Introduction

1Au début des années 2010, pendant plus de deux ans, sur le territoire du Pays, une intercommunalité d’un département rural du centre de la France, des panneaux de bois ont été fabriqués et disséminés dans les jardins, des affichettes ont été collées chez les commerçants, des drapeaux ont été punaisés sur des cartes géographiques, des élus se sont fait guides de leur territoire en voiture, une boutique a été transformée en salle de travail, des acteurs locaux ont été filmés, des histoires ont été imaginées, des réunions se sont terminées tard, très tard, des amitiés professionnelles se sont nouées. L’ensemble de ces activités, mobilisant des habitants, des élus et les agents en charge de la conception et la mise en œuvre des politiques de développement territorial, visent à identifier des initiatives locales qui, après leur expérimentation et leur déploiement, sont susceptibles d’impulser une dynamique de développement territorial. Ce futur du territoire est représenté dans des films de fiction dont la projection publique constitue l’acmé de Futurs à Venir (FaV), démarche de réflexion et de rédaction de la nouvelle Charte du projet de territoire à partir de laquelle le Pays candidate à différents appels d’offres de financement et de labélisation.

2L’objet de cet article est de présenter les principaux enjeux de cette démarche de développement territorial, en relevant comment l’attention portée à la méthode et aux médium par le maitre d’ouvrage en redéfini les objectifs : de la remobilisation des acteurs locaux à la projection dans un futur à faire advenir. Plus qu’une opposition entre urbanisme urbain ou rural (qui serait propre à la gestion des espaces ruraux (Boutet, 2004)), FaV offre un miroir qui, par les contraintes propres aux espaces ruraux (éloignement des centres décisionnels, ingénierie territoriale réduite…), engage de nouvelles façons de travailler pouvant inspirer d’autres territoires, tout en questionnant les routines, méthodes et supports habituels de ce type d’exercice. En effet, l’usage de la vidéo dans la phase de diagnostic et la réalisation de films de social-fiction comme représentation des futurs imaginés permet de revenir sur les rôles des formes de visualisation. Les films (et autres medium) endossent ici la fonction d’objet intermédiaire dans la définition et la conception du projet de territoire. Ils sont à la fois le support d’inscription de données hétérogènes favorisant le cadrage des enjeux de la démarche de prospective et de levier pour enrôler les acteurs locaux et constituer un public et un espace de débat sur le développent du territoire. La notion d’objet intermédiaire a d’abord été utilisée en sociologie des sciences pour décrire et analyser le rôle de certains objets (un texte, une carte, un graphique) dans la coopération scientifique (Vinck, 2009). Suivre le destin de ces objets est un moyen heuristique pour analyser les étapes du processus de production des connaissances : collecte des données, sélection, transcription, interprétation et problématisation. Par extension, plusieurs chercheurs ont mobilisé cette notion pour étudier le rôle des formes de représentation dans les disciplines de projet territorial (Debarbieux, Lardon 2003 ; Söderström 2000) ou architectural (Yaneva 2009) (voir également Jeantet 1998). Les objets intermédiaires interviennent tout au long du processus pour représenter à la fois l’état d’avancement des connaissances, la compréhension des enjeux et les formes de ce qui pourrait advenir. Ils sont le support d’échanges au cours desquels les pensées s’affinent, les conflits émergent, les parties prenantes débattent. Leur robustesse, c’est-à-dire la qualité des connaissances qu’ils véhiculent, tient à leur capacité à intégrer les contraintes et apports des différents acteurs. Leur efficacité est validée par leur capacité à figurer, de manière simplifiée, une réalité complexe à travers des codes et conventions partagées, tant sur la qualité et la pertinence des informations sélectionnées que sur les principes sémiotiques de leur représentation. En tant que restitution des connaissances et formulation d’un projet à venir, les objets intermédiaires sont chargés de valeurs, de normes et d’intentionnalité. Ils traduisent des rapports de force et influencent la pensée des acteurs en présence. Ils participent à la formulation d’un problème et encadrent la capacité, pour les parties prenantes, de s’en saisir. Ainsi, par l’attention portée aux modes de représentation comme enjeux de la méthodologie, l’analyse de FaV est l’occasion de mieux comprendre le rôle des objets intermédiaires dans la production des connaissances et la conception de projets territoriaux. Par ailleurs, le recours à la fiction filmée pour concevoir et représenter le futur du territoire rappelle l’importance de la spéculation fictionnelle dans les disciplines de projet (territorial ou urbain). Structurées par un rapport fictionnel à l’action, elles raisonnent par anticipation de ce qui va, devrait ou pourrait advenir (Boutinet 2012, Rancière 2017). (Se) raconter des histoires et produire un récit sur le futur du territoire constituent une technique de gouvernement ordinaire dans la transformation des territoires (Matthey 2014 ; Devismes 2015).

