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Varia

Un nouvel emploi du cobalt identifié sur un vase en albâtre de la XVIIIe dynastie inscrit au nom d’Amenhotep III découvert à Ougarit (Syrie)

A new use of cobalt identified on an alabaster vase inscribed with the name of Amenhotep III discovered in Ugarit (Syria)
Valérie Matoïan and Anne Bouquillon
p. 150-157

Abstracts

Blue inlays highlighting the hieroglyphs on two fragments of a calcite alabaster vase inscribed with the name of Pharaoh Amenhotep III (Louvre, inv. AO 27127) and discovered in Ugarit were studied using non-destructive methods. The analysis revealed that cobalt was used as the colorant, probably in the spinel form close to that identified as the pigments in blue-painted pottery from the same period.

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Dedication

En hommage à Sandrine Pagès-Camagna
Sandrine Pagès-Camagna fut l’un des acteurs de la recherche ici présentée, en sa qualité de spécialiste du bleu égyptien. Nous lui dédions cet article en témoignage de notre amitié et de notre estime.

Full text

1Parmi les royaumes du Levant septentrional de l’âge du Bronze, celui d’Ougarit (Syrie) est l’un des mieux documentés pour la période allant du xive au début du xiie siècle avant J.-C. Son histoire à l’âge du Bronze récent est liée à celle des grands royaumes de l’époque : le Mitanni, l’Égypte du Nouvel Empire et le Hatti dont Ougarit est un vassal à partir de la seconde moitié du xive siècle. Les données archéologiques et textuelles livrent l’image d’un royaume florissant, occupant une place privilégiée sur la côte méditerranéenne, au carrefour des voies de circulation internationales entre la Méditerranée orientale et le Proche-Orient. Sa capitale, qui porte le même nom, Ougarit, est devenue un site de référence pour l’étude des civilisations urbaines et palatiales du Proche-Orient et de la Méditerranée orientale.

  • 1 Salle des actualités du département des Antiquités orientales (commissariat : V. Matoïan et M. Pic) (...)

2Les recherches sur le site de Ras Shamra, très vite identifié comme la capitale d’Ougarit, et sur celui de Minet el-Beida où était implanté son port principal (antique Mahadu), ont commencé en 1929. L’exposition « Ougarit, une cité méditerranéenne », présentée au musée du Louvre du 6 juillet au 2 décembre 2019, marque donc le quatre-vingt dixième anniversaire du début des fouilles1.

Contexte archéologique de l’étude

  • 2 Des études ont également porté sur les roches (voir Yon, 1991) et les métaux.

3L’exploration a mis au jour un abondant matériel archéologique, illustrant de nombreux artisanats. À partir des années 1980, des programmes d’analyses archéométriques portant sur différentes catégories d’objets découverts à Ras Shamra et Minet el-Beida ont été réalisés au Laboratoire de recherche des musées de France (devenu depuis lors Centre de recherche et de restauration des musées de France). Les arts du feu ont fait l’objet d’un intérêt tout particulier2, avec notamment le développement de plusieurs recherches sur les matières vitreuses.

  • 3 Matoïan, 2000.

4Ougarit a en effet livré l’un des corpus d’objets en matières vitreuses parmi les plus importants du Proche-Orient pour la période du Bronze récent. Plus de 17 000 faïences, un millier d’objets en verre, environ 250 en bleu égyptien et moins d’une trentaine en céramique argileuse à glaçure ont été répertoriés3. Le répertoire typologique est d’une grande variété : vases, figurines, éléments de parure, pommeaux, pions de jeu, cachets, sceaux-cylindres, scarabées, éléments d’incrustation…

  • 4 Bouquillon, Caubet, Kaczmarczyk, Matoïan, 2007. Quelques objets en bleu égyptien avaient été analys (...)
  • 5 Matoïan, Bouquillon, 1999.
  • 6 Matoïan, Bouquillon, 2000.
  • 7 Bouquillon, Matoïan, 2007.
  • 8 Biron, Matoïan, Henderson, Evans, 2012.
  • 9 Les études en laboratoire ont porté sur des pièces conservées dans les musées en Syrie, exportées t (...)

