Nous remercions les relecteurs anonymes de la revue pour leurs remarques constructives sur une première version de cet article. Nous remercions aussi Marion Poiré, pour les réflexions sur les pratiques horticoles et leur évolution dans les jardins familiaux, réflexions qui ont nourri une partie de ce texte. Cette recherche s’est déroulée dans le cadre du projet Althercol (Alternatives aux herbicides dans les jardins collectifs), une action pilotée par les Ministères de la Transition Écologique (MTE), de l’Agriculture et de l’Alimentation (MAA), des Solidarités et de la Santé (MSS) et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), avec l’appui financier de l’Office français de la biodiversité, dans le cadre de l’Appel à projets de recherche « Mise au point de solutions alternatives aux produits phytosanitaires dans les Jardins, espaces végétalisés et Infrastructures (JEVI) », grâce aux crédits issus de la redevance pour pollutions diffuses attribués au financement du plan Écophyto II+.

Introduction : les jardiniers face aux normes horticoles

1Les jardins familiaux occupent une place spécifique dans les espaces cultivés en zone urbaine. Ils sont localisés dans des espaces urbains centraux ou péricentraux, s’inscrivent dans une forme d’agriculture non professionnelle (Mundler et al., 2014) et constituent une « expérience des habitants » (Nahmías & Le Caro, 2013). Contrairement aux jardins partagés, les jardins familiaux sont constitués de parcelles cultivées individuellement, sous le contrôle plus ou moins strict de l’association gestionnaire des surfaces, dont les jardiniers sont membres. Ils constituent une des formes d’agriculture urbaine les plus anciennes (Aubry et al., 2022) et une des principales formes que prend l’agrarisation de la ville. Ce processus, qui désigne l’emprise croissante de surfaces et de pratiques agricoles en ville (Ernwein & Cavin, 2014), favorise d’une part l’apprentissage et l’entretien des savoir-faire agricoles chez les populations urbaines, d’autre part le maintien et le développement du foncier agricole (professionnel ou non) en ville (Robert-Boeuf, 2019). Les jardins familiaux occupent une place spécifique non seulement dans l’agriculture urbaine, mais aussi dans la gamme des espaces urbains végétalisés, où ils représentent les espaces les plus maîtrisés et contrôlés, du fait de l’activité agricole elle-même, qui implique des opérations de restitution des nutriments, de sélection de la biomasse et de protection des cultures (Figure 1).

2Les jardins familiaux sont donc à la fois des espaces où l’expression de la biodiversité est fortement limitée par les pratiques horticoles (Schwartz, 2013), et des espaces d’intérêt pour les continuités écologiques urbaines (App et al., 2022), du fait de la forme linéaire qu’ils épousent lorsqu’ils sont relégués dans des zones inconstructibles, le long des cours d’eau (zones inondables) ou des voies de communication (routes rapides ou voies ferrées) (Di Pietro et al., 2018). En outre ils représentent un espace d’intérêt pour l’éducation à l’environnement, car les dynamiques écologiques peuvent être observées, connues et orientées par les habitants-jardiniers, contrairement aux espaces verts publics, où l’activité des usagers se limite à la fréquentation.

3Nous avons analysé dans une étude précédente les relations entre les principaux acteurs institutionnels des jardins familiaux : les communes et les associations, principales gestionnaires de ces jardins (Di Pietro & Poiré, 2021). Nous nous centrons ici sur les jardiniers eux-mêmes. Un travail précédent, fondé sur des entretiens exploratoires (Di Pietro & Gardair, 2022), montrait que, dans la gestion de la parcelle, les jardiniers se trouvent sous l’influence de deux normes contradictoires : le modèle esthétique du « beau » jardin, entendu comme un potager entretenu, contrôlé, maîtrisé, d’une part ; l’injonction à la production de denrées alimentaires saines, entendues comme exemptes de pesticides, d’autre part. La première norme, plus ancienne, est celle d’un jardin voué à la production horticole à travers une sélection sévère des espèces et des opérations de gestion du sol (travail, fertilisation, couverture) maximisant la production. Elle résulte de pressions tantôt informelles de la part des gestionnaires des jardins ou des autres jardiniers, tantôt formalisées dans des règlements locaux. La deuxième norme, plus récente, est celle d’un jardin exempt de pesticides et plus généralement d’intrants de synthèse. Elle est aujourd’hui définie par l’interdiction nationale des pesticides de synthèse pour des usages non agricoles (loi Labbé, promulguée en 2014 et entrée en vigueur le 1er janvier 2019 pour les particuliers), qui a mis à mal un usage bien établi dans le jardinage urbain (Barrault, 2009). Se conformer à la première norme, tout en s’accordant avec la deuxième, implique, pour les jardiniers, un changement de pratiques.

4Dans cet article nous analysons l’influence des déterminants socio-démographiques sur les pratiques adoptées par les jardiniers dans le contexte de cette dualité des normes de jardinage.

