partie centrale de l’abside pourrait indiquer la place initiale de cette table. Les faits sont exposés avec soin par l’auteur mais on regrette l’absence d’une analyse approfondie sur la signification et la chronologie de ces différents aménagements liturgiques dans le contexte régional. La fonction des absides, proche de celle des absidioles latérales parfois associées au culte des martyrs dans les basiliques d’Arabie, aurait pu être développée à cette occasion. En outre, une discussion autour de certains dispositifs tels que le reliquaire double, l’abside axiale, la colonne située à l’arrière, ou encore la situation peu commune de l’ouverture percée dans le mur oriental aurait été bienvenue. On relève également l’alignement de tous ces éléments avec le narthex et la porte ouest, qui souligne l’axe ouest/est du monument, par contraste avec l’accès à l’octogone central uniquement possible par le nord dans la direction de l’atrium qui ouvre sur le decumanus 4. Traiter plus avant ces divers aspects aurait profité à l’ouvrage, mais cette abstention tient sans doute au choix de l’auteur de se borner aux faits archéologiques recueillis sur le terrain sans se livrer à une étude plus vaste.

• 5 Le monument s’inscrit dans la mouvance des martyria de forme octogonale qui se diffusent essentiel (...)
• 6 Le monument n’est pas sans évoquer le martyrion de saint Philippe de Hiérapolis, en Phrygie, qui p (...)

5Aucun témoignage épigraphique ne précise la date de cet ensemble ecclésiastique. La datation de la construction de l’église octogonale, située par les fouilleurs au cours du vi^e s., est fondée sur le matériel découvert dans la petite basilique mitoyenne (Stratum I.ivd) qui permet de placer son adjonction entre la fin du vi^e s. et le début du vii^e s. Bien qu’aucun élément déterminant n’indique que l’église à plan centré ne soit pas antérieure au vi^e s. 5, la date proposée paraît tout à fait vraisemblable compte tenu des caractéristiques architecturales et ornementales évoquées par l’auteur. D’un point de vue du plan, l’un des parallèles intéressants à souligner est celui du sanctuaire Saint-Georges à Ezraʿ, bâti en 515, caractérisé par un monument carré à l’intérieur duquel est inscrit un octogone central, un déambulatoire et des absidioles aux angles. Le martyrion octogonal de Césarée Maritime, élevé autour de 500, présente également des similitudes avec le monument centré de Gadara en raison de son inscription complète à l’intérieur d’un plan carré, de son espace central octogonal et de sa petite abside axiale 6.

• 7 AnTard 4, 1996.
• 8 J.-L. Biscop & J.-P. Sodini, « Travaux à Qalʿat Semʿān », Actes du xi^e congrès international d’arc (...)

6Une étude comparative entre différents monuments de cette catégorie aurait sans doute permis de préciser le courant auquel appartenait le complexe de Gadara. C’était aussi l’occasion de rouvrir le dossier des « églises doubles » qui suscite aujourd’hui encore de nombreuses discussions. On s’étonne d’ailleurs de ne pas voir mentionné dans la bibliographie l’important dossier paru dans Antiquité Tardive 4 à ce sujet, qui avait souligné la variété de ce type de complexes ecclésiastiques 7. Quoi qu’il en soit, cette étude apporte son lot d’informations sur le développement de cette catégorie de sanctuaire dont l’organisation et la fonction diffèrent selon les nécessités liturgiques et les priorités purement pratiques. Ici, le programme de départ ne prévoyait pas deux églises. Le monument octogonal, privé des attributs indispensables à la célébration de la synaxe eucharistique, a dans un premier temps été spécifiquement conçu pour l’accueil des pèlerins désireux de commémorer la mémoire du/des martyr(s) vénéré(s). L’organisation des espaces adaptés à un système de circulation fluide, l’absence de dispositifs liturgiques et la présence d’un tombeau central ne laissent pas de doute sur la fonction martyriale du monument. Plus tard, une petite basilique adjointe au martyrion répond au besoin de célébrer l’eucharistie aux côtés des reliques. À l’inverse du martyrion d’Ezraʿ qui fait la synthèse des deux caractéristiques en associant au sein d’un seul monument l’octogone à une véritable abside flanquée d’annexes, l’évolution de l’ensemble ecclésial de Gadara se fonde sur deux édifices aux fonctions complémentaires. L’adjonction d’une basilique à un édifice de plan centré n’est pas inconnue dans le monde paléochrétien. Le complexe baptismal de Qalʿat Semʿān connaît notamment un développement analogue : quoique différent par sa fonction, le monument de plan octogonal inséré dans un carré est doté peu de temps après, du côté sud, d’une basilique destinée aux nouveaux baptisés qui y recevaient, semble-t-il, la communion 8. On notera au passage l’absence de baptistère associé au complexe ecclésial de Gadara qui joue habituellement un rôle majeur à côté du martyrion dans ce type de sanctuaire.

