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2022

Le téléphone mobile, outil et objet de notre vigilance

François Coldefy

Résumés

Nous faisons l’hypothèse que le téléphone mobile est une extériorisation de notre vigilance sensorielle à des relations et à des espaces distants. Vigilance et distraction sont les deux faces d’un même processus physiologique qui nous permet de nous « dé-focaliser » d’une attention trop concentrée, pour des raisons de survie, mais également comme opportunité de distanciation. Plus généralement, le mobile participe au processus d’engagement-distanciation qui traverse les échelles physiologique, individuelle et sociale, élément moteur du processus normatif. Au niveau individuel, il manifeste la capacité de l’individu à être partiellement dégagé de son activité en cours, à être présent et en même temps ailleurs.

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Texte intégral

L’auteur tient à remercier chaleureusement les photographes Patrick Chefson, Maciej Dakowicz, Dominique Delpoux, Florence Doutriaux, Lise Gaudaire et Emmanuel Smague pour avoir accepté la publication de leurs œuvres à titre gracieux. Grand merci à Florence Doutriaux et à Emmanuel Smague pour leur aide et leurs conseils précieux.

Le paradoxe du mobile

1Il y aurait quelque paradoxe à considérer le téléphone mobile comme un outil de notre vigilance. En effet, celui-ci est dénoncé, tout à l’inverse, comme source de notre distraction, de notre perte d’attention : par la vigilance à des espaces et événements distants, le mobile nous invite sans cesse à l’interruption, à la dispersion dans notre activité. Bruno Patino dénonce cette « civilisation du poisson rouge » dans laquelle notre attention ne se focaliserait que 9 secondes tout au plus sur un objet, nous, individus qui serions toujours en manque d’un nouveau stimulus, d’une nouvelle alerte, d’une nouvelle recommandation dont les applications mobiles, nourries des apports des neurosciences, nous abreuvent (Patino 2019). À travers le mobile, se manifeste aujourd’hui une tension devenue plus forte entre l’attention concentrée et la distraction (Citton 2014a), entre le couplage de l’individu à son activité et sa dispersion. L’attention soutenue est volontaire mais peut être également le fruit d’une capture par des piégeages sensoriels et/ou narratifs de l’industrie numérique (Seaver 2018), par son « envoûtement » (Citton 2014b : 49-71), lorsqu’on est, par exemple, happé par la navigation dans un site de presse ou de vente en ligne.

2Jonathan Crary (1999) a montré que cette opposition entre attention focalisée et distraction est une production sociale de l’évolution des relations humaines dans le cadre industriel : alors que la psychologie naissante de la seconde moitié du xixe siècle voyait dans la concentration et la distraction deux régimes associés non contradictoires, la nouvelle organisation du travail a amené à reconsidérer la distraction comme un phénomène particulièrement dangereux dans certains lieux de la chaîne de production, un « relâchement » qu’il fallait conjurer par une attention soutenue et renouvelée.

  • 1 Le concernement est un concept forgé par Gérôme Truc : il désigne cet état qui fait que l’individu (...)

3La fonction de vigilance que tient pour nous le mobile dans notre relation avec des êtres et des espaces distants, apparaît ainsi ambivalente, à la fois veille attentive et dispersion. Support de notre champ relationnel, le mobile nous avertit d’un message, d’une information, d’un besoin de contact, immédiat ou différé, avec des proches, des amis ou des relations moins intimes, par une vibration, un signal sonore ou visuel, parfois différencié, selon la personne qui nous contacte ou publie un message. Il nous rend sensibles, à tout moment, aux événements touchant notre champ relationnel, intime, amical, professionnel ou d’intérêt partagé. Il participe, à travers les médias et les fils conversationnels et d’informations qu’il véhicule, à notre « concernement »1 vis-à-vis d’événements du monde proche et lointain (Truc 2016).

4Dans un ouvrage récent Nicolas Nova (2020) a identifié différentes métaphores prothétiques relatives au smartphone, celui-ci étant considéré à la fois comme prothèse mnésique (les notes, l’agenda, l’enregistrement vocal), cognitive (la calculatrice, le calcul d’itinéraire, etc.) et perceptive (le smartphone utilisé comme périscope en concert pour voir la scène ou encore, comme loupe ou zoom, grâce à la fonction d’agrandissement de la prise de vue).

  • 2 « Je suis plus au repos avec mon portable qui est branché et qui ne sonne pas que sans, et me dire (...)

5Le point sur lequel nous voudrions insister est le rôle aujourd’hui primordial du mobile (devenu smartphone), dans notre état de vigilance, qui nous permet de dormir, de sommeiller ou de « vaquer » à nos occupations tout en étant attentifs aux événements extérieurs, parfois source d’inquiétude ou au contraire de satisfaction ou de contentement2. Cette vigilance est physiologiquement inscrite en nous. Nous la partageons avec bien des êtres vivants : chacun a pu observer la mobilité des oreilles du chat, orientées instantanément vers un bruit soudain alors qu’il est endormi ou, au contraire, qu’il se tient à l’affût ; un oiseau, remuant le sol, alterne entre le grattage de la terre en quête de nourriture et la posture droite et vigile, tout son corps tendu vers la détection du moindre danger. De façon moins visible, concentrés sur une activité physique ou intellectuelle, nous restons malgré tout sensibles au bruit d’une porte qui claque, au coup de tonnerre, à une sirène… Cette vigilance nous alerte du danger qui vient et nous permet de mener nos activités, tout en restant en sécurité, ou apaisés, quant à l’état de notre environnement alentour.

1. Attentions croisées. Games, Echmiadzin, Arménie.

Maciej Dakowicz, 2017.

6La difficulté éprouvée aujourd’hui provient de l’extension de nos domaines d’attention susceptibles de nous alarmer. Certes, le mobile ne nous avertit pas du camion qui arrive à vive allure lorsque nous traversons la rue. En revanche, il nous informe des difficultés ou des événements heureux, vécus par des personnes proches. Dans Le voyageur hypermoderne, Francis Jauréguiberry et al. (2016) ont bien montré le paradoxe de l’homme contemporain : ce dernier est pris dans l’étau de la double contrainte, constituée d’une part, de sa volonté de rupture temporaire, par le voyage, d’avec son champ relationnel en se coupant de ses interactions numériques mobiles, et d’autre part, de l’insupportable situation où il se trouverait de rester hors d’atteinte, au cas où il arriverait quelque dommage à ses proches. Porté constamment sur nous, dans une poche ou dans un sac, le portable est devenu une extension sensorielle de notre relation à des espaces et des êtres distants. Il est en ce sens, une extériorisation de perception et d’action des fonctions relationnelles (outil d’appel, de mise en relation et support de relation) et de vigilance à ces espaces hors d’accès de notre champ sensoriel direct. Selon Michel Lussault (2007), l’espace est un construit social, produit par l’ensemble des moyens matériels et idéels que les sociétés inventent et emploient pour répondre à la question de la séparation et de la distance. Il évolue avec les outils que mettent en place les groupes humains pour faire face à la problématique du champ relationnel proche et lointain. Le mobile, en nous rendant sensibles à ces espaces distants, accompagne cette transformation (les mobilités physiques ont lieu, les uns et les autres se déplacent) et la façonne (grâce au contact potentiellement permanent et multimodal, du mode synchrone de la discussion de vive voix à l’asynchrone du message, au presque synchrone de la messagerie instantanée, le mobile rend plus acceptable la séparation et la favorise) : « L’éloignement d’un proche ou le départ des enfants du foyer familial sont autant d’expériences de séparation qui, dans un monde connecté, ne sont plus vécues de la même manière, les technologies de la communication devenant des outils de gestion de la “bonne distance” » (Lachance 2016 : 114). Comme le remarquent Dominique Boullier et al. (2014b : 170), « le téléphone portable n’apporte pas la présence, il n’apporte pas non plus la communication, il organise la possibilité d’un appel. » Pour chacun, il s’agit dès lors de « veiller à entretenir cette possibilité, en allumant son portable, en se situant dans une zone couverte par le réseau, et en prenant l’habitude de répondre (aux SMS au moins, au tchat mais aussi aux appels) ». La façon dont nous sommes sollicités, la fréquence des échanges et la diversité des sources de ces interactions caractérisent notre couplage aux différents cercles sociaux auxquels nous participons. Boullier et al. (2014b : 172) avaient ainsi déjà noté combien cette « fonction de veille [était] au cœur de ce que le portable rend possible ». Sous le concept de veille, ils désignaient alors, à la fois, la « maintenance » de la relation et des liens faibles, et le « régime d’alerte ».