5Le matériel d’Ougarit a tout d’abord été étudié dans le cadre d’un vaste programme sur les faïences de l’Orient ancien, initié par A. Caubet et A. Kaczmarczyk à partir des collections du département des Antiquités orientales du musée du Louvre4. À cette recherche initiale ont succédé quatre opérations portant respectivement sur la céramique argileuse à glaçure5, le bleu égyptien6, la faïence monochrome bleu-gris7 et le verre8. Ces recherches, initiées par V. Matoïan, ont été menées en collaboration avec A. Bouquillon, I. Biron, S. Pagès-Camagna et avec la participation d’Y. Coquinot et d’A. Leclaire. Elles se sont inscrites dans le cadre d’une collaboration entre le C2RMF, le musée du Louvre et la Mission archéologique syro-française de Ras Shamra-Ougarit9.

6Les objectifs premiers étaient de mieux caractériser les matériaux et d’essayer de définir l’origine des productions (importation ou production locale). En montrant la présence à Ougarit d’une série bien documentée d’objets en faïence monochrome bleu-gris colorés au cobalt, en permettant d’identifier un nouvel emploi du bleu égyptien comme colorant d’un corps de faïence, en révélant l’une des premières utilisations de verre incolore, ces travaux ont apporté des résultats novateurs.

  • 10 Caubet, 1991, p. 230 : RS 1-11. [116].
  • 11 Lagarce, 2008, p. 272-273, fig. 11.
  • 12 Icart, Chanut, Matoïan, 2008, p. 184-185.
  • 13 Lagarce, 2008 ; Lagarce, Othman, Grimal, 2013.

7Nous avons repris à partir de 2014 les dossiers du bleu égyptien et de la faïence monochrome bleu gris en menant des analyses complémentaires sur plusieurs séries d’objets conservés au département des Antiquités orientales du musée du Louvre, principalement des perles, des sceaux-cylindres et des pains de bleu égyptien brut. La sélection comportait aussi deux fragments jointifs d’un vase en pierre de Ras Shamra dont la panse présente des incrustations de matière bleue. L’œuvre est répertoriée sous le numéro d’inventaire de musée AO 27127 (fig. 1). Ni le numéro d’inventaire de fouille, ni la provenance précise de l’objet ne sont connus10. Les fragments appartiennent à un vase jubilaire au nom du pharaon Amenhotep III (env. 1392-1354 av. J.-C.) de la XVIIIe dynastie égyptienne11. Il fait partie d’une série restreinte de vases égyptiens en albâtre calcaire12 inscrits aux noms de plusieurs pharaons du Nouvel Empire égyptien (Amenhotep III, Amenhotep IV-Akhenaton, Horemheb, Ramsès II) ; retrouvés à Ougarit dans le Palais royal et dans de grandes demeures de la cité, ces vases sont interprétés comme des cadeaux de Pharaon en témoignage des bonnes relations entre l’Égypte et le royaume d’Ougarit13.

Fig. 1. Fragment de vase en albâtre calcaire de Ras Shamra, Louvre, inv. AO 27127 (H. 10,4 cm, L. 11,5 cm)

Fig. 1. Fragment de vase en albâtre calcaire de Ras Shamra, Louvre, inv. AO 27127 (H. 10,4 cm, L. 11,5 cm)

© Cliché C2RMF/A. Maigret. Infographie mission de Ras Shamra/G. Devilder.

  • 14 Matoïan, 2020 (à paraître).
  • 15 Lagarce-Othman, 2017.

8Deux autres vases en albâtre au nom d’Amenhotep III ont été identifiés à Ougarit : RS 17.58 (Damas DO 4465) et RS 11.329 (Louvre 84 AO 548). Le premier a été mis au jour lors de la fouille du Palais royal, tandis que le second provient du secteur dit « Ville Basse ouest14 ». Sept scarabées portant le nom de ce pharaon ont également été retrouvés à Ras Shamra, parmi lesquels un grand scarabée commémoratif aux noms du pharaon et de son épouse, la reine Tiy15.

  • 16 Matoïan, 2014.

