1L’agriculture urbaine est diversement appréciée par les chercheurs. Chacun, selon sa discipline, voire son idéologie, se positionne en faveur ou en défaveur de celle-ci. Les débats sont loin d’être clos et l’agriculture est une réalité de la ville de Ouagadougou. En effet, les pratiques agricoles de nos jours, sont « un phénomène qui se développe dans toutes les villes du monde, au Nord comme au Sud tant dans les types d’agricultures concernés que dans leurs contributions ou fonctions pour la ville et son développement » (Robineau & Soulard, 2016 : 36). La littérature offre une approche différenciée dans l’appréhension de l’AU selon qu’on est au Nord ou au Sud. Au Nord, la présence des activités agricoles en ville émane majoritairement d’une volonté d’aménagement et de loisir. Alors qu’au Sud, « aborder l’étude de l’agriculture urbaine conduit inévitablement à rencontrer la problématique de la pauvreté bien qu’elle ne soit pas réductible à cette problématique » (Ouédraogo, 2002 : 359). Toutefois, insiste l’auteur, d'une façon générale, il est admis de considérer que la pratique de l'agriculture urbaine est le lot des pauvres des villes et d'autres groupes sociaux considérés comme vulnérables et parmi lesquels les femmes figurent en bonne place. Cette clef de lecture, qui lie pauvreté et agriculture urbaine, est la plus rencontrée. Car « dans beaucoup de villes africaines, l’agriculture est l’expression d’un malaise économique qui a conduit une partie de la population citadine à inventer de nouvelles solutions pour s’assurer un revenu » (Schilter, 1991 : 159). En effet, l’argument de la pauvreté ou de crise économique est souvent mis en avant pour expliquer les activités agricoles en ville en Afrique. Et tous ceux qui s’adonnent à l’agriculture sont recensés parmi les pauvres de la ville. Du reste, c’est ce que soutient Wade (2015) pour le cas du Sénégal. Ainsi affirme-t-il « le chômage et la paupérisation renforcent l’attraction de l’activité agricole aussi bien pour les citadins de longue date que pour les nouveaux arrivants ». C’est ainsi que l’agriculture urbaine (AU) est souvent considérée « comme une activité temporaire ou marginale ne conduisant pas à un développement urbain durable » (Duchemin et al., (2010). D’autres écrits dans la littérature s’intéressent à la place de l’agriculture dans les politiques publiques urbaines et en montrent l’intérêt social, économique, alimentaire (Smith, 1999 ; Prain et al., 2010, Dubbeling et al., 2011).
2La présente étude questionne la place de l’agriculture dans l’aménagement et les politiques publiques urbaines de la ville de Ouagadougou. La réflexion a pour ambition de comprendre et d’analyser l’intégration de la question agricole dans les politiques et les outils de développement urbain de Ouagadougou. Dès lors des interrogations surgissent : comment les politiques publiques et les projets d’aménagement prennent-ils en considération l’agriculture maraîchère dans les plans d’urbanisme ? Quelles sont les perceptions qu’ont les différents acteurs sur les pratiques agricoles à Ouagadougou ? Quels enjeux y a-t-il à penser l’agriculture comme partie intégrante du « corps urbain » de la ville de Ouagadougou ? Autant d’interrogations qui ont constitué l’ossature de cette recherche. L’étude s’attelle à démontrer que l’agriculture est une infrastructure urbaine (Fleury & Moustier, 1999) un fleuron urbain malmené qui mérite sa place dans le « corps » urbain ouagalais eu égard aux fonctions essentielles qu’elle remplit.
- 1 La liste des enquêtés n’étant pas connue d’avance, ce sont les enquêtés eux-mêmes qui nous réfèrent (...)
3Les réflexions présentées dans ce texte se nourrissent de données empiriques, collectées lors de deux phases de terrain en 2019 et 2023, sur l’agriculture urbaine à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. La recherche concilie à la fois démarche quantitative et qualitative. En ligne avec ce choix, deux méthodes d’enquête ont été retenues : l’enquête par questionnaire et l’entretien pour l’enquête qualitative. Du point de vue de l’échantillonnage, l’enquête a concerné 156 maraîchers par la technique de boule de neige1 pour l’enquête quantitative. On constate une dominance masculine. En effet, sur la population d’enquête, les hommes sont au nombre de 100 (64%) contre 56 pour les femmes (36%). La trame du questionnaire a tourné autour de l’accès au foncier urbain, la place de l’agriculture dans la planification urbaine, la fonction alimentaire de l’AU et la rentabilité économique des activités des maraîchers. Ceci a permis d’avoir des données chiffrées. Celles-ci ont montré l’importance de l’agriculture urbaine suivant certains indicateurs économiques et sociaux.
4En ce qui concerne l’enquête qualitative, un guide d’entretien semi-directif a permis d’interviewer 85 producteurs. Les données sur la perception et la considération de l’AU, le vécu ou récit de vie des maraîchers, ont été récoltées. Dans une perspective d’enquête qualitative, la représentativité de l'échantillon tient moins du volume statistique de celui-ci que du respect de l'hétérogénéité et de la diversité de la composition du corps social. Ainsi, aucun nombre n'a été fixé à l'avance comme taille de l'échantillon ; ce dernier est acquis à la faveur du double principe de la diversité maximale et de la saturation maximale. Nous nous sommes assurés de la variété des personnes interrogées et vérifié qu’aucune situation importante pour le problème traité n’est omise lors du choix des sujets à interroger. En définitive, la représentativité de l’échantillon de type qualitatif est déterminée par le principe de la saturation, qui traduit que « la cueillette des données s’arrête lorsque les données nouvelles n’apportent plus rien à la recherche » (Mucchielli, 1994). À côté des populations cibles que sont les maraîchers, nous avons eu recours à des personnes ressources composées de 5 maires, de 3 aménageurs et de 3 urbanistes.
5Après la collecte des données quantitatives, on a procédé à un traitement qui s’inscrit dans un processus. Dans un premier temps, un dépouillement informatique a été fait, à partir du logiciel d’enquête et de traitement des données quantitatives SPHINX. Dans un second temps, un croisement de variables a été réalisé, suivi de synthèses sous formes de tableaux, histogrammes et diagrammes. L’intérêt étant de disposer des données de base permettant de faire une description aussi précise qu’informative. Puis est intervenue l’analyse des données quantitatives, en prenant en considération les variables et le croisement de ces variables, permettant de faire une interprétation des résultats, ce qui a permis de tirer des conclusions. Le questionnaire d’enquête a été codifié au moment de son élaboration afin d’éviter de refaire un travail de codification à un moment où l’on a le plus besoin de donner un sens aux données collectées. Quant aux données qualitatives, elles ont été recueillies à l’aide d’un dictaphone. L’entretien se faisait en langue locale moore et en français. Tout d’abord nous avons procédé à la retranscription des entretiens et à leur dépouillement de façon manuelle. Nous avons fait un découpage des entretiens selon des thématiques concentrant une certaine convergence de sens, notamment l’appréciation de l’AU par les autorités et les maraîchers.
6L’agriculture urbaine est une activité qui peine à être inscrite dans les plans d’aménagement urbain dans la ville de Ouagadougou. Cela est dû notamment au fait que l’AU a été victime d’une littérature qui lui fut longtemps défavorable. Victime d’erreur taxinomique dans les productions de connaissances scientifiques, l’AU est aussi le plus souvent sacrifiée sur l’autel des besoins de logements, d’infrastructures et de la spéculation foncière urbaine. Il en est résulté une marginalisation sur le plan pratique de l’aménagement urbain (Figure 1).
Figure 1 : Maisons construites sur le site marécageux de Tanghin.
Source : Crédit photo de Yonli Taladi Narcisse, janvier 2019.
