• 1 https://www.theguardian.com/environment/2023/jan/28/board-games-climate-crisis-daybreak
• 2 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/05/25/les-serious-games-des-outils-tres-serieux-pour-ai (...)
• 3 Emmanuelle Savignac, La gamification du travail. L'ordre du jeu, Londres, ISTE éditions, coll. « In (...)
• 4 Prévot Maryvonne, Nicolas Douay et Éric Monin, 2016. « L’urbanisme, l’architecture et le jeu », App (...)

Les jeux sérieux ont le vent en poupe, comme en témoignent des articles récents dans The Guardian1 et Le Monde2. Très utilisés dans les secteurs de l’armée et du business et de la ville depuis les années 1970, ils ont connu un essor après les années 2000 dans de multiples domaines tels que la santé, l’éducation, la gestion des ressources, le management ou bien l’aménagement du territoire. Ces dispositifs conçoivent et/ou mobilisent des jeux pour servir d’autres objectifs que le seul divertissement. Les finalités sont alors aussi variées que les domaines d’application : concertation dans les territoires sur des enjeux tels que la prévention de risques naturels, gestion des ressources naturelles ou l’adaptation aux changements climatiques, mais aussi en entreprise autour de la mise en tension et de la productivité3, du management en mode projet, de la mise en compétition, du déploiement de « challenges ». Les jeux sérieux sont de puissants outils pour comprendre les mécanismes sous-jacents à la prise de décision, pour explorer des stratégies alternatives, tenter de les contrer, négocier de nouveaux accords et prendre conscience des limites de nos connaissances et des failles dans nos raisonnements. En accueillant dans ses colonnes pour la première fois un appel à textes sur le thème des jeux sérieux, la revue TEM entend prolonger les réflexions initiées lors de diverses rencontres, journées d’études ou conférences4, témoins de la vitalité de la communauté française de scientifiques, professionnels et citoyens autour de la pratique des jeux sérieux et simulations participatives. Ces initiatives ont mis en exergue des questionnements communs : les supports de la simulation, l’importance fondamentale du « médiateur », les effets performatifs de la mise en récit, réaliste ou prospective, utopique ou dystopique. Ce numéro intéressera aussi bien les chercheurs (historiens, géographes/géomaticiens/modélisateurs, architectes, urbanistes, ingénieurs agronomes ou autres intervenant sous toutes latitudes) que les praticiens et les éditeurs de jeu et couvrira des thématiques aussi diverses que transition écologique, urbanisme ou éducation.

• 5 De la simulation jouée aux jeux sérieux urbains : entretien avec Gabriel Dupuy [Texte intégral] Réa (...)
• 6 https://journals.openedition.org/tem/5028 « Former à l’aménagement et à l’urbanisme »

Gabriel Dupuy, pionner en jeux de simulation et leur utilisation, depuis les années 1960, dans les formations en urbanisme et géographie interroge sur ce qu'on appelle aujourd'hui l'innovation pédagogique et l'effet de mode autour de l'utilisation des jeux5. La place que tient le jeu dans notre système éducatif (du primaire à l’enseignement supérieur) fait-elle de la France un pays "en retard"- ou pas - sur le monde anglo-saxon notamment ? Cet appel à textes pourrait être l’occasion de réfléchir dans une perspective internationale à nos systèmes éducatifs prolongeant ainsi un précédent numéro de TEM6. Des contributions porteuses de perspectives historiques/diachroniques, comparatives et/ou de recontextualisation de ces questions seraient les bienvenues.

• 7 Palsky Gilles, « Cartographie participative, cartographie indisciplinée », L'Information géographiq (...)

[Jeu et cartographie] : cartographies « indisciplinées » (Palsky)7

• 8 Cf. https://veillecarto2-0.fr/2015/03/26/la-cartographie-collaborative-et-les-jeux-videos/
• 9 Jérémy Chauvet, « Iserecaft : le jeu vidéo comme outil de micro projet urbain et révélateur d’enjeu (...)
• 10 Santoni, Victor. « Territoire 2.0 et information géographique involontaire : gestion des crises et (...)