3L’article reviendra dans un premier temps sur l’attention portée par le maitre d’ouvrage à la méthodologie comme finalité (partir des projets plutôt que des problèmes) et sa contribution au renouvellement de la compréhension des dynamiques territoriales rurales. Il abordera ensuite les enjeux de coopération entre des professionnels de champs différents et sur le rôle et les usages des visualisations comme support de discussion. Par la suite, l’article s’attachera à comprendre comment les différences d’appréciation du rôle et formes des visualisations utilisées ici (maquette et films notamment) éclairent la manière dont les parties-prenantes comprennent et se saisissent de FaV. L’usage de formes nouvelles et l’invention d’une grammaire visuelle propre au projet questionnent, en miroir, les pratiques habituelles du développement territorial : la finalité (ce que faire un diagnostic veut dire (cerner les atouts et faiblesses ou identifier des signaux faibles)), les supports de représentation, les modalités d’identification et de mobilisation des parties prenantes, la validation politique. Avant de déployer ces différentes dimensions de l’analyse, nous allons rapidement décrire la démarche FaV et revenir sur le contexte de réalisation de l’enquête et sa méthode.

1. La méthode comme finalité

1.1. FaV : un dispositif innovant de développement territorial

5Alors que la Charte, qui lie le Pays à ses partenaires et traduit le projet de territoire, arrive à échéance, les agents constatent qu’elle avait perdu tout sens stratégique, se limitant à une liste d’actions à mener, au coup par coup, selon les opportunités de financement. Ce manque de cohérence et de vision globale s’expliquerait par un manque de pilotage et d’animation, l’institution Pays étant par ailleurs mal identifiée par les acteurs locaux. Dit autrement, le projet de développement territorial aurait perdu son rôle de mobilisation des parties-prenantes du territoire autour d’un projet partagé pour se limiter à une liste de réalisations ponctuelles. Pour éviter ces écueils et remobiliser les acteurs locaux dans une dynamique collective, les agents souhaitent expérimenter des méthodes qualifiées de créatives. Ils pressentent que leurs pratiques habituelles ne permettraient pas de produire des connaissances nouvelles sur le territoire et donc un nouveau projet. À cette fin, la méthodologie de Futurs à Venir se distingue des méthodologies habituelles de réflexion territoriale en cherchant à ne pas pointer les problèmes, les dysfonctionnements et les difficultés, mais à porter un regard positif sur le territoire en mettant en avant les projets et les dynamiques préexistantes. En prenant en compte les éléments subjectifs et en renonçant à réaliser un diagnostic, FaV ne reprend pas la méthodologie préconisée par les partenaires (Conseils Départemental et Régional), qui pourtant la soutiennent, et ce faisant, la valide. La démarche porte une vision politique du développement du territoire. Elle n’en est pas un préalable : par la mise en réseau qu’elle permet, par la communication positive sur le territoire, par le changement de perspective et de regard, elle est déjà le projet de développement en générant des idées et en faisant adhérer les parties-prenantes à ces idées.

6La démarche a mobilisé de nombreux acteurs locaux (élus, habitants, agents de collectivités), mais l’essentiel du travail a été porté par les agents de développement local du Pays et des prestataires (localisés à Paris, à 400km du territoire). Elle s’est déroulée sur deux années que l’on peut, a posteriori, diviser en cinq grandes étapes que nous présentons rapidement ici. La première a consisté à poser le cadre de FaV par une réflexion poussée sur les enjeux de méthodes via la rencontre avec des homologues d’autres territoires, la rédaction d’un cahier des charges, la sélection de l’équipe prestataire (deux designers, un vidéaste, un consultant en développement rural) et les premières séances de travail en commun. Dans un second temps, différentes activités ont eu pour objet de construire une compréhension partagée des dynamiques du territoire par d’identification d’initiatives dites « positives », la réalisation d’entretiens filmés avec des acteurs locaux et l’analyse de documents et de données statistiques. La réalisation d’un film, Archéologie du présent, constitue une synthèse de cette phase de travail. Les projections de ce film et les débats qui s’en sont suivis ont contribué à la troisième phase de FaV à savoir l’identification et la formulation des enjeux sur lesquels orienter le projet de territoire. Après validation par les élus locaux, la quatrième phase de travail s’est achevée par la projection de petits films de fiction, écrits, tournés et réalisés par des acteurs locaux (habitants, élus, agents de développement territorial) dont l’élaboration a été pensée au cours d’ateliers de réflexion menés au sein d’un local dédié à partir d’une méthode d’animation basée sur des maquettes. Une cinquième phase de travail, invisible pour la plupart des parties prenantes, a consisté à traduire la démarche FaV et les propositions imaginées dans les films de fiction dans une Charte de Pays. Ce rapport, rédigé par les agents du Pays selon les règles des contrats de cohésion territoriale est le support de contractualisation à partir duquel solliciter des financements ou des formes de labellisation.