2. La possibilité d’un appel : posé sur la table, le mobile est visible en cas de message ou d’appel… La cité scolaire Pierre Mendès-France de Vic-en-Bigorre.

Dominique Delpoux, 2019.

7Nous faisons donc l’hypothèse forte que le smartphone est une extériorisation de nos régimes attentionnels. Par régimes attentionnels, nous nous référons notamment à Alain Berthoz (2009), neurophysiologiste, à Jean-Philippe Lachaux (2011), neurobiologiste ou encore à Natalie Depraz (2014), philosophe. L’attention est, nous l’avons vu, communément réduite à la seule concentration, en opposition à la distraction. Tout au contraire, il s’agit ici de considérer la continuité de ces formes attentionnelles, de la focalisation sur une activité, à l’alarme, avec, en position intermédiaire, entre ces deux pôles supposés antithétiques, une attention ouverte, réceptive à ce qui peut advenir, et que nomme Depraz la « vigilance ». La vigilance est « cet état de présence à ce qui peut se produire mais dont on n’a pas le contenu (Depraz 2014) ». Elle relève du « régime d’alerte » qui nous prévient d’un événement inattendu, heureux ou malheureux mais elle permet aussi, dans l’activité de création, « de sortir des rails de la fidélisation, des habitudes, des conventions établies (Boullier 2014a : 99) ». Elle est « ce pas de côté, permettant d’imaginer un tiers exclu, là où la querelle s’enferre dans une alternative binaire » pour proposer « des diagonales, et [ouvrir] l’espace d’une dimension supérieure où les opposés apparaissent complémentaires entre eux (Citton 2014b : 174) ».

  • 3 « When we take a rapid general view of the wonderful stream of our consciousness, what strikes us f (...)

8Dans la suite de cet article, nous développons l’idée que l’attention est fondamentalement variationnelle, qu’elle consiste en des temporalités et des rythmicités multiples reposant sur des sollicitations internes et externes : nous nous fonderons dans un premier temps sur des arguments neurophysiologiques, puis nous nous intéresserons à la construction sociale du sensible (Simmel 2018). Nous essaierons de montrer en quoi le mobile, opérateur de sensibilité, contribue à modifier notre attention sur ses dimensions tant sensorielle que cognitive. Dans une seconde partie, prenant appui sur l’anthropologie existentiale d’Albert Piette, nous formulerons l’hypothèse que le mobile rend plus visible la multiplicité de nos régimes attentionnels et de nos modalités de présence. Nous tenterons de montrer qu’il participe aux mécanismes de couplage et découplage aux sollicitations internes et externes immédiates, aux processus d’engagement et de distanciation sur le temps long de l’activité, aux attachements et détachements normatifs (Boullier 2014a) et plus largement à la mise à l’épreuve des normes (Kaufmann 2001, Canguilhem 2013). À travers le mobile, nous cherchons à illustrer que le processus attentionnel, alternance de « flights and perching3 » pour reprendre une image de W. James, de butinages et de permanences, d’engagement et de distanciation, traverse les échelles physiologique, psychologique et sociale, et serait constitutif du vivant. L’ambivalence sans cesse dénoncée de notre lien au smartphone, entre dépendance addictive et autonomisation, entre capture au long cours de notre attention par les industries et technologies de l’esprit, et l’ouverture aux échanges d’informations et l’amplification de nos capacités relationnelles, se trouverait en réalité mieux décrite si l’on considérait que le mobile faisait partie intégrante de nos régimes attentionnels, à ses différentes échelles temporelles et spatiales, selon qu’on analyse notre vigilance, notre curiosité, ou notre attachement relationnel, sur la durée de la centaine de microsecondes de notre système sensori-moteur ou sur le temps long des activités sociales réparties en des lieux multiples.

3. Régimes d’attention. Guêpiers d’Europe (Merops apiaster).

Patrick Chefson 2017.

4. Régimes d’attention. Guêpier d’Europe (Merops apiaster) creusant son terrier.

Patrick Chefson, 2017.

5. Régimes d’attention. Milan noir (Milvus migrans) en vol.

Patrick Chefson, 2017.

L’argument neurophysiologique

  • 4 L’enaction est l’idée selon laquelle le monde tel que le ressent l’individu est issu des interactio (...)
  • 5 Lachaux utilise le terme de « valorisation » qui nous semble par trop insister sur l’idée d’un résu (...)

9Dans un article synthétique de vulgarisation, Jean-Philippe Lachaux (2011) décrit, au niveau neurophysiologique, les régimes attentionnels de la perception-action, également appelée enaction4 par Francis Varella (1991), comme le fruit des alignements, ou au contraire des désajustements, de trois systèmes neuronaux qui président à l’attention : un premier système fait d’automatismes neuromoteurs pilote de façon préconsciente notre activité sensorielle d’exploration et de perception du monde, comme, par exemple, la saccade oculaire, qui participe, par déplacements successifs, 3 à 4 fois par seconde, à la constitution d’une carte de saillance visuelle qui peut motiver « l’éveil » d’une attention plus consciente ; un second système, dit de récompense, est lié à l’émotion ; c’est un système de valuation5 des perceptions qui, par exemple, anticipe un danger éventuel et peut initier des mouvements moteurs rapides (40 millisecondes) comme le recul brusque à la vue d’un serpent. Le dernier élément, le système exécutif, intervient comme contrôle des activités de plus long terme et permet la focalisation de l’attention ou, à l’inverse, une forme de relâchement. Le système exécutif est sollicité par les deux systèmes précédents, automatique et de valuation, qui peuvent le « déborder » ou au contraire « travailler » de concert avec lui, sous sa supervision, en vue d’une exploration et d’une perception plus focalisée de l’environnement. Les régimes attentionnels s’inscrivent dans un champ de contraintes externes (une modification brusque de l’environnement ou au contraire une grande stabilité) et internes (un « esprit » apaisé ou au contraire inquiet, préoccupé) plus ou moins prononcées, plus ou moins relâchées : ils alternent à des rythmes variables au cours d’une même activité que nous menons. Les « déficits attentionnels » trouvent leur source dans des conflits d’alignement entre ces différents ensembles neuronaux, lorsque les rythmes de ces processus à temporalités multiples ne s’accordent pas, lorsque, l’esprit préoccupé, on pose ses clés sans y « prendre garde », et que par la suite, on sera bien en peine de retrouver. L’attention, selon Lachaux, est ce processus qui permet de pallier l’impossibilité pour le cerveau à prendre en compte le co-perçu de la diversité de notre activité sensorielle. L’attention est inhibition et sélection dans cet espace de perceptions multiples et simultanées. Engagés dans une tâche, nous sommes inattentifs à ce qui n’est pas immédiatement pertinent. Relâcher l’attention, c’est à l’inverse s’ouvrir aux pensées vagabondes, à l’écoute plus ouverte de ce qui advient, quitte à céder ainsi parfois à un autre couplage. L’attention est toujours perception, intention et manière d’agir (Lachaux 2011).