7« La ville africaine, comparativement à la ville occidentale, n'est pas un endroit par excellence où ne s'exercent que les activités d'ordre administratif, commercial ou industriel ; on y trouve également une véritable vie agraire » (Golhor, 1995). Le constat fait par cet auteur concernant la ville africaine est à l’origine de la dépréciation de l’AU. En effet, à la question qui sont les agriculteurs urbains, deux représentations ont longtemps cohabité dans la littérature : celle d’un agriculteur pauvre pratiquant une agriculture de subsistance dans les pays en développement et celle d’un jardinier pratiquant une agriculture de loisir dans les pays industrialisés (Mundler et al., 2014). Mais de nos jours, ce clivage radical semble avoir épuisé sa valeur heuristique.
8Les propos de ces auteurs, tout de même, sont expressifs des débats menés au sujet de l’agriculture urbaine, mais ce sont ceux relatifs à l’AU dans les pays du Sud qui nous intéressent ici. En effet, comme le disent les auteurs précédents, il y a une approche différenciée dans l’appréhension de l’AU selon qu’on est au Nord ou au Sud. Au Nord, la présence des activités agricoles en ville émane principalement d’une volonté d’aménagement et de loisir. Alors qu’au Sud, « aborder l’étude de l’agriculture urbaine conduit inévitablement à rencontrer la problématique de la pauvreté bien qu’elle ne soit pas réductible à cette problématique » (Ouédraogo, 2002 : 359). Toutefois, insiste l’auteur, d'une façon générale, il est admis de considérer que la pratique de l'agriculture urbaine est le lot des pauvres des villes et d'autres groupes sociaux considérés comme vulnérables et parmi lesquels les femmes figurent en bonne place. Cette clef de lecture qui lie pauvreté et agriculture urbaine est la plus rencontrée, car « dans beaucoup de villes africaines, l’agriculture est l’expression d’un malaise économique qui a conduit une partie de la population citadine à inventer de nouvelles solutions pour s’assurer un revenu » (Schilter, 1991 : 159). En effet, l’argument de la pauvreté ou de crise économique est souvent mis en avant pour expliquer les activités agricoles en ville en Afrique et tous ceux qui s’adonnent à l’agriculture sont recensés parmi les pauvres de la ville. Du reste, c’est ce que soutient Wade (2015) pour le cas du Sénégal. Ainsi affirme-t-il « le chômage et la paupérisation renforcent l’attraction de l’activité agricole aussi bien pour les citadins de longue date que pour les nouveaux arrivants ».
9Appréhender l’AU dans les villes africaines comme « fille de la crise » ou l’expression d’un « malaise économique » constitue une lecture misérabiliste et dévalorisante de celle-ci. Cette lecture misérabiliste de l’agriculture urbaine amène plusieurs constats. Au lieu d’être une réponse au problème économique des « paysans » des villes, l’AU en est l’émanation ; elle est cette crise elle-même. Cette réduction de sens explique la non prise en compte de l’agriculture dans les plans et projets de développement urbain, notamment dans la ville de Ouagadougou. D’ailleurs, les documents règlementaires et d’orientations dans le champ de l’urbanisme, essentiellement, soit ignorent, soit prohibent les pratiques agricoles à l’intérieur de la ville.
10Située au cœur de la province du Kadiogo, Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, est une agglomération urbaine qui s’étend sur une superficie de 518 km², soit 0,2% du territoire national, (INSD, 2009). Elle est limitée au Nord par les communes rurales de Pabré et de Loumbila, à l’Est par celle de Saaba, au Sud par celles de Koubri et de Komsilga et enfin à l’Ouest par la commune rurale de Tanghin-Dassouri. Elle a une superficie de 520 km2 soit, 52 000 hectares, dont 21 750 urbanisés, avec une population de 2 453 496 habitants en 2019. Elle constitue un important centre économique, politique et culturel. Elle est également le siège du gouvernement et abrite de nombreuses institutions administratives, ainsi que des organisations nationales et internationales. Administrativement, la ville était subdivisée, jusqu’en 2012, en cinq arrondissements répartis sur 30 secteurs et 17 villages. Mais avec la loi 065-2009/AN du 21 décembre 2009, dont l’entrée en vigueur est intervenue après les élections municipales de 2012, la ville est redécoupée en douze Arrondissements et 55 secteurs.
11La ville est reconnue être le lieu où les activités économiques qui le composent sont spatialement organisées. Ainsi trouve-t-on des zones commerciales, industrielles, zones d’activités commerciales et administratives (ZACA), zones d’activités diverses (ZAD) à Ouagadougou. L’agriculture, notamment le maraîchage, bien que supposée être une activité rurale, se mène à Ouagadougou en dépit d’opinions défavorables.
12L’AU urbaine souffre d’un manque de reconnaissance officielle. Il n’existe pas de dispositifs réglementaires et législatifs spécifiques à l'agriculture urbaine, il faut tout de même souligner qu'il y est fait cas, directement ou indirectement, dans les textes relatifs à l'occupation et à la gestion des espaces. Dans le cadre de l'aménagement du territoire, de la gestion de l'espace et des ressources naturelles, de nombreuses dispositions légales, institutionnelles et stratégiques ont été élaborées (Iagu/Ruaf, 2006). Pour la présente étude, nous recensons les textes favorables ou défavorables à la pratique de l’agriculture en ville, sachant que divers textes au Burkina Faso l’encadrent et que la tendance est au rejet de celle-ci en contexte urbain. Nous retenons ici les textes les plus explicites qui y sont relatifs.
13L’interdiction de la pratique des activités agricoles dans les villes du Burkina Faso est contenue dans certains textes fonciers adoptés par la puissance publique. Ainsi, nous avons la loi n°007/60/AN du 12 juillet 1960 relative à la gestion du domaine foncier. C’est la loi pionnière dans le domaine de la législation foncière. Elle caractérise en son article 3 l’espace urbain et rural par des occupations distinctes. Elle n’admet pas par conséquent l’agriculture dans les projets urbains.
14En outre, il y a la loi n°014/96/ADP du 23 mai 1996 portant sur la réorganisation agraire et foncière (RAF) au Burkina Faso. La RAF de 1996, en ses articles 7 et 8, dans l’optique d’aménagement du territoire spécifie deux zones distinctes : les zones urbaines, destinées essentiellement à l’habitat et aux activités connexes, et les zones rurales, dans lesquelles s’exercent les activités agricoles, forestières, piscicoles, pastorales, minières. Mais les articles 39 et 40 soldent le sort de l’AU.
Les terres urbaines sont celles situées dans les limites administratives ou celles du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme des villes et localités et destinées principalement à l’habitation, au commerce, à l’industrie, à l’artisanat, à l’installation des services publics et d’une manière générale aux activités liées à la vie urbaine. Les terres urbaines non encore aménagées ou terres suburbaines ne peuvent être occupées qu’à titre exceptionnel et sur autorisation de l’administration. Toute occupation sans titre est interdite et le déguerpissement ne donne lieu ni à recasement ni à indemnisation (article 39).
Les terres rurales sont celles situées en dehors des limites administratives des villes et localités ou le cas échéant du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme. Dans les centres où ces limites ne sont pas encore déterminées, les terres destinées à des activités rurales ne peuvent être attribuées à moins de deux ou quatre km des agglomérations suivant l’importance de celles-ci. Les terres rurales sont destinées principalement à l’agriculture, à l’élevage, à la sylviculture, à la pisciculture et plus généralement à toutes les activités liées à la vie rurale (article 40).
