Navigation – Plan du site

AccueilNuméros53II. Goya dans les collections fra...À propos des « autoportraits » de...

II. Goya dans les collections françaises

À propos des « autoportraits » de Goya des musées d’Agen, Castres et Bayonne

Concerning Goya’s “Self-Portraits” in the museums of Agen, Castres and Bayonne
Bruno Mottin
p. 58-65

Résumés

L’étude de laboratoire des autoportraits présumés de Goya conservés dans les musées d’Agen, Castres et Bayonne permet de préciser leur attribution. Le tableau d’Agen, dont l’attribution et la datation ont été discutées, présente en radiographie des détails caractéristiques d’un autoportrait peint devant un miroir ; il a vraisemblablement été peint vers 1783 afin de préparer l’insertion du portrait du modèle dans la Prédication de saint Bernardin de Sienne de l’église San Francisco el Grande de Madrid. Le Portrait de l’artiste conservé au musée de Castres n’a pas les caractéristiques techniques d’un original de Goya ; il s’agit, selon l’auteur de ces lignes, d’une réplique non autographe réalisée dans l’entourage du maître. En revanche, l’étude de laboratoire et la restauration récente du tableau de Bayonne, souvent négligé, semblent indiquer qu’il s’agit d’une œuvre autographe préparant le portrait de l’artiste peint à l’arrière-plan de la Famille de Charles IV (Madrid, musée du Prado).

Haut de page

Texte intégral

1Francisco de Goya s’est souvent représenté dans ses peintures, dessins et gravures. On peut ainsi suivre l’évolution de sa physionomie étonnamment changeante, depuis son autoportrait de jeunesse (vers 1775, Saragosse, Ibercaja), représentant un jeune homme joufflu au front haut et à la coiffure soignée, jusqu’à des portraits tantôt nonchalants, tantôt concentrés, voire très inattendus comme lorsqu’il se représente avec son chapeau surmonté de bougies éclairant le tableau qu’il est en train de peindre (vers 1793-1795, Madrid, Real Academia de San Fernando). En scrutant ses propres traits, Goya s’affirme comme un artiste à part entière, loin de la figure du simple auteur de cartons de tapisseries dans laquelle il s’est parfois senti confiné. Il défend également son statut lorsqu’il insère son visage dans des portraits de groupe, notamment à l’arrière-plan de la Famille de Charles IV (1800-1801, Madrid, musée du Prado), s’inscrivant ainsi dans la lignée des Ménines de Velázquez, ce peintre qu’il admire tant.

  • 1 Il nous est agréable de remercier Mme Marie-Dominique Nivière et M. Adrien Enfedaque, ancienne cons (...)

2Les trois portraits de l’artiste conservés en France sont des figures isolées qui présentent d’étroites relations avec les grands portraits de groupe. La singularité de leur technique a cependant fait hésiter la plupart des historiens de l’art quant à déterminer s’il s’agit d’études préparatoires aux portraits de groupe, de modèles pour la gravure, de répétitions tardives, voire de copies. Leur examen de laboratoire apporte beaucoup à leur compréhension1.

Le Portrait de l’artiste du musée des Beaux-Arts d’Agen

  • 2 La bibliographie sommaire relative à chaque œuvre et les principales données techniques sont regrou (...)
  • 3 Pour un bon détail du visage de Goya dans la Prédication de saint Bernardin de Sienne, voir Cat. Ex (...)
  • 4 Nous remercions le Dr Janis Tomlinson pour cette précieuse indication.
  • 5 Wilson-Bareau, 2008, p. 35, et procès-verbal de la commission de restauration du tableau, 1995, arc (...)