1.2. Le Pays : une organisation attentive à la méthodologie

8L’attention portée à la méthodologie est ancrée depuis plusieurs années dans le fonctionnement du Pays. Sur l’impulsion de son directeur, des réflexions sur les méthodologies du développement territorial avaient été menées précédemment au cours d’universités rurales (cycle de rencontres et de formations entre acteurs du territoire) et d’un atelier d’urbanisme rural visant à renforcer l’ingénierie des maîtrises d’ouvrage publiques en matière d’architecture et d’urbanisme. Pour présenter cet atelier, le Pays a réalisé des sachets d’infusion pour expliquer qu’un projet doit murir et infuser, expression de l’inventivité des agents et de leur souci de la méthode.

Mon intérêt se porte sur ce que j’appelle les conditions de production de projets. Ce qui m’intéresse, ce ne pas tant qu’est-ce qu’on fait, mais comment on le fait, comment on le fabrique. Donc on a eu une volonté de vraiment focaliser sur la méthode, qui est souvent une question subalterne (directeur du Pays).

9Cet intérêt pour la méthode se manifeste dès les phases amont de FaV par l’organisation de réunions avec des homologues et des experts autour de cette question. Il se traduit ensuite dans la rédaction du cahier des charges d’un marché public de prestation pour concevoir un dispositif de communication afin de rendre visible le processus de projet de territoire et produire des documents compréhensibles. Enfin, pour faire connaitre la démarche, l’équipe s’est installée quelques mois dans un lieu dédié, qualifié de fab lab territorial : une ancienne quincaillerie louée pour l’occasion. Situé au centre du territoire, sur une route assez fréquentée et proche d’autres équipements publics comme la médiathèque, ce local est plus accessible au public que les bureaux du Pays. L’installation dans la boutique rend visible FaV et l’action du Pays lui-même. Dans la vitrine est exposé l’état d’avancement du travail et de la réflexion. Sa transparence permet d’observer les réunions et les participants au travail depuis l’extérieur, comme une invitation faite au passant de se joindre à eux. Dans cette petite boutique, chacun s’assoit où il peut, sans soucis de respect de la hiérarchie, sur des chaises dépareillées, autour de vieilles tables en bois, créant un sentiment d’informalité et de convivialité, sortant les participants des cadres habituels de travail.

10Une attention très forte a été portée à la capitalisation du travail et la formalisation du processus dans des documents de différentes natures, soulignant à nouveau l’intérêt porté à la méthode. Ce travail de documentation n’est pas qu’une affaire de capitalisation, c’est aussi un moyen de raconter l’histoire de FaV. Ici, la mise en récit ne se limite pas à la production des scénarios de développement territorial. C’est aussi le récit de la démarche elle-même, à travers un blog, illustré de photo prises en réunion montrant les participants au travail, dont le ton prend le parti de tenir un journal de bord pour raconter ce qui est fait ensemble. Cet effort de restitution de la démarche souligne qu’aux yeux des professionnels, le processus est tout aussi, si ce n’est plus, important que le résultat (la Charte de Pays). Ainsi, un des objectifs de FaV est de construire une méthodologie réplicable, qui sera l’objet d’une publication ad hoc.

L’intention est d’inventer et de mettre au point une marque qui qualifierait non pas des produits locaux, mais un processus de production de projets, une manière de faire, une façon à nous d’aborder les problématiques, d’engager les projets. » (extrait du cahier des charges).

1.3. Changer de point de vue sur le territoire

11Une des intentions initiales est d’amener les acteurs locaux à changer de point de vue sur le territoire et de sortir d’une représentation négative. Changer le regard sur le territoire serait un préalable pour enclencher une dynamique vertueuse : ne plus se penser comme un territoire en déclin, mais comme un territoire où tout est possible, où tout peut être inventé. Pour les agents du Pays, les méthodes qu’ils qualifient de classiques induiraient une approche corrective (résoudre les problèmes) plutôt que projectuelle (se projeter dans un avenir imaginé ensemble). Ils ne souhaitent pas s’appesantir sur les problèmes et difficultés du territoire qu’ils ont l’impression de connaitre ; et qui, par ailleurs, ne seraient pas spécifiques à ce territoire (éloignement, vieillissement, baisse des ressources publiques…). L’enjeu n’est pas tant d’identifier et résoudre les problèmes du territoire que de se convaincre collectivement de ses qualités pour rompre avec une spirale défaitiste. La campagne de communication de FaV joue ainsi sur les représentations négatives du territoire : « On a peur… De rien. Osons ! ». De même, la formalisation des enjeux traduit les choix et priorités que se fixe le territoire, en portant une attention à la manière de les nommer. Par exemple, le choix a été fait d’afficher la thématique de l’enfance plutôt que de parler de liens intergénérationnels ou d’économie grise, pour souligner l’attention portée aux futurs habitants du territoire.