La dynamique de la « perç-action » visuelle, processus multi-échelle, spatial et temporel

10Pour Paul Klee, l’espace polyphonique du tableau, en regard de la polyphonie musicale, repose sur les lignes dynamiques qui attirent l’œil et provoquent son déplacement, sur les mouvements des formes dessinées qui se rencontrent, se traversent ou se cachent ; il résulte également des surfaces colorées qui structurent la toile, par les effets de contrastes chromatiques, à la fois locaux, aux lieux de leur contact, et plus globaux, et des équilibres de tonalités (clair-obscur), perçus à des échelles spatiales et temporelles différentes (le contour, la surface d’une forme, la globalité du tableau). Selon Klee, le geste pictural du peintre est alors en écho du parcours de l’œil du spectateur qui reçoit l’œuvre et la perçoit dans l’intégration temporelle des mouvements de son regard et de son propre déplacement (il s’approche, se recule, se décale par rapport à la toile) : dès lors, la création de l’œuvre et sa réception sont… mouvement.

6. Paul Klee, Das Licht und die Schärfen [La lumière et les arêtes], 1935. Aquarelle et crayon sur papier sur carton, 32 x 48 cm. Zentrum Paul Klee, Bern.

7. Paul Klee, Segelschiffe [Bateaux à voile], 1927. Crayon et aquarelle sur papier sur carton, 22,8 x 30,2 cm. Zentrum Paul Klee, Bern. L’huile sur toile Bateaux à voile croise des triangles de couleur au contour rehaussé de traits noirs, dont les figures solidaires forment une structure composée « de plusieurs instants et de plusieurs mouvements simultanés (combinaison spatio-temporelle des mouvements). Images planes exprimant une mesure à plusieurs temps sur une surface de base animée d’un léger mouvement, rythmées et caractérisées par une polyphonie polychrome » (Klee 1973 : 278), extrait de la légende du tableau (Herschberg Pierrot 2010).

Les rythmes et mécanismes multiples de l’attention

11À l’échelle temporelle plus consciente de l’expérience vécue, celle de la durée plus longue de l’activité, mais aussi celle, soudaine, de la surprise, nous faisons l’hypothèse que le smartphone outille les régimes attentionnels. Cette prothèse attentionnelle s’inscrit dans le processus de perception-action : de façon similaire aux mécanismes physiologiques de l’attention que nous orientons plus ou moins consciemment, lorsque par exemple nous tendons l’oreille à ce qui se dit autour de nous, nous pouvons régler la sensibilité de notre mobile au réseau voix, aux données wifi ou 4G, et spécifier sa capacité à nous alerter, à nous éveiller de notre concentration, en modifiant les modalités de notification, du mode silencieux au mode vibratoire et aux personnalisations des alarmes sonores, en fonction des types d’informations (appels vocaux, messages textes SMS ou fils conversationnels) et de leur origine (identité de la personne émettrice). De même, nous pouvons émettre à distance, grâce au mobile, une variété de signaux et de messages à destination d’autrui.

  • 6 TIC : Technologies de l’Information et de la Communication.

12Dès lors, des sollicitations nouvelles, quotidiennes, plus nombreuses nous assaillent. Outil de notre attention périphérique, le mobile transforme les régimes de notre perception. Certes, ces sollicitations ne relèvent pas toujours, loin de là, de l’alarme vitale. Toutefois un appel, un message parmi cent, parmi mille peut porter une mauvaise nouvelle, et attendre de notre part des actions, une aide, une manifestation d’attention à l’égard d’êtres chers. Dans leurs enquêtes, Nova (2020) comme Boullier (2014b) notent combien les individus éprouvent, selon le régime de la vigilance techniquement outillée, la nécessité d’accéder à tout moment au mobile, par l’attrait de la nouveauté ou à cause de la peur de manquer d’une information (FOMO : Fear of missing Out), certes, mais aussi plus gravement, pour répondre au plus vite à l’alerte, à la mauvaise nouvelle, « au cas où » : « Selon cet impératif, aucune distance entre soi et le terminal n’est supportable » (Boullier 2014b : 408). Le mobile est ainsi placé « dans une poche ou glissé dans un vêtement, très près du corps. » Dès la vibration ressentie, la manipulation du mobile engage, immédiatement, une suite de mouvements corporels : « Tenu à la main ou à proximité, le smartphone donne la possibilité d’un accès rapide qui implique un ensemble de mouvements plus ou moins amples […] qui voient converger le visage et la main » (Nova 2020 : 49). Les enquêtés décrivent ce couplage corporel à leur appareil, au point que, s’ils l’oublient, disent-ils, ils ont « la sensation d’un membre fantôme », ou, quand ils le portent sur eux, dans un régime d’alerte à fleur de sens, ils perçoivent des sonneries, des vibrations fantômes qui n’ont jamais eu lieu. La déconnexion, constatent Lachance et al. (2019 : 153), est alors vécue comme une perte de contact sensoriel avec le monde : « [l’expérience de la connexion] transforme le rapport au monde et à l’environnement de celui et de celle qui, smartphone dans sa poche, vit avec le sentiment et la sensation d’être lié à ces autres potentiellement joignables. En d’autres termes, le détournement des sens (de l’espace présent) ne s’opère pas seulement lorsque l’individu prend son smartphone en main pour en consulter l’écran ou appeler un proche. Un détournement potentiel est toujours effectif à d’autres niveaux, cognitifs et sensoriels, telle une enveloppe recouvrant le corps de l’usager, et donc affectant les sens des individus connectés. C’est pourquoi les discours de ces personnes ayant vécu des épisodes de déconnexion ne sont guère surprenants : à travers la connexion permanente aux TICs6, ils témoignent de cette impression d’avoir été « déconnectés du monde. »

13Comme le soulignent Dominique Boullier et al (2014b : 169-170), la « possibilité d’un appel » est devenue un horizon, pour celui ou celle qui le reçoit mais aussi pour celui ou celle qui l’émet : « Il s’agit là d’un travail collectif de construction d’un horizon d’attente qui fonctionne à la réciprocité des perspectives […] qui conduit certains à ne pas comprendre que quelqu’un n’ait pas de portable ou le laisse éteint ou ne réponde pas aux messages, ou reste injoignable. » Le mobile produit donc au niveau individuel et social des exigences normatives. « Dès lors, des justifications doivent être fournies parfois lorsqu’on ne parvient pas à répondre à temps : “parce qu’il était au fond de mon sac, parce que je ne le trouvais plus dans l’appartement, parce que je conduisais”, etc., toutes explications qui indiquent un défaut de couplage. Mais les interlocuteurs peuvent légitimement s’attendre à un couplage étroit, à une portabilité réellement opérationnelle » constituant désormais, l’univers ainsi nouvellement partagé.

14La disponibilité de soi à autrui à distance, devient donc objet de négociation. Avec le téléphone fixe, restait toujours l’hypothèse de ne pas être présent pour répondre à l’appel : avec le mobile, l’individu est supposé être « branché », « couplé » au monde distant qui le sollicite, lui devant une réactivité sinon immédiate, du moins conforme aux attentes (Boullier 2014b : 176). Une étude menée chez Orange en 2012 sur les usages du mobile en Afrique subsaharienne a confirmé cette tension, chez les nouveaux utilisateurs, provoquée par l’exigence de disponibilité ainsi étendue de la coprésence aux espaces distants : un enquêté de 19 ans a expliqué que lorsque son père lui a acheté son premier téléphone portable et qu’il est tombé sur la messagerie vocale, il était furieux et a demandé à son fils de désactiver cette fonction. « Chez nous [au Mali], si on t’appelle tu dois répondre même si tu dors ou tu travailles. Moi, c’est en France que j’ai appris qu’on doit éteindre les téléphones lorsqu’on travaille ou si on doit se reposer. » De nouveaux outils, comme le téléphone, puis le mobile, apparaissent pour pallier partiellement la séparation et la distance. Dans un premier temps, les exigences relationnelles « habituelles » établies dans un contexte de coprésence, comme par exemple celle relative à la disponibilité de soi à autrui, semblent devoir s’étendre « naturellement » à la configuration distante permise par ces objets techniques. Mais elles finissent par poser problème. De nouvelles pratiques sont éprouvées comme nécessaires, expérimentées puis négociées : la possibilité du découplage, de la déconnexion.