3Le Portrait de l’artiste du musée des Beaux-Arts d’Agen (fig. 1) est en étroite relation avec l’autoportrait inséré dans le groupe d’hommes assistant à la Prédication de saint Bernardin de Sienne, tableau d’autel de grandes dimensions (480 x 300 cm) commandé à l’artiste en 1781 pour l’église San Francisco el Grande de Madrid et livré en 17832. Sa mise en page étonne cependant, son format étant beaucoup plus haut que large, ce qui est inhabituel pour un portrait, et le modèle semblant sur le point de trouer de son porte-craie la toile placée trop près3. Le tableau porte en bas à gauche la date de 1783 qui est celle de la livraison du tableau, mais pas celle de son achèvement car on sait par une lettre de Goya à Zapater, datant du 13 octobre 1784, que celui-ci continue à retoucher son œuvre à ce moment-là4. Mais le modèle semble plus âgé sur le tableau d’Agen que sur le tableau d’église, où le visage est plus rond, plus apaisé et énergique. Ces observations ont amené Juliet Wilson-Bareau à estimer que la date de 1783 est apocryphe, que l’œuvre a été peinte quelques années après le tableau d’église et qu’il s’agit d’un pseudo-autoportrait dont l’attribution à Goya n’est pas assurée5.

Fig. 1. Francisco de Goya y Lucientes (et artiste de son entourage ?), Portrait de l’artiste, vers 1783, complété avant 1854, peinture sur toile, Agen, musée des Beaux-Arts : ensemble

Fig. 1. Francisco de Goya y Lucientes (et artiste de son entourage ?), Portrait de l’artiste, vers 1783, complété avant 1854, peinture sur toile, Agen, musée des Beaux-Arts : ensemble

© C2RMF/J.-L. Bellec.

4La présence de guirlandes de tension sur tout le pourtour de la toile, bien visibles en radiographie, indique que l’œuvre a conservé son format d’origine. Ce format en hauteur a donc été choisi dès le départ, ce qui pourrait signifier que l’artiste a employé un reliquat de toile, peut-être pour réaliser une étude destinée à rester dans l’atelier. Au demeurant, la toile est conservée par la famille du peintre jusqu’à sa vente à Federico de Madrazo, entre 1854 et 1857, qui la cède à son tour au comte Damase de Chaudordy entre 1874 et 1878, lequel en fait don au musée d’Agen en 1899.

5L’aspect de surface de l’œuvre est troublant, mais il s’explique en partie par les vicissitudes ayant affecté la toile, celle-ci ayant été découpée au couteau lors d’un vol commis en 1949 et retrouvée quelques années plus tard, en Suisse, considérablement endommagée. En 1953, le restaurateur Henri Linard a pu recoller habilement la partie centrale de l’œuvre à ses bords, restés au musée, et retrouver ainsi une bonne planéité de surface, mais au prix de nombreuses retouches qui donnent à l’œuvre un aspect « beurré » gênant sa perception.

6Plus important encore, le processus d’exécution n’a pas été parfaitement compris par les historiens d’art. La radiographie (fig. 2) révèle en effet que la composition a été peinte en deux temps, peut-être par deux artistes différents. Dans une première phase, le peintre s’est concentré sur l’étude du visage, en brossant sommairement le buste. Travaillant au moyen de touches étonnamment courtes, qui donnent au modelé un aspect moucheté, il s’est attaché à rendre le modelé du visage et les défauts de la peau avec une précision toute chirurgicale (fig. 3). Il n’a pas sublimé les traits du modèle et n’a pas cherché à mettre en valeur sa personnalité, comme on le fait usuellement, mais a analysé minutieusement les traits, sans en gommer les aspérités. La radiographie montre également que le peintre ne tenait pas initialement un porte-craie de la main droite, mais un faisceau de pinceaux. Or on sait que les artistes droitiers, comme Goya, ne tiennent pas leurs pinceaux inutilisés de la main droite, mais de la main gauche. En revanche, ils doivent employer un miroir pour peindre leurs propres traits, ce qui a pour effet d’inverser leur image et de donner l’impression que leur main gauche est une main droite. Ce phénomène d’inversion des mains est spécifique aux autoportraits ; les traits représentés étant ceux de Goya, il est logique de penser que l’auteur de l’œuvre est l’artiste lui-même.