5Certaines études se sont penchées sur la diversité socio-démographique dans les jardins familiaux. Dans les jardins familiaux de Strasbourg, sur la base des chiffres issus de sondages réalisés par le service des jardins familiaux de la ville auprès des locataires et des demandeurs de parcelles, et de 30 entretiens, Guyon avait observé cette diversification sociale des jardiniers des jardins familiaux, ainsi que la prépondérance des habitants en appartement (Guyon, 2004 ; Guyon, 2008). L’origine rurale d’une grande partie des jardiniers des jardins familiaux a déjà été souligné par Delay et co-auteurs, sur la base de 23 entretiens conduits à Genève (Delay et al., 2014). La prépondérance de jardiniers âgés, masculins, à la retraite, d’un milieu social populaire émerge d’une étude conduite auprès des jardiniers des jardins familiaux de Milan (Italie), sur la base de 60 questionnaires (Ruggeri et al., 2016). Ces profils socio-démographiques des jardiniers apparaissent aussi dans une étude comparant les jardiniers de jardins familiaux de deux régions industrialisées d’Europe centrale, l’une en Allemagne (région de Wesphalia-Lippe, 42 jardiniers) et l’autre en Pologne (région de Poznan, 32 jardiniers), interrogés par questionnaire (Maćkiewicz et al., 2021).

6Toutefois, la part des jardiniers âgés et retraités varie beaucoup d’une ville à l’autre, comme en témoigne une étude conduite auprès de 532 jardiniers de onze villes dans sept pays européens. Cette étude souligne par ailleurs l’investissement dans le jardinage de la plupart des jardiniers des jardins familiaux, qui, en haute saison, fréquentent le jardin tous les jours ou plusieurs fois par semaine pour la plupart d’entre eux (Poniży et al., 2021).

7Peu de travaux se sont penchés sur la diversité horticole des jardins familiaux. L’intérêt des jardins familiaux pour la conservation de l’agro-diversité a été souligné par une étude conduite en Grande-Bretagne sur la base d’entretiens avec 21 jardiniers (Gilbert, 2013). En France la dimension ornementale de certains jardins familiaux a été mentionnée dans les études déjà citées à Montpellier (Scheromm, 2015a) et à Strasbourg (Guyon, 2008).

8L’association entre milieu social des jardiniers et pratiques horticoles avait déjà été suggérée à travers des profils théoriques de jardiniers, issus de 40 entretiens, dont la moitié en jardins familiaux et la moitié en jardins partagés, à Montpellier (Scheromm, 2015a ; Scheromm, 2015b).

9Le premier objectif de l’étude présentée ici est donc d’explorer la diversité horticole dans les jardins familiaux. Par « diversité horticole » nous entendons à la fois la diversité des productions (nommée « agro-diversité » dans la suite du texte), et la diversité des pratiques horticoles mises en œuvre par les jardiniers. La première est évoquée, mais peu étudiée dans la littérature scientifique. La seconde est étudiée par des travaux qui suggèrent le lien des pratiques horticoles (modalités de travail du sol, de fertilisation, lutte contre les ravageurs, arrosage, origine des graines et plants) avec la catégorie socio-professionnelle des jardiniers des jardins familiaux et partagés (Scheromm, 2015a ; Scheromm, 2015b).

10Dans le sillage de ces travaux, notre deuxième objectif est de tester l’hypothèse générale selon laquelle la diversité horticole observée dans les jardins familiaux est en relation avec les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers, et d’analyser ces relations.

11Nous détaillons ci-dessous la diversité horticole considérée (tableau 1), les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers examinées (tableau 2), les sites d’études et les méthodes de collecte et d’analyse des données, avant de présenter les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers et leurs relations à l’activité de jardinage, ainsi que la diversité horticole dans ses deux dimensions (agro-diversité et pratiques horticoles). Nous synthétiserons ensuite la diversité horticole par une typologie, et mesurerons ses liens avec les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers. Les principaux résultats sont confrontés à d’autres études conduites dans des contextes similaires.

1. Sites d’études et méthodologie

1.1. Sites d’étude et échantillonnage des jardins

12Les sites étudiés sont deux agglomérations de taille moyenne avec une longue histoire de jardinage familial (Tardif, 1996) : les agglomérations de Tours et d’Orléans. Ces deux métropoles sont comparables en taille (300 000 habitants et 300 km2 environ chacune) et par leur situation géographique (Val de Loire), mais elles diffèrent en ce qui concerne le paysage associatif du jardinage familial. Dans le premier cas, celui-ci est caractérisé par une myriade d’associations indépendantes et par l’intervention de la municipalité de Tours, et dans le second par une grande association, antenne locale de la Fédération Nationale des Jardins Familiaux et Collectifs (Di Pietro & Poiré, 2021).

13À l’intérieur du tissu bâti continu de ces deux agglomérations (éléments bâtis distants de moins de 100 m, soit la tâche urbaine) les jardins familiaux ont été recensés de façon exhaustive par photo-interprétation et informateurs municipaux (services des mairies). Sur 53 jardins familiaux, nous avons retenu les principaux, soit 35 jardins avec un nombre de parcelles individuelles supérieur à 15. Entre 5 et 10 % de l’ensemble des parcelles de chaque jardin ont fait l’objet d’enquêtes auprès des jardiniers, soit un total de 150 parcelles (115 parcelles à Tours, 35 parcelles à Orléans) (Figure 2).