Des régulations individuelles et collectives

  • 7 Le programme ATOLE est un programme de découverte et d'apprentissage de l'attention en milieu scola (...)

15Pour échapper à ce couplage ressenti comme excessif par nombre d’usagers du mobile, la perception et l’attention nécessitent une éducation, un apprentissage. Des nouveaux modes de régulation sont recherchés, expérimentés, mis en place, parfois de façon réglementaire (la tenue en main du mobile par le conducteur automobile a été interdite par le code de la route en 2003 et le kit main libre l’est depuis 2015 ; l’utilisation du mobile par les collégiens dans l’enceinte scolaire a été proscrite en 2018), parfois selon des règles d’usages collectives (les téléphones doivent être éteints dans les salles de spectacle, lors de réunions) ou familiales (pas de mobile à table !) ou encore individuelles (s’imposer des périodes de déconnexion ; ne pas céder à la tentation de manipuler son smartphone alors que l’on est en discussion avec autrui). Sur le plan éducatif, dans un cadre certes qui dépasse largement la question du seul téléphone mobile, des programmes spécifiques d’apprentissage de l’attention sont élaborés, conjointement par des chercheurs en psychologie et en sciences cognitives et des enseignants du primaire et du secondaire. Ils visent à doter les enfants et les adolescents de la capacité à filtrer et sélectionner de façon pertinente, en fonction des contextes, dans le flux incessant des sollicitations auxquelles ils sont soumis, ce qui est important pour eux de ce qui ne l’est pas7.

8. Sollicitations multiples. Cuba, 2019.

Emmanuel Smague.

La construction sociale du sensible ou la construction sensible du social ?

16Mais ces adaptations du sensible à l’environnement ne sont pas nouvelles : elles sont récurrentes depuis plus d’un siècle et demi. Georg Simmel avait lui-même décrit la sur-sollicitation des sens de l’habitant des métropoles par rapport au citadin des petites villes. Dans Les grandes villes et la vie de l’esprit paru en 1903, il analysait comment le citadin des grandes villes apprend des formes de détachement vis-à-vis de l’intensité de son activité sensorielle. Ainsi, le débat contemporain à propos de la sur-sollicitation du mobile, la dépendance de l’individu à ces espaces relationnels et de concernement distants, relève-t-il de l’élaboration d’un nouvel art de vivre avec cet objet technique : comment filtrer, sélectionner et oublier les événements qui nous alertent à travers lui. Face à cette déstabilisation sensorielle et psychique, les tâtonnements individuels et collectifs, en vue d’une adaptation comportementale et attentionnelle, s’inscrivent dans le temps long des transformations sociotechniques, comme le montrent les travaux de Georg Simmel.

17Simmel écrivait ainsi : « La base psychologique sur laquelle repose le type des individus habitant la grande ville est l’intensification de la vie nerveuse qui résulte du changement rapide et ininterrompu des impressions externes et internes. L’homme est un être différentiel, c’est-à-dire que sa conscience est stimulée par la différence entre l’impression du moment et la précédente ; des impressions persistantes, l’insignifiance de leurs différences, la régularité habituelle de leur cours et de leurs oppositions ont besoin de beaucoup moins de conscience que la poussée rapide d’images changeantes, ou que l’écart frappant entre des objets qu’on englobe du regard, ou encore que le caractère inattendu des impressions qui s’imposent. » (Simmel 2018 : 41)

18Simmel décrit alors un citadin des grandes villes assailli, dès sa sortie dans la rue, par des images en perpétuel mouvement. Il soutient alors qu’un tel citadin développe une intellectualisation de sa vie quotidienne, l’intellect devenant un organe de protection contre cet afflux d’impressions sensorielles et affectives permettant de diminuer l’« intensification de la sollicitation de la conscience ». Et Simmel de poursuivre : « Si [dans la grande ville] la rencontre extérieure et continuelle d’un nombre incalculable d’êtres humains devait entraîner autant de réactions intérieures que dans la petite ville […], on s’atomiserait complètement intérieurement et on tomberait dans une constitution de l’âme tout à fait inimaginable » (Simmel 2018 : 53). Simmel développait donc, à l’orée du xxe siècle, l’idée que l’hyperstimulation sensorielle transformait le fonctionnement physique et psychique du citadin, l’amenant à modifier sa conduite et à acquérir de nouvelles compétences, qui, en l’occurrence, pouvaient être ressenties comme asociales, dans un monde moins dense d’activités : intellectualisation des relations sociales, impersonnalité des échanges, caractère blasé du citadin, réserve et distance relationnelle. Il s’agit, pour le citadin, de s’extraire de sa sensibilité, de prendre de la distance par rapport aux stimulations sensorielles pour rester disponible à ce qui importe dans ce nouvel environnement de la méga-cité. « [Cette réserve] produit les distances et éloignements sans lesquels nous ne pourrions tout bonnement pas mener ce genre de vie. » (Simmel 2018 : 55). Simmel avait le projet de développer une sociologie des sens (Simmel 2018), qui interrogerait, dans une boucle de rétroaction dynamique, la construction sociale du sensible et la construction sensible du social. La perturbation attentionnelle que provoque le mobile au quotidien relève de ce même processus.

9. Ernst Kirchner, Scène de rue à Berlin, 1913.

L’accélération du temps ou l’attention déficiente

19Ainsi l’accélération du temps, dénoncée par Hartmut Rosa (2013), peut-elle être comprise comme un couplage direct de l’individu aux stimuli relationnels, perçus notamment à travers le mobile, qui l’oblige, presque par réflexe, à réagir immédiatement dès qu’il est sollicité. Plutôt que d’une accélération, il s’agirait donc en réalité d’une impossibilité de l’individu à prendre de la distance, à développer une forme de réserve consistant à filtrer de façon pertinente les sollicitations trop nombreuses, qui, chacune d’entre elles, l’engagent systématiquement, dans des actions en réponse. L’attention n’arriverait plus à tenir son rôle de régulation, de gestion de « la bonne distance », qui permet de sélectionner ce qui importe et d’écarter le superflu. Pourtant, tout aussi bien, une simple promenade en forêt pourrait nous assaillir d’une multitude d’informations, visuelles, sonores, olfactives pour peu que nous y prenions garde, selon que l’on est randonneur, flâneur, botaniste ou forestier. On pourrait littéralement se perdre dans les détails des feuilles des arbres, les brindilles au sol ou les raies de lumières traversant le feuillage. Baptiste Morizot souligne le paradoxe du « bruit blanc champêtre » : « les chants d’oiseaux, de grillons, de criquets dans lesquels on est immergé en été, dès qu’on s’éloigne des centres-villes, sont vécus [...] comme un silence reposant [alors qu’]ils constituent, pour qui veut bien essayer de les traduire, de les sortir du bruit blanc, des myriades de messages géopolitiques, de négociations territoriales, de sérénades, d’intimidation, de jeux et de plaisirs collectifs, de défis lancés, de tractations sans paroles. La moindre praire fleurie est un caravansérail cosmopolite multilingue, multi-espèce bourdonnant d’activités » (Morizot 2020 : 19). Le temps, ici aussi, se serait soudainement accéléré, et nous l’aurions ignoré ?

10. Conversations.

Florence Doutriaux 2016.