9Les vestiges d’incrustations ou de peintures de couleur bleue sont rares à Ougarit. Jusqu’à présent, les pièces les mieux documentées sont des éléments en verre bleu (en forme de boucle, de baguette ou de pétale) qui faisaient probablement partie, sous forme d’incrustations, du décor de meubles en bois16.

  • 17 Gachet-Bizollon, 2007, p. 22.

10Des traces de matière bleue (observées au moment des fouilles mais aujourd’hui disparues) ont été signalées par les fouilleurs sur certains objets en ivoire considérés comme des productions locales17.

11Enfin, plusieurs catégories de vases présentent les restes d’un décor bleu (incrusté ou peint). Il s’agit :

    • 18 Lagarce, du Puytisson-Lagarce, 2008, Lagarce, 2008 ; p. 266 et 271 ; Bounni et al., 1998, p. 71.

    de vases en albâtre calcaire égyptiens. Les deux fragments Louvre AO 27127 appartiennent à cette dernière catégorie. On signalera aussi quatre autres vases incomplets, deux aux noms d’Amenhotep IV (RS 15.202, fig. 2 et RS 15.203) et deux aux noms de Ramsès II (RS 15.201 et RS 34.30)18. RS 34.30 présente à la fois un décor gravé, avec des restes de matière bleue, et un décor peint, en noir, rouge et bleu.

    • 19 Lagarce, 2008, p. 160.

    de céramiques importées d’Égypte portant encore les traces d’un décor peint en bleu19.

    • 20 Icart, Chanut, Matoïan, 2008, p. 167-168, fig. 4, pl. IX, 1 et 2.

    de couvercles en calcaire à décor de corolle florale polychrome. Un spécimen mis au jour dans le Palais royal conserve encore une partie de son décor peint avec des zones de couleur bleue (RS 17.157, Damas 4495)20 (fig. 3).

Fig. 2. Fragment de vase en albâtre calcaire au nom d’Amenhotep IV (RS 15.202, musée national de Damas 4155), Ras Shamra

Fig. 2. Fragment de vase en albâtre calcaire au nom d’Amenhotep IV (RS 15.202, musée national de Damas 4155), Ras Shamra

© Mission de Ras Shamra, cliché V. Matoïan, infographie G. Devilder.

Fig. 3. Couvercle en calcaire à décor de corolle florale polychrome (RS 17.157, musée national de Damas 4495), Ras Shamra

Fig. 3. Couvercle en calcaire à décor de corolle florale polychrome (RS 17.157, musée national de Damas 4495), Ras Shamra

© Mission de Ras Shamra, cliché V. Matoïan, infographie G. Devilder.

L’analyse du pigment bleu

  • 21 Bounni et al., 1998, p. 77 ; Matoïan, Bouquillon, 2000, p. 987-988 ; Lagarce, 2008, p. 263.
  • 22 Documentation C2RMF, n° de dossier C2RMF 73634.

12Plusieurs auteurs ont proposé, sur la base d’observations visuelles, que le pigment utilisé pour les matières bleues observables sur le matériel retrouvé à Ougarit soit du bleu égyptien21. Or, en ce qui concerne la matière bleue incrustée sur le vase Louvre AO 2712722, l’imagerie scientifique ainsi que les analyses en laboratoire montrent que tel n’est pas le cas.

13En effet, G. Verri (2009) a montré que le bleu égyptien – plus particulièrement les cristaux de cuprorivaïte (CaCuSi4O10) qu’il contient – émet une fluorescence caractéristique dans le domaine de l’infrarouge (910 nm) quand il est éclairé par une source lumineuse rouge (610 nm). Pour la matière bleue du vase Louvre AO 27127, aucune fluorescence n’est observée dans la partie gauche, là où la coloration est la plus franche (fig. 4), il s’agit donc d’un autre matériau colorant. En revanche, une fluorescence apparaît sur le cliché au niveau de la cassure médiane et à droite près d’un hiéroglyphe. Elle correspond à un matériau blanc (fig. 1) non encore identifié à ce niveau de l’étude (collage ?…).