Fig. 2. Radiographie du Portrait de l’artiste

Fig. 2. Radiographie du Portrait de l’artiste

© C2RMF/E. Lambert.

Fig. 3. Radiographie, détail du visage

Fig. 3. Radiographie, détail du visage

© C2RMF/E. Lambert.

7Le tableau est resté inachevé avant d’être repris, par l’artiste ou peut-être par une autre main, et largement transformé. L’auteur de la reprise de composition n’a conservé que le visage et la main et il a recouvert le reste. Il a remplacé le faisceau de pinceaux par un porte-craie, ce qui a fait du modèle un droitier ; il a placé une toile au-devant du peintre, par-dessus l’esquisse du corps dont on devine les contours sur la radiographie, a repeint le fond avec un ton uniforme, a couvert le vêtement d’une couleur brune, qui a fait disparaître son modelé, et a parachevé l’intervention en ajoutant la date de 1783 dans l’angle inférieur gauche.

8Le tableau d’Agen n’est donc pas une copie du portrait inséré dans la Prédication de saint Bernardin de Sienne car la représentation « en miroir » le caractérise comme une étude sur le vif. Mais s’agit-il d’une étude préparatoire au tableau d’autel ou bien d’une œuvre plus tardive reprenant cette composition, ce qui expliquerait pourquoi le modèle semble plus âgé ? L’étude technique ne permet guère de trancher sur ce point. Nous remarquerons toutefois que les personnages assistant au prêche de saint Bernardin sont représentés da sotto in sù et que Goya a donc dû déformer son propre visage pour le fondre dans la foule, ce qui pourrait expliquer certaines différences entre les deux œuvres. De plus, la plupart des fidèles sont des anonymes, aux traits peu individualisés, au milieu desquels Goya ne pouvait insérer un portrait trop poussé. L’œuvre pourrait par conséquent préparer le tableau d’autel et la date de 1783 être celle de son exécution, en préalable à l’insertion tardive du portrait dans cette composition.

Les portraits de Castres et Bayonne

9Les portraits de l’artiste conservés dans les musées de Castres et de Bayonne sont presque identiques. L’un dérive obligatoirement de l’autre, mais le premier est plus étincelant alors que le second est plus sobre.

  • 6 Wilson-Bareau, 2008, p. 51, note 13.

10Le portrait du musée de Castres (fig. 4) est souvent reproduit dans les monographies, parfois en couverture. Il est cité comme un exemple de l’emploi par Goya du couteau à palette ou de la plume de roseau, qui lui sert à étaler sur la toile des à-plats de couleur pure, avec une liberté qui anticipe l’art de Courbet et des impressionnistes. Cette liberté de geste est particulièrement séduisante dans le traitement du vêtement où des à-plats bleus, ocres ou blancs font vibrer la surface. L’effet obtenu est proche de celui des costumes des membres de la Famille de Charles IV (1800, Madrid, musée du Prado, fig. 5), où Goya s’est représenté à l’arrière-plan sous une forme semblable à celle des portraits étudiés ici, au point que l’on a considéré le tableau de Castres comme une étude préparatoire à la composition madrilène. De nombreux spécialistes ont toutefois été gênés par la technique de cette peinture et ont refusé de la considérer comme une étude préparatoire à ce tableau, mais plutôt comme une dérivation plus tardive. Juliet Wilson-Bareau a même mis en doute l’attribution de l’œuvre au maître, en la rapprochant d’œuvres d’artistes tels que Francisco Domingo Marqués (1842-1920)6. Son historique ne remonte pas au-delà du milieu du xixe siècle, époque à laquelle le tableau appartient à Don Angel Maria Terradillos, de Madrid, ce qui n’aide guère à son attribution.