12À cette fin, FaV débute par cinq ateliers de « cartographie positive » dont les participants ont été identifiés par les agents territoriaux comme n’assistant habituellement pas aux réunions d’information et selon des profils très contrastés (âge, ancienneté sur le territoire, domaine d’activité professionnelle…). Sur une carte, les participants sont invités à localiser des initiatives dont ils ont connaissance. Ils inscrivent sur des drapeaux le nom d’une personne à rencontrer et les punaisent sur la carte. À la fin de l’atelier, le résultat de la séance de travail est déjà visible sous la forme d’une carte du territoire parsemée d’annotations. Une quarantaine d’entretiens filmés ont ensuite été menés avec des porteurs de projet identifiés dans les ateliers, privilégiant des projets méconnus et diversifiés. D’autres entretiens, de type parcours-commentés, ont été menés avec des élus, en voiture, l’élu se faisant guide. Le huis clos de la voiture et sa mobilité favoriseraient la qualité de l’échange. L’ensemble de cette étape de travail donne lieu à la réalisation d’un film : Archéologie du futur. Le montage est le moment où se jouent de nombreux enjeux relatifs à la collaboration interdisciplinaire entre des designers, des vidéastes et des professionnels du développement territorial. Chacun négocie avec les autres ce qui lui parait important de retenir et d’organiser pour produire le film : le vidéaste, garant de la cohérence esthétique du film, doit tenir compte des idées que veulent faire passer les agents du Pays. Le montage implique à la fois le choix et l’organisation des séquences pour construire un récit compréhensible pour les spectateurs. Le choix des extraits à conserver est guidé par plusieurs critères. Un premier registre est technique, lié à la qualité de l’image et du son. Un second critère est celui de la représentativité : seront retenues les idées qui sont énoncées par plusieurs personnes. Un troisième critère est celui de la clarté : ne sont conservés que des extraits où la personne s’exprime clairement. L’articulation des extraits est pensée comme une composition pour rendre possible le dialogue entre des points de vue différents. Le film traduit aussi une certaine progression : des propos les plus négatifs à ceux qui ouvrent des perspectives plus positives sur le territoire.

13Pour la plupart des enquêtés, cette cartographie et le film font office de diagnostic. Dans les faits, ils ont été complétés par un travail d’analyse de documents et données statistiques réalisé par le consultant. En mettant en regard ces données de différente nature, certaines contradictions apparaissent. Par exemple, alors que le territoire parait en déprise, les données statistiques mettent en évidence qu’au contraire, certaines parties du territoire connaissent un regain démographique. Par ailleurs, débuter la démarche par un recensement d’initiatives, plutôt que par l’identification des problèmes, serait plus motivant et mettrait les participants dans une dynamique tournée vers le futur. Les premières propositions identifiées lors de cette phase amont ont alimenté le reste de la réflexion et inspiré les propositions qu’il s’agira de consolider ou déployer (valorisation des circuits courts alimentaires, promotion du covoiturage, mobilisation des ressources végétales pour produire une énergie verte…). Pour autant, il semble que tout projet ou dynamique ne soit pas bon à retenir pour la suite, au risque de décevoir ceux dont les propositions ou préoccupations n’ont pas reçu d’échos par la suite.

2. De nouveaux professionnels pour de nouvelles pratiques

2.1. Les designers dans l’action publique territoriale

14La confrontation de deux mondes professionnels (le développement territorial et le design de service) est ce qui fonde, aux yeux des participants, la singularité de FaV. Ce n’est pas la première expérience du Pays avec des designers bien qu’elle constitue le premier marché public formellement destiné à des designers. Il a été remporté par un groupement mandaté par une jeune entreprise de design, réunissant également un consultant en développement rural et un vidéaste. Les designers avaient déjà travaillé avec des acteurs publics dans le cadre d’un programme d’initiation au design de service dans l’action publique. Pour eux, cette mission, sur laquelle ils se sont beaucoup investis, à perte, est un « démonstrateur » pour positionner l’entreprise dans le champ émergeant qu’ils nomment le « design de politiques publiques ». En effet, depuis le début des années 2010, un mouvement, tant pratique que théorique, cherche à appliquer les approches design à la conception des services publics et des politiques publiques (Bason, 2014; Coblence, Pallez, 2015 ; Scherer, 2015, Ouvrard, Devisme 2015). Cette introduction du design dans l’action publique est un signe de l’extension de ses pratiques, objets et destinataires (Vial, 2015). Elle est portée par des entrepreneurs de méthodes (Arab, Ozdirlik, Vivant 2016) selon qui le design serait (mieux) outillé pour faire avec l’incertitude caractérisant le contexte contemporain et la complexité croissante des problèmes publics (Christiansen et Bunt, 2014). Cette conception instrumentale de l’usage du design ne va pas sans heurter certains designers qui considèrent que leur travail relève davantage d’une re-problématisation d’une situation que de la résolution d’un problème ou de la formulation de propositions (Buchanan 1992).

