La revue Territoire en Mouvement lance un appel à articles questionnant le recours aux nouvelles technologies pour la gestion territoriale des risques. Plus précisément, il est attendu des articles adoptant une position critique (forces, faiblesses, opportunités, menaces), géographique (conséquence spatiale et territoriale liée à l’usage de ces nouveaux outils) et/ou épistémologique de ces innovations.

Un changement de paradigme

Les modalités de gestion des risques sont en profonde mutation à l’échelle mondiale dans un contexte de changements globaux (Nobert & Rebotier, 2022). L’impact du changement climatique sur la fréquence et l’intensité des aléas hydroclimatiques et l’usage massif des technologies numériques comme nouveaux modes de communication ont nécessité une adaptation de la façon dont sont gérés les risques dans les territoires. Dans ce contexte, le recours aux nouvelles technologies s’est peu à peu imposé comme une solution privilégiée pour les gestionnaires qui y voient une tentative d’adaptation à un environnement de plus en plus incertain. Le terme de nouvelle technologie renvoie ici à tout système, outil ou méthode, reposant sur les technologies de l’information et de la communication, apportant de nouvelles compétences pour gérer le risque sur un territoire. Il peut s’agir de technologies numériques (outils, capteurs, applications, etc.) à visée de mesure et/ou de communication. Il peut s’agir de nouvelles méthodologies (intelligence artificielle, modèles à base d’agents, réseaux neuronaux, etc.) pour mieux prédire les phénomènes et les décisions. Il peut s’agir aussi de réorganisations systémiques territoriales (safe city, safe territory, citoyens-capteurs, système d’alerte précoce) pour gagner en efficacité dans la prévision, l’alerte et l’organisation de la crise.

Apports et limites des nouvelles technologies pour la gestion territorialisée des risques

De nombreux travaux scientifiques ont étudié les apports des nouvelles technologies pour la gestion des risques, notamment parce qu’elles peuvent jouer un rôle sur l’ensemble du cycle de la gestion des risques : surveillance, gestion de crise, reconstruction, prévention (Izumi et al., 2019). Ces technologies sont plurielles et se caractérisent par leur capacité à détecter/mesurer un phénomène et/ou à transmettre une information, voire une profusion d’informations (Akter & Wamba, 2019). Elles permettent ainsi d’élargir la palette des modalités d’action face aux risques tout en modernisant la façon de communiquer avec les citoyens (Kaur et al., 2022).

L’intérêt de ces outils pour la gestion territorialisée des risques est multiple, et ce à tous les niveaux du cycle de gestion : 1) en amont des catastrophes, des outils d’observation en temps réel (capteurs, satellites) permettent de détecter précocement des phénomènes destructeurs et d’anticiper leurs effets (exemple des systèmes d’alerte précoce) ; 2) pendant la crise, de multiples outils de communications permettent l’échange entre différents acteurs (réseaux sociaux, outils d’alerte par téléphonie mobile, application mobile, objets connectés, etc.) ; 3) en période post-catastrophe, l’évaluation des dommages peut faire appel à des outils de visualisation en temps réel (satellites, drones, citoyens capteurs, etc.) et des méthodes comme l’intelligence artificielle peuvent être mobilisées pour prioriser les actions de reconstruction ; 4) au-delà des catastrophes, de nouveaux outils et méthodes visent à renforcer la conscientisation du risque auprès des citoyens et des acteurs du risque (cartographie en temps réel, simulation 3D, réalité augmentée/virtuelle, etc.). En dehors de ce phasage temporel, des systèmes territorialisés innovants voient également le jour. L’exemple ultime est le développement des safe cities (Risdiana & Susanto, 2019), où la sécurité des citoyens repose sur une organisation centrée autour de l’information numérique, captée par une grande diversité de capteurs, qui émettent une profusion de données (big data), dont l’abstraction repose sur des méthodes de traitement (intelligence artificielle, data mining) et de visualisation (jumeaux numériques, cartographies interactives) complexes.