1.2. Méthodes de collecte des données et de construction des variables

14Dans le prolongement d’entretiens exploratoires auprès de trente jardiniers conduits en 2018 et 2019 (Di Pietro & Gardair, 2022 ; Di Pietro et al., 2023), chacun des 150 jardiniers a été interrogé par deux enquêteurs conjointement, au cours d’un entretien directif, entre juin et août 2020. Les jardiniers ont été retenus au gré de leur présence et disponibilité au moment de l’enquête. Les réponses des jardiniers ont été notées manuellement sur des tableaux papier par une enquêteuse. Les entretiens se sont déroulés en français : des difficultés de communication ont parfois fait obstacle à l’obtention de quelques informations. Pour deux jardiniers d’origine étrangère, la catégorie socio-professionnelle n’a pas pu être connue ; pour un jardinier d’origine française, la modalité du travail du sol n’a pas été identifiée. Ces entretiens, d’une durée moyenne d’une heure par entretien, ont porté à la fois sur les productions et les pratiques horticoles adoptées par les jardiniers, et sur leurs caractéristiques socio-démographiques.

16Les 13 variables codées portent donc sur le nombre de variétés cultivées et sur les principales pratiques horticoles adoptées ; il s’agit de 4 variables quantitatives (variables d’agro-diversité) et 9 variables qualitatives (variables de pratiques horticoles). Ces dernières sont parfois mutuellement exclusives car elles permettent une seule réponse (ex : travail du sol), tandis que d’autres permettaient des réponses multiples (ex : modalités de désherbage de la parcelle) : dans ce dernier cas chaque modalité a été codée en 0/1 et transformée en variable binaire, pour un total de 31 variables. Afin de réduire le nombre de variables pour les analyses multivariées (voir ci-dessous), certaines modalités ont été exclues des analyses multivariées (et seulement de celles-ci) : celles avec des effectifs très faibles (inférieurs à 10 % de l’échantillon étudié, soit 15 individus) ou très élevés (supérieurs à 90 % de l’échantillon, soit 135 individus), et une variable quantitative très corrélée aux autres variables quantitatives (nombre total de variétés cultivées), soit 6 variables ; 25 variables ont donc été retenues pour les analyses multivariées (Tableau 1).

Tableau 1. Les variables des pratiques horticoles. L’avant-dernière colonne indique le nombre de variables exclues des analyses multivariées, la dernière colonne indique le nombre de variables inclues (voir texte)

Thème	Variable	Type	Nb variables codées	Nb variables exclues	Nb variables inclues
Agro-diversité	Nb variétés légumes	Quantitative	1	0	1
	Nb variétés fruits	Quantitative	1	0	1
	Nb variétés aromatiques	Quantitative	1	0	1
	Nb variétés fleurs	Quantitative	1	0	1
	Nb total variétés	Quantitative	1	1	0
Provenance du matériel biologique	Production propre de graines	Qualitative (0/1)	1	0	1
	Production propre de plants	Qualitative (0/1)	1	0	1
Sol : travail	Manuel superficiel (grelinette à 2 manches ou tournante) / manuel profond (fourche ou bêche) /moteur (motoculteur ou motobineuse)	Qualitative (0/1)	1	0	1
Sol : enrichissement	Fertilisants à base de plantes / compost / fumier / engrais organique / engrais minéral / substrat (terreau)	Qualitative (0/1)	6	0	6
Sol : couverture	Paillage	Qualitative (0/1)	1	0	1
Lutte contre ravageurs et maladies	Préparations à base de plantes (purin d’orties, etc.) / bouillie bordelaise / produits d’usage courant (coquille d’œuf, savon noir, vinaigre blanc, gros sel, eau de Javel) / anti-limace « bleu » / insecticides	Qualitative (0/1)	5	0	5
Désherbage : parcelle	Manuel / produits d’usage courant (vinaigre blanc, gros sel, eau de Javel) / herbicide	Qualitative (0/1)	3	3	0
Désherbage : allée de la parcelle	Manuel / mécanique / produits d’usage courant (vinaigre blanc, gros sel, eau de Javel) / herbicide	Qualitative (0/1)	4	1	3
Désherbage : allée commune	Manuel / mécanique / produits d’usage courant (vinaigre blanc, gros sel, eau de Javel) / herbicide	Qualitative (0/1)	4	1	3
Nb total de variables			31	6	25

17Concernant les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers, les informations collectées permettent de définir d’une part les principaux paramètres démographiques : âge, genre, origine géoculturelle telle qu’elle a été déclarée par le jardinier lui-même. Cette dernière trouve son intérêt dans l’hypothèse que les jardiniers cultivent non seulement les variétés locales, mais aussi des variétés en provenance de leur aire d’origine. D’autre part les informations collectées permettent de caractériser le milieu social du jardinier : situation à l’égard d’une activité professionnelle, catégorie socio-professionnelle présente ou passée (telle qu’elle est définie par l’INSEE), niveau d’étude. Nous avons en outre demandé la situation résidentielle du jardinier, actuelle (logement en appartement ou maison, en milieu urbain ou périurbain), et lors de l’enfance (milieu urbain, périurbain, rural), ainsi que des informations sur l’expérience dans le jardinage (mesurée par les années de jardinage) et l’investissement dans le jardinage (mesuré par le temps passé au jardin).