Bon nombre de jeux vidéo reposent essentiellement sur une interaction entre le joueur et une carte8. Plusieurs hybridations entre cartographies et jeux se sont développées et sont devenues parties intégrantes de la diffusion de certains genres ludiques : la grande stratégie avec Risk (Albert Lamorisse, 1957) ou Europa Universalis (2000) et les city builders représentés de nos jours par Cities Skyline (2015) par exemple. Avec le développement du Web 2.0 et des usages collaboratifs et contributifs du numérique, les jeux vidéo et la cartographie ont vu leurs usages et modes de production évoluer (Chauvet, 2019 ; Mericskay, 2016)9. Les espaces de liberté de la cartographie participative se multiplient : développement de serious gaming par le détournement ; cartographies fictive et collaborative utilisant des outils professionnels ; cartographie participative d’open-world comme celles des MMORPG23... Par ailleurs, l’acte de jouer peut aussi être motivé par la volonté communautaire de produire de la donnée géoréférencée ou encore géonumérique pour des systèmes d’information géographique participant à l’observation des mobilités, dont leurs quantifications objectivent des répartitions spatiales et temporelles en termes de fréquentation, pratique, trace/âge numérique, etc. Quels enjeux ces évolutions révèlent-elles vis-à-vis des hybridations jeux/cartographie ? Et comment le Big data, en généralisant le traitement et la publication automatisés par des algorithmes d’un nombre croissant de données, contribue-t-il à les renouveler ? En quoi cette production d’informations géographiques volontaires et involontaires (Santoni, 2022)10 devient-elle un outil d’aide à la décision pour des gestionnaires d’espaces publics et privés ?

• 11 https://www.thalesgroup.com/en/markets/specific-solutions/training-simulation et https://www.3ds.co (...)

Au cours des dernières années, l’essor des technologies dites collaboratives a entraîné de nombreux changements dans l’organisation du travail. Si on pose l’hypothèse d’une hybridation des métiers et compétences liés à la production de la ville et du game design cette fois, en quoi la tendance croissante à combiner logiciels industriels conçus spécialement pour la modélisation des données du bâtiment, voire, à terme, des territoires (BIM/CIM), et moteurs de jeux intégrant les dernières avancées en matière de simulation et de visualisation augmentée modifie-t-elle les métiers de la conception, de la réalisation et de la gestion urbaine et/ou territoriale ? Le Building Information Modeling (BIM) ou le CIM (City Information Modeling) pourraient-ils être envisagés comme le reflet de la ludification de nos sociétés ou comme la gamification (importation des mécanismes du jeu) d’un outil numérique parfois austère au sein d’entreprises comme Thalès ou Dassault System11 ?

• 12 Barnaud C., Van Paassen A., Trébuil G., Promburom T., Bousquet F., 2010, « Dealing with power games (...)

Comment un objet qui n’était pas considéré comme un jeu en vient à être perçu comme tel ? En quoi ce changement de perception peut conjointement mener à faire évoluer les acceptions du terme « jeu » ? Cette grille nous semble pertinente pour comprendre ce qui est en jeu dans l’évolution des formations d’ingénieur et/ou les métiers de l’architecture et de l’urbanisme : ludiciser la formation pour la rendre plus plaisante ou gamifier les enseignements pour mieux transmettre les apprentissages ? Cette question ne semble pas se poser tout à fait de la même manière selon les disciplines. On a visiblement plus l'habitude de "jouer" avec des maquettes en école d'architecture et en école d'urbanisme que dans d'autres disciplines. Une approche du jeu par disciplines est-elle pour autant pertinente ? Quels en seraient les nouveaux apports ? Par exemple, les Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), sans être les seules, forment et produisent des recherches dont le « jeu » est à la fois un objet d’étude et à construire, mais également une ressource dont il faut se saisir pour comprendre certains phénomènes et à concevoir pour l’action. De la même manière, dans quelle mesure est-il pertinent d’introduire un distinguo sur la ou les formes de ludicisation selon les latitudes et les populations (peuples/communautés autochtones) ? (Barnaud et al., 2010)12

• 13 Contribution à la conférence Jeux et Enjeux de Lille le 21 juin 2022.

Les jeux sérieux ne sont pas récents et ils tendent à devenir pléthoriques, ce dont continuent de témoigner les initiatives citées. Que ce soit donc dans le monde de l’entreprise, dans l’action publique ou les initiatives citoyennes, l’ensemble de ces jeux visent-ils à renforcer la résilience voire l’efficience de l’existant ou pourraient-ils – et comment – viser à le transformer radicalement ? Quelles seraient alors les nouvelles stratégies susceptibles de faire du jeu un dispositif « radicalement transformatif » (Niels Ferrand)13 ?