Les approches ingénieuriales de ces innovations ont conduit à une profusion de la littérature scientifique soulignant leurs intérêts et minimisant leurs limites. Pourtant, ces innovations portent un certain nombre de limites. Un aspect souvent évoqué est l’aspect cybersécuritaire consécutif au risque de piratage des données et de détournement fonctionnel des outils (Panda & Bower, 2020). La vulnérabilité de ces innovations numériques face aux catastrophes (dépendance aux réseaux d’énergie et de télécommunication) est aussi évoquée. On peut également noter l’émergence de nouvelles inégalités socio-spatiales dans l’usage et le bénéfice de ces outils (Nords vs Suds, urbain vs rural, intégrés vs marginalisés, connectés vs illectronés). Alors que de nombreux travaux soulignent l’intérêt participatif apporté par ces innovations numériques, d’autres font le constat que l’usage de ces outils reste globalement descendant au sein des territoires, et ne renverse pas les hiérarchies, ni le sens des communications (AlHinai, 2020), voire font émerger de nouveaux conflits (Beaumais, 2023). Dans le domaine de l’alerte, les innovations ne se substituent pas à la prise de décision qui reste essentiellement humaine en dehors de certains systèmes d’alerte précoces très spécifiques (Bopp, 2021). Enfin, l’efficacité réelle de ces innovations à réduire les conséquences négatives des catastrophes est remise en cause (Girotto et al., 2024) en réponse au « solutionnisme technologique » (Sætra, 2023).

L’intérêt de la posture du géographe face à ces innovations

Par leur capacité à spatialiser des problématiques multi-dimensionnelles, les géographes ont un intérêt à mieux investir ces évolutions de pratique et à porter un regard critique et constructif sur ces innovations. Premièrement, ces innovations sont très rarement étudiées sous un angle spatial, ce qui aboutit à une méconnaissance des effets spatiaux induits, notamment par les gestionnaires qui les utilisent (Bopp, 2021). A titre d’exemple, des phénomènes d’inégalités spatiales et d’imprécision spatiale de technologies d’alerte centrées sur la localisation des individus ont été mesurées (Bopp et al., 2023; Bopp & Douvinet, 2020). Ensuite, par sa position à l’interface des problématiques multi-dimensionnelles qui affectent les territoires, le géographe est en capacité de porter un regard global sur ces solutions, sur leurs effets territoriaux, spatiaux, sociaux, environnementaux, politiques, économiques, etc. Ce faisant, le géographe peut réellement adopter une démarche critique vis-à-vis de ces innovations. L’interdisciplinarité est également un levier pour enrichir cette approche holistique et critique sur les innovations technologiques pour la gestion des risques (Douvinet et al., 2023).

Précision sur les articles attendus

Tout article étudiant le recours à une nouvelle technologie pour la gestion des risques sera considéré. Cet appel à articles propose une définition volontairement large du terme de « nouvelles technologies » (cf. partie 1). Ceci afin de ne pas exclure des solutions qui ne sont pas des innovations récentes d’un point de vue purement technique, mais dont l’intégration récente au sein des politiques de gestion des risques constitue un changement de pratiques et donc une innovation. Il y a ainsi une plasticité temporelle de ce qui est « nouveau » du moment que l’usage de la technologie impose un changement de pratiques voire de paradigme. A titre d’exemple, la diffusion cellulaire pour l’alerte aux populations a été inventée en 1998, mais est utilisée seulement depuis 2022 en France et constitue donc bien une innovation bousculant les pratiques de gestion des crises établies jusqu’alors.

Les articles étudiant les nouvelles technologies sous une dimension géographique, critique et/ou épistémologique sont particulièrement attendus. Il existe aujourd’hui un manque de recul sur ces innovations et leur analyse pourrait passer par des approches comparatives temporelles (étude diachronique) ou spatiales (territoire d’étude vs territoire témoin). Les articles peuvent être innovation-centrés, i.e. présentant l’innovation, son potentiel, ses limites et son intégration éventuelle (cas d’étude). Mais les articles peuvent aussi être centrés sur le ou les territoire(s), la société, la gouvernance des risques, étudiant les modalités d’intégration d’une ou plusieurs innovations, les conséquences (positives et négatives) et les perspectives (Bopp & Douvinet, 2022). Cette seconde option autorise les études à macro-échelle. Les articles peuvent traiter de tout type d’aléas (environnementaux, technologiques, sanitaires) dans une approche mono-aléa ou multi-aléa.

Calendrier

Date limite pour l’envoi des articles : fin septembre 2024
Date de publication prévisionnelle : 2ème semestre 2025

Contact

Esteban Bopp
Maître de Conférences en géographie
Université de Lille – Cité Scientifique
ULR 4477 – Territoires, villes, environnement et société
Avenue Paul Langevin
59 655 Villeneuve d’Ascq cedex
esteban.bopp@univ-lille.fr