15Suivant ces deux articles, l’agriculture n’a pas droit de cité en ville d’autant plus que dans la nomenclature des activités « liées à la vie urbaine », déclinées à l’article 39, elle n’en fait pas partie. Mais sa place sera explicitée dans l’article 40 où « les terres rurales situées en dehors des limites administratives ou celles du schéma directeur d'aménagement et d’urbanisme des villes sont les seules destinées à des activités de production agricole. La production agricole est ici inscrite de manière absolue dans la ruralité et n’a pas de place en milieux urbain et péri-urbain » (Ruaf, 2013 : 23).
16Malgré la révision de la RAF de 1996, intervenue en 2012, la substance reste la même en ce qui concerne le statut des terres urbaines et rurales. Ainsi, l’article 8 de ladite loi stipule que
Les terres urbaines sont celles situées dans les limites administratives ou celles du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme des villes et localités et destinées principalement à l’habitation, au commerce, à l’industrie, à l’artisanat, aux services publics et d’une manière générale aux activités liées à la vie urbaine et aux activités de promotion d’un environnement écologique durable.
17L’article 9 mentionne que
Les terres rurales sont l’ensemble des terres destinées aux activités agricoles, pastorales, sylvicoles, fauniques, piscicoles et de conservation, situées dans les limites administratives des communes rurales et des villages rattachés aux communes urbaines.
18Comme le disent Kédowidé et al. (2010), depuis 1996 jusqu’à nos jours, la position des textes portant RAF à l’égard de l’AU, est « une interdiction qui ne dit pas son nom ».
19Par ailleurs, d’autres textes réglementaires, en l’occurrence l’Arrêté n°97-027/MATS/PKAD/CO du 5 novembre 1997 portant code d’hygiène à Ouagadougou, interdit l’agriculture dans les villes. Ce texte réglemente l’hygiène et la salubrité dans la ville de Ouagadougou. Ainsi, il stipule en son article 18 « qu’il est formellement interdit de pratiquer la culture des semis sur pied et l’élevage de gros bétail dans la zone urbaine. Mais cette pratique peut être tolérée à la périphérie de la ville ». Ainsi l’agriculture urbaine est perçue et classée comme activité rurale qui n’a pas de place en ville. Ceci est soutenu par nombre de communiqués d’interdiction (Ruaf, 2013.).
20Nous retenons ici la loi n° 017-2006 du 18 mai 2006 du code de l’urbanisme et de la construction qui n’inscrit pas l’agriculture dans le corps urbain. En effet, le code de l’urbanisme et de la construction est consacré exclusivement aux questions urbaines. Sans le mentionner expressément, il fait une distinction nette entre zone rurale et zone urbaine qui font l’objet d’application d’outils d’aménagements spécifiques. Ainsi, à l’article 18, il est dit que « toutes les communes urbaines sont tenues de disposer d’un Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme et d’un Plan d’occupation des sols conforme aux schémas provincial, régional et national d’aménagement du territoire. Toutes les communes rurales sont tenues de disposer d’un Plan d’occupation des sols conforme aux schémas provincial, régional et national d’aménagement du territoire ». Toutefois, cette loi suppose la possibilité de l’existence d’activités agro-sylvo-pastorales dans la ville sans pour autant lui donner une reconnaissance officielle (Kédowidé, 2011).
21En définitive, les textes réglementaires et législatifs retenus ici constituent des obstacles réels pour l’exercice des activités agricoles en ville. En revanche, il existe d’autres textes qui lui sont peu ou prou favorables. Il s’agit notamment du Schéma directeur d’aménagement du Grand Ouaga (SDAGO). Le SDAGO, approuvé pour la première en juillet 1999, révisé en 2009 et 2020, reconnait officiellement l’agriculture urbaine en recommandant « l’affectation des zones humides et des abords des retenues d’eau aux activités de maraîchage et d’horticulture, pour respecter en quelque sorte la vocation naturelle des sols et offrir des opportunités de revenus à une partie de plus en plus importante de la population de la ville qui vit de ces activités ». Dans une analyse prospective, il prévoit « à l’horizon 2025 une zone de développement de l’écotourisme et de l’horticulture et préconise la réaffectation d’une partie des eaux et des berges des trois barrages urbains au développement de l’horticulture dans le but d’intensifier la production maraîchère dans la commune de Ouagadougou ». Aussi le SDAGO a-t-il retenu la partie sud de la capitale comme zone agro-sylvo-pastorale.
22S’il est des décisions favorables qui tolèrent la pratique du maraîchage dans la ville de Ouagadougou, l’intègrent-elles dans le « tissu urbain » ? Autrement dit, existe-t-il des espaces planifiés et/ou aménagés pour accueillir de telles activités ? Nonobstant quelques textes favorables à sa pratique, le maraîchage n’est pas « loti » dans la ville de Ouagadougou. Être loti signifie qu’il y ait des zones ou espaces sécurisés et dédiés exclusivement à sa pratique. Ce qui n’est pas le cas. Toutes les activités du maraîchage se concentrent quasiment sur des sites « naturels » que sont les berges des principaux barrages que compte Ouagadougou. En outre, elles se pratiquent au niveau des bas-fonds, plans d’eau et autres marigots qui traversent la ville. Certes, le SDAGO a retenu la partie sud de la capitale comme zone agro-sylvo-pastorale : « aménagement des zones d’agriculture intensive (maraîchage surtout) de 37 500 hectares au sud de l’agglomération, autour des retenues d’eau et des zones humides, même à l’intérieur de la ville ». Mais jusque-là, rien n’est fait en termes d’aménagement pour consolider la vocation de cette zone. Ainsi, à l’évaluation du SDAGO 1999, en 2005, le projet d’aménagement de la zone agricole en question est assorti du qualificatif bon « effectif ». D’ailleurs, le SDAGO n’est pas le premier « texte », comme le laissent penser Bagré et al., (2002), qui « légalise » ou accorde une place à l’agriculture en ville. Dans ce sens, un aménageur du territoire retraité nous confie ceci :
Ce n’est pas qu’on ne prévoit pas des espaces dédiés à l’agriculture. On prévoit mais on n’en tient pas compte dans la mise en œuvre. Et ce n’est pas la première fois (dans le SDAGO) que des espaces agricoles ont été prévus. Le premier aménagement de la ville de Ouagadougou avait retenu là où se trouve l’hôtel des impôts jusqu’au domicile du Président Kafando comme zone d’élevage. Mais où en sommes-nous aujourd’hui ?
23Aujourd’hui la zone indiquée est au centre de la ville avec des habitations et, en saison pluvieuse, les cours y sont constamment inondées. Au même moment, les maraîchers sont dans une insécurité foncière totale et de stress hydrique pour mener leurs activités. Ils ne possèdent, pour la plupart aucun titre foncier et sont à la merci des déguerpissements (Legall & Brondeau, 2012). Les propos d’un maire d’arrondissement sont sans équivoque :
[…] Juridiquement, il n’y a pas d’espace dédié exclusivement à l’agriculture urbaine, donc à la culture maraîchère. Les gens s’installent sur des réserves, peut-être qu’ils ne le savent même pas, ou tout au long du canal Ananyéélé. Il y a des gens qui cultivent tout autour, mais juridiquement ce n’est pas un lieu-dit pour ça. Donc il n’y a pas de place, en réalité, réservée à cette agriculture urbaine. On fait avec ce qu’on a comme espace et les gens sont là comme ça, ça ne les sécurise pas, puisqu’ils ne sont pas à l’abri, du jour au lendemain, qu’on leur dise que l’espace ne peut être cultivé.
24L’agriculture occupe tout de même l’espace urbain ouagalais visibles sur les berges des barrages et d’autres « vides » vacants (Figure 2)
Figure 2 : Sites maraîchers de Ouagadougou.
Source : BNDT/IGB,2012, Google Earth, 2023, O.Ouédraogo, 2023.