Fig. 4. Entourage de Francisco de Goya y Lucientes, Portrait de l’artiste, après 1800, peinture sur toile, Castres, musée Goya : ensemble

Fig. 4. Entourage de Francisco de Goya y Lucientes, Portrait de l’artiste, après 1800, peinture sur toile, Castres, musée Goya : ensemble

© C2RMF/L. Clivet.

Fig. 5. Francisco de Goya y Lucientes, Famille de Charles IV, 1800, peinture sur toile, 280 x 336 cm, Madrid, musée du Prado : détail de l’autoportrait de Goya

Fig. 5. Francisco de Goya y Lucientes, Famille de Charles IV, 1800, peinture sur toile, 280 x 336 cm, Madrid, musée du Prado : détail de l’autoportrait de Goya

© Wikimedia Commons/Madrid, Museo del Prado.

11Il est vrai que la technique de l’œuvre est inhabituelle pour l’artiste. La toile est grossière, le tissage peu serré (9 x 11 fils au cm), tandis que l’image radiographique, très brouillée (fig. 6), ne montre qu’une construction désordonnée, bien éloignée de la rigueur que l’on observe normalement chez Goya. Le ton de la préparation n’est pas laissé en réserves, comme l’aurait fait Goya ; au contraire, il est entièrement recouvert de couches opaques qui suppriment les effets de transparence et gomment toute spontanéité. Ainsi, le ton brun-rougeâtre de la cravate et de la veste n’est pas celui de la préparation, mais celui de touches posées en fin d’exécution qui n’apportent rien d’essentiel à l’image. La matière est épaisse, la mise en œuvre hésitante. La composition séduit au premier abord tant elle scintille, mais déçoit à l’examen rapproché. Une inscription « Goya », en bas à gauche, a parfois été considérée comme une signature, mais l’examen sous binoculaire montre qu’elle a été incisée dans la matière déjà sèche et a donc été effectuée longtemps après l’achèvement du tableau. On peut ainsi s’interroger sur le bien-fondé de l’attribution de cette œuvre à Goya.

Fig. 6. Radiographie du tableau de Castres

Fig. 6. Radiographie du tableau de Castres

© C2RMF/E. Lambert.

  • 7 Voir la fiche signalétique, en fin d’article.
  • 8 Gerard Powell dans Cat. Exp. Agen, 2019-2020, p. 214.

12Le Portrait de l’artiste conservé au musée Bonnat-Helleu de Bayonne est moins connu que son homologue castrais, notamment parce que les conditions du legs de Léon Bonnat interdisent son exposition hors du musée (fig. 7). Le manque de relief du personnage, le vêtement peu structuré ont gêné la plupart des spécialistes qui ont parfois considéré ce tableau comme une étude préparatoire à la composition de Castres, mais plus souvent comme une réplique autographe, voire comme une copie7. Sa provenance était restée incertaine jusqu’aux recherches récentes menées par Véronique Gerard Powell8 qui ont montré que l’œuvre avait fait partie de la Galerie espagnole de Louis-Philippe (numéros 104, puis 108 des catalogues de 1838), qu’elle avait été achetée par le marchand Henry Durlacher lors de la vente de la collection du roi en 1863, marchand qui acheta également Les Jeunes et Le Temps (Les Vieilles) exposés aujourd’hui au palais des Beaux-Arts de Lille, et qu’elle passa dans la collection de lord Dalling and Bulwer en même temps que les deux tableaux précédents avant d’être acquise par Léon Bonnat.

Fig. 7. Francisco de Goya y Lucientes, Portrait de l’artiste, 1800, peinture sur toile, Bayonne, musée Bonnat-Helleu : ensemble

Fig. 7. Francisco de Goya y Lucientes, Portrait de l’artiste, 1800, peinture sur toile, Bayonne, musée Bonnat-Helleu : ensemble

© C2RMF/P.-Y. Duval.

