• 1 Mission 15 : route Antioche-Lattaquié, série 61, n^os 5-6 (fonds CNRS, UMR 7041 ArScAn).

1L’étude d’un couple de photographies aériennes verticales stéréoscopiques d’un survol militaire effectué le 6 juin 1932, à 4 500 m d’altitude, sur le parcours de la nouvelle route reliant Antioche à Lattaquié, nous a conduits à repérer ce qui semble être les restes de vestiges antiques (A) situés dans les environs de Daphné 1.

• 2 Leblanc et Poccardi 1999.

2Sur la photographie, on voit la route d’Antioche à Lattaquié et l’agglomération de Daphné avec le théâtre au nord-ouest et le stade olympique à l’est (fig. 1 et 2) 2. Au nord-est du cliché, on repère une structure (A) de plan plus ou moins carré, axée selon les points cardinaux. Le côté ouest (a1-a4) de ce carré, de tracé concave et convexe, présente quatre redans, dont trois matérialisés par des pierriers, qui pourraient être les restes d’un système défensif. La longueur de ce côté est d’environ 485 m, il domine un wadi (w1) dont le cours, axé nord-sud, est relativement rectiligne et assez profondément creusé. Le côté oriental (a2-a3) est difficilement lisible sur sa partie méridionale, car il est perturbé par la présence d’un village (v) à l’habitat assez dense. Ce côté mesure lui aussi approximativement 485 m. Les côtés nord (a1-a2) et sud (a3-a4), plus facilement repérables, mesurent respectivement 360 m et 420 m environ.

• 3 Downey 1961, fig. 13 : voir aussi cliché n^o 1644 – « Daphne to Antioch aqueducts crossing a valley (...)
• 4 Wilber 1938 et Leblanc et Poccardi 1999.

4En (B), on identifie des piles ruinées et un pont destiné à franchir le wadi (w4), résultat de la confluence des wadi (w2) et (w3) profondément encaissés dans la montagne. En complément, l’utilisation d’une autre photographie permet de préciser ces données (fig. 3) 3. Sur les deux images on repère un cirque naturel (C), ce qui nous permet de les caler l’une par rapport à l’autre. Dans le prolongement des piles ruinées, on voit la trace de l’aqueduc correspondant à (B, a3) de notre dessin, que nous pouvons suivre jusqu’au village. La structure (A) se trouve environ à 800 m à l’est de la route Antioche-Lattaquié, à 1 900 m à l’est du théâtre et à 1 200 m au nord-est du stade olympique 4.

• 5 Chapot 1907, p. 345, fig. 20.

6On sait combien, à l’époque romaine, Antioche, qui servait de quartier général aux armées romaines en Orient, a été concernée par les guerres contre les Parthes et les Sassanides : cela pourrait justifier la présence d’un camp militaire. En outre, par son étendue, la structure (A) est comparable à l’emprise du camp militaire de la III^e legio Cyrenaica à Bosra qui est d’environ 16 hectares. On peut également citer à titre de comparaison, plus près d’Antioche, le camp militaire situé entre Cyrrhus et Nicopolis (actuelle Ismaliyé en Turquie)5. Toutefois, identifier notre structure avec un camp romain serait téméraire, car aucun témoignage textuel ne signale l’existence d’un tel camp dans le secteur Antioche-Daphné.

• 6 Lenoir 1999.

7En revanche, l’existence d’un palais impérial à Daphné est signalée par plusieurs auteurs antiques. La ressemblance morphologique, repérable sur les images aériennes, entre camps militaires et résidences palatiales s’est déjà rencontrée en Orient : par exemple, dans le cas de Dumayr, au sud de la Syrie, jadis interprété comme un camp romain du limes oriental, M. Lenoir a démontré qu’il s’agissait plutôt d’un ensemble palatial 6. Les deux fonctions, au demeurant, ne sont pas sans relation : Antioche, comme capitale de l’Orient romain, a été pour de nombreux empereurs un lieu de séjour, utilisé dans un premier temps uniquement comme lieu de rassemblement des armées romaines dans le cadre des guerres contre les Parthes et les Sassanides, puis comme résidence impériale plus ou moins permanente, de la Première Tétrarchie jusqu’à la fin du iv^e siècle.

• 7 Justin, Epitoma Historiarum philippicarum Pompei Trogi, 27, 1, 4-7.