25Aussi, une tentative de reconnaissance de l’AU a vu le jour en 2011. En effet, l’univers des maraîchers a vu l’arrivée d’un nouvel acteur institutionnel en 2011. Il s’agit du Conseil régional du Centre (CRC) à travers un projet dénommé Projet de développement de la filière maraîchère biologique. Selon le coordinateur dudit projet, le CRC, dans ses réflexions, a retenu le maraîchage comme une culture de rente pouvant lui permettre de booster son développement socio-économique. Dès lors, il est devenu primordial d’organiser les acteurs. C’est ainsi que le Conseil a cherché un partenaire pour l’accompagner. Dans le cadre de la coopération décentralisée, le Conseil régional de Bretagne France a répondu favorablement à leur requête. C’est ainsi que neuf coopératives maraîchères ont vu le jour pour toute la région du Centre, dont trois pour Ouagadougou. Les trois coopératives sont la coopérative de Boulmiougou, la coopérative de Bogodogo et la coopérative de Nongrémasson. Pour l’animation de ces coopératives, le Conseil régional a signé un partenariat avec le ministère en charge de l’agriculture pour s’attacher les services de ses techniciens. Ainsi, neuf agents d’appui-conseils animent les coopératives créées.
26Toutes ces tentatives se font sans une volonté réelle d’inscription de l’AU dans les politiques urbaines. Elle sert seulement de tremplin pour capter certains financements de projets des partenaires favorables à la pratiques agricoles en ville. C’est un ressenti vécu par les maraîchers de Ouagadougou.
27Les résultats de l'enquête quantitative montrent que la quasi-totalité des maraîchers enquêtés (94) ne disposent pas de documents légaux des parcelles qu’ils exploitent (soit 90%). Seuls, 5, (10%) exploitent des parcelles sécurisées. Ces derniers, faut-il le préciser, n’ont pas des titres individuels d’occupation. En effet, la plupart de ces maraîchers se recrutent parmi les membres des associations en l’occurrence les groupements NABONSWENDE et BAOTAABSOM. Ces deux groupements ont leurs récépissés d’existence, et les espaces qu’ils exploitent sont sécurisés, d’autant plus qu’ils sont reconnus par l’administration. Sinon, le reste des maraîchers est dans l’illégalité.
28Cela veut dire que toutes les politiques ou déclarations dites favorables ne le sont que de façade ou de simples déclarations d’opinions, comme le dit O.N., un enquêté de 56 ans : « des déclarations pour faire plaisir et faire semblant qu’il (le CRC) se préoccupe de nous. Sinon aucune action visant à notre reconnaissance n’est à l’ordre du jour ». C’est en cela que le même enquêté minimise l’action du conseil régional qui porte un projet de structuration de la filière maraîchère :
[…] On dit qu’on veut nous organiser en coopérative ! Moi je pense que la base a été faussée. Comment organiser des gens qui ne sont pas sûrs de rester éternellement là où ils sont ? Il convenait mieux de curer notre barrage [Boulmiougou], sécuriser nos installations par des titres fonciers et déclarer le barrage comme notre zone industrielle. Au lieu de cela, ils parlent de coopérative…C’est pourquoi la majorité des producteurs interrogés pensent que les autorités n’ont pas d’égard pour leurs activités. Il en résulte, par conséquent que l’agriculture n’occupe pas, dans les faits, une place dans les projets d’aménagement urbain et suscite moins de mobilisation au niveau local. La prise en compte de l’agriculture comme élément structurant de l’économie urbaine est absente
29En considération de ce fait, 129 (82,70 %) maraîchers sur 156 pensent que les autorités n’ont pas d’égard pour leurs activités. D’ailleurs c’est le sort réservé à l’agriculteur de façon générale. C’est ce que pense B. K., un maraîcher de 53 ans :
La mairie ne nous rend pas visite et ne nous considère pas. Notre activité est sans valeur pour eux. Au Burkina Faso, dans toutes sortes d’activités, le faible demeure l’agriculteur. Même toi, ton propre enfant, tu n’aimeras pas qu’il soit agriculteur, c’est pourquoi tu les as mis à l’école. Par exemple, as-tu déjà vu ou entendu l’enfant d’un ministre en brousse en train de pratiquer l’agriculture ? (il est hors de la pensée d’un ministre, fut-il de l’agriculture, de voir son enfant pratiquer l’activité agricole). Soit on l’envoie à l’étranger, au cas échéant, on lui trouve un bon poste au pays, tout sauf agriculteur. Le travail du cultivateur est très harassant, pénible. Considère les loques que je porte. Si on me compare à ceux qui sont cravatés circulant dans des voitures climatisées, dormant dans des maisons climatisées. Mais l’agriculteur, il est qui ? Il est un bon à rien. Par exemple, quand on arrive dans un marché, en voyant les différents articles qu’ils vendent, ils sont valorisés. Par contre, tu viens me trouver en train d’arroser des feuilles, tu me prendras pour un voyou, puisque l’activité n’est pas bien considérée. Pourtant, l’agriculteur mange bien, mais des produits de son activité. Mais tout être humain vivant mange obligatoirement dans la main de l’agriculteur.
30La dernière phrase de cet extrait justifie difficilement le mépris de l’agriculteur. Tant il est vrai que tous les hommes vivent des produits de l’agriculteur qu’ils soient en milieu rural ou urbain. Mais cela n’émeut personne. Au contraire, aucune organisation sérieuse du secteur n’est à l’ordre du jour. La tentative d’organisation du Conseil Régional du Centre n’en est pas une selon les maraîchers. Et ce sont les mots de T. R. 56 ans qui viennent le confirmer :
Sinon le maraîchage est un secteur désorganisé, puisque on a un problème d’écoulement, ce sont ceux qui viennent acheter qui imposent leurs lois. Si on avait au moins un service technique comme la SOFITEX qui encadre les cotonculteurs –là ; si on avait aussi un service technique phare qui pouvait nous aider à faire l’écoulement, on n’allait plus avoir un problème. Celles qui achètent, en l’espace de trois mois, tu les vois avec une grosse moto alors que toi, le producteur, [tu] es en train de trimer ; elles profitent mieux que nous, elles paient par exemple une planche à 5 000 FCFA, elles partent vendre à 7 500 FCFA le même jour ! Et en une journée elle a un bénéfice de 2 500 FCFA et le producteur a 5 000 FCFA. Elles te dépassent par le fait que le producteur travaille pendant trois mois pour avoir les 5 000 FCFA, et elles gagnent la moitié de ce que tu gagnes. Or c’est toi qui a tout fait, ce n’est pas du tout intéressant.
31C’est dire que le secteur maraîcher, à Ouagadougou, souffre d’un déficit d’organisation. Il bénéficie de peu de suivi et certains enquêtés nous tenaient ces propos : « toi, au moins, tu t’intéresses à notre activité, sinon il y a des gens qui sont nés à Ouagadougou, grandissent et peuvent mourir sans mettre [les] pieds ici ». Cette non reconnaissance de l’AU crée ainsi un manque à gagner pour les producteurs, mais les dommages ne se limitent pas à la perte des productions. Compte tenu du fait que leur activité n’est pas suivie, les maraîchers recourent à des pratiques peu orthodoxes aux conséquences désastreuses pour l’homme et son environnement. Des pratiques qui nuisent à leur santé et celle des populations ou consommateurs. Il s’agit de l’emploi des phytosanitaires non homologués, les pesticides cotonniers, dans le traitement des plantes légumières, les conditions de lavage des légumes (Figure 3).
Figure 3 : Lavage de la laitue pour conditionnement sur le site maraîcher de Boulmiougou.
Source : Crédit photo de Yonli Taladi Narcisse, janvier 2019.
32Pour tout cela, l’agriculture mérite un autre regard : la considérer comme une donnée intégratrice du corps urbain.