20L’apprentissage sensoriel et attentionnel consiste donc à réaliser ce découplage, à rompre les automatismes (le mobile vibre, je m’en saisis, je le consulte), à prendre de la distance… et à hiérarchiser les actions, à choisir de s’engager dans d’autres interactions, d’autres écoutes, d’autres couplages. L’alerte sensorielle n’impose pas réactivité immédiate engageant tout le corps. Ainsi Morizot décrit-il, sur la temporalité plus longue et plus consciente de l’activité, comment internet, mais, ajoutons-nous, le smartphone qui en est un moyen d’accès en tous lieux, participent à la transformation de notre sensibilité : « Internet est une prodigieuse machine d’enrichissement des relations au vivant dès lors qu’il fonctionne comme un opérateur de sensibilisation réinvesti dans des pratiques incarnées ». Le mobile nous apprend à orienter notre attention et nous ouvre à des événements, des impressions qu’il nous faut interpréter. « C’est ce que nous montrent ces praticiens et ces naturalistes contemporains qui passent la nuit sur internet sur les blogs d’amateurs experts pour apprendre à décrypter les comportements, les relations au sein de leur potager permacole ; les mains dans la terre, ils se posent de nouvelles questions, se décalent par rapport aux savoirs qu’ils ont acquis » (Morizot 2020 : 286 et 287).

11. Le paradoxe du calme champêtre. Paysage tropical avec Dix Colibris, Martin Johnson Heade, 1870.

21La supposée « accélération du temps » serait donc le fruit de ce couplage incontrôlé et subi de l’individu aux sollicitations nouvelles dont il est en peine de hiérarchiser les importances relatives. Pour s’en libérer, il lui faudrait donc procéder à un débranchement, à une prise de recul, quitte à « s’embrayer » sur d’autres chaînes d’interactions, vers d’autres rythmes de réactivité. De la sollicitation sensorielle immédiate au temps plus long de l’action, diverses temporalités s’entrecroisent. Le quotidien est combinaisons, négociations de rythmes, qui produisent l‘accordage ou au contraire conduisent aux antagonismes entre soi et les autres, entre soi et l’environnement : rythmes physiologiques de la respiration et du cœur, rythmes circadiens de l’alternance du sommeil et de la veille, rythmes sociaux, familiaux, amicaux et professionnels, rythmes quotidiens, hebdomadaires et saisonniers, etc. Le mobile se révèle le lieu où s’organisent, parfois au risque de la submersion de l’individu dans une hétérorythmie, ces multiplicités rythmiques (réveil, alarmes, messages de coordinations familiale, amicale, professionnelle, etc.). L’idiorythmie est le produit de cette articulation négociée des rythmes internes et externes, de « ces manières de fluer » (Michon 2012). Elle participe du processus d’individuation, par le tissage particulier des cadences multiples, entre les contraintes physiologiques de l’individu et celles de ses interactions sociales, entre ses envies et motivations et les contraintes auxquelles il est exposé. Attention et rythmes se façonnent mutuellement : de la captation de l’attention par les rythmes sociaux imposés de la journée, à l’attention volontairement portée aux activités qui comptent. Ce nécessaire accordage des rythmes traverse les différentes échelles, du social, du psychologique et du physiologique.

22En effet, Jean-Philippe Lachaux a décrit combien l’attention, au niveau neurophysiologique, est affaire de rythmes, de sélection et de synchronisation, entre le système neuronal exécutif maintenant la continuité sur le temps long de l’activité et les systèmes automatiques d’habituation et de valuation agissant sur des cadences de l’ordre du quart de seconde. L’attention est aussi, explique-t-il, capacité à suspendre le flot de perception, pour rendre possible l’exercice de la mémoire de travail dans le temps plus long de l’activité. Ainsi, par exemple, la lecture impose-t-elle un « clignement attentionnel » qui inhibe la remontée de l’information visuelle au cortex préfrontal, pendant la durée nécessaire à la stabilisation neuronale, de sorte que le mot ou le groupe de mots perçus à l’instant fasse sens et s’intègre dans le mécanisme de compréhension de la phrase. La suspension temporaire de la sollicitation sensorielle, forme de distanciation du sensible, permet l’engagement dans l’élaboration du sens. Ici aussi, les rythmes internes pourraient s’entrechoquer mais finissent par s’ordonner selon des alternances « suspensives », tantôt des remontées sensibles, tantôt des traitements exécutifs. Même au niveau neurophysiologique, des mécanismes de couplage-découplage se produisent.

La distraction comme nécessaire lâcher prise

23À l’inverse, les sollicitations externes (sensorielles) et internes (la divagation) peuvent constituer autant d’opportunités de dé-focalisation de l’attention. Tout est une question de choix, de filtrage : le coût peut être énorme d’être totalement absorbé par une activité, au risque de ne plus être sensible à son environnement. L’alerte est aussi une façon de s’éveiller d’une concentration trop intense, une façon de prendre du champ… et d’éviter le chauffard qui vient. La distraction, c’est aussi ce qui permet à l’esprit de divaguer lors de l’exécution de taches routinières. Albert Piette s’est intéressé à cette capacité de l’homme d’être plus ou moins présent à son activité ; engagé dans une séquence routinière, comme la conduite automobile ou la marche à pied, l’individu peut laisser sa pensée divaguer, errer, ou au contraire se concentrer sur un sujet précis, tout en se déplaçant. Plus généralement, dit Piette (2009), les activités collectives sont intrinsèquement le lieu de ces latéralités du regard, de ces moments où, tout en écoutant notre interlocuteur, nous portons notre attention à un détail vestimentaire, à une scène qui se joue à côté de nous. Présent dans l’instant, mais aussi, en même temps, ailleurs, notre pensée suit une préoccupation envahissante, ou, au contraire, s’évade, librement. L’attention soutenue, durant un long moment, serait sans aucun doute épuisante si la distraction, au gré des stimulations interne (des pensées vagabondes ou des préoccupations qui nous viennent à l’esprit alors que nous discutons) et externe (la chute d’un stylo, les cris d’enfants dans la cour) ne nous permettait un « lâcher prise », une souplesse intérieure (passer d’une idée à l’autre), en amoindrissant l’effort cognitif de la concentration. C’est ce « mode mineur » d’existence, toile de fond de notre « être au monde », que Piette place devant nos yeux. Le mode mineur est constitutif de notre présence au monde et aux autres : sans ces à-côtés, ces déplacements incessants du regard, de l’écart visuel au contact mutuel à nouveau, le dialogue entre individus serait insupportable. Personne n’apprécie en effet le regard fixe et insistant d’un interlocuteur. Ce mouvement de dégagement et de réengagement, de distance qui laisse à l’interlocuteur son intimité, donne de la respiration et de la légèreté à la relation, assurant, par la reconnexion régulière des regards, la bonne réception de ce qui est dit, l’engagement réciproque et continu des individus dans la relation présente.

24Selon Albert Piette, la sociologie, comme l’anthropologie, se sont focalisées sur l’homme en action, tout entier pris dans son activité. Les « pas de côté », les moments de dégagements partiels des individus par rapport à la scène échappent à l’étude, invisibilisés ou, si malgré tout aperçus, considérés comme un bruit de fond perturbateur ou tout simplement hors sujet. Natalie Depraz souligne, comme Jean-Philippe Lachaux, combien la variabilité attentionnelle est en réalité la structure même de l’attention qui oscille entre les pôles de concentration et de divagation, suivant une idée, une association entre mémoire et perception ou se focalisant brutalement sur un événement du monde. L’attention est une modulation de présence, par la sélection et le filtrage des informations internes – une pensée, un souvenir qui nous absorbe pendant qu’on marche dans la ville – ou externes, la vue d’un ami dans la rue que la vigilance rend soudainement présente à notre conscience, et transforme, par enchaînement d’actions (courir pour le rattraper, l’appeler) en rencontre inattendue impliquant notre engagement plus entier dans l’espace présent. L’individu est ainsi plus ou moins couplé aux sollicitations de son environnement, plus ou moins « connecté » à ses propres pensées vagabondes. La variabilité attentionnelle, que J.-P. Lachaux décrit à l’échelle courte de l’activité neurophysiologique, donne lieu à des régulations en bonne part non conscientes, mais se manifeste aussi à cette durée plus longue de la présence au monde, à peine plus consciente, que dépeint Piette

12. Je nage entre deux eaux, Lise Gaudaire, vidéo 2020, extrait :
Ici c’est chez moi
Enfin j’veux dire, ça y ressemble
à là-bas
où j’ai grandi
Alors sans cesse ici, mes pensées partent là-bas.