15Les satisfactions qu’ils retirent de l’expérience FaV confortent les intuitions des agents du Pays quant aux apports du design dans l’action publique. La principale concerne les compétences de restitution et de représentation des designers et leur capacité à articuler enjeu formel et opérationnalisation. Pour le designer, en projetant dans des formes des services ou produits à concevoir, il facilite l’explicitation d’une proposition, ce qu’elle implique et ce qui est nécessaire pour qu’elle advienne. Pour les agents du Pays, le principal apport des designers tient à leur capacité à concevoir un service au regard des besoins d’un usager, sans nécessairement chercher l’innovation de rupture, ni passer par la définition préalable d’objectifs et de stratégie. De même, la faisabilité d’une proposition n’est pas le préalable à sa conception : c’est au contraire à partir d’une proposition de service que le designer ajuste, modifie, affine pour répondre à un besoin et imaginer les conditions de réalisation et de faisabilité. Convaincre des partenaires de déployer la proposition passe davantage par son expérimentation que par l’argumentation. Ce renversement de perspective et de méthodologie dans la conception de l’action publique répondrait à un enjeu de visibilité de l’action dans un contexte de défiance et de sentiment d’éloignement des services publics. C’est du moins comme cela que le designer explique son engagement dans FaV.

2.2. Une expérience professionnelle extra-ordinaire

16Les enquêtés témoignent tous (élus, agents, designers, habitants…) de leur grande satisfaction à participer à cette aventure. FaV est vécue comme une expérience professionnelle extraordinaire par les compétences déployées, le temps passé, la convivialité, le fait d’être sorti des cadres, d’avoir bougé des frontières. Les agents du territoire ont pris énormément de plaisir à cette démarche qui change de leurs pratiques ordinaires et routines professionnelles. Investis pleinement, ils ont travaillé sans compter leur temps, notamment au moment de la préparation des scénarios et des tournages. Ils assurent la visibilité locale de FaV, organisent les nombreuses réunions, animent des ateliers, se forment à des techniques nouvelles (la vidéo, l’animation d’atelier « maquette », les entretiens). L’essentiel du travail a eu lieu sur place, au cours de séjour de quelques jours appelés « résidence ». Cette formule, mentionnée dès l’appel d’offres, s’explique en grande partie par l’isolement et l’éloignement géographique du Pays, en particulier par rapport à la région parisienne, où vivent les prestataires. Cette organisation implique des sessions de travail très intenses, qui dépassent largement le cadre des horaires de travail habituels, et débordent sur les temps du repos et des repas. Il en résulte, d’après les enquêtés, une forte complicité.

17Mais expérimenter un nouveau process de travail, avec des professionnels aux méthodes et habitus différents, introduit des incertitudes. L’interdisciplinarité demande de passer beaucoup de temps à expliquer ce qui est fait et pourquoi. Au cours des premières séances de travail, commanditaires et prestataires se forment mutuellement, les uns aux outils de communication et à l’animation, les autres aux enjeux de développement territorial. Une autre difficulté concerne la familiarisation (ou non) à la démarche de projet et de l’incertitude qui lui est inhérente. Même si la démarche semble très cadrée, elle n’échappe pas aux remises en cause et changements de cap. Ces difficultés sont accentuées par la distance. En dehors des séjours en résidence, l’équipe prestataire continue de travailler, depuis Paris. Elle échange avec l’équipe du Pays par courriers électroniques et documents partagés, ce qui semble être source de quiproquos.

18Malgré l’intérêt des méthodes proposées par le designer, les agents du Pays sont attentifs à conserver la cohérence en matière d’action publique. D’après eux, les designers ne connaissent ni les enjeux d’aménagement ni les logiques institutionnelles et administratives. En professionnels du développement territorial, leur rôle est d’assurer la cohérence des propositions par rapport aux enjeux et au cadre de leur action. Ainsi, à l’issue de la cartographie positive, la sélection et la hiérarchisation des enjeux révèlent les différences de perceptions du territoire, ancré à la fois dans l’expérience intime des individus (ne pas connaitre le monde rural en général versus très bien connaitre le territoire) et dans leurs expériences professionnelles.

Il y a des moments où je me suis rendu compte que j’avais des idées complètement préconçues sur ce que c'était, je me suis fait rembarrer pas mal de fois parce que je n’avais pas compris (designer)

19Le portage politique de FaV est à géométrie variable. Certains élus ont été associés dès le début aux réflexions, mais les plus nombreux sont restés en retrait, n’ont pas compris la méthode voire sont restés sceptiques face à des activités qui peuvent être perçues comme manquant de sérieux. Le caractère expérimental de FaV est parfois difficile à défendre. Or la démarche impose des validations par un comité de pilotage. Pris dans la dynamique de FaV, il a parfois été difficile pour les agents du Pays d’en rendre compte aux élus qui ne participaient pas, rappelant la difficulté à faire partager une expérience à ceux qui ne l’ont pas vécue. Il apparait de manière implicite que les critiques soulevées par FaV et sur FaV par certains enquêtés révèlent les critiques à l’encontre de l’institution Pays et de sa difficulté à se positionner dans le millefeuille territorial (commune, communauté de commune, syndicat intercommunaux, conseil de développement, conseil départemental…). Son rôle est méconnu et mal perçu, son action peu lisible. Sa légitimité est contestée par les élus des communes et Présidents d’intercommunalité. Animer un dispositif comme FaV, visible dans l’espace public (par les affiches, les balises, le blog), selon un format atypique, avec un panel de participants variés, est aussi une manière pour le Pays de montrer son activité, de se faire connaitre et mieux identifier. Les difficultés de restitution aux élus tiennent également au mode de travail par projet, marqué par les incertitudes, les flottements, et l’impossibilité de rendre des comptes rapidement. Cette difficulté tient également à la faible connaissance des designers des us et coutumes de l’administration. Alors que dans leur travail habituel, ils ne distinguent pas les différentes phases de travail et de réflexion, ils doivent ici expliciter leurs choix souvent intuitifs. D’autres éléments ont influencé le déroulé de FaV et seraient des facteurs de démobilisation. Les contraintes des prestataires ont ralenti certains moments du processus : le recrutement du consultant par une collectivité, le congé parental du vidéaste qui retarde la finalisation des films et leur projection. FaV a aussi traversé deux périodes électorales (départementales et municipales) et a été mis en sommeil pour ne pas interférer dans les campagnes. L’arrivée de nouveaux élus a ensuite impliqué un travail de familiarisation des structures administratives et des démarches enclenchées.