13Les jugements négatifs que l’on a pu porter sur ce tableau doivent toutefois être révisés à la lumière de la restauration réalisée en 2014 au C2RMF par Regina Moreira. L’enlèvement de l’épais vernis jauni a redonné à l’œuvre une grande subtilité de tons et révélé le travail particulièrement raffiné du modelé. Nous avons remarqué dans d’autres cas, notamment lors de la restauration du Portrait de Don Luis Maria de Cistué (1791, Paris, musée du Louvre), combien le modelé des portraits de Goya est particulièrement dénaturé par la présence de vernis jaunis. Cela tient vraisemblablement à l’importance des réserves de préparation dans l’effet final, et à la finesse des couches colorées qui jouent par transparence avec les couleurs du dessous et sont facilement opacifiées par un vernis altéré, ce qui a pour effet d’aplatir l’œuvre.

14Celle-ci présente la qualité rare de n’avoir jamais été rentoilée et d’avoir conservé son châssis d’origine, à enfourchement, d’un type spécifiquement espagnol. La toile est d’armure plus serrée que celle du tableau de Castres (environ 12 x 11 fils au cm) ; elle est augmentée en partie haute d’une bande de toile d’environ 2 cm de large qui a été cousue le long du bord supérieur afin de permettre de replier le tissu sur la tranche. Ce procédé est peu orthodoxe, car la couture est localisée à l’endroit de la plus grande tension de la toile. La rusticité de l’assemblage semble qualifier la composition comme étant une étude, destinée à rester en atelier. La préparation a été posée après la mise en tension de la toile ; le blanc de plomb qu’elle contient a formé un savon qui est remonté à la surface sous la forme de nodules perçant la couche colorée, phénomène d’altération que l’on rencontre très souvent sur les tableaux de Goya.

15La radiographie est peu lisible en raison de la finesse de la matière, ce qui est caractéristique du maître (fig. 8). La matière comporte de nombreuses réserves de préparation alors que les empâtements sont très localisés. On observe que l’artiste a peint le visage sans les lunettes, avant d’en creuser les contours avec la hampe du pinceau et de les peindre en gris. Un petit rehaut clair posé à l’intérieur de la monture suggère la présence des verres par l’évocation de leur reflet. Le traitement pictural est efficace, sans recherche d’effet, comme si le peintre souhaitait que cette image se fonde dans l’arrière-plan du grand tableau qu’il est en train de préparer. Le modelé assez plat est accentué par le traitement monochrome du vêtement, mais celui-ci a été repris tardivement, comme le montre la radiographie où l’on observe que la cravate claire descendait plus bas et qu’elle a été masquée par une plage bleu-vert qui fait un peu flotter l’effigie.

Fig. 8. Radiographie du tableau de Bayonne

Fig. 8. Radiographie du tableau de Bayonne

© C2RMF/E. Lambert.

16Quand on compare le tableau de Bayonne avec celui de Castres, il semble que l’exécution de ce dernier soit laborieuse. Pour peindre le visage, l’artiste a d’abord étendu à l’emplacement des chairs une sous-couche brun sombre, qui reste visible par endroits, puis il a peint les lunettes en imitant scrupuleusement les détails superficiels du tableau de Bayonne, jusqu’au détail du nœud attachant les lunettes aux branches et à l’accent sombre situé près du nez. Il a peint ensuite le clair des chairs en veillant à ne pas déborder sur les lunettes et en respectant strictement l’orientation des coups de pinceau du tableau bayonnais. Ce mode d’exécution est caractéristique d’une copie, qui n’obéit pas à la logique de construction interne d’un visage, mais tente d’imiter l’aspect final du modèle. En ce sens, la comparaison des oreilles est édifiante (fig. 9 a-b) : l’auteur du tableau de Bayonne s’est servi du ton orangé de la préparation et s’est limité à suggérer les contours du pavillon avec quelques coups de pinceau, alors que l’artiste de Castres a d’abord peint la masse de cheveux sombres, puis a recouvert cette couche d’un ton ocre jaune ressemblant à la préparation de l’autre tableau, avant d’imiter les touches rapides modelant l’oreille.