18Les 11 variables socio-démographiques construites sont présentées dans le tableau 2. Il s’agit de 4 variables quantitatives ou qualitatives ordinales (âge, études, expérience et investissement dans le jardinage) et de 7 variables qualitatives (genre, origine géoculturelle, situation à l’égard de l’emploi, catégorie socio-professionnelle, type de logement actuel, lieu d’habitation actuel, lieu d’habitation durant l’enfance).

Tableau 2. Les variables socio-démographiques. Toutes les variables qualitatives sont mutuellement exclusives

Facteur	Variable et modalités (codage)	Type
Démographie	Âge	Quantitative
	Genre : femme (Vs homme)	Qualitative (0/1)
	Origine géoculturelle simplifiée : non-française (Vs française)	Qualitative (0/1)
Situation à l’égard d’une activité professionnelle	En activité / en retraite ou au chômage ou sans activité	Qualitative (2 modalités)
Catégorie socio-professionnelle de l’INSEE (CSP) : activité actuelle ou passée	Agriculteur / artisan, commerçant, chef d’entreprise / cadre, profession intellectuelle supérieure / profession intermédiaire / employé / ouvrier	Qualitative (6 modalités)
Niveau d’étude	Pas de scolarité / école élémentaire / collège ou lycée / postbac	Qualitative ordinale (4 modalités ordonnées)
Situation résidentielle	Type de logement actuel : maison (Vs appartement)	Qualitative (0/1)
	Lieu d’habitation actuel : en zone urbaine (Vs zone périurbaine)	Qualitative (0/1)
	Lieu d’habitation durant l’enfance : campagne / ville / entre-deux	Qualitative (3 modalités)
Investissement et expérience dans le jardinage	Nb jours passés au jardin par semaine au moment de l’enquête : 2-3 jours / 5-4 jours / 7-6 jours	Qualitative ordinale (3 modalités ordonnées)
	Nb d’années de jardinage	Quantitative

1.3. Méthodes d’analyse des données

20Des analyses multivariées ont été utilisées dans une double perspective.

21Dans une perspective exploratoire (sur les variables réponse, descriptives : diversité horticole), une Analyse factorielle de données mixtes (PCA Mix) nous a permis de mettre en évidence les principaux gradients de la diversité horticole. La PCA Mix permet d’analyser un tableau de données où des observations sont décrites à la fois par des variables quantitatives et par des variables qualitatives, ce qui est le cas des variables de diversité horticole (Tableau 1 ci-dessus). Une classification ascendante hiérarchique (CAH) sur les coordonnées factorielles des observations issues de la PCA Mix a en outre permis de définir des classes de jardiniers fondées sur leur diversité horticole.

22Dans une perspective de causalité, afin de mesurer l’influence globale (toutes variables considérées ensemble) des caractéristiques socio-démographiques des jardiniers sur la diversité horticole observée, une analyse de redondance (RDA) et une régression par les moindres carrés partiels (régression PLS : Partial Least Squares regression) ont été utilisées. Elles ont permis de mesurer le lien entre la diversité horticole et les caractéristiques socio-démographiques des jardiniers, des variables indépendantes considérées comme explicatives de la diversité horticole. Ces méthodes associent, de façon linéaire, des variables-réponse, descriptives (diversité horticole), aux variables indépendantes, explicatives (socio-démographie des jardiniers).

23La RDA permet de mesurer de façon globale cette association. La régression PLS permet de hiérarchiser les variables explicatives en calculant leur importance dans la projection (Variable Importance for the Projection, VIP) ; par convention les variables sont considérées importantes pour la prédiction lorsque la VIP est supérieure à 0,8. La régression PLS, qui ne peut être réalisée que sur des variables-réponse quantitatives, est recommandée quand il y a un nombre élevé de variables explicatives. Le logiciel utilisé est Xlstat.

2. Socio-démographie des jardiniers et relations au jardinage

24En ce qui concerne la démographie, la population des jardiniers est plutôt âgée (66 ±13 ans en moyenne) et majoritairement masculine (116 hommes sur 150 jardiniers interrogés). Presque un tiers d’entre eux (46/150) déclare une origine non française ; 17 zones géographiques sont nommées : outre la France métropolitaine, les principales sont le Maroc (12/150), le Portugal (8/150), la Turquie (4/150), la Martinique (4/150).

25Sur le plan social, la population des jardiniers est principalement constituée d’ouvriers et d’employés (activité actuelle ou passé : 60/150 ouvriers, 52/150 employés), relativement peu diplômée (79/150 jardiniers ont un niveau collège/lycée). La majorité des jardiniers est actuellement sans activité professionnelle (115/150, dont 6 demandeurs d’emploi et 3 mères au foyer, la plupart étant constituée de retraités).

