Hôpital / infirmières en détresse
© A. Jeanjean
Ces quarante dernières années, plusieurs réformes allant du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) à la Tarification à l’activité (T2A) ont profondément transformé l’hôpital public français. Les stratégies d’optimisation du budget et de rentabilité, s’appuyant sur la mise en œuvre du nouveau management public, ont généré une pénurie chronique d’équipements et de moyens humains. La gestion et l’idéologie managériale ont pris le dessus sur les « valeurs soignantes ». Des personnels hospitaliers ont régulièrement battu le pavé pour dénoncer les sous-effectifs, la suppression de lits, la tarification à l’acte, la non-revalorisation des salaires. Ils ont aussi protesté contre les réformes du Travail et des Retraites.
1En mars 2020, l’épidémie de Covid-19 a mis en exergue cette fragilisation de l’hôpital. Abîmés physiquement et psychologiquement par la pénurie de moyens à laquelle ils ont dû faire face quotidiennement et dans l’urgence, indignés par la faiblesse et l’inadéquation des réponses gouvernementales, parfois contradictoires, soignantes et soignants sont retournés dans la rue dès la fin du confinement, entre douleur et colère.
2Depuis le 26 mai, nous participons aux « mardis de la colère des blouses blanches », dans plusieurs villes du sud de la France. Prenant la métonymie au pied de la lettre, nous concentrons notre attention sur les blouses. Tout à la fois « outils » (Sigaut 2007), « protection et parure » (Leroi-Gourhan 1945), « objets de communication et systèmes » (Barthes 1967), les tenues de travail articulent, à la façon du langage, société et individus, codes et usages, statuts professionnels, classe, genre (Monjaret 2011), etc. Celles que portent les personnels hospitaliers s’ancrent dans l’histoire des institutions de santé. Bien que le blanc domine, leurs couleur et coupes varient selon les missions, les services, les statuts et les fonctions : blouses ou tuniques, accompagnées ou non de pantalons, calottes, surchaussures, masques, gants… En coton, nitrile, vinyle ou latex, elles peuvent être jetables, anonymes ou nominatives. Propriété de l’État, leurs usages sont soumis à des règles strictes qui reflètent l’ordre hospitalier. Il est toutefois des pratiques plus ou moins individuelles, qui expriment des appartenances collectives, des points de vue sur l’hôpital, le travail, le soin, les patients.
3Hors les murs, les identités des blouses dites blanches sont recomposées, les règles d’hygiène transgressées. Le nitrile côtoie le coton, les blouses sont portées avec des chapeaux à fleurs : la tenue de bloc opératoire s’installe en terrasse, se porte à vélo ou en trottinette. Les tuniques restent immaculées ou bien sont couvertes d’écritures temporaires ou indélébiles. Certaines arborent le nom de la personne qui la revêt, d’autres le masquent avec du scotch, du sparadrap, des autocollants de la CGT… Tout est (presque) possible et tout fait sens. L’Hôpital est dans la rue.
4En livrant les bribes d’une recherche sur les vêtements de travail en manif, nous saisissons ici l’occasion de glisser quelques paroles d’hospitaliers eux aussi en colère.
« Ne tirez pas sur l’ambulance »
© A. Jeanjean