Fig. 9 a. Détail du visage du tableau de Bayonne

Fig. 9 a. Détail du visage du tableau de Bayonne

© C2RMF/P.-Y. Duval.

Fig. 9 b. Détail du visage du tableau de Castres

Fig. 9 b. Détail du visage du tableau de Castres

© C2RMF/L. Clivet.

17Le tableau de Bayonne est donc le prototype qui a servi à la copie de Castres. Ce dernier n’est pas une répétition autographe, car l’artiste ne se serait pas imité si servilement. Il s’agit d’une imitation faite à côté de l’original, peut-être dans l’atelier du maître, par un artiste qui connaît bien la technique de Goya et qui en a repris les effets de contrastes de couleurs et de scintillement.

  • 9 D’autres portraits de la famille royale sont parfois considérés comme des esquisses à la Famille de (...)
  • 10 Garrido dans Cat. Exp. Madrid, 2002.

18Mais quelle place occupe le tableau de Bayonne dans l’élaboration de la Famille de Charles IV (fig. 5) ? Cette œuvre de grandes dimensions, peinte entre juin et juillet 1800, représente treize membres de la famille royale ainsi que le peintre, placé à l’arrière-plan. Pour préparer cette composition, Goya a fait poser les différents membres de la famille royale afin de réaliser une série d’esquisses dont cinq sont parvenues jusqu’à nous, au musée du Prado. Ces esquisses présentent la particularité d’être à l’échelle de la composition définitive, ce qui indique que l’artiste a reporté leurs contours sur le grand tableau9. Les analyses de la préparation des esquisses, réalisées par le laboratoire du musée du Prado, montrent que ces dernières sont peintes sur une double préparation composée d’une première couche de couleur rouge, à base d’ocre rouge additionné d’un peu de calcite et de quartz, et d’une seconde couche de couleur orangée, à base d’ocre jaune additionné de quartz, d’ocre rouge, d’un peu de blanc de plomb et de minium10. Or le Portrait de l’artiste du musée Bonnat-Helleu est, lui aussi, à l’échelle du portrait inséré dans la composition définitive et sa préparation, analysée par Myriam Eveno, est identique à celle des autres études. De telles similitudes sont rares en peinture, notamment dans le cas des préparations dont les composants varient toujours d’une œuvre à l’autre, même au sein d’un même atelier. Elles tendent à indiquer que le tableau de Bayonne est bien une étude préliminaire au portrait de Goya inséré dans la Famille de Charles IV.

Fiches signalétiques

Francisco de Goya y Lucientes (et artiste de son entourage ?), Portrait de l’artiste, vers 1783, complété avant 1854, peinture sur toile, 82,6 x 52,8 cm (dimensions de la toile originale : 80,5 x 53 cm), Agen, musée des Beaux-Arts (inv. 274 CH).
Bibliographie sommaire : Gassier, Wilson, 1970, n° 201 (1783, date peut-être apocryphe) ; De Angelis, 1976, n° 169 (1783 ?) ; Gudiol, 1980 [1984], n° 129 (porte la date de 1783) ; Morales y Marin, 1994, n° 110 (1782) ; Martin, Naffah, 1996, p. 16-25 ; Cat. Exp. Agen, 2019-2020, cat. 1, p. 32-45, 58-61, 184 (porte la date de 1783, notice de J. Wilson-Bareau).
Examens de laboratoire : Dossier de 1953, constitué après le vol et pendant la restauration, incluant une radiographie partielle et des prélèvements ; repris en 2013 (imagerie scientifique incluant radiographie et réflectographie infrarouge, prélèvement, pointés de fluorescence X).
Résumé des observations : Toile d’armure simple à tissage serré d’environ 17 x 17 fils au cm. Guirlandes de tension sur tout le pourtour. Préparation analysée par M. Eveno. Pas de dessin préliminaire visible sous infrarouges. Composition originale fortement reprise lors d’une intervention ultérieure ; date de 1783 ajoutée lors de la reprise. Pigments présumés d’après la fluorescence X : blanc de plomb, vermillon, terres, jaune de Naples (dans le porte-craie).
État de conservation : Toile lacérée et découpée au couteau en 1949. Les morceaux originaux ont été réunis et complétés par un rentoilage réalisé en 1953 par Linard, l’œuvre a été fortement retouchée. Amincissement du vernis en 1996 par C. Pascuali et R. Moreira.