8Dès l’époque hellénistique, une résidence royale est signalée à Daphné, sur laquelle nous n’avons cependant que peu d’informations 7.

• 8 Tacite, Annales, II, 73, 4.

9On note aussi qu’en 19 de notre ère Germanicus est mort à Daphné et que son corps fut brûlé sur le forum d’Antioche, mais cela ne peut attester l’existence d’une résidence spécifique pour les princes dans le faubourg 8.

• 14 Libanios, Or. I, 121, et Évagre le Scholastique, Histoire ecclésiastique, II, 12.
• 15 Libanios, Or. XI, 206, et Théodoret de Cyr, Histoire ecclésiastique, IV, 26. À propos de la relati (...)

14Entièrement reconstruit sous l’empereur Dioclétien, il s’agissait de la résidence officielle du souverain lors de ses séjours à Antioche. Il était doté de divers bâtiments administratifs et d’un parc entouré d’une enceinte 14. Aucune trace de ce complexe ne nous est parvenue. Toutefois, nous savons par les sources antiques qu’il se situait dans l’île dénommée à l’époque « Kainè (polis) », plus précisément au nord de cette île, entre le bras extérieur de l’Oronte et l’hippodrome, à l’est de ce dernier, auquel il était probablement accolé 15. Si nous considérons que l’hippodrome, long de plus de 500 m, bordait un côté du palais et que celui-ci occupait un quart de la superficie de l’île, nous pouvons estimer que le complexe d’époque tétrarchique s’étendait sur environ 25 hectares.

• 16 Voir note 10.

15À la différence du palais d’Antioche, celui que les textes mentionnent à Daphné n’avait pas de fonction administrative. S’il faut bien l’identifier à notre structure A, il devait avoir, en plus de sa fonction de résidence, un lien particulier avec les concours olympiques du fait que les deux complexes étaient peu éloignés et situés à l’est de la route Antioche-Laodicée, en périphérie du faubourg. Il est probable aussi que le palais était fréquenté lors des cérémonies liées au culte oraculaire d’Apollon 16.

• 17 Hébrard, Diehl et Jéquier 1912.

Le palais de Dioclétien à Split-Spalato, construit pour sa retraite politique après son abdication en 305, n’avait donc pas de fonctions administratives. Il était délimité par une enceinte de plan plus ou moins rectangulaire d’une superficie de 4 hectares environ 17.

• 18 Srejovic, Lalovic et Jankovic 1978 (fig. 5) ; Srejovic 1983-1984 ; Duval 1987 ; Srejovic et Vasic (...)

Le palais de Galère à Gamzigrad-Romuliana était ceint par un rempart de plan rectangulaire et couvrait une superficie de près de 6 hectares 18.

• 19 Pisani, Sartorio et Calza 1976.

Quant à celui de Maxence sur la via Appia, il était lié à un hippodrome, mais on ne connaît pas son extension exacte 19.

• 20 Strabon, Géographie, XVI, 2, 4.

18La présence d’un palais impérial officiel à Daphné, bien attesté par les sources écrites, n’est pas surprenante. Dès la fondation d’Antioche, Daphné connut une importante renommée liée à la présence du sanctuaire oraculaire d’Apollon, faisant même dire aux contemporains qu’Antioche était près de Daphné 20. Comme sa métropole, Daphné possédait un théâtre ainsi qu’un stade olympique, ce qui montrait son statut particulier. Ce dédoublement constitue une originalité, peu connue ailleurs, confirmant l’importance du statut de Daphné. La présence d’un complexe palatial entre dans cette logique. Le palais impérial renforce le rôle de Daphné comme lieu de prestige de la mégapole antiochienne.

• 21 Daphné near Antioch, lithographie imprimée sur cuivre par A. Ortelius (1527-1598) à Anvers : voir l (...)

20Chose amusante, de la Renaissance jusqu’à l’époque moderne, Daphné a été l’objet de restitutions imaginaires de la part d’érudits européens. Sur l’une d’entre elles 21, reproduite dans l’article de G. Meyer, nous remarquons une petite agglomération à l’italienne avec un grand temple, une église, des maisons et… un palais entouré d’un parc. En arrière-plan, on peut voir la ville d’Antioche, l’Oronte, le mont Cassios et le port de Séleucie de Piérie. Le palais italien représenté sur le dessin serait-il une évocation du palais de Daphné étudié dans cet article ?