Fig. 4. Vase Louvre AO 27127 : observation de la fluorescence dans le domaine de l’infrarouge (910 nm)

Fig. 4. Vase Louvre AO 27127 : observation de la fluorescence dans le domaine de l’infrarouge (910 nm)

La zone étudiée dans le fragment à gauche sur la photo ne présente aucune fluorescence (cadre rouge). Les fluorescences au niveau de la cassure ou de la limite du cartouche à droite (voir flèche) ne sont pas expliquées pour le moment.

© Cliché C2RMF/A. Maigret. Infographie mission de Ras Shamra/G. Devilder.

14Dans un second temps, nous avons analysé l’incrustation avec l’accélérateur de particules AGLAE, par PIXE, de façon totalement non-destructive. Nous avons pu éviter que le calcium constitutif de l’albâtre vienne « polluer » la composition chimique de la matière bleue en focalisant très précisément le faisceau de protons dont le diamètre est proche de 50 µm sur l’incrustation soulignée dans la figure 4. Les résultats montrent la présence du cobalt, associé à de l’aluminium, élément largement majoritaire, du zinc, du fer, du manganèse et du nickel (fig. 5). Les concentrations relatives de chaque élément sont détaillées dans le tableau 1.

Fig. 5. Spectre PIXE de l’incrustation bleue

Fig. 5. Spectre PIXE de l’incrustation bleue

© C2RMF.

Tableau 1. Composition chimique de l’incrustation bleue du vase AO 27127 (données PIXE exprimées en % massiques d’oxydes)

Na2O

MgO

Al2O3

SiO2

SO3

Cl

K2O

CaO

TiO2

MnO

Fe2O3

CoO

NiO

ZnO

SrO

CuO

Louvre

AO 27127

8,11

2,26

51,94

13,87

3,40

0,03

0,45

4,70

0,04

0,82

0,75

2,86

1,07

9,67

0,01

0,03

  • 23 Bouquillon, Matoïan, 2007.
  • 24 Matoïan, Bouquillon, 2007.
  • 25 Voir Kaczmarczyk, Hedges, 1983 ; Kaczmarczyk, 1986.

15L’utilisation de cobalt est fréquente dans les matériaux vitreux du IIe millénaire en Égypte et à Ougarit. Cet oxyde métallique aux pouvoirs colorants puissants se retrouve dans les verres et les glaçures des faïences ou sur des céramiques. À Ougarit, le cobalt est notamment l’élément colorant des glaçures de tous les objets en faïence monochrome bleu-gris que nous avons analysés23. Il a aussi été détecté dans un petit bloc de verre bleu foncé retrouvé dans le Palais royal et dont la composition est proche de celle des verres égyptiens du Nouvel Empire24. Dans ces matériaux pourtant, les teneurs en cobalt n’excèdent pas 1 % CoO ; on y retrouve cependant les mêmes éléments chimiques associés au cobalt, en quantités certes très inférieures à celles détectées dans les incrustations du vase Louvre AO 27127, mais dont les rapports restent assez proches (tableau 2). Les associations des différents éléments chimiques signent les conditions géochimiques de dépôts des gisements. Ici, elles semblent correspondre à celles des aluns cobaltifères des oasis du désert occidental égyptien25. Cette hypothèse d’une origine égyptienne de l’élément colorant est confortée par la typologie des objets concernés : la plupart des faïences bleu-gris, tout comme le fragment de vase ici étudié, présentent de fortes affinités typologiques et stylistiques avec les productions mises au jour en Égypte.

Tableau 2. Comparaison des rapports MgO/CoO, MnO/CoO, Fe203/CoO, NiO/CoO, ZnO/CoO, Al2O3/CoO

MgO/CoO

MnO/CoO

Fe203/CoO

ZnO/CoO

NiO/CoO

Al2O3/CoO

Vase

0,8

0,3

0,3

3,4

0,4

18,1

Makalta *

1,0

0,5

0,6

3,2

0,6

14,7

0,67-1,94

0,12-0,33

0,32-0,71

2,47-5,11

0,31-0,74

11,1-20,89

Amarna *

2,4

0,4

1,3

3,3

0,8

17,5

1,50-3,20

0,23-0,43

0,97-2,45

1,91-4,37

0,7-1,1

15,3-20,6

Données issues de l’article de Shortland et al., 2006. Les lignes en italiques correspondent aux valeurs minimales et maximales mentionnées par les auteurs.