26En ce qui concerne la situation résidentielle, les jardiniers habitent principalement en appartement (112/150), et en ville (132/150). Ils sont en grande partie d’origine rurale (94/150 jardiniers habitaient à la campagne dans l’enfance). Les jardiniers sont en général expérimentés (13 ±12 ans de jardinage en moyenne) et très investis dans le jardinage (102/150 jardiniers passent 6-7 jours par semaine au jardin, au moment de la saison végétative).

27Les tests des associations entre ces caractéristiques révèlent quelques liens. Les femmes sont plus jeunes, ont moins d’années d’expérience dans le jardinage et passent moins de temps au jardin que les hommes ; elles ont davantage appris le jardinage sur internet et avec leur conjoint. Les ouvriers et les employés ont plus d’années d’expérience du jardinage. Ceux qui n’ont pas d’activité professionnelle, qui sont ceux qui ont fait moins d’études, ont une plus longue expérience du jardinage et passent plus de temps au jardin. Les jardiniers qui ont une enfance rurale et ceux qui déclarent une origine non française ont fait moins d’études. Les jardiniers dont le premier contact avec le jardinage a eu lieu dans l’enfance habitaient en zone rurale et habitent aujourd’hui en zone urbaine et en maison.

28Nos observations montrent que les jardiniers des jardins familiaux sont en majorité une population âgée, masculine, d’origine rurale, populaire (ouvriers et employés), expérimentée et investie dans le jardinage. Toutefois une population distincte et minoritaire émerge plus récemment : des jardiniers plus jeunes, d’origine urbaine, plus diplômés, moins expérimentés et moins disponibles pour le jardinage.

29Ces éléments, issus de 150 entretiens, confirment certains aspects observés dans d’autres cas d’études à partir d’échantillons plus réduits ou plus diversifiés. En outre l’étude de Maćkiewicz et co-auteurs (2021), déjà citée, confirme, pour deux régions industrialisées d’Europe centrale, la situation résidentielle en appartement et le caractère expérimenté (en années de jardinage) et investi (en fréquentation du jardin) de la plupart des jardiniers interrogés.

3. L’agro-diversité des jardins familiaux

30En ce qui concerne l’agro-diversité, entre 11 et 95 variétés totales sont cultivées par jardinier (légumes, fruits, plantes aromatiques, fleurs confondus), soit 38±15 variétés en moyenne (médiane : 36 variétés), dont 18 variétés de légumes, 6 de fruits, 6 de plantes aromatiques, 9 de fleurs en moyenne, pour un total de 287 variétés cultivées. Les légumes les plus cultivés sont les tomates, les courgettes, les salades, les haricots verts, les pommes de terre et les concombres (cultivés par plus de 120/150 jardiniers). Les fruits les plus cultivés sont les petits fruits (fraise, framboise) et le raisin, cultivés par plus de 80/150 jardiniers. Les plantes aromatiques cultivées sont principalement le persil, la menthe, le thym, la ciboulette (cultivées par plus de 80/150 jardiniers). La plus grande diversité dans le nombre de variétés cultivées concerne les fleurs (jusqu’à 44 variétés par jardinier).

31Outre certaines espèces très communément cultivées, on observe donc beaucoup d’espèces moins fréquentes. La diversité des plantes alimentaires est encouragée par les gestionnaires associatifs, qui, pour plus d’un tiers d’entre eux, interdisent la monoculture, voire prescrivent la culture de 7 à 9 espèces différentes par parcelle (Di Pietro & Poiré, 2021). La présence et la diversité des fleurs attestent de la dimension ornementale de certains jardins familiaux, comme mentionnées dans des études à Montpellier (Scheromm, 2015a) et à Strasbourg (Guyon, 2008).

4. Les pratiques horticoles mises en œuvre

32En ce qui concerne les pratiques horticoles, le matériel biologique provient majoritairement des jardiniers eux-mêmes, en production propre (91/150 pour les plants et 81/150 pour les graines).

33Le sol est surtout travaillé de façon mécanique (avec un motoculteur ou une motobineuse : 91/150) et secondairement à la main, en profondeur (50/150). Le sol est fertilisé essentiellement par des fertilisants non minéraux, organiques (fumier, compost : 96 et 91 jardiniers respectivement) et par un substrat (terreau enrichi de fertilisant : 89) : peu de jardiniers utilisent un fertilisant minéral (19/150). Le paillage, utilisé sur tout ou partie des cultures, est fréquent (82/150) : cette technique semble se diffuser.

35Le désherbage est largement manuel (147/150 dans la parcelle, 112/150 sur l’allée de la parcelle, 130/150 dans l’allée commune), parfois mécanique sur les allées (24/150 sur l’allée de la parcelle, 20/150 sur l’allée commune). Toutefois des désherbants de synthèse (interdits depuis 2019 pour un usage non agricole) et des produits d’usage courant (vinaigre blanc, gros sel, eau de Javel) sont aussi utilisés pour désherber, de façon marginale, dans les trois espaces mentionnés (parcelle, allée de la parcelle, allée commune). Ils sont plus fréquemment utilisés dans les allées communes, puis dans les allées de la parcelle et enfin dans la parcelle elle-même, ce qui suggère une crainte de la part des jardiniers concernant le danger que ces produits, notamment les herbicides, peuvent représenter pour la santé humaine, une fois en contact avec les plantes destinées à la consommation alimentaire.

