1Aborder une couleur constitue en soi une première pour Technè, revue plus naturellement versée dans l’analyse des matériaux constituant le patrimoine, leur création, leur emploi et leur mise en œuvre, en lien avec un artiste, une époque ou une aire géographique.

2Cependant, une couleur, et notamment le noir, si employé dans de multiples contextes, peut aussi donner à voir une matérialité propre participant de celle de l’œuvre d’art. En outre, la perception même de cette couleur dans le temps et dans l’espace est à coup sûr une question complexe comportant de multiples ramifications. C’est également s’assurer de l’interdisciplinarité remarquable du sujet au regard des connaissances à mobiliser, et ce numéro de Technè en est à l’évidence représentatif, tout comme de son caractère international.

3En ce sens, envisager les matières noires dans l’art conduit à s’interroger sur leur composition, leur origine, le sens de leur utilisation, la mise en œuvre et les périmètres correspondants, historiques et géographiques notamment.

4Les bâtiments marins goudronnés, les vestiges des litres funéraires sur les murs, le poirier noirci des meubles, les ombres des œuvres peintes dessinées ou gravées, la teinture des textiles, la présence essentielle du noir dans l’œuvre de certains artistes contemporains… illustrent à la fois la diversité des textures, des usages et du sens. En conséquence, les matières noires bénéficient à la fois d’une présence et d’une reconnaissance universelle, ainsi que d’une recherche multiple pour en déceler la matité ou le brillant, la profondeur ou l’aspect léger, tant en matière de composition que de mise en œuvre.

5Les deux numéros consacrés à ce thème constituent donc un fort enjeu au regard de l’importance de cette couleur si particulière, enjeu explicité par Agnès Lattuati-Derieux, Charlotte Ribeyrol et Arlen Heginbotham, qui en assurent la direction scientifique.

6Le présent numéro s’attache à la relation nouée par les artistes avec cette couleur, et à la fabrication de celle-ci, dans sa composition mais aussi ses méthodes. La diversité des approches, des traditions et des savoir-faire montre l’étendue du sujet et la variété des points de vue. Ce qui frappe notamment, c’est la multitude des matériaux organiques ou inorganiques qui sont utilisés, associés, transformés pour approcher le ou les noirs.

7Resteraient les questions posées par le ou les noirs non intentionnels, les patines sur les objets et œuvres d’art, les dégradations ou les altérations des matériaux, les croûtes noires liées à la pollution… toutes choses influant sur notre vision et notre perception des œuvres, de l’impact de ces éléments et du sens que l’on peut leur donner. À ces questions s’ajoutent, face à l’évolution ou à la dégradation des noirs, celles de leur conservation et de la nature des interventions envisageables et acceptables sur la durée.

8Je remercie sincèrement Michel Pastoureau qui, au travers des « couleurs du noir » de son avant-propos, a bien voulu contribuer à ce premier numéro consacré aux Matières noires : sens et substances.