Un « être ailleurs » plus visible… grâce au mobile ?

25Sans doute le mobile rend-il plus visible à autrui cette modalité d’être au monde, notre « être navec », comme le nomme Albert Piette, cette faculté d’être présent dans l’espace physique, engagé dans une activité, un échange mais également, l’attention prise par autre chose, partiellement distancié de la situation présente : « être avec » mais pas tout à fait. Il suffit d’un geste, d’une manipulation discrète du smartphone ou d’un regard furtif vers l’objet, tout en discutant ou en écoutant les propos tenus par nos interlocuteurs, pour que soit perçu plus évidemment notre « être partiellement absent », jusque-là invisible à autrui, ou non interprété par lui, lorsque par exemple, insensiblement, nous pensons à autre chose. Dès que, pris par d’autres échanges à distance, d’autres pensées, nous manipulons le mobile, notre moindre présence, notre moindre attention se manifestent plus nettement et deviennent perceptibles à nos interlocuteurs. Le maniement du mobile, bien que discret, fait partie de ces « petits gestes majorant », trouvant leur origine dans la modalité mineure de présence, mais qui, projetés sur le devant de la scène, rendus visibles et interprétables par les participants de l’interaction en cours, perdent leur statut mineur, alors excusé, et deviennent soudainement des manifestations en mode majeur. Avec le mobile, « l’être-navec » se manifeste, plus souvent, plus nettement… et disparaît aussitôt pour devenir un « être ailleurs » explicite et interprétable.

13. Présentes dans l’instant, mais aussi ailleurs. A sunset time at the park near Mahamuni Pagoda in Mandalay, Myanmar, 2016.

Marcej Dakowicz.

26Quand l’usage permanent du mobile n’était pas si commun dans nos relations, cette manipulation, en présence d’autrui, était considérée comme intempestive, inopportune, voire impolie. Mais les règles d’usages du smartphone en compagnie ont évolué. Ce qui choquait, le fait qu’attablés, chacun pianote sur son mobile est, dans bien des contextes, aujourd’hui légitimé dès lors que cette activité est commune (chacun la fait) ou partagée (on se montre les messages, les photos, les vidéos). L’irruption, dans le quotidien partagé, de l’information ou du champ relationnel distants, est acceptée, de même qu’on excuse, on comprend l’action visible de la consultation du mobile, en prolongement d’une préoccupation ou d’une pensée. Plus d’une fois, ces manipulations se poursuivent même opportunément en échanges conversationnels en présence.

14. Ensemble côte à côte, au cas où… Cité scolaire Pierre Mendès-France de Vic-en-Bigorre, 2019.

Dominique Delpoux.

15. Ensemble côte à côte, au cas où… Cité scolaire Pierre Mendès-France de Vic-en-Bigorre, 2019.

Dominique Delpoux.

27Le téléphone mobile apparait ainsi comme l’outil extensif de notre état mental : on pense à une personne, pourquoi ne pas regarder son fil conversationnel ou lui envoyer un message ? On est préoccupé ? Pourquoi ne pas chercher les informations qui pourraient résoudre notre difficulté ponctuelle. La manipulation du mobile s’inscrit machinalement dans la continuité de notre activité mentale. Penser à une personne, c’est déjà presque la contacter pour prendre des nouvelles ou pour partager une information anodine. Le mobile serait ainsi le révélateur à soi-même et à autrui de la nature variationnelle de notre attention. Le mobile participe, par cette attention vigile, à développer la topologie relationnelle, faite de voisinages physiques et d’isolats distants, reliés entre eux continuellement à travers lui (Lussault 2007). Le mobile nous plonge dans le monde relationnel en partie décontextualisé de la proximité physique, et rend plus visibles les sollicitations internes de l’individu, que ce soit ses préoccupations propres ou ses pensées vagabondes ou ses liens avec les espaces et personnes distantes. Les tensions normatives qui s’expriment autour du mobile, cette condamnation de l’absorption inconvenante dans sa manipulation alors qu’on est en société, de la dépendance addictive à l’objet et de sa consultation compulsive continuelle seraient en réalité la manifestation explicite de nos régimes attentionnels variés auxquels nous ne prenions pas garde jusqu’à ce que le mobile les révèle. En effet, personne n’a attendu le mobile pour rêvasser, laisser son esprit divaguer comme le souligne un enquêté cité par Nicolas Nova (2020 : 245) : « C’est sûr que si on fourre son nez dans son smartphone en pleine conversation, cela passe mal auprès de son interlocuteur. Mais sans smartphone, on le fait aussi non ? Qui ne s’est pas pris à rêvasser et à rater une partie de la conversation ? »

16. Arménie, 2015.

Emmanuel Smague.

28La diversité des modalités de présence, d’engagement et de distanciation, n’est donc pas un phénomène nouveau mais son étude se développe en même temps que le mobile lui-même. La psychologie cognitive s’est intéressée aux pensées vagabondes, spontanées depuis la fin des années 1990 (Christoff 2016), au moment où le mobile apparaît, tandis que, sur cette même période, Albert Piette met au point l’anthropologie existentiale et expérimente ses outils méthodologiques de description de la capacité humaine à être perpétuellement tout à la fois engagé et dégagé de l’activité en cours, d’être présent mais sous forme minimale.

17. Arménie, 2015.

Emmanuel Smague.

Le mobile, support du processus d’engagement-distanciation

  • 8 Ainsi, si l’on fixe du regard longtemps un objet, un phénomène de rémanence nous permet de le voir (...)
  • 9 « L’homme est un être différentiel », écrit Simmel (2018 : 41).
  • 10 Ce phénomène est bien connu et exploité depuis longtemps, des affiches publicitaires, à l’organisat (...)

29Ce procès d’engagement – dégagement puis de réengagement se manifeste à différentes échelles. Au niveau physiologique, il se présente au sein de la boucle perception-action. L’épuisement, la saturation du mécanisme de perception8 nécessite un déplacement. La perception est différentielle9, dynamique, le mouvement créant en bonne part ces différences – la saccade de l’œil l’illustre bien – et procède donc de cette alternance de focalisation et de décentrement. La nouveauté, la rupture, le changement de rythmes de l’environnement perçu l’éveillent à notre conscience : l’attention vigile nous fait néophiles. L’attention est continuellement soumise au dilemme du chercheur d’or qui hésite entre exploiter son filon et partir explorer ailleurs (Lachaux 2011). C’est ce qui explique cette attirance, souvent compulsive, de la consultation du mobile, comme le regard, qui échappe au contrôle attentif et qui parcourt la scène, accroché par le saillant10 : « Je regarde s’il y a du nouveau ; j’allume juste pour voir, mais au fond, je n’aime pas faire ça », dit une enquêtée à propos de sa manipulation régulière, machinale, presqu’involontaire du smartphone. « Je peux checker à cinq minutes d’intervalles alors qu’il n’y a rien de nouveau ! Mais je ne le sais pas avant de regarder », reporte un autre (Nova 2020 : 51).