3. Le choix des mediums pour enrôler les acteurs

20L’attention portée à la méthode et la mobilisation de nouveaux professionnels se couplent à l’expérimentation de nouveaux médium agissant comme des objets intermédiaires de conception du projet de territoire.

3.1. Une esthétique au service du projet territorial

21La principale singularité de FaV réside dans l’usage de la vidéo pour produire et restituer le travail accompli, à la fois en phase amont (le film Archéologie du présent) et en phase projet (les films de social fiction). Proposer l’usage de la vidéo était d’ailleurs un élément distinctif de la proposition qui a joué fortement dans le choix du prestataire. Ici, la vidéo ne se limite pas à un mode de communication, mais est aussi une méthode de travail : pour documenter la démarche elle-même, pour recueillir des témoignages sur le présent, pour imaginer le futur et les projets à réaliser à travers des films de social-fiction. Si le recours à la fiction est une pratique assez répandue en aménagement (dans l’approche par scénario), l’usage de la vidéo pour la représenter est, elle, nouvelle, du moins pour les acteurs en présence. Ils se heurtent à certaines difficultés qui interrogent, en creux, les modalités habituelles de production et de restitution des connaissances, car les questions qui se sont posées ici sont habituellement traitées de manières implicites par les savoirs incorporés et les dispositions acquises par les professionnels. Or la production d’une donnée ne peut pas être dissociée de la condition matérielle dans laquelle elle est produite. Ainsi, dans la première phase de travail, des témoignages sur le territoire sont recueillis par entretiens filmés in situ. L’outil employé pour récolter la parole et la transmettre (la caméra) amène les personnes à adopter un comportement particulier. Se sachant filmés, sans savoir exactement quel usage sera fait du film, les interviewés font plus attention à leur posture et à leurs propos. S’exprimer devant une caméra, c’est prendre le risque d’être reconnu et éventuellement mal compris. Certains refusent d’ailleurs d’être filmés, de peur d’être pris en défaut ou que leur propos ne soient mal interprétés.

22Une des intentions initiales était de produire des rendus et des livrables rapidement. Dans les faits, faire un film n’est pas si simple et les délais de production sont plus longs que prévu et que pour un rapport. Réaliser un film implique non seulement en amont d’en préparer le scénario et les tournages, mais aussi, en aval, un long travail de dérushage, de montage et d’étalonnage qui nécessitent des compétences techniques et esthétiques. Le vidéaste a tourné certains films et les a tous montés et étalonnés à Paris, en discussion permanente avec l’équipe locale pour valider certains arbitrages ; les agents du Pays ont été formés pour réaliser eux-mêmes les entretiens, animer les ateliers de préparation des scénarios, et participer aux tournages. Au cours de leur journée d’initiation à la vidéo, ils ont produit une vidéo de présentation de FaV qui met en scène l’apprentissage de l’utilisation de la caméra pour dédramatiser le rapport à un outil nouveau, signalant en creux que l’usage de toute forme de représentation est l’objet d’un apprentissage, en particulier dans des situations où elle est un support de discussion et de prise de décision. Ce film montre aussi les coulisses de la méthode (apprendre à faire, expliquer le montage, inclure les rushes de bêtisier pour donner à voir les imprévus). En un sens, le film lui-même peut être vu comme une métaphore du projet de territoire.

3.2. Concevoir des projets en imaginant des films

24Le travail de conception des scénarios se fait au local dédié, au cours de séances de travail en soirée, qualifiées par un participant de « très très originales », un moment convivial comme « une partie de cartes ». Sur la base des enjeux identifiés en amont, les participants, organisés en groupes thématiques, doivent faire émerger des propositions de service puis imaginer comment les rendre possibles. Pour aider à se projeter, ils conçoivent des maquettes de situation.

