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AccueilNuméros73La lampe, la mouche et le champignon

La lampe, la mouche et le champignon

Observer et expérimenter avec le vivant dans un artefact biomimétique
Lauren Kamili
p. 142-145

Notes de la rédaction

Retrouvez l’article complet sur journals.openedition.org/tc : Techniques&Culture 73 « Biomimétismes. Imitation des êtres vivants et modélisation de la vie » : https://journals.openedition.org/tc/13727

Texte intégral

Ce projet a obtenu le soutien du CNRS à travers la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI).

Image d’ouverture.

Image d’ouverture.

Dessin © Arthur Sevestre

Imaginons une chambre d’enfant plongée dans le noir. Il se fait tard, les parents ont éteint les lumières, l’enfant doit déjà dormir à poings fermés. Mais le petit lit est vide et les draps sont défaits. L’enfant est à côté, agenouillé, ses mains agrippées à la table de chevet, sa tête légèrement penchée, attentive. Ce n’est pas dans la lecture d’un livre sur les insectes ou les dinosaures qu’il est plongé, à peine éclairé d’une lampe torche comme tant d’enfants le soir venu, mais dans la contemplation d’une lampe même. Une faible lumière verte en émane, qui repousse à peine l’obscurité alentour mais captive l’enfant comme une lanterne attire un insecte. C’est une grande bulle de verre posée sur un épais socle en frêne, et dont la partie supérieure, plus étroite, est fermée par un couvercle fait du même bois. Le léger halo smaragdin laisse deviner un renfoncement sur un des côtés, surmonté d’un bouchon de bois. Il s’agit d’un objet tout en courbes, en lignes douces, du renflement de la bulle aux arrondis des pièces de bois, et parfaitement clos : un cocon de verre. Aucun fil électrique ne s’échappe de cette lampe qui ne contient aucune ampoule. D’où provient alors cette lumière émeraude qui accroche et fait briller le regard de l’enfant?

1Approchons-nous. Il faut un peu plisser les yeux pour distinguer ce qui se cache derrière cette aura baroque : des champignons, plusieurs pieds, beaucoup de chapeaux, accrochés en grappes à des petits rondins de bois, des formes tordues dressées. La bioluminescence de Panellus stipticus s’étend dans son mycélium, recouvrant d’un tapis vert une bûchette qui brille entièrement d’un éclat de jade, elle se propage dans les pieds de ses carpophores, et jusque dans leurs lamelles – les chapeaux restent irrémédiablement éteints. La luciférine, une protéine, et la luciférase, une enzyme, présentes dans le champignon forment un complexe en se rencontrant, qui réagit à l’oxygène en émettant des photons et du CO2, illuminant la bulle d’une myriade de points verts.

1. Panellus stipticus

1. Panellus stipticus

Une des 80 espèces de champignons bio-luminescents connus jusqu’ici

© Helena Amalric / Romaric Nivelet

2Mais le champignon n’est pas seul, et l’enfant qui scrute l’intérieur de sa veilleuse observe soigneusement le ballet qui s’y déroule. De toutes petites mouches virevoltent dans la bulle, elles se posent de temps à autre sur un chapeau, sur une des bûches ou sur les parois de verre, avant de s’envoler encore pour atterrir sur un autre carpophore. Elles frottent leurs pattes arrière et avant pour les épousseter, font trois pas, agitent leurs antennes par lesquelles elles captent les odeurs et goûtent l’air ambiant. Certaines d’entre elles pondent ; leurs œufs deviennent de minuscules larves qui mangent les bûchettes de chêne et les décomposent petit à petit. Le champignon profite de cette activité de digestion de son monde qui lui permet d’accéder plus facilement aux nutriments du bois en produisant sa bioluminescence, dont la raison d’être est encore un mystère aux yeux des scientifiques. L’enfant imagine que les champignons lancent ainsi des signaux à ses compagnes drosophiles, qu’ils travaillent ensemble pour faire de la lumière.

3L’enfant ne fait pas que contempler cet écosystème qui se déploie dans son écrin en verre : il tapote la paroi, ouvre le bocal et se penche jusqu’à plonger la tête dedans ; il tend une main, un doigt, touche le champignon, tente de saisir sa lueur étrange. Il lui a donné à manger récemment, en versant de la sciure dans la bulle. Il sait qu’alors sa lumière sera plus intense. Il sait aussi quand le champignon brille le plus fort, quand il est encore jeune, avant de vieillir. Il a observé, il connaît cet objet et ses habitants : il a appris. Depuis trois ans déjà le champignon et ses drosophiles vivent dans sa chambre. Le jour, il s’en occupe, le nourrit et étudie les petites mouches, mais il faut la nuit pour que se révèle enfin sa lumière qui protège du noir et éloigne les cauchemars.

4Pour Timothy Morton, « ce qui explique le mieux la conscience écologique, c’est un sentiment d’intimité, et non un sentiment d’appartenance à quelque chose de plus grand : le sentiment d’être proche, voire trop proche, d’autres formes vivantes, de les avoir sous la peau » (2013 : 139) (T. D. A.). La lampe champignon suscite la fascination pour des êtres vils, communs, méprisés, que l’enfant, ravi, a appris à connaître, à soigner et à aimer. Elle peut alors devenir le support d’un apprentissage écologique et de relations interspécifiques tissées dans l’obscurité d’une chambre d’enfant. Pour comprendre comment cette lampe est arrivée là, il nous faut entrer dans l’atelier de sa fabrication et détailler les savoirs et les savoir-faire artisanaux et scientifiques déployés, retracer la démarche biomimétique à l’origine de ce projet, des observations et interrogations qu’elle a supposées à la construction d’un écosystème miniature, depuis la toute première question : et si les champignons faisaient de la lumière ? Et si on pouvait faire des lampes avec des champignons ?

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Bibliographie

Morton, T. 2013 Hyperobjects : Philosophy and Ecology after the End of the World. Minneapolis : University of Minnesota Press.

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Table des illustrations

Titre Image d’ouverture.
Crédits Dessin © Arthur Sevestre
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/13766/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 266k
Titre 1. Panellus stipticus
Légende Une des 80 espèces de champignons bio-luminescents connus jusqu’ici
Crédits © Helena Amalric / Romaric Nivelet
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/13766/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 196k
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Pour citer cet article

Référence papier

Lauren Kamili, « La lampe, la mouche et le champignon »Techniques & Culture, 73 | 2020, 142-145.

Référence électronique

Lauren Kamili, « La lampe, la mouche et le champignon »Techniques & Culture [En ligne], 73 | 2020, mis en ligne le 30 juin 2020, consulté le 03 octobre 2023. URL : http://journals.openedition.org/tc/13766 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tc.13766

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Auteur

Lauren Kamili

Lauren Kamili est doctorante en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des hautes études en sciences sociales et diplômée d’un master en Politique environnementale de Sciences Po Paris. Ses travaux de thèse, financés par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, portent sur les pratiques et les représentations du biomimétisme en France, et se concentrent en particulier sur l’ethnographie d’un laboratoire de chimie bio-inspirée et d’écologie.

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