  • 26 Le cobalt n’est pas attesté dans les peintures murales égyptiennes pour lesquelles le pigment est l (...)
  • 27 Sur cette catégorie céramique, voir notamment : Bourriau et al., 2005 ; Aston, 2011.
  • 28 Noll, 1981; Shortland, 2000; Shortland et al., 2006 ; Abe, 2009.
  • 29 Shortland, 2000, p. 48.

16L’observation d’un détail de l’incrustation bleue du vase (fig. 6) et la composition chimique montrent nettement que le pigment coloré n’est pas du verre bleu pilé que l’on aurait mélangé à une charge. C’est un pigment spécifique. Dans l’Égypte du Nouvel Empire, en parallèle à son utilisation comme colorant dans divers matériaux vitreux (faïence, fritte, verre), le cobalt a aussi servi pour les décors peints appliqués sur certaines céramiques destinées aux élites26. Connue sous l’appellation de « blue-painted pottery », cette céramique est un marqueur de la culture matérielle égyptienne du Nouvel Empire. Plusieurs phases de production ont été reconnues, du milieu de la XVIIIe dynastie (règne d’Amenhotep II) au milieu de la XXe dynastie (règne de Ramsès IV). Des ateliers ont existé dans la région memphite et dans la région thébaine. Cette céramique décorée est particulièrement bien attestée sous le règne d’Amenhotep III, avec un centre de production à Malkata27. Les peintures bleues sur céramique ont été largement étudiées depuis les années 198028 et on sait maintenant que le pigment est un aluminate de cobalt29, un spinelle de la forme CoAl2O4 contenant aussi d’autres éléments métalliques (Zn, Fe…), obtenu à partir d’un traitement thermique et éventuellement chimique des aluns. La comparaison des données chimiques de l’incrustation avec celles publiées par A. Shortland, C. A. Hope et M. S. Tite en 2006 montre qu’il s’agit très probablement du même type de pigment (tableau 1).

Fig. 6. Détail de l’incrustation bleue du vase AO 27127

Fig. 6. Détail de l’incrustation bleue du vase AO 27127

© C2RMF/S. Pagès-Camagna.

  • 30 Lee, Quirke, 2000, p. 108 et 111.
  • 31 Abe, 2009.

17Sur les céramiques, ce type de décor bleu est, selon les différents chercheurs cités précédemment, systématiquement posé avant cuisson, de même que les décors noirs (spinelle Fe/Mn) et rouges (hématite). De l’alun riche en cobalt serait posé directement sur un engobe argileux enrichi en gypse ; le tout est porté à une température comprise entre 800 °C et 1000 °C, nécessaire au développement de la couleur et à la cristallisation des phases spinelles. Dans le cas des décors colorés posés après cuisson, des analyses ont montré que la couleur bleue pouvait être due à l’emploi de bleu égyptien30, tout comme pour les enduits peints architecturaux31.

18La matière constitutive du vase est ici de l’albâtre calcaire et on ne peut imaginer une cuisson de l’objet qui aurait détérioré l’aspect de l’œuvre. Il faut donc envisager une autre préparation spécifique du pigment qui puisse être appliqué à froid sur un objet.

19W. Noll (1981), cité par Y. Abe (2009), propose un protocole en trois étapes : 1. dissolution de l’alun dans l’eau et obtention de solutions de sulfates ; 2. précipitations d’hydroxydes métalliques par ajout d’alcalins à cette solution (natron ?) ; 3. cuisson du précipité obtenu entre 900 et 1000 °C. Le produit obtenu sera alors posé sur l’objet.

20Dans les analyses de l’incrustation du vase AO 27127 (tableau 1), les teneurs importantes en sodium (8 % Na2O) pourraient alors s’expliquer par l’utilisation de natron (Na2CO3•10 H2O). Nous n’avons pas trouvé mention en bibliographie de creusets ayant contenu ce type de préparation ou de pains de matières brutes qui pourraient corroborer cette recette.