• 9 Th. Weber, Gadara - Umm Qes I, Gadara Decapolinata: Untersuchungen zur Topographie, Geschichte, Ar (...)

7Ainsi, cet ensemble ecclésiastique s’ajoute aux quatre autres recensés sur le site, dont l’un comprenait une église à cinq nefs qui jouait déjà le rôle de memoria 9. Malgré l’étonnant silence de l’anonyme de Plaisance, qui passe par Gadara en 570 sans relever un quelconque intérêt de la cité pour les pèlerins, les vestiges archéologiques ne laissent guère de doute quant à l’importance de celle-ci comme lieu de pèlerinage au cours de la période protobyzantine.

• 10 Th. Weber, ibid. n. 9, p. 319-320.

9Le chap. vi concerne les secteurs IV et V situés plus à l’ouest, au niveau du Decumanus Maximus, à environ 450 m des vestiges précédemment évoqués. Les résultats de ces travaux effectués de part et d’autre d’une route de campagne moderne sont l’occasion de compléter les observations réalisées dans le premier tome 10. Des murs mis au jour sous le decumanus ont pu être datés du i^er s. apr. J.-C. au plus tard, à l’image du mur d’enceinte, de la porte et du decumanus. Le stylobate et la chaussée pavée de dalle de basaltes ont certainement appartenu à un programme de construction commun qui s’est déroulé entre le iii^e s. et le début du v^e s., comme l’indique le matériel associé aux fondations de la rue. On relève également les trottoirs, particulièrement large (3,50 m) par rapport à la chaussée (6 m), qui rappelle une disposition observée dans la grande colonnade d’Apamée pourvu de trottoirs au cours de la période byzantine. Enfin, le septième chapitre clôt la partie de l’ouvrage consacré aux observations de terrain en évoquant très brièvement des fouilles réalisées dans le secteur VI associé à l’hippodrome. Les travaux effectués à cet endroit tendent à confirmer que l’hippodrome en question n’a jamais été terminé.

• 11 J.-P. Sodini, « Saint-Syméon, lieu de pèlerinage », Deltion of the christian archaeological societ (...)
• 12 J.-C. Balty, CVRIA ORDINIS. Recherches d’architecture et d’urbanisme antiques sur les curies provi (...)