Entourage de Francisco de Goya y Lucientes, Portrait de l’artiste, après 1800, peinture sur toile, 61 x 48 cm, Castres, musée Goya (inv. 894-5.2).
Bibliographie sommaire : Gassier, Wilson, 1970, n° 680 (Goya, vers 1797-1800) ; De Angelis, 1976, n° 320 (vers 1798) ; Gudiol, 1980 [1984], n° 405 (1800) ; Morales y Marin, 1994, n° 267 ; Augé (dir.), 2005, n° 78 (1799).
Examens de laboratoire : Dossier de 2013 identique à celui du tableau précédent.
Résumé des observations : Toile d’armure simple à tissage grossier d’environ 9 x 11 fils au cm. Conservation des bords non peints au pourtour, à l’exception du bord inférieur qui semble être coupé sur environ 5 cm (la marque de la traverse médiane originale est décentrée de 5 cm vers le bas sur la radiographie) ; cette découpe est ancienne car le châssis à enfourchement semble d’origine. Le tableau est rentoilé. Préparation analysée par M. Eveno. Pas de dessin préliminaire repérable ; radiographie peu lisible. Inscription « Goya » en bas à gauche gravée dans la matière sèche et donc non originale. Pigments présumés d’après la fluorescence X : blanc de plomb, terres, terre d’ombre, vermillon, peut-être bleu de Prusse ou indigo.
État de conservation : Tableau rentoilé avant 1963 ; toile et couche peinte en bon état.

Francisco de Goya y Lucientes, Portrait de l’artiste, 1800, peinture sur toile, 56,3 x 41,5 cm, Bayonne, musée Bonnat-Helleu (inv. 9).
Bibliographie sommaire : Gassier, Wilson, 1970, n° 681 (étude ? vers 1797-1800) ; De Angelis, 1976, n° 321 (étude ? vers 1798) ; Gudiol, 1980 [1984], n° 406 (1800) ; Morales y Marin, 1994, p. 245 (copie du tableau de Castres, sous le n° 267).
Examens de laboratoire : Dossier de 2013, identique à celui du tableau précédent.
Résumé des observations : Toile augmentée d’une bande de 1 cm cousue en partie haute et repliée sur la tranche. Armure simple, moyennement serrée d’environ 12 x 11 fils au cm. Tableau non rentoilé tendu sur son châssis original à enfourchement. Bords préparés et non peints repliés sur les tranches. Préparation analysée par M. Eveno. Traces de dessin sous-jacent au pinceau visibles en réflectographie infrarouge. Reprise de composition dans la chemise ; lunettes tracées à la hampe du pinceau. Pigments présumés d’après la fluorescence X : blanc de plomb, terres, terre d’ombre, vermillon ; pigments bleus et verts non identifiés.
État de conservation : Support et couche peinte en bon état ; support consolidé en 2014 par C. Châtelier et couche peinte nettoyée par R. Moreira.

Haut de page

Notes

1 Il nous est agréable de remercier Mme Marie-Dominique Nivière et M. Adrien Enfedaque, ancienne conservatrice et actuel conservateur du musée des Beaux-Arts d’Agen, M. Jean-Louis Augé, ancien conservateur du musée Goya de Castres, Mme Sophie Harent et M. Benjamin Couilleaux, ancienne conservatrice et actuel conservateur du musée Bonnat-Helleu de Bayonne. Nous remercions également les photographes et chercheurs du C2RMF qui nous ont aidés dans l’étude de ces tableaux, en particulier Jean-Louis Bellec, Laurence Clivet, Elsa Lambert, Myriam Eveno et Éric Laval.