21Notre hypothèse à ce stade de la recherche est donc qu’un pigment à base de cobalt, sous forme de spinelle, a été mis en œuvre. Il est prévu de réaliser maintenant d’autres études, par diffractométrie des rayons X tout d’abord, puis par spectrométrie Raman, pour valider cette piste et trouver comment ce pigment a été posé.

Conclusion

22La culture matérielle de la civilisation ougaritique comprend un grand nombre, d’une part, d’œuvres égyptiennes importées et, d’autre part, de productions artistiques locales (ou régionales) témoignant de l’influence égyptienne. Ougarit a livré un des corpus les plus importants d’ægyptiaca du Levant parmi lesquels des pièces aux noms de pharaons du Moyen et du Nouvel Empire (majoritairement des statues et de la vaisselle en albâtre). Pour la première fois, l’analyse d’un vase en albâtre a révélé l’emploi d’un pigment à base de cobalt pour la matière bleue incrustée dans le décor en creux de la panse. Cette découverte permet d’envisager de nouvelles pistes de recherche sur les couleurs en Égypte et au Proche-Orient ancien, ainsi que dans le domaine de la science des matériaux.

  • 32 Chauffeton, 2018.

23Un premier programme d’envergure portant spécifiquement sur les incrustations de couleur bleue devra être envisagé. Par ailleurs, des expérimentations comparables à celles menées par C. Chauffeton32 et G. Wallez pour l’étude d’un autre spinelle alumineux contenant du cobalt découvert au xixe siècle de notre ère et largement utilisé à la manufacture de Sèvres seraient importantes pour mieux préciser les conditions thermiques et les protocoles de fabrication de ce matériau.

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Documents inédits

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Matoïan V., 2000, Ras Shamra-Ougarit et la production des matières vitreuses au Proche-Orient au IIe millénaire av. J.-C., thèse de doctorat, université de Paris I Panthéon Sorbonne.

Matoïan V., 2014, Ugarit, l’Égypte et les Phéniciens. Manuscrit inédit, dossier d’HDR, université Paris I-Panthéon Sorbonne.

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Notes

1 Salle des actualités du département des Antiquités orientales (commissariat : V. Matoïan et M. Pic) : Matoïan, Pic, 2019.

2 Des études ont également porté sur les roches (voir Yon, 1991) et les métaux.

3 Matoïan, 2000.

4 Bouquillon, Caubet, Kaczmarczyk, Matoïan, 2007. Quelques objets en bleu égyptien avaient été analysés antérieurement par C. Lahanier.

5 Matoïan, Bouquillon, 1999.

6 Matoïan, Bouquillon, 2000.

7 Bouquillon, Matoïan, 2007.

8 Biron, Matoïan, Henderson, Evans, 2012.

9 Les études en laboratoire ont porté sur des pièces conservées dans les musées en Syrie, exportées temporairement grâce à l’autorisation de la Direction générale des antiquités et des musées de Syrie et, en France, au musée du Louvre. Nous remercions vivement le département des Antiquités orientales pour son soutien constant, en particulier mesdames A. Caubet, B. André-Salvini, M. Pic et S. Cluzan.

10 Caubet, 1991, p. 230 : RS 1-11. [116].

11 Lagarce, 2008, p. 272-273, fig. 11.

12 Icart, Chanut, Matoïan, 2008, p. 184-185.

13 Lagarce, 2008 ; Lagarce, Othman, Grimal, 2013.

14 Matoïan, 2020 (à paraître).

15 Lagarce-Othman, 2017.

16 Matoïan, 2014.

17 Gachet-Bizollon, 2007, p. 22.

18 Lagarce, du Puytisson-Lagarce, 2008, Lagarce, 2008 ; p. 266 et 271 ; Bounni et al., 1998, p. 71.

19 Lagarce, 2008, p. 160.

20 Icart, Chanut, Matoïan, 2008, p. 167-168, fig. 4, pl. IX, 1 et 2.

21 Bounni et al., 1998, p. 77 ; Matoïan, Bouquillon, 2000, p. 987-988 ; Lagarce, 2008, p. 263.

22 Documentation C2RMF, n° de dossier C2RMF 73634.

23 Bouquillon, Matoïan, 2007.

24 Matoïan, Bouquillon, 2007.

25 Voir Kaczmarczyk, Hedges, 1983 ; Kaczmarczyk, 1986.

26 Le cobalt n’est pas attesté dans les peintures murales égyptiennes pour lesquelles le pigment est le bleu égyptien (Lee, Quirke, 2000, p. 108 et 111).