33En somme, l'agriculture « dans » la ville signifie que l'agriculture n'est pas prise en compte en ville. C’est pourquoi la majorité des producteurs interrogés pensent que les autorités n’ont pas d’égard pour leurs activités. Il en résulte, par conséquent, que l’agriculture n’occupe pas, dans les faits, une place dans les projets d’aménagement urbain et suscite moins de mobilisation au niveau local. La prise en compte de l’agriculture comme élément structurant de l’économie urbaine est absente. Quelles en sont les raisons explicatives ?
34Pourquoi l'AU reste-t-elle marginale dans le processus de planification urbaine ? Diverses raisons sont avancées par les décideurs et les techniciens, qui ont la gestion de la ville de Ouagadougou.
35Les autorités communales pensent que l’agriculture n’est pas négligée, mais qu’il s’agit d’une question de priorité. Répondant à la question : est-ce que l’agriculture est prise en compte dans le plan de développement de la mairie, K.S., un agent des services de la planification, donne la réponse suivante :
Non ! Mais cela ne signifie pas qu’on ne s’en préoccupe pas ! Tu sais, nous sommes dans un pays où tout est prioritaire… Donc les questions de l’AU peuvent attendre, d’autres projets prioritaires, la santé, l’éducation, l’assainissement, les voiries, l’eau ne sont mêmes pas efficaces… Or, tu sais pour faire le maraîchage, il faut de l’eau alors que la ville rencontre des problèmes énormes pour son autoconsommation en eau ! Si cet impératif n’est pas encore résolu, on ne saurait parler de l’eau pour l’agriculture. Sinon nous sommes conscients que l’agriculture, de nos jours, occupe une place importante en ville.
36La question de priorité semble être l’argument qu’on brandit du côté des autorités municipales. Dans ce sens, un maire d’arrondissement nous tient ce langage.
Mais si on pose les priorités de notre conseil et vu la modicité de nos moyens, ça vient au second plan ; la priorité des priorités ce n’est pas ça. Nous avons comme soucis majeur l’éducation, la santé et l’alimentation qui vient en troisième position. Car un enfant qui a bien mangé, s’il ne part pas à l’école par les temps qui courent, il y aura un manque ; quand quelqu’un n’est pas en bonne santé, il ne peut pas aller travailler le maraîchage. Qu’est-ce qu’on peut faire de grand avec un budget de 40 millions ? Donc, nous sommes obligés de voir les secteurs stratégiques d’abord.
37C’est dire qu’il y a un choix à faire car, souligne un directeur en charge des questions urbaines au niveau de la mairie centrale :
Qu’est-ce qu’il faut faire et qu’est-ce qu’il faut laisser ? : faut-il aménager le cimetière ou la route qui mène au cimetière ? Tout est prioritaire. Il y a les problèmes sécuritaires, l’assainissement, les équipements marchands, les voies à construire, l’eau potable, les problèmes de cimetières, les eaux usées.
38À la même question posée aux urbanistes, on avance les problèmes d’espace pour mener ce genre d’activités, même si on reconnaît son bien-fondé. Ouagadougou, avancent-ils, a déjà consommé tout son espace et il est difficile de dégager, à l’heure actuelle, des espaces pour faire de l’agriculture. Dans ce sens, un urbaniste, Y.S., déclare ceci :
Veux-tu qu’on recommence l’aménagement de Ouaga ? Ou qu’on réinvente la ville ? C’est la vision de départ qui a manqué. Les premiers urbanistes n’ont pas intégré cette donne dès le départ. Aujourd’hui, compte tenu de l’importance que revêt ce secteur, la tendance est à sa prise en compte dans les projets de développement urbains futurs…
39Cette vision des urbanistes est perceptible chez certains élus locaux. Ainsi, un maire d’arrondissement avance :
C’est très important l’AU ! Mais la question foncière n’a pas été traitée depuis le début en considérant ces questions liées à l’agriculture. Nous avons hérité des tares des tous premiers lotissements, d’aménagement du territoire. Ils [les planificateurs] n’ont pas tenu compte de cette agriculture urbaine. Tout compte fait, dans l’aménagement du territoire, il n’y a pas eu des prévisions pour prendre en compte l’AU. L’AU est importante du point de vue de vision stratégique au niveau de la mairie, mais nous sommes confrontés à la réalité, la pression foncière est telle que c’est un luxe de faire l’AU. Actuellement, il n’y a pas assez de place pour que les gens habitent. Et si on prend une réserve administrative pour faire l’AU, les gens diront : attend nous-mêmes on a besoin de place pour faire ceci ou cela et puis vous voulez faire ça là ? Et nous les maires, nous aurons des problèmes.
40C’est dire qu’il y a des calculs politiques dans les options de planifications. L’essentiel n’est plus donc la pertinence des projets à inscrire dans les aménagements : il importe d’abord de voir si les options ne s’éloignent pas des « attentes » de l’électorat !
41L’argument du manque d’espace est rejeté par les aménageurs. Pour eux, la question réside dans les choix politiques qui méprisent certaines catégories de personnes dans les politiques d’aménagement. Ainsi, D.C., aménageur, affirme :
Je pense que les urbanistes n’ont pas conscience que la construction d’une ville est pluridisciplinaire. L’aménagement ne saurait être l’affaire des techniciens seulement, c’est une construction collective qui nécessite la participation de tous. Mais on vous dira qu’on a associé les gens ! Alors que les commissions qu’on met généralement en place, c’est pour valider des documents et non pas pour proposer un plan. Si on met en place une commission, c’est qu’il y a déjà un géomètre qui a fait le plan de la ville. Or, de tels projets devraient faire l’objet de discussions de toutes les parties prenantes, notamment les bénéficiaires de la ville.
42En outre, il rejette le problème de manque d’eau qu’on avance pour justifier la non intégration effective de l’agriculture dans le tissu urbain. En effet, souligne-t-il, « nous souffrons de nos incompétences. Nous avons un problème de maîtrise d’eau. Est-ce que les eaux usées ne peuvent pas servir pour faire ce travail ? ». Cette question de maîtrise de l’eau est concédée par l’urbaniste Y.S. :
Les cours d’eau de Ouagadougou sont drainés vers les exutoires naturels, alors que si l’on avait imaginé un scénario pour retenir ces eaux à travers des barrages qu’on aménage, on pouvait y créer des zones agricoles. Malheureusement, ceci n’est pas le cas. Et Ouagadougou étant une ville aride, identifier des zones des cours d’eau, c’est périlleux, pour ne pas dire, c’est aller à l’encontre des lois de la nature.
43Le site maraîcher de l’Amicale des Forestières du Burkina (AMIFOB) sert d’exemple concret de maîtrise de l’eau et de l’espace. Ce site utilise un forage comme source d’eau, qui fonctionne avec des panneaux solaires. En outre, le site est un centre de démonstration de la technique d’irrigation au goutte à goutte. Cette technique d’irrigation consiste à apporter à chaque plante l’eau d’irrigation à l’aide de tuyaux munis de petits goutteurs. Elle a l’avantage d’être très économe en eau et de demander très peu de travail. Cela constitue une solution au problème d’eau soulevé pour pratiquer l’AU.
44Par ailleurs, le site expérimente un système cultural hors-sol. Sur des planches aménagées, on y cultive diverses spéculations sans apport d’engrais minéraux (Figure 4).
Figure 4 : Technique de culture biologique hors-sol des légumes.
Source : Crédit photo de Yonli Taladi Narcisse, janvier 2019.
45En définitive, les politiques d’aménagement de la ville de Ouagadougou n’intègrent pas l’agriculture dans le tissu urbain. S’il arrive qu’on prévoie des espaces pour l’agriculture, on n’en « tient pas compte à l’heure de la mise en œuvre. On sacrifie ces espaces pour d’autres besoins jugés primordiaux », souligne L.F., aménagiste à la retraite. C’est dire que « dans les politiques d'aménagement, la prise en compte des agriculteurs, comme agents de production, cède parfois la place devant la légitimation de l'agriculture et de ses nouvelles fonctions », (Bertrand & Rousier, 2003 : 102). Pourtant l’agriculture urbaine, notamment maraîchère, présentent des avantages multifacettes pour la ville de Ouagadougou.