30Le mobile, par la circulation des idées et des pratiques qu’il permet, est un des moyens de transformer les habitudes, par « décollement » de la routine, par distanciation, désengagement relatif. Jean-Claude Kaufmann (2001) a décrit le processus en jeu dans le temps long de la transformation des schèmes d’action : la pensée divague ; l’individu prend du recul par rapport à l’activité en cours, questionne son déroulement, parfois la remet en cause. L’intériorisation d’autres façons de faire, d’autres schèmes est alors possible. Ce qui était mineur devient majeur. L’individu expérimente d’autres choix, d’autres manières d’agir. Puis le cas échéant, le schème est remplacé par un autre, si la personne se convainc que procéder différemment apporte une utilité, un agrément, un avantage. L’individu intègre alors le schème comme nouvel automatisme (phase d’incorporation). Cette attention, dégagée partiellement de l’action présente, est rendue possible par ce mécanisme de distraction dans des activités conduites selon des schèmes incorporés, sur-appris, relevant de la mémoire procédurale. Elle permet, dit Dominique Boullier (2014a) de sortir des rails de la fidélisation, des habitudes, des conventions établies. Elle est ce qui invite à l’exploration. Proche de l’attention ouverte, de la vigilance de Natalie Depraz, elle est motivée par ce désir d’advenance, associé au régime de la surprise. Dans le contexte du voyage, Jauréguiberry et al (2016 : 17) développent : « Par advenance, il faut entendre ce qui surgit de façon inattendue, un événement qui étonne et qui s’impose sous la forme d’une surprise ou d’un problème », l’advenance « n’est écrite nulle part et ne saurait être anticipée mais, paradoxalement, est espérée par le voyageur qui s’attend à être surpris et à être confronté, tôt ou tard, à l’imprévisible de la route. C’est dans cette confrontation de soi à des contextes inattendus et inimaginables, à des situations extraordinaires qui sortent en effet de l’ordinaire, que s’exprime l’attraction de l’advenance, au détriment du confort de la routine qui, lui, est provisoirement rejeté. »

18. Conversations, 2016.

Florence Doutriaux.

31Cette distanciation et ce décentrement sont favorisés par la circulation des hommes, des idées, des pratiques et des biens qui ouvre sur la découverte d’autres façons de faire, d’autres modes d’organisation. Ce qui allait de soi devient objet de questionnement. Dans cette circulation de l’information, les échanges relationnels y trouvent bonne place, et la part du mobile n’y est pas négligeable, à côté de la discussion de vive voix, de la lecture, de la radio, de la télévision et bien sûr d’internet dont le mobile est un support maintenant privilégié. Le mobile participe à cette circulation des pratiques, des idées et donc à cette prise de distance par rapports aux habitudes.

32En reprenant les propos de Baptiste Morizot au sujet d’internet, nous pouvons dire que le mobile peut être aussi un opérateur de sensibilité en nous ouvrant, par les liens qu’il permet, à de nouvelles façons d’être attentifs, en nous éveillant à l’exploration du bruit blanc, à apprendre à discerner, au sein de ce qui n’était que confusion sonore, des fils et expressions singuliers. Mais, réorienter notre attention, sur cette temporalité plus longue de l’activité portée sur de nouveaux objets qu’on apprend à percevoir et à comprendre, c’est aussi redéfinir progressivement ce à quoi on donne concrètement de la valeur (Lachaux 2011). Participant au bousculement de nos automatismes et de nos schèmes, le mobile agit sur le processus de formation de valeurs en re-questionnant l’expérience vécue en regard d’une situation considérée comme plus désirable, fruit d’un déplacement des points de vue, de la confrontation à d’autres manières de voir. « L’expérience des règles, c’est la mise à l’épreuve, dans une situation d’irrégularité, de la fonction régulatrice des règles », écrit Canguilhem (2013 : 179). Le mobile bouscule, éprouve les normes sociales par la diffusion d’informations et la facilitation des échanges.

  • 11 Charles Stépanoff décompose les régimes d’imagination selon deux axes : le premier est celui de la (...)

33L’attention est aussi enjeu de pouvoir. De la même façon que nous n’avons pas attendu le mobile pour divaguer, le mobile n’est pas, loin de là, le seul lieu de manifestation de la prise de contrôle de l’attention. Les régimes d’imagination, façons dont une société distribue entre ses membres les compétences et les activités imaginatives sont directement en lien avec les régimes stabilisés de l’attention : l’enjeu est ancien, entre le régime agentif et exploratoire de l’imagination, reconnu à quelques-uns seulement et le régime guidé et passif d’imagination imposé aux autres11 (Stépanoff 2019). On aura reconnu, ici, par exemple, la liberté accordée à une ou quelques entités d’une entreprise de se détacher des sollicitations quotidiennes internes et externes pour se focaliser sur l’élaboration des orientations stratégiques alors que les services opérationnels ont pour mission de se coupler au plus près des demandes des clients ; ou encore, au niveau individuel, l’utilisation contrôlée du smartphone, véhicule d’informations et de circulation de points de vue, à des fins instrumentales, et à rebours, l’immersion passive mais délassante du visionnage d’une vidéo. Le mobile apparaît ici comme le véhicule des stratégies d’asservissement ou d’autonomisation, selon que nos usages sont entièrement soumis à une attention captive, guidée et non agentive ou selon qu’à l’inverse, nous gardons la maîtrise relative de nos régimes attentionnels en les accompagnant et les maintenant, malgré la vigilance toujours potentiellement perturbatrice, vers nos objectifs plus conscients. Dans le contexte occidental de la hiérarchisation des accès aux imaginaires, et partant, des légitimités des régimes attentionnels en fonction des positions sociales, l’accélération supposée des rythmes (mais on a vu ce qu’il en était) et surtout l’embrayage au plus près du monde mouvant constituent des moyens d’empêcher la prise de distance et la réflexion sur les valeurs, les orientations, les parcours et les transformations en cours.

19. Conversations, 2016.

Florence Doutriaux.

34Dans L’économie de l’attention », Yves Citton (2014a) s’interrogeait sur cette traversée d’échelles effectuée par l’attention, du niveau neurophysiologique (l’attention est émulation du système sensori-moteur, anticipation du mouvement en vue de la perception) où elle se manifeste « en premier lieu », à l’enjeu que celle-ci a progressivement représenté économiquement et socialement dans un monde industriel où la distraction a peu à peu été considérée comme source d’accident et d’inefficacité dans des chaînes de production fonctionnant à des rythmes de plus en plus rapides (Crary 1999) : « Le foyer de l’économie de l’attention exige d’être conçu à travers une superposition de couches en constantes interactions, se déployant à des échelles incommensurables entre elles, mais dont notre défi majeur consiste à en saisir les dynamiques d’ensemble » (Citton 2014a : 14). Il nous semble qu’une des dynamiques, mise à jour à travers le fil rouge développé ici, du mobile analysé comme extériorisation de notre vigilance, est justement cette variabilité attentionnelle qui serait, selon Natalie Depraz (2014) la structure même de l’attention, expression des modalités de présence, de la vigilance ouverte ou distraite à l’attention soutenue. La variabilité attentionnelle relève ainsi d’un principe plus général, multi-échelles, de couplage-découplage à l’activité, d’attachements-détachements, d’engagement-distanciation au moment présent. Le mobile interviendrait alors au cœur même du processus normatif, aux différents niveaux où il se produit, de l’individuel au social, de la vigilance presque physiologique à la mutation de nos habitudes, jusqu’au niveau politique. Outil de notre vigilance, il est donc légitime que le mobile soit lui-même objet de notre attention individuelle et collective par l’étendue des transformations qu’il provoque et auxquelles il participe.