11Le dossier consacré à l’étude de la céramique, au chap. xii, est particulièrement épais (p. 70-161). La méthode utilisée par l’auteur au cours de cette étude, exposée en préambule, consiste à étudier la variété des formes, des couleurs et la composition des pâtes afin de dresser une typologie précise. Les quantités de tessons retrouvés selon les différentes zones fouillées et leur place dans la stratigraphie sont naturellement indiquées pour chaque période, depuis l’âge du Fer jusqu’à l’époque mamelouke. L’exercice, fondamental à toute entreprise archéologique, permet d’établir la chronologie de chaque secteur et de rendre compte de la diffusion et de la variété des types de céramique, importés ou locaux, de la cité de Gadara. L’ensemble est parfaitement illustré par une série de planches qui expose les formes les plus significatives par type et par période. L’analyse est complétée par l’appendice 4 qui permet de replacer aisément les formes dessinées au sein de leur unité stratigraphique. Cette étude constitue donc un précieux document de référence. L’analyse technique très détaillée des tuiles exhumées au cours des fouilles, réalisée par J. Dijkstra au chap. xiii, est particulièrement intéressante en ce qui concerne la couverture du monument octogonal. Elle permet de restituer un toit à plusieurs pans, semblable à celui de Qalʿat Semʿān 11, mais qui se différencie de celui-ci par les quatre appentis au niveau du déambulatoire et des absides d’angle. L’étude est appuyée par des tableaux, des statistiques et des plans qui montrent la distribution de tuiles découvertes sur l’ensemble de la surface fouillée. L’auteur observe à juste titre la rareté de ce type d’analyse qui livre pourtant d’importants résultats non seulement sur les modes de couverture utilisés, mais aussi sur l’ampleur de la production locale par rapport aux importations de matière brute depuis les régions voisines. À ce dossier s’ajoute, au chap. xiv, un catalogue des lampes à huile issues des secteurs étudiés, dans lequel est indiqué le type d’objet, son descriptif, sa datation et les références bibliographiques correspondantes. I. Kehrberg nous livre ainsi une analyse technique pertinente des différentes catégories de lampes répertoriées à Umm Qēs. L’auteur souligne notamment un taux assez faible d’importation au profit d’une production locale. De leur côté, les verres font l’objet de l’attention d’O. Dussart. Les trois pages (p. 196-197) qui leur sont consacrées, illustrées par plusieurs planches graphiques, donnent un bon aperçu des diverses catégories de récipients mis au jour. On note en particulier, pour le secteur I, les lampes et les verres à pied, fréquents en Palestine au cours des v^e et vi^e s., mais aussi les poignées tubulaires souvent présentes dans les églises protobyzantines. Cette étude est complétée par celle de D. Keller qui procède à l’examen des objets en verre exhumés au cours de la campagne de fouille de 1997, dans le secteur situé entre le narthex de l’église octogonal et ce qui a été identifié comme le théâtre romain, mais qui pourrait être, selon J.-C. Balty, un bouletérion 12. Le matériel enregistré, composés de récipients, de lampes et de vitres de fenêtre de forme rectangulaire ou circulaire, est essentiellement lié à la basilique. Celui-ci, étudié par unité stratigraphique, montre une transition plutôt lente entre la période byzantine et la période omeyyade. L’absence de matériel abbasside coïncide avec la fin de l’occupation du secteur au cours du viii^e s. Enfin, l’ultime chapitre de l’ouvrage est consacré à l’une des dernières phases d’occupation du secteur I, représentée par deux types de fours à pain retrouvés in situ : le tannūr et le tābūn. Ces témoignages de la vie quotidienne à l’époque mamelouke sont l’occasion de clore cette étude sur les vestiges d’un passé dont l’écho résonne encore aujourd’hui dans bon nombre de foyers de la région.

• 13 Sur la question de la relation entre les rues à colonnades et les sanctuaires de pèlerinages, voir (...)

12L’ouvrage de Karel J. H. Vriezen et de Ute Wagner-Lux est remarquable à bien des égards. On se félicite en effet de voir publier cette belle monographie des églises dites « jumelles » de Gadara qui offre une documentation importante, tant par la qualité de travaux menés sur le terrain que par l’analyse des données recueillies à l’issue des fouilles. On salue également la sobriété de la présentation et des relevés qui gagnent ainsi en clarté, mais aussi le peu de restitutions en trois dimensions, peut-être trop usitées dans certaines études récentes au détriment de plans et d’élévations qui laissent moins de place à l’interprétation. Ces travaux donnent ainsi l’occasion d’observer la façon dont se développe un lieu de pèlerinage au sein du paysage urbain de Gadara, et la relation entretenue par celui-ci avec un élément fondamental de l’urbanisme antique tel que la rue à colonnade 13. Nous disposons là d’une solide publication qui vient enrichir de la manière la plus satisfaisante nos connaissances sur les mutations qui s’opèrent dans une ville gréco-romaine à l’heure du triomphe du christianisme.