C'est du carton, avec des petits drapeaux, des figurines, des trucs qu’on collait. C'était assez ludique, c'est vraiment l’image du design de service, c'est assez ludique, mobile, cela permet de réfléchir en même temps qu’on bouge des trucs. C'est assez inspirant et quand les gens ont compris le principe ils sont plus créatifs peut-être plus que dans des réunions classiques autour de grande table avec des débats, ils sont peut-être plus créatifs quand ils bougent les choses, quand ils produisent (agent Pays)

25La maquette est un autre objet intermédiaire de conception. Sa dimension matérielle est le support d’une réflexion collective sur les projets à promouvoir pour le développement du territoire. Se raconter l’histoire du service à concevoir oblige les participants à se mettre d’accord. Discuter ensemble les conditions de mise en œuvre de la proposition participe de son élaboration en s’attachant à sa faisabilité. À partir de la maquette, des scénarios des films sont imaginés et rédigés. Les participants identifient des personnages, des lieux, une histoire pour incarner et mettre en scène l’usage d’une proposition (comme par exemple une conciergerie de territoire qui coordonne aussi des pratiques de covoiturage). Chaque groupe de travail a défini sa manière de raconter la maquette, c’est-à-dire son histoire. Les uns font le choix d’un reportage dont le personnage, un journaliste, apporte des explications sur un sujet technique. D’autres suivent un nouvel habitant lors de son installation, les personnes qu’il rencontre (qui sont autant de nouvelles fonctions) et les lieux qu’il découvre.

26Tourner des films ne s’improvise pas et implique en amont un important travail d’organisation. Le vidéaste finalise les scénarios, en équilibrant les dimensions esthétiques (des partis pris de réalisation), les contraintes matérielles (disponibilités, temps imparti…) et le sens recherché. Il prépare ensuite des fiches techniques et story-board (suite des scènes à filmer) pour l’organisation des journées de tournages, identifiant les lieux, les accessoires et les personnages à incarner. L’équipe Pays devient équipe technique et artistique. Les tournages sont des moments d’imprévus auxquels il faut s’adapter tout en assurant la cohérence des images produites en vue du montage des films, qu’il s’agisse des conditions météorologiques, de la disponibilité des uns et des autres, de la qualité des décors réels, des bruits parasites, des ajustements et improvisations proposés par les comédiens amateurs. La forte contrainte temporelle des tournages (un jour / un épisode) nécessite de prendre des décisions rapidement, sans se perdre dans des négociations sans fin, en faisant primer le critère de faisabilité. Au cours des tournages se révèlent certaines différences d’appréciation. Par exemple, le designer parisien juge les entrées de villes « moches » là où, pour le maire, l’alignement de locaux d’activités symbolise le dynamisme économique de sa commune. Il faut alors réécrire le scénario pour laisser au maire la possibilité d’expliquer cette vision. Le tournage est ainsi un moment d’ajustement des représentations du présent et du futur, qui poursuit le travail entrepris au cours des ateliers maquette. Les films deviennent des lieux d’expression de points de vue différents sur un sujet. Par exemple, un habitant interprète un jeune agriculteur bio qui souhaite s’installer sur le territoire pour cultiver du chanvre, face au président du Pays qui défend un modèle agricole plus intensif, tout en se montrant accueillant vis-à-vis de nouvelles initiatives.

27Mobilisant les habitants et acteurs du territoire pour concevoir, réaliser et jouer dans les films, les situations du futur s’élaborent au fur et à mesure et les moyens à mettre en œuvre pour les faire advenir sont identifiés. Passer par la fiction et faire des films ensemble (habitant, élus, agents territoriaux) sont des moyens de créer du dialogue entre les parties prenantes, quelle que soit leur orientation politique. Tout au long du processus de conception des films, les enjeux du développement du territoire sont discutés entre les participants qui doivent se mettre d’accord sur une vision commune et réaliste. Réaliser des films, pour lesquels des questions matérielles se posent oblige à prendre des décisions. À travers les films se dessine une vision partagée du futur à faire advenir.