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Notes

1 Le concernement est un concept forgé par Gérôme Truc : il désigne cet état qui fait que l’individu se sent concerné par un événement distant qui le touche, non par l’intermédiaire d’êtres proches concernés par ce dernier ou qu’il se soit produit dans un lieu connu de lui, mais par la conscience que des personnes singulières, inconnues de lui, mais avec qui il partage une commune humanité, l’ont vécu.

2 « Je suis plus au repos avec mon portable qui est branché et qui ne sonne pas que sans, et me dire que, peut-être, il s’est passé ça, ça ou ça… Je suis plus tranquille en me disant : du moment qu’il n’a pas sonné, il n’y a rien de grave, donc tout va bien. » verbatim d’un enquêté (Jauréguiberry 2016 : 66).

3 « When we take a rapid general view of the wonderful stream of our consciousness, what strikes us first is the different pace of its different portions. Our mental life, like a bird's life, seems to be made of an alternation of flights and perchings » (James 1884).

4 L’enaction est l’idée selon laquelle le monde tel que le ressent l’individu est issu des interactions entre l’organisme et son environnement. Selon Varela, « le cerveau existe dans un corps, le corps existe dans le monde, et l'organisme bouge, agit, se reproduit, rêve, imagine. Et c’est de cette activité permanente qu’émerge le sens du monde et des choses », d’après (Versace 2016). « To enact » signifie susciter, faire advenir, faire émerger (Encyclopædia Universalis).

5 Lachaux utilise le terme de « valorisation » qui nous semble par trop insister sur l’idée d’un résultat d’une action d’évaluation alors que nous avons en réalité affaire à un processus en cours, très rapide qui n’est pas une évaluation en rapport à des règles définies, mais bien plutôt une opération non finalisée, une valuation, terme que nous reprenons à (Dewey 2011).

6 TIC : Technologies de l’Information et de la Communication.

7 Le programme ATOLE est un programme de découverte et d'apprentissage de l'attention en milieu scolaire, pour apprendre l’ATtention à l’écOLE (ATtentif à l’écOLE), initié en 2014 par J.-P. Lachaux, directeur de recherches à l’INSERM. Le programme ADOLE constitue le pendant à destination des adolescents.

8 Ainsi, si l’on fixe du regard longtemps un objet, un phénomène de rémanence nous permet de le voir « les yeux fermés » en couleurs complémentaires.

9 « L’homme est un être différentiel », écrit Simmel (2018 : 41).

10 Ce phénomène est bien connu et exploité depuis longtemps, des affiches publicitaires, à l’organisation des pages web, ou aux jeux vidéo.

11 Charles Stépanoff décompose les régimes d’imagination selon deux axes : le premier est celui de la transmission des imaginaires, selon un mode « suggestif », pauvre en amorce mais qui laisse libre cours à l’individu pour développer sa propre réception, et un mode guidé, pour lequel les outils d’extériorisation de l’imaginaire décrivent très précisément les imaginaires transmis, contraignant l’individu dans une voie exploratoire cadrée ; le second axe décrit les modalités de réception, selon le mode contemplatif qui ne laisse pas de place pour l’individu d’agir et de participer à la composition de ces imaginaires et un mode agentif dans lequel l’individu peut contribuer à l’élaboration d’images mentales collectives. Le visionnage d’une vidéo s’inscrit dans le régime guidé et passif-contemplatif de l’imagination, tandis que l’élaboration de projets et de stratégies peut s’inscrire dans le mode agentif suggestif. La lecture d’un livre relève du mode suggestif contemplatif et la participation à un jeu vidéo en ligne au mode guidé agentif.

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Table des illustrations

Légende 1. Attentions croisées. Games, Echmiadzin, Arménie.
Crédits Maciej Dakowicz, 2017.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 432k
Légende 2. La possibilité d’un appel : posé sur la table, le mobile est visible en cas de message ou d’appel… La cité scolaire Pierre Mendès-France de Vic-en-Bigorre.
Crédits Dominique Delpoux, 2019.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 268k
Légende 3. Régimes d’attention. Guêpiers d’Europe (Merops apiaster).
Crédits Patrick Chefson 2017.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 280k
Légende 4. Régimes d’attention. Guêpier d’Europe (Merops apiaster) creusant son terrier.
Crédits Patrick Chefson, 2017.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 508k
Légende 5. Régimes d’attention. Milan noir (Milvus migrans) en vol.
Crédits Patrick Chefson, 2017.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 660k
Légende 6. Paul Klee, Das Licht und die Schärfen [La lumière et les arêtes], 1935. Aquarelle et crayon sur papier sur carton, 32 x 48 cm. Zentrum Paul Klee, Bern.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 448k
Légende 7. Paul Klee, Segelschiffe [Bateaux à voile], 1927. Crayon et aquarelle sur papier sur carton, 22,8 x 30,2 cm. Zentrum Paul Klee, Bern. L’huile sur toile Bateaux à voile croise des triangles de couleur au contour rehaussé de traits noirs, dont les figures solidaires forment une structure composée « de plusieurs instants et de plusieurs mouvements simultanés (combinaison spatio-temporelle des mouvements). Images planes exprimant une mesure à plusieurs temps sur une surface de base animée d’un léger mouvement, rythmées et caractérisées par une polyphonie polychrome » (Klee 1973 : 278), extrait de la légende du tableau (Herschberg Pierrot 2010).
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 3,2M
Légende 8. Sollicitations multiples. Cuba, 2019.
Crédits Emmanuel Smague.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 216k
Légende 9. Ernst Kirchner, Scène de rue à Berlin, 1913.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 2,5M
Légende 10. Conversations.
Crédits Florence Doutriaux 2016.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Légende 11. Le paradoxe du calme champêtre. Paysage tropical avec Dix Colibris, Martin Johnson Heade, 1870.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 208k
Légende 12. Je nage entre deux eaux, Lise Gaudaire, vidéo 2020, extrait : Ici c’est chez moiEnfin j’veux dire, ça y ressembleà là-basoù j’ai grandiAlors sans cesse ici, mes pensées partent là-bas.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 508k
Légende 13. Présentes dans l’instant, mais aussi ailleurs. A sunset time at the park near Mahamuni Pagoda in Mandalay, Myanmar, 2016.
Crédits Marcej Dakowicz.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 340k
Légende 14. Ensemble côte à côte, au cas où… Cité scolaire Pierre Mendès-France de Vic-en-Bigorre, 2019.
Crédits Dominique Delpoux.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 128k
Légende 15. Ensemble côte à côte, au cas où… Cité scolaire Pierre Mendès-France de Vic-en-Bigorre, 2019.
Crédits Dominique Delpoux.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 132k
Légende 16. Arménie, 2015.
Crédits Emmanuel Smague.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-16.jpg
Fichier image/jpeg, 112k
Légende 17. Arménie, 2015.
Crédits Emmanuel Smague.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-17.jpg
Fichier image/jpeg, 60k
Légende 18. Conversations, 2016.
Crédits Florence Doutriaux.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-18.jpg
Fichier image/jpeg, 2,2M
Légende 19. Conversations, 2016.
Crédits Florence Doutriaux.
URL http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/17625/img-19.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
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Pour citer cet article

Référence électronique

François Coldefy, « Le téléphone mobile, outil et objet de notre vigilance »Techniques & Culture [En ligne], Varia, mis en ligne le 05 octobre 2022, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/tc/17625 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tc.17625

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Auteur

François Coldefy

François Coldefy s’intéresse depuis une dizaine d’années à l’anthropologie des techniques après avoir mené des travaux de recherche sur les interactions numériques en présence et à distance au sein du département de recherche et de développement de France Télécom devenu Orange. Auparavant, il avait contribué dans diverses structures publiques et privées à des travaux en indexation automatique de contenus (reconnaissance de formes, indexation d’images et de vidéo, etc.)

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Droits d’auteur

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