46Nous employons l’agriculture « de » la ville pour signifier que les activités agricoles, notamment maraîchères, doivent avoir droit de cité en ville. Dans ce sens, sa présence en ville révèle une potentialité ou une demande sociale résultant du fait même d’être en ville, un besoin qui naît des pratiques urbaines en train de se faire. Ainsi l’agriculture devient-elle une partie intégrante de la ville, car la spécificité des légumes (denrées périssables) est telle qu'ils ne peuvent pas être produits trop loin de la ville, au risque d’être hors de portée physique et économique de la plupart des ouagalais.
47Considérer l’agriculture comme un fait urbain permet de mettre en orbite les vertus cachées de celle-ci que les considérations normatives contribuent à mal nommer. En effet, quel sens revêt le champ lexical « Agriculture périurbaine, intra-urbaine, urbaine ? Derrière ces mots, objets parfois de polémiques aussi virulentes que stériles, se cache un monde de formes, de fonctions pour la ville, de questionnements multiples autour des rôles, des performances technico-économiques, des conséquences environnementales et sociales de ces agricultures, monde que la recherche a pour rôle d’explorer et de faire connaître » (Aubry, 2014 : 37). Car « partie intégrante de l'économie informelle en Afrique, l'agriculture urbaine a été longtemps négligée. En raison peut-être de son caractère saisonnier et éphémère, elle n'a que très peu suscité d'intérêt chez les chercheurs qui ne concentrent leurs efforts que sur les formes les plus visibles de l'économie urbaine » (Golhor, 1995 : 3). L’AU permet à ses acteurs d’intégrer le marché de travail et de participer à l’économie globale. Pour déceler cette valeur économique, il convient de considérer l’AU au-delà des fonctions perçues, activité de survie, et la voir comme une réponse à une demande sociale d’utilité publique.
48« De tout temps, les humains ont préféré établir leur ville près des rivières, en plaine, donc précisément là où la terre est plus fertile. Autant dire que dès les débuts du fait urbain, le conflit avec l’agriculture était en germe » (Phillipon et al., 2017 : 136). Se référant aux propos de ces auteurs, l’agriculture n’est pas une étrangère du fait urbain. D’où vient donc le conflit dont ces auteurs font cas ? Si, de par la nature, l’activité agricole a sa place dans le territoire urbain, le conflit serait donc du fait de l’homme. C’est dire que l’homme dans l’aménagement du territoire met de côté un pan de la réalité du terrain. En effet, le territoire comporte des ressources diversifiées utilisées différemment par les acteurs qui le composent. Les hommes, pour s’établir dans un milieu, ne sont pas guidés uniquement par des besoins de logements, mais les lieux qu’ils choisissent doivent servir à loger, à produire, à consommer et à se reproduire. Là où tous ces facteurs ne peuvent pas être réunis, aucune vie humaine ne s’aventure. Ce qui veut dire que lorsqu’un groupe social s’intéresse à une activité donnée, dans un milieu considéré, elle devient une ressource locale pour des fins spécifiées.
49Les actions publiques de développement dans la ville de Ouagadougou n’ont pas intégré cette donnée. En fait, Ouagadougou, à l’origine, s’est bâtie sur un site marécageux guidé par la présence des cours d’eau. Le nom Kadiogo, à la province éponyme, désigne en réalité un fleuve. Cette raison dans l’histoire devrait en principe guider le schéma d’aménagement urbain. Dans ce sens, prévoir des activités agricoles dans un « milieu marécageux » ne sera pas une action contre nature, sinon la mise en valeur d’une potentialité du milieu. À cet effet, le maraîchage à Ouagadougou est l’expression d’une mise en valeur d’une ressource territoriale.
50En réalité, les activités d’un territoire donné ne se décrètent pas. Elles portent le sceau des besoins et des aspirations des habitants. L’agriculture n’est pas une invitée de la ville, elle en est l’émanation. L’activité menée dans une localité traduit un besoin socio-culturel de celle-ci, sinon elle disparaît d’elle-même. Le besoin n’est pas, faut-il le dire, généralisable d’un territoire à l’autre. Chaque territoire a ses besoins spécifiques, qui trouvent leur solution par le travail de ses habitants. Déjà, de manière basique, chaque ville se développe dans les lieux appropriés à l’activité dominante. Une industrie est forcément dans une zone appropriée à l’industrie. Ce n’est pas tout territoire qui est propice au développement de toute activité. L’AU s’inscrit dans cette réalité. Elle n’est pas une activité « dans » mais « de » la ville. D’ailleurs, les consommateurs des produits agricoles urbains sont-ils hors de la ville ? La question reçoit une réponse négative, car toutes les productions ici sont consommées en ville et il ne s’agit pas de n’importe quel produit, ce sont les cultures maraîchères qui sont adaptées au contexte urbain. D’autant plus qu’« on ne peut jamais envisager une cuisine à Ouagadougou sans faire recours aux légumes et autres feuilles » et, cela, de façon permanente, car, souligne K. O. 45 ans, « même si tu as du riz ou du mil, on ne peut pas manger sans sauce. Même si tu arrives à le faire, c’est la souffrance ! ».
51C’est dire qu’on ne produit pas n’importe quel produit n’importe où. Les cultures maraîchères, par exemple, ne peuvent pas être produites loin de la ville. Le besoin en produits frais nécessite qu’elle se fasse en ville et autour des villes. C’est la dimension territoriale de la production économique développée par Von Thünen qui s’affirme. Au-delà d’une certaine distance, certains produits perdent leur rentabilité. Il s’agit notamment des produits frais, comme les légumes, le lait, qui pour être produits à des distances éloignées, nécessitent des conditions de transport et de conservation adéquates. Mais si le prix du transport se répercute sur le produit, il devient inaccessible à la bourse de la plupart des consommateurs, ce qui peut freiner son écoulement, donc la dynamique de l’économie comme nous le décrit, R. C. 45 ans, maraîcher à Rimkieta :
Notre travail ne peut se faire hors de Ouagadougou surtout pour des spéculations comme la laitue. Il faut donc aménager la ville en nous intégrant. Nous allons travailler ici et nourrir la ville. Par exemple, la salade, sa « carrière » est de sept jours. Dépassé ce délai, elle « vieillit » et ne peut plus être vendue. Sinon, il faut enlever, jeter. C’est dire que si c’est hors de la ville, l’écoulement de la production n’est pas facile, sinon problématique. Les gens ne peuvent pas venir payer au loin. Moi je quitte 16 km pour venir travailler ici. Je produisais là-bas, mais je n’arrivais pas à écouler mes produits. J’y avais fait 20 planches de laitue, je n’ai pu vendre que seulement 9. Le reste que je n’ai pas pu écouler s’est gâté. Ici, en ville, à Rimkieta ici, j’ai fait 80 planches et ça ne suffit même pas. Les femmes viennent ici autour de 4h, 5h du matin. Moi, je me lève chaque jour de chez moi à 3h pour venir satisfaire mes clientes.
52La proximité du produit à son lieu de consommation est commandée donc par les besoins spécifiques du territoire et de la nature du produit. C’est la dimension territoriale des productions économiques. Celles-ci sont l’émanation des besoins de l’espace qui induisent certaines règles de productions, pour profiter et faire profiter les autres.