2 La bibliographie sommaire relative à chaque œuvre et les principales données techniques sont regroupées dans des fiches signalétiques à la fin du présent article.

3 Pour un bon détail du visage de Goya dans la Prédication de saint Bernardin de Sienne, voir Cat. Exp. Agen, 2019-2020, p. 61.

4 Nous remercions le Dr Janis Tomlinson pour cette précieuse indication.

5 Wilson-Bareau, 2008, p. 35, et procès-verbal de la commission de restauration du tableau, 1995, archives du C2RMF.

6 Wilson-Bareau, 2008, p. 51, note 13.

7 Voir la fiche signalétique, en fin d’article.

8 Gerard Powell dans Cat. Exp. Agen, 2019-2020, p. 214.

9 D’autres portraits de la famille royale sont parfois considérés comme des esquisses à la Famille de Charles IV, comme le Portrait de Ferdinand VII du Metropolitan Museum de New York, mais ce portrait ne se superpose pas au personnage du tableau, ce qui nous semble démontrer que ce n’en est pas une étude.

10 Garrido dans Cat. Exp. Madrid, 2002.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1. Francisco de Goya y Lucientes (et artiste de son entourage ?), Portrait de l’artiste, vers 1783, complété avant 1854, peinture sur toile, Agen, musée des Beaux-Arts : ensemble
Crédits © C2RMF/J.-L. Bellec.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,9M
Titre Fig. 2. Radiographie du Portrait de l’artiste
Crédits © C2RMF/E. Lambert.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 800k
Titre Fig. 3. Radiographie, détail du visage
Crédits © C2RMF/E. Lambert.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 676k
Titre Fig. 4. Entourage de Francisco de Goya y Lucientes, Portrait de l’artiste, après 1800, peinture sur toile, Castres, musée Goya : ensemble
Crédits © C2RMF/L. Clivet.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 700k
Titre Fig. 5. Francisco de Goya y Lucientes, Famille de Charles IV, 1800, peinture sur toile, 280 x 336 cm, Madrid, musée du Prado : détail de l’autoportrait de Goya
Crédits © Wikimedia Commons/Madrid, Museo del Prado.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 148k
Titre Fig. 6. Radiographie du tableau de Castres
Crédits © C2RMF/E. Lambert.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 616k
Titre Fig. 7. Francisco de Goya y Lucientes, Portrait de l’artiste, 1800, peinture sur toile, Bayonne, musée Bonnat-Helleu : ensemble
Crédits © C2RMF/P.-Y. Duval.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 752k
Titre Fig. 8. Radiographie du tableau de Bayonne
Crédits © C2RMF/E. Lambert.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 872k
Titre Fig. 9 a. Détail du visage du tableau de Bayonne
Crédits © C2RMF/P.-Y. Duval.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 860k
Titre Fig. 9 b. Détail du visage du tableau de Castres
Crédits © C2RMF/L. Clivet.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/11013/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 891k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Bruno Mottin, « À propos des « autoportraits » de Goya des musées d’Agen, Castres et Bayonne »Technè, 53 | 2022, 58-65.

Référence électronique

Bruno Mottin, « À propos des « autoportraits » de Goya des musées d’Agen, Castres et Bayonne »Technè [En ligne], 53 | 2022, mis en ligne le 25 septembre 2023, consulté le 25 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/techne/11013 ; DOI : https://doi.org/10.4000/techne.11013

Haut de page

Auteur

Bruno Mottin

Conservateur général du patrimoine, département Recherche, C2RMF (bruno.mottin[at]culture.gouv.fr).

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search