27 Sur cette catégorie céramique, voir notamment : Bourriau et al., 2005 ; Aston, 2011.

28 Noll, 1981; Shortland, 2000; Shortland et al., 2006 ; Abe, 2009.

29 Shortland, 2000, p. 48.

30 Lee, Quirke, 2000, p. 108 et 111.

31 Abe, 2009.

32 Chauffeton, 2018.

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List of illustrations

Title Fig. 1. Fragment de vase en albâtre calcaire de Ras Shamra, Louvre, inv. AO 27127 (H. 10,4 cm, L. 11,5 cm)
Credits © Cliché C2RMF/A. Maigret. Infographie mission de Ras Shamra/G. Devilder.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/2846/img-1.jpg
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Title Fig. 2. Fragment de vase en albâtre calcaire au nom d’Amenhotep IV (RS 15.202, musée national de Damas 4155), Ras Shamra
Credits © Mission de Ras Shamra, cliché V. Matoïan, infographie G. Devilder.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/2846/img-2.jpg
File image/jpeg, 728k
Title Fig. 3. Couvercle en calcaire à décor de corolle florale polychrome (RS 17.157, musée national de Damas 4495), Ras Shamra
Credits © Mission de Ras Shamra, cliché V. Matoïan, infographie G. Devilder.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/2846/img-3.jpg
File image/jpeg, 400k
Title Fig. 4. Vase Louvre AO 27127 : observation de la fluorescence dans le domaine de l’infrarouge (910 nm)
Caption La zone étudiée dans le fragment à gauche sur la photo ne présente aucune fluorescence (cadre rouge). Les fluorescences au niveau de la cassure ou de la limite du cartouche à droite (voir flèche) ne sont pas expliquées pour le moment.
Credits © Cliché C2RMF/A. Maigret. Infographie mission de Ras Shamra/G. Devilder.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/2846/img-4.jpg
File image/jpeg, 176k
Title Fig. 5. Spectre PIXE de l’incrustation bleue
Credits © C2RMF.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/2846/img-5.jpg
File image/jpeg, 344k
Title Fig. 6. Détail de l’incrustation bleue du vase AO 27127
Credits © C2RMF/S. Pagès-Camagna.
URL http://journals.openedition.org/techne/docannexe/image/2846/img-6.jpg
File image/jpeg, 908k
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References

Bibliographical reference

Valérie Matoïan and Anne Bouquillon, “Un nouvel emploi du cobalt identifié sur un vase en albâtre de la XVIIIe dynastie inscrit au nom d’Amenhotep III découvert à Ougarit (Syrie)”Technè, 48 | 2019, 150-157.

Electronic reference

Valérie Matoïan and Anne Bouquillon, “Un nouvel emploi du cobalt identifié sur un vase en albâtre de la XVIIIe dynastie inscrit au nom d’Amenhotep III découvert à Ougarit (Syrie)”Technè [Online], 48 | 2019, Online since 01 July 2021, connection on 10 November 2024. URL: http://journals.openedition.org/techne/2846; DOI: https://doi.org/10.4000/techne.2846

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About the authors

Valérie Matoïan

Chargée de recherche au CNRS, UMR 7192 Proclac (CNRS – Collège de France) (valerie.matoian[at]college-de-france.fr).

Anne Bouquillon

Ingénieur de recherche, C2RMF – Institut de Recherche Chimie Paris, PSL Research University, Chimie ParisTech-CNRS, UMR 8247 (anne.bouquillon[at]culture.gouv.fr).

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