36On observe donc des pratiques horticoles très majoritaires, adoptées par plus de la moitié des jardiniers : production propre de plants et de graines, travail mécanique du sol, fertilisation organique, paillage, utilisation de la « bouillie bourdelaise » et de produits anti-limaces pour protéger les cultures des ravageurs et maladies, désherbage manuel de la parcelle et des allées (allée de la parcelle et allées communes). À côté de ces pratiques, on observe une myriade de pratiques horticoles minoritaires (comme le travail manuel du sol ou l’utilisation de fertilisants minéraux), en particulier dans le domaine de la protection des cultures (différentes préparations à base de plantes, ainsi que des produits d’usage courant très variés, et des insecticides), et du désherbage (désherbage mécanique, utilisation de produits d’usage courant très variés, et d’herbicides).

37Ainsi, face aux normes de jardinage mentionnées plus haut, c’est-à-dire un potager contrôlé et exempt d’intrants de synthèse, les jardiniers semblent avoir recours à une gamme de produits « de substitution », utilisés dans la même optique (« un problème : un produit ») : usage massif du sulfate de cuivre (« bouillie bordelaise ») et utilisation d’une gamme de produits très divers, depuis différentes préparations à base de plantes jusqu’à l’eau de Javel, en passant par la coquille d’œuf, le savon noir, le vinaigre blanc, l’alcool, le gros sel, etc.

38Toutefois, malgré cette diversification des produits utilisés, dans l’ensemble (protection des cultures et désherbage), environ un tiers des jardiniers utilisent des pesticides de synthèse plus d’un an après leur interdiction : l’existence de stocks de pesticides et leur usage, suggérée par une enquête exploratoire (Di Pietro et al., 2023), est confirmée.

5. Typologie de la diversité horticole des jardins familiaux

39L’Analyse factorielle de données mixtes (PCA Mix) sur la diversité horticole - productions et pratiques (tableau 1) - montre que le premier gradient qui les distingue (premier axe factoriel) est celui de l’agro-diversité (nombre de variétés cultivées : légumes, fruits, plantes aromatiques, fleurs), suivi (deuxième axe factoriel) par un gradient complexe d’intensité des pratiques horticoles, en particulier de désherbage des allées (allée de la parcelle et allées communes).

40La classification ascendante hiérarchique (CAH) sur les coordonnées factorielles des jardiniers, montre que trois types de jardiniers peuvent être identifiés (Figure 3) : des jardiniers cultivant, de façon peu intensive, un nombre élevé de variétés différentes (la classe 3), et deux types cultivant moins de variétés, l’un de façon intensive (la classe 1), l’autre, avec la plus faible agro-diversité, de façon peu intensive (la classe 2).

41La classe 1 est caractérisée par la plus forte intensité des pratiques horticoles et une agro-diversité moyenne. Cette classe comprend plus de la moitié des jardiniers (82/150, 55%) : ce sont les jardiniers les plus expérimentés et les plus investis dans le jardinage (en nombre de jours par semaine passés au jardin).

42La classe 2 (44 jardiniers, 29%), est caractérisée par la plus faible agro-diversité de la population enquêtée, et par une intensité des pratiques horticoles plutôt faible. Elle comprend les jardiniers les plus âgés.

43La classe 3 (24 jardiniers, 16%), est caractérisée à la fois par la plus forte agro-diversité et la plus faible intensité des pratiques horticoles. Cette classe comprend les jardiniers les moins investis dans le jardinage (en nombre de jours par semaine passés au jardin), les moins expérimentés (en nombre d’années de jardinage), ceux qui ont fait le plus d’études, et les plus jeunes.

44Cette typologie suggère l’existence de trois modèles horticoles présents dans les jardins familiaux. Les jardiniers les plus âgés mettent en œuvre des pratiques faiblement intensives, ce qui est probablement en relation avec un modèle agricole précédant la période productiviste des années 1960, et produisent aussi peu de variétés différentes (type 2). Les jardiniers d’âge moyen appliquent les pratiques les plus intensives pour une production moyennement diversifiée (type 1) : ces jardiniers, les plus expérimentés et présents au jardin, semblent les plus marqués par le modèle agricole productiviste des années 1960 ; ce sont les plus nombreux. Les jardiniers les plus jeunes, enfin, peu présents au jardin, car en activité, sont les moins intensifs et les plus diversifiés (type 3) ; ils semblent marqués par un modèle de jardinage peu lié aux modèles agricoles, moins motivé par l’autosuffisance alimentaire et davantage par la diversification alimentaire.

6. Liens entre diversité horticole et socio-démographie des jardiniers

45En ce qui concerne l’agro-diversité, les tests de corrélation et d’association réalisés montrent que celle-ci est liée à la catégorie socio-professionnelle : les cadres cultivent davantage de variétés, notamment de fleurs et de fruits. De plus, les femmes cultivent davantage de variétés de fruits, d’aromatiques et de fleurs que les hommes. Les personnes d’origine étrangère considérées dans leur ensemble cultivent moins de variétés totales et notamment de fruits, d’aromatiques et de fleurs (voir méthodologie, tableau 2). Toutefois, l’analyse de l’agro-diversité par origine géoculturelle déclarée montre que les jardiniers antillais (deux guadeloupéens et quatre martiniquais) cultivent significativement plus de variétés totales (et notamment plus de variétés de fleurs pour les jardiniers guadeloupéens) que les jardiniers d’autres origines, y compris française. En outre les jardiniers qui habitent en maison cultivent plus de variétés de légumes que ceux qui habitent en appartement (Figure 4).

46Concernant les pratiques horticoles, elles sont influencées par le milieu social du jardinier. Pour ce qui est de la CSP, l’utilisation du compost comme fertilisant est surtout le fait des cadres, probablement à cause du type de logement (maison) permettant d’en faire. Le sol est travaillé de façon mécanique surtout par les ouvriers et les employés, qui utilisent moins des fertilisants à base de plantes que les autres jardiniers. Les études longues sont associées au travail du sol manuel superficiel (le moins déstructurant pour le sol, comme indiqué plus haut). En outre certaines pratiques chronophages (comme la protection des cultures par des préparations à base de plantes ou le désherbage manuel de l’allée de la parcelle) sont le fait des jardiniers non actifs.

47Les pratiques horticoles sont influencées aussi par le genre du jardinier, les femmes adoptant plus que les hommes certaines pratiques horticoles moins impactantes sur les sols, comme le travail du sol manuel superficiel et un usage moindre du sulfate de cuivre. Elles ne sont proportionnellement pas plus nombreuses que les hommes à utiliser le motoculteur, un moyen de travailler le sol qui est pourtant moins éprouvant sur le plan physique que le bêchage manuel. Ceci suggère que le caractère genré de certaines pratiques de jardinage n’a pas de fondement physiologique, mais il a plutôt un fondement social, probablement lié à l’apanage encore masculin des machines agricoles.

48L’analyse de redondance (RDA) effectuée sur la diversité horticole (les mêmes variables de que la PCA Mix : productions et pratiques, tableau 1), contrainte par les variables socio-démographiques retenues (tableau 2), montre que ces dernières expliquent environ 30 % de la diversité horticole, ce qui, compte-tenu de la complexité des déterminants individuels des choix de gestion du jardin, est considérable.

49Cette analyse isole, sur le premier axe canonique, l’agro-diversité (dans les quatre aspects relevés : légumes, fruits, plantes aromatiques, fleurs), associée surtout aux études, et puis à une origine géoculturelle française, aux CSP employés et cadres, aux femmes ; sur cet axe canonique elle est opposée aux hommes, d’origine étrangère, ouvriers.

50Le deuxième axe canonique oppose la diversité des productions alimentaires (légumes, fruits, aromatiques), associée principalement à l’habitation en maison (mais aussi à la CSP cadres, à l’activité professionnelle et aux études), à la diversité de la production de fleurs, associée principalement à l’habitation en appartement (mais aussi à l’âge, à l’expérience dans le jardinage, à l’absence d’activité professionnelle, à la CSP employés).

51Cette analyse confirme les déterminants sociaux de l’agro-diversité, positivement liée aux études longues et aux CSP cadres, et à ses déterminants de genre (elle est liée aux jardiniers de genre féminin). De plus elle permet de distinguer : (i) l’agro-diversité liée à la fonction alimentaire du jardin, prépondérante lorsque le jardinier habite en maison où il dispose d’un jardin d’agrément ; il y a alors une complémentarité entre jardin domestique d’agrément, et jardin familial potager ; (ii) l’agro-diversité liée à la fonction ornementale du jardin familial, prépondérante lorsque le jardinier habite en appartement : le jardin constitue alors le seul espace de jardinage et sa valeur ornementale, matérialisée par les variétés de fleurs, est considérable.

52Les déterminants sociaux de l’agro-diversité sont confirmés par la régression PLS. L’agro-diversité (quatre variables), qui constitue le premier facteur de différenciation de la diversité horticole (voir les résultats de la PCA Mix, ci-dessus), a fait l’objet d’une régression PLS sur les variables socio-démographiques. Le niveau d’études et la CSP ouvriers sont les variables les plus influentes de l’agro-diversité (Figure 5).

7. Discussion et conclusion

53Face à la multiplication des normes de jardinage évoquées en introduction, le premier objectif de cette étude était de questionner la diversité horticole mise en œuvre par les jardiniers des jardins familiaux, en termes de diversité des productions (agro-diversité) et de diversité des pratiques horticoles.

54En ce qui concerne l’agro-diversité, nous montrons l’étendue de la gamme des variétés cultivées, et soulignons sa dimension ornementale (variétés de fleurs), qui permet probablement de concilier avec moins de difficultés la norme du jardinage maîtrisé avec celle de l’absence d’intrants de synthèse.

55En ce qui concerne les pratiques horticoles, nous montrons que les jardiniers diversifient les opérations permettant autant que possible de concilier contrôle et productivité du jardin d’une part, et absence d’intrants de synthèse, d’autre part. Ils adoptent des pratiques largement partagées (travail mécanique du sol, utilisation de la « bouillie bourdelaise » et de produits anti-limaces pour protéger les cultures des ravageurs et maladies, d’une part ; production propre de plants et de graines, fertilisation organique, paillage, désherbage manuel de la parcelle et des allées, d’autre part), ainsi que toute une gamme de pratiques minoritaires. Dominantes ou minoritaires, certaines de ces pratiques (usage massif du sulfate de cuivre, usage moins fréquent de produits d’usage courant comme le vinaigre blanc, le gros sel, l’alcool, l’eau de Javel) ne sont pas sans effet sur l’acidité et l’activité biologique des sols. Ainsi nous nous interrogeons sur le sens que prend le renoncement aux intrants de synthèse, au-delà de la satisfaction à une exigence règlementaire. Une étude précédente, conduite auprès des gestionnaires des jardins familiaux, montrait d’une part que ce renoncement fait l’unanimité, d’autre part que les raisons de cette adhésion à la norme sont d’ordre davantage sanitaire qu’environnemental (Di Pietro & Poiré, 2021). De plus, les entretiens exploratoires auprès des jardiniers avaient montré une contradiction entre l’adhésion à la norme anti-intrants de synthèse et la pratique effective (Di Pietro & Gardair, 2022), ce qui est confirmé ici, puisqu’un tiers environ des jardiniers interrogés utilise des intrants de synthèse.

56Une étude conduite entre 2012 et 2015 dans cinq pays européens (Autriche, Pologne, Estonie, Écosse, Portugal) montre que l’utilisation de fertilisants et pesticides de synthèse dans les jardins familiaux était encore commune dans environ la moitié des cas étudiés, alors que la majorité des jardiniers trouvaient leurs pratiques horticoles respectueuses de l’environnement et leurs produits plus sains et savoureux que ceux achetés (Voigt & Leitão, 2016). La supériorité qualitative des produits du jardin sur ceux du commerce est défendue aussi par les jardiniers utilisateurs de pesticides de synthèse. Cette dissonance cognitive entre l’adhésion formelle à la norme sans pesticides et la pratique effective, a été observée aussi dans nos cas d’étude (Di Pietro & Gardair, 2022).

57Ces deux aspects de la diversité horticole, agro-diversité et pratiques horticoles, sont influencés par les prescriptions des gestionnaires associatifs des deux sites d’études. Ces gestionnaires d’une part interdisent la monoculture, d’autre part intègrent l’entretien rigoureux des parcelles et des allées communes aux obligations des jardiniers, définies dans le règlement intérieur du jardin. Ces deux orientations s’inscrivent dans la promotion de la fonction productive des jardins familiaux. Le désherbage, en particulier, est requis dans le règlement intérieur du jardin par un tiers des associations gestionnaires des jardins familiaux dans les deux sites d’études, en particulier dans les jardins proches du centre-ville, plus exposés au regard des passants (Di Pietro & Poiré, 2021). Le non-respect de cette norme est souvent mentionné comme un critère d’exclusion du jardin. Les plantes spontanées, considérées comme antinomiques au modèle de jardin ordonné et entretenu qui domine le paysage des potagers urbains, suscitent l’hostilité de la plupart des gestionnaires, et de beaucoup de jardiniers.

58Le deuxième objectif de cette étude était d’analyser les déterminants socio-démographiques de la diversité horticole. Nous avons montré que tant l’agro-diversité que les pratiques horticoles sont influencées par le milieu social du jardinier (CSP, niveau d’études), et ce malgré les limites de la définition des catégories professionnelles de l’INSEE (Desrosières, 2008), que nous avons adoptées par défaut. Nos analyses suggèrent une polarisation sociale entre jardinage favorisant l’agro-diversité, qui est le fait d’un milieu social plus aisé, et jardinage la limitant, qui est le fait d’un milieu social plus pauvre. Toutefois une telle polarisation n’est pas observée pour l’ensemble des pratiques horticoles. Elle n’est pas observée en particulier pour l’utilisation de pesticides, qui n’est pas liée à une CSP ni à un niveau d’études. L’agro-diversité est influencée aussi par le genre du jardinier, sa situation résidentielle, et son origine géoculturelle déclarée.

59Enfin, nos résultats suggèrent la présence, dans les jardins familiaux, de plusieurs populations de jardiniers, porteuses de différents modèles de jardinage. Si le groupe des jardiniers adoptant des pratiques horticoles intensives et une agro-diversité réduite, probablement en relation avec un modèle agricole du jardinage, est majoritaire, deux autres groupes, l’un constitué de jardiniers plus âgés, l’autre de jardiniers plus jeunes, adoptent des pratiques moins intensives, le premier conduisant à des productions peu diversifiées, le deuxième à des productions très diversifiées. Plusieurs études citées (et notamment l’étude internationale de Poniży et al., 2021) suggèrent que cette structure, qui est en relation avec l’évolution des fonctions des jardins familiaux, est commune à bon nombre de jardins familiaux en Europe, bien que la proportion de chaque groupe puisse certainement différer d’une ville à l’autre.