53Cette prise de conscience est présente chez les maraîchers quand nous leur avons demandé l’importance de leur activité pour la ville. Notre activité, disent-ils « nourrit la ville », « elle permet d’avoir la nourriture à côté ». Les avantages de la proximité des produits maraîchers ne sont pas suffisamment perçus ou sous-estimés. En effet, produire à coté est un gain inestimable pour le consommateur et, selon cet urbaniste averti L. T. :
L’agriculture urbaine est passée de la nécessité à l’efficacité. L’efficacité, en ce sens que ce qui se produit à l’intérieur de la ville augmente, la qualité, de ce qu’on va consommer. C’est ce qui justifie l’élevage péri-urbain, puisqu’on ne peut pas parcourir des grandes distances avec des œufs, du lait pour amener en ville. C’est à côté. Voilà des contraintes même qui font que l’agriculture ne peut être passée comme un corps étranger à la ville. Aujourd’hui, de plus, c’est compris comme une nécessité qui doit aussi participer à un développement durable.
54Produire à côté permet d’avoir des produits frais. Cela permet de contrôler son assiette qui s’affiche, de nos jours, de plus en plus comme un élément essentiel à la qualité de vie. Cela est démontré ainsi que suit par T.S. 45 ans :
- 2 Argent pour l’achat des condiments en dioula, une des langues locales du Burkina.
[…] Si tout ce que Ouagadougou consomme comme légumes doit venir d’ailleurs, il faut être sûr que ce n’est pas tout le monde qui pourra manger à Ouagadougou. Car les produits doivent être chers. Par exemple, après les inondations de 2009, il n’y avait pas la laitue dans tout Ouagadougou, on l’importait de Bobo, et les planches de laitue, qu’on vend ici au plus 10 000 FCFA, s’y vendaient à 60 000 FCFA. Avec le transport, ce sont les richards seulement qui pouvaient se permettre d’en manger. Mais nous, on fait tout pour que tout le monde gagne même ceux qui ont le « petit nassongo2 », une expression de la sécurité alimentaire.
55Au Nord comme au Sud, l’agriculture nécessite l’intégration dans la gouvernance alimentaire des villes. L’intérêt que le Nord voue aux activités agricoles n’est plus une question de choix ni de désir de nature, mais se présente désormais comme une nécessité. S’il est une fonction importante de l’AU, reconnue unanimement par les acteurs, c’est son apport à l’alimentation des familles. Ainsi, à la question : quelle est l’importance du maraîchage à Ouagadougou ? une ménagère, N.S. 36 ans, tient ces propos :
C’est l’aliment de base des familles. À Ouagadougou, ici on ne peut pas préparer sans légume. Les légumes, comme les oignons, les choux, le piment, les légume-feuilles constituent la base de l’alimentation, surtout la laitue. Les gens mangent ça bien en famille. Pour ce faire, le maraîchage est une source de sécurité alimentaire. En ce sens, à chaque campagne, on voit qu’il y a beaucoup de légumes sur la place du marché. Ça pallie un peu à la famine.
56Les propos de cette personne reflètent bien la réponse de tous nos enquêtés.
57L’apport de l’agriculture urbaine à la sécurité alimentaire est encore plus visible pendant les crises, pendant lesquelles il est difficile d’importer les vivres des zones extérieures. Cette situation met à mal l’alimentation de tous les citadins. La double crise (Covid-19 et sécuritaire) que vit le Burkina Faso a révélé l’importance pour les villes de produire leurs propres produits frais. En effet, la crise sanitaire du Covid-19 a conduit, en mars 2020, à la mise en quarantaine des villes burkinabè, dont Ouagadougou. Ainsi, les produits alimentaires, notamment les légumes, ont manqué et se nourrir convenablement à Ouagadougou était devenu une affaire de privilégiés. Point de produits frais sur le marché ouagalais, la sécurité alimentaire en a été impactée sérieusement, puisqu’il était impossible de se rendre même à 15 km de Ouagadougou, où se trouvent pourtant la plupart des champs maraîchers. Cette crise sanitaire montre par conséquent l’importance de garder le maraîchage au sein même de la ville. La crise sécuritaire, que vit actuellement le Burkina Faso, démontre également la nécessité que les villes doivent produire et non rester seulement des lieux de consommation. Cette crise a entrainé le déplacement de populations vers les villes, or ces populations fournissaient Ouagadougou en produits frais. Les camions ne peuvent plus se rendre dans certaines zones. Du coup, les produits maraîchers deviennent parfois inaccessibles à la bourse des ouagalais, qui ont aujourd’hui de la peine à diversifier leur alimentation.
58« Le maraîchage, au niveau Conseil Régional du Centre, est une culture de rente destinée à la création de revenus et non une culture pour la consommation [sous-entendu, d’autoconsommation vivrière pour les producteurs] ». Ces propos du coordinateur du projet de développement de la filière maraîchère de la région du Centre justifient en quelque sorte les raisons qui sous-tendent l’intérêt que le CRC manifeste à l’égard du secteur maraîcher. Le maraîchage comme source de revenus revient dans les discours de tous les acteurs, même si les mots pour le traduire divergent souvent. Dans tous les cas, « ça nous permet d’avoir un peu d’argent », « d’avoir à manger », de « gagner sa vie ». Autant de propos rencontrés dans le vocabulaire des maraîchers enquêtés. Même les détracteurs de l’AU reconnaissent tout de même sa possibilité de création de revenus. Ainsi, ce riverain d’un périmètre maraîcher se plaignant de certains désagréments nous dit ceci : « comme ça leur permet de gagner quelque chose et nourrir leur famille, nous aussi on laisse passer… ».
59Et le revenu, s’il en est, n’est pas des moindres, surtout pour les acteurs directs que sont les maraîchers : tous les maraîchers enquêtés affirment tirer des bons comptes dans la pratique de leurs activités.
60Les données quantitatives de l’étude révèlent qu’au total 105 maraîchers sur 156 ont, en déduisant les dépenses d’investissement, un revenu mensuel compris entre 50 000 FCFA (77 euros) et 300 000 FCFA (458 euros) contre 51 dont le revenu mensuel oscille entre 10 000 FCFA (15 euros) et 50 000 FCFA. Il faut souligner que le gain déclaré ne découle pas d’un calcul objectif ou rationnel utilisé par les économistes pour évaluer la rentabilité économique d’une production, car ces maraichers ne tiennent pas de compte d’exploitation. Nous avons demandé aux enquêtés d’estimer ce qu’ils peuvent avoir en moyenne par mois, à l’échelle d’une campagne, et rapporté sur 12 mois, car l’activité maraichère dans le contexte ouagalais ne dure, pour la plupart des sites, que 6 mois.
61Nous sommes conscients des limites d’une telle évaluation. Dans ce sens, les enquêtés peuvent être amenés à grossir ou mincir le trait. Pour approcher un gain réel, ou du moins celui qui semble coller à la réalité, nous avons formulé la question suivante : « Si je décide de vous trouver un travail salarié en lieu et place de votre activité actuelle, à combien devrai-je vous payere par mois pour que vous acceptiez d’abandonner le maraîchage ? » À cette question, seuls 14 maraîchers sur 156 (9%) acceptent de laisser leur travail pour un salaire mensuel compris entre 30 000 FCFA (45 euros) et 50 000 FCFA. Le reste des enquêtés, 142 (91%) ne le feront que si le salaire est compris entre 75 000 FCFA (114 euros) et 500 000 FCFA (763 euros). Pourtant, à la première question, aucun enquêté n’avait déclaré avoir un revenu au plus de 300 000 FCFA. Le salaire réclamé par les maraîchers, en rapport avec les salaires des fonctionnaires de l’administration burkinabè, s’établit comme suit : 37 enquêtés veulent un salaire mensuel de 100 000 FCFA, soit le salaire d’un agent de la catégorie C ; 55 maraîchers négocient un salaire entre 150 000 FCFA et 200 000 FCA, représentant un salaire d’un cadre moyen, et 27 enquêtés, eux, négocient le salaire (voire plus) d’un cadre supérieur de l’administration burkinabè, soit un salaire compris entre 250 000 FCFA et 500 000 FCFA. Le maraîchage constitue donc un secteur pourvoyeur de revenus consistants comme le montre le récit de vie d’un producteur dans l’encadré ci-dessous.
Encadré 1 : El Adji Ousmane Nikiéma, maraîcher de 63 ans.
J’ai 63 ans. Je suis sur le site depuis 1978. Je suis à Samandin secteur 5. J’ai été à l’école jusqu’au CE1. J’ai six enfants et nous sommes 14 dans notre famille. Je n’ai jamais fait l’objet de déguerpissement, ça vaut 700 m². Je suis sous prêts de terre et, en fin de chaque campagne, je fais un geste au propriétaire en guise de remerciement. Je produis les légumes : laitue, céleri, fraise, oignons, choux, persil, carotte. J’utilise l’engrais chimique et la fumure organique.
Je suis né dans le maraîchage en ville. Mon père était jardinier. Il m’a mis à l’école en 1958 et, en 1963, j’ai quitté l’école. J’ai fait un peu de commerce jusqu’en 1972. J’ai laissé tout ça et je suis revenu pour rester derrière mon père et jusqu’à nos jours. Donc le maraîchage a débuté en ville, il existe toujours en ville et c’est un grand profit pour ceux qui y vivent. Le maraîchage est mon unique activité. Je ne fais rien d’autre depuis 1978. Toute ma vie s’est construite autour cette activité.
Relativement à votre question sur l’importance de l’activité sur ma famille, j’aurais aimé que vous la posiez à ma famille. C’est avec elle que vous aurez les meilleures réponses. Sinon, toutes les charges de ma famille sont supportées par mon métier de maraîcher. J’ai six enfants, vous ai-je dit, 3 filles, 3 garçons. Les filles se sont mariées. Sinon je ne me plains pas. Je nourris ma famille ici. Mon premier fils est en master 2 en génie civil à 2iE [Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement], le second est à l’université Aube Nouvelle. La scolarité en première année avoisine les 1 million à 2iE. J’ai fait le pèlerinage avec l’argent du maraîchage.
Si l’État avait considéré le site maraîcher de Boulmiougou comme une zone industrielle, il allait comprendre qu’il y a de l’économie dans l’activité. Si en fin de saison tout maraîcher devait dire son gain réel, je pense qu’on en comptera des centaines de millions, voire des milliards, rien que sur le site de Boulmiougou.
Source : enquête de terrain
L’agriculture urbaine ne résoudra pas à elle seule les problèmes écologiques des villes en croissance, mais elle participe très certainement et de diverses façons à la protection de l'environnement. Par exemple, dans de nombreuses villes, les agriculteurs urbains font un usage productif de nombreux déchets organiques en les transformant en un terreau capable d'amender les sols (Nelson, 1996).
62Les propos de cet auteur sont partagés par nos enquêtés qui concèdent à l’AU la fonction d’assainissement du cadre de vie. Ainsi, ces propos sont-ils légion dans l’univers des maraîchers : « nous, on arrange la ville », « sans nous, qui peut s’approcher des berges de barrages ? », « on embellit la capitale et ça attire les touristes », etc.
63Cette conscience d’assainissement du cadre de vie est encore plus tenace au niveau des acteurs institutionnels. Dans ce sens, un projet de la mairie s’est penché sur cette problématique en 2011. Dénommé « Stratégie de Réduction des Déchets de Ouagadougou-Création d’Emplois et de Revenus par des actions de collecte, de tri et de valorisation » (PSRDO-CER), ce projet est justifié en ces termes :
Afin de préserver les populations des effets nuisibles causés par les déchets solides, une gestion écologique s’impose. À cet effet la valorisation agronomique se positionne comme une des voies les plus adaptées à la situation actuelle. Elle permettrait de lutter contre la pauvreté et surtout de contribuer à l’assainissement de la ville…
64Aussi, l’observation sur le terrain confirme les propos de nos enquêtés. En effet, les sites maraîchers aménagés des groupements Nabonswendé et Baotaabsom, sont installés sur d’anciens dépotoirs d’ordures et c’est au niveau du site de Baotaabsom que cette réalité s’affirme avec force. D’autant plus que le reste de l’espace contigu, non aménagé, est un « concentré » de déchets et d’ordures de toutes sortes.
65Si l’utilité de la présence agricole dans les grandes villes ouest-africaines tend à être reconnue par le discours scientifique, elle peine, selon Laure Le Gall (2013), à trouver sa place au sein des politiques urbaines. Les quelques efforts trahissent plutôt une volonté, de la part des planificateurs, de contenir l’activité, voire de la reléguer vers les marges urbaines.
66Les propos de cet auteur nous servent comme une entrée vers les divers enseignements que l’on peut tirer de la présente étude, dont l’ambition était, justement, de questionner l’intégration de la question agricole dans les politiques et les outils de développement urbain de la ville de Ouagadougou. Autrement dit, les activités agricoles (notamment le maraîchage) ont-elles leur place dans la planification de l’occupation des terres urbaines ?
67Les données du terrain donnent une réponse négative à la question ci-dessus posée, du moins dans la pratique, concernant la ville de Ouagadougou. En effet, l’activité agricole maraîchère partage le cadre physique de la ville, mais ces activités sont faites « intuitivement » par les producteurs et de façon spontanée. Les espaces exploités par les maraîchers sont des sites naturels que sont les principaux barrages de Ouagadougou, les bas-fonds ou marigots qui traversent la ville. Il n’y a donc pas d’espaces ou de zones fonctionnelles intégrées à la ville et consacrées au développement de l’AU. En outre, les documents règlementaires et d’orientations dans le champ de l’urbanisme, ignorent ou prohibent les pratiques agricoles à l’intérieur de la ville. Même s’il convient de souligner que, de plus en plus, « des mesures permissives ou favorables à l’AU se font à peine jour mais sans base formelle. L’AU à Ouagadougou évolue à l’interface du formel et de l’informel. Le cadre formel, le SDAGO, qui semble s’intéresser à la question, la place en marge urbaine au Sud de la ville. Là aussi, il n’y a aucune mesure concrète sur le terrain.
68Toutefois, l’AU n’est pas un « impensé » des politiques publiques, car on note un effort de prise en compte de l’agriculture en leur sein. Le projet du Conseil régional du Centre illustre bien nos propos. Des ONG en font leur cheval de bataille. Cet intérêt résulte du fait de la multifonctionnalité reconnue de l’agriculture urbaine. Fonctions reconnues de sécurité alimentaire, d’assainissement, d’emplois, etc. À ces fonctions connues, les constats de terrain relèvent d’autres fonctions vitales comme des fonctions d’outil d’aménagement, d’économie territoriale, ce qui veut dire que l’AU présente un enjeu multifacette en termes d’aménagement harmonieux et de développement socio-économique de la ville de Ouagadougou.
69Cependant, il faut noter que tout le monde n'a pas les mêmes attitudes et comportements par rapport à l'agriculture urbaine à Ouagadougou. Cela s’explique par le fait que les acteurs n’ont pas toujours su dépasser la conception duale de la relation ville-agriculture encore très présente dans les recherches, dans les politiques publiques et les esprits. La conséquence est que l’agriculture ne constitue pas une priorité pour les autorités ni les citadins. Sa fonction économique est ainsi mise en doute. Or, l’agriculture urbaine n’est pas seulement production d’aliments, elle structure et façonne aussi le paysage, participant ainsi à la gouvernance locale dans la ville, où un certain nombre de difficultés se posent en matière d’aménagement ou d’assainissement de l’espace.
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