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Analyser un silex, le façonner à nouveau ?

Sur certains usages de la chaîne opératoire au Paléolithique supérieur
Damien Pesesse
p. 74-77

Notes de la rédaction

En ligne : retrouver l’article complet sur journals.openedition.org/tc : Techniques&Culture 71 « Technographies » :https://journals.openedition.org/tc/11098

Texte intégral

Image d’ouverture.

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Objets en silex, la Vigne Brun, Loire, Gravettien, 28 000 BP. Échelle 1/1.

© D. Pesesse

1Le préhistorien Damien Pesesse publie dans la version en ligne de ce numéro une réflexion critique sur l’usage du concept de chaîne opératoire dans les études lithiques francophones. Techniques&Culture a souhaité clarifier avec lui les raisons et les enjeux de sa contribution.

Qu’est-ce qui vous a amené à cette réflexion critique ?

D’abord, rendre compte de notre engagement physique avec les choses, rendre compte du décalage entre ce que les objets font et le rôle qu’ils sont censés tenir pour le chercheur. Montrer qu’en manipulant avec délicatesse ces petits objets, on manipule simultanément bien d’autres choses : l’idée d’un passé autonome, l’objectivité… Si l’on veut bien envisager que les objets archéologiques ont fait bien plus que remplir une fonction, alors cela concerne également notre propre rapport aux objets.

Ensuite, dans la discipline, une différence très nette entre passé et présent est envisagée. Or, il semble que depuis cette position, nous projetions avec peu de discernement nos propres catégories dans le passé. La critique de l’article ne porte donc pas sur la chaîne opératoire dans ses fondements, mais sur les valeurs qui sont transférées dans le passé sous couvert d’objectivité, à travers cet outil. Cette prétendue neutralité axiologique attribue ainsi aux populations du passé le fait d’avoir atteint ou non la modernité, d’être simples ou complexes ; elle érige aussi l’économie comme mesure universelle. C’est contre cette forme particulière du « réel », qui dériverait de la seule observation et du bon sens, que je me positionne. Finalement, c’est pour limiter la porosité entre le passé et le présent qu’il faut prendre conscience de leur interpénétration. La question devient alors : quels passés sommes-nous en train de produire ?

Avez-vous partagé ces réflexions avec vos collègues préhistoriens ? Quelles sont leurs réactions ?

Très variées. Les préhistoriens sont très attachés à la chaîne opératoire qui garantit toute la démarche, moi aussi d’ailleurs. Certains me demandent si je souhaite abandonner l’usage de cet outil et ce que je propose à la place. Certains se demandent s’il est applicable à d’autres faits techniques car il leur semble trop rigide.

Les réactions varient en fonction des générations de chercheurs. Pour celles et ceux qui ont formalisé cette démarche en préhistoire, la nécessité de préciser la fonction-outil semble superflue. Avec eux, la discussion porte alors plus sur la manière d’envisager l’existence de cultures implicitement contenues dans ce passé a priori autonome. Depuis les années 1990, la chaîne opératoire s’est « naturalisée ». Elle est envisagée comme un acquis qui ne serait plus à discuter, alors même que des critiques ont été formulées outre-Atlantique.

Tout dépend donc de la manière dont chacun articule les différents projets que cet outil peut supporter, entre une technologie comparée débridée chronologiquement et géographiquement et une reconstruction des cultures préhistoriques. Ces deux possibilités n’étant pas exclusives l’une de l’autre, l’éventail des usages est donc vaste. C’est cette diversité qu’il convient à présent d’expliciter.

En science, il est notoire que le dispositif analytique pèse sur la nature des résultats obtenus. Il ne peut qu’en aller de même de la chaîne opératoire. Or, vous semblez dire que les préhistoriens francophones l’envisagent majoritairement comme un outil neutre et objectif. N’est-ce pas exagéré ?

Exagéré ? La difficulté est de rédiger cet article en tenant compte de la grande diversité des positionnements, d’où l’option choisie de les situer entre deux gradients opposés : fonction-outil et fonction-révélation. Le risque n’est pas l’exagération, mais que cela apparaisse comme un cadavre exquis : tous les éléments sont réels mais personne ne pourrait s’y reconnaître complètement. Pourtant, tout ce qui est écrit dans cet article provient de témoignages directs. Pour certains, la chaîne opératoire existe bel et bien. L’intérêt de la chaîne opératoire est justement d’unifier la discipline en permettant à des positionnements très différents de coexister derrière un outil commun. Cette capacité est reconnue, parfois valorisée. Par contre, si l’on vante cet aspect, il me semble nécessaire d’envisager simultanément quels effets cela produit, de décrire comment cette hétérogénéité agit sur la discipline. Pour cela, distinguer l’outil et le projet est absolument nécessaire.

L’un des projets de la technologie préhistorique « à la française » était d’identifier les intentionnalités des artisans du passé. Ce serait un projet inatteignable selon vous. Ne peut-on vraiment pas se mettre dans la tête d’un tailleur de pierre de la préhistoire ?

L’objectif n’est pas de renoncer à cet autre fantomatique, le tailleur préhistorique, tant il stimule notre lecture. Il nous permet de nous mettre en scène physiquement et mentalement dans les conditions de production des objets, là en testant différents maintiens d’un nucléus contre sa cuisse, là en envisageant les séquences de gestes antérieures ou postérieures à l’objet que l’on tient en main. Les séquences gestuelles décrites sont bien valides dans la mesure où elles sont observées sur l’ensemble d’un corpus, souvent confirmées à partir d’autres assemblages, parfois corroborées par des remontages. Mais cette réalité ne correspond pas à l’intention de l’artisan dans la mesure où il est invraisemblable d’envisager avoir la même compréhension que lui ou elle d’une action. Le terme d’intention est trompeur car si l’on perçoit bien les modalités, certaines finalités, il ne s’agit pas pour autant du point de vue de la personne qui a réalisé telle séquence de gestes. Ce terme soulève de nombreux problèmes car il est associé aux notions de perception et de conscience qui sont rarement débattues par les technologues lithiciens, hormis dans le cadre d’approches cognitivistes. Reconnaître cette impossibilité, permet de ramener le propos sur les séquences de gestes tangibles et de nous situer nous-mêmes dans le processus de production de la chaîne opératoire. C’est pourquoi, en critiquant la possibilité de trouver ce qu’aurait été le point de vue strictement émique, il faut symétriquement critiquer l’idée que nous développerions un point de vue strictement étique sur ces actions.

Dans la dernière partie de votre article, vous pointez la confusion existante entre la chaîne opératoire en tant que processus technique et la chaîne opératoire en tant qu’outil analytique. Comment éviter cette confusion en préhistoire ?

Abandonner l’objectif d’identifier des cultures. On considère souvent la chaîne opératoire dans sa globalité, cherchant le plus mince niveau de détail pour distinguer des ensembles, dans le but notamment de produire la chronologie du paléolithique supérieur. Ce faisant, on valide le fait que le dernier degré du fait est le plus significatif, performant ou légitime pour réaliser des comparaisons. Abandonner l’idée que la chaîne opératoire est déjà là, en attente d’être reconnue, permettrait de reconnaître que toutes les échelles d’analyses sont significatives et donc porteuses d’informations. Cet usage est bien sûr déjà présent, mais n’est pas pleinement développé. À nous de trouver les bonnes questions à poser aux objets et ne plus penser qu’ils contiennent leur propre signification.

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Table des illustrations

Titre Image d’ouverture.
Légende Objets en silex, la Vigne Brun, Loire, Gravettien, 28 000 BP. Échelle 1/1.
Crédits © D. Pesesse
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/11321/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 898k
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Pour citer cet article

Référence papier

Damien Pesesse, « Analyser un silex, le façonner à nouveau ? »Techniques & Culture, 71 | 2019, 74-77.

Référence électronique

Damien Pesesse, « Analyser un silex, le façonner à nouveau ? »Techniques & Culture [En ligne], 71 | 2019, mis en ligne le 12 septembre 2019, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/tc/11321 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tc.11321

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Auteur

Damien Pesesse

Damien Pesesse est préhistorien. Il s’intéresse à la taille des objets en pierre et au rôle du chercheur dans les processus d’analyse.

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