3.3. La performativité de la fiction territoriale

29Les films sont aussi un support pour engager un débat politique en s’attachant au détail du quotidien. Le fait de faire des films, où se côtoient élus et habitants de tous bords politiques, est pensé comme un moyen de créer un dialogue entre les acteurs pour construire une vision commune du territoire. Comme le dit un habitant, FaV permet d’aborder la politique (le fait de partager une vision sur le futur) par l’énonciation d’un projet et de sa mise en œuvre, en partant de problèmes et projets réels. En invitant les acteurs du territoire à contribuer aux films, FaV remplit une autre fonction : enrôler les participants au projet de territoire. Le terme « enrôler » prend ici un double sens. Au sens propre, plusieurs acteurs locaux ont interprété un rôle dans les films. Certains rôles sont des personnages inventés pour donner corps aux propositions. Les élus, eux, jouent leur propre rôle, mais projeté dans le futur. De ce fait, leur parole est plus contenue. Se sachant regardés et craignant que leurs propos puissent être considérés comme un engagement, ils ne s’avancent pas sur des propositions qu’ils ne pourraient assumer. Ils tiennent un discours plus pessimiste, modèrent les enthousiasmes des autres participants sur certains projets, pointent les obstacles à venir et difficultés actuelles. Ils profitent également de cette tribune pour rappeler leur action présente. Au sens figuré, l’enrôlement signale que ce travail, et en particulier la conception des films, en fait des ambassadeurs de la démarche. Faire jouer un rôle (au sens cinématographique) aux acteurs du territoire contribue à les enrôler dans la démarche de prospective et à se prendre au jeu. Ils discutent les détails, contestent certaines propositions, réécrivent le scénario, improvisent leur texte, et s’assurent que le rôle qu’ils interprètent dans une fiction du futur ne les engage pas sur des voies qu’ils désapprouvent. Participer à l’écriture des scénarios des films a plongé les participants dans un futur qu’ils ont imaginé, dans lequel ils se sont projetés, et qui, de ce fait, leur parait réaliste et dont ils attendent qu’il advienne. La mise en image, le fait de se voir ou de reconnaitre quelqu’un dans l’image, donne l’impression que les choses existent ou peuvent exister. Les projections servent à rendre compte du travail accompli, mais surtout à informer et (re)mobiliser les parties-prenantes (habitants, acteurs, élus) autour du projet de territoire. C’est un instrument de communication, mais aussi de continuation de la démarche, pour ré-engager le processus. Les films sont donc à double titre des outils de communication de FaV : par l’implication des acteurs locaux dans leur production et par leur capacité à toucher un public plus large que les modes habituels de restitution. On peut aussi formuler l’hypothèse que le recours au film de fiction induit une réception différente de la part du public. En effet, au cours des discussions suite à une projection, plusieurs intervenants ont fait part de réaction sur un registre émotionnel et sensible davantage que des discussions sur le fond et sur les propositions.

Les images m’ont véritablement émues ce soir, la qualité du travail, l’interprétation de chacun, mes premiers mots c'est de l’émotion, merci. (un spectateur)

Conclusion : se prendre au jeu du développement territorial

30Le parti-pris initial de FaV était de changer le regard sur le territoire en s’intéressant aux signaux faibles jugés positifs, au risque de minimiser les difficultés, de produire une image idéale du territoire et d’occulter certains phénomènes ou projets moins consensuels. Ainsi, au cours de la projection publique des social-fictions, plusieurs habitants ont pris la parole pour exprimer leurs inquiétudes face à un projet d’exploitation de mine d’or qui, à leurs yeux, remettrait en cause tous les projets présentés dans les films. La présence des principaux élus locaux constitue une formidable occasion pour faire entendre leur contestation. Ils ont préparé une petite installation devant le cinéma pendant la projection puis neutralisé la discussion en monopolisant le débat. S’ils ne contestent pas directement FaV et ses méthodes, leur intervention les questionne. La focalisation du débat sur le projet de mine d’or révèle une finalité implicite de la démarche : faire se rencontrer et dialoguer deux populations qui ne partagent pas les mêmes valeurs ni les mêmes visions du monde pour imaginer le futur du territoire. Cet antagonisme se retrouve dans le débat sur la mine : les élus, qui s’inscrivent dans un modèle de développement productiviste (soutien à l’agriculture intensive et aux entreprises) font face aux opposants à la mine, représentatifs des nouveaux habitants porteurs d’autres valeurs en matière d’éducation et d’environnement. Certaines propositions de FaV cristallisent également ce conflit de valeurs. Le thème de l’enfance, par exemple, est apparu comme un enjeu important dans la stratégie de territoire (offrir des modes de garde aux parents comme argument d’attractivité), mais devient un objet de débat lorsque des propositions renvoient à des choix éducatifs.

31Si la projection fait émerger des désaccords, ceux-ci sont, pour les agents du Pays, le signe de la réussite de la démarche, le dissensus étant une manière de poursuivre la dynamique engagée ; point de vue que les élus et les prestataires, déçus par la tournure des débats, ne partagent pas. Car l’enjeu de FaV était avant tout d’amener les habitants et élus à s’intéresser ensemble au développement de leur territoire et de les amener à identifier le rôle du Pays dans l’animation de ces projets. Les films n’en sont que le moyen. L’attention portée à la méthode et aux medium vise à redonner sens à l’idée même de développement territorial : promouvoir et renforcer une dynamique collective de développement. FaV met, temporairement, tous les participants sur un pied d’égalité : le temps d’un tournage, professionnels du développement territorial, habitants, élus, tous se font les acteurs amateurs d’un film dont ils sont les scénaristes et les héros. FaV produit ainsi des films et une charte de territoire, des rencontres et des espaces de discussion, et une méthodologie de travail. Dans les faits, le Pays a enclenché certains projets formulés dans le cadre de FaV, en particulier celui d’un service de conciergerie et de mobilité, pour lequel il a passé un marché avec un groupement de designers. Le Pays a aussi organisé le « 1^er forum de la FaV » (un an après la première diffusion, un an et demi après la rédaction de la charte, deux ans après les tournages) pour faire le point sur la mise en œuvre des propositions du projet de territoire. Mais, les réformes territoriales récentes ont conduit à la dissolution du Pays et au départ de ses agents, laissant planer le doute sur le devenir du projet de territoire.