Nous remercions vivement les autrices et auteurs qui ont contribué à ce double numéro, ainsi que les collègues qui se sont engagé·es dans un travail d’évaluation et d’accompagnement aussi précieux que chronophage : Mina Kleisch-Dray, Ana Cristina Torres, Camille Hochedez, Carole Barthelemy, Christelle Hinnewinkel, Christine Margetic, Elodie Valette, Flaminia Paddeu, Héloïse Leloup, Jean-Louis Yengue, Jean-Noël Consalès, Jean-Louis Chaléard, Joe Nasr, Julien Noël, Morgane Reteire, Nasser Rebai, Noemie Maughan, Paola Branduini, Pascale Scheromm, Paule Moustier, Sécou Omar Diedhiou, Segolene Darly, Taoufik Soumi, Victoria Sache, Yvon Le Caro.

1En 2022, lors de la tenue du colloque de l’UGI en juillet à Paris, deux sessions parallèles ont été retenues autour du thème des agricultures urbaines, l’une portait sur « Agricultures urbaines au Sud et au Nord : vers une convergence des fonctions et des représentations » (animée par N. Rouget et C. Aubry) et l’autre s’intitulait « Vers une agrarisation de la ville ? L’intégration des pratiques agricoles dans la fabrique des quartiers » (animée par J. Salomon Cavin et G. Giacchè). Dans les deux sessions, les agricultures urbaines (AU), conformément aux canons les plus communément admis à l’échelle internationale, étaient entendues comme les agricultures prenant place en milieu urbain dense, mais aussi en proximité de la ville, entretenant des liens fonctionnels forts et partageant des ressources avec la ville (Mbaye, Moustier, 1999). À la suite de ces deux sessions, qui ont rassemblé douze et sept exposés, nous avons décidé d’unir nos forces pour lancer en janvier 2023 un appel à textes conjoint sur le thème « Agricultures urbaines au Nord et au Sud : conformer les agricultures, fabriquer la ville ».

2Les perméabilités entre Nord et Sud sur les formes et les rôles des AU s’accroissent. Au Nord comme au Sud, diverses formes d’agriculture urbaine s’insinuent en « agrarisant la ville » (Ernwein, Salomon Cavin, 2014) ; avec des adaptations inégales - souvent lacunaires - des cadres règlementaires et urbanistiques, avec des répercussions variées sur la morphologie urbaine, avec une diversité d’acteurs (agricoles, politiques et issus de la société civile) et de pratiques habitantes, etc. Nous pointons le fait que les synergies et/ou concurrences entre villes et agricultures sont multiples et que celles-ci peuvent être pensées - selon les grilles de lecture des acteurs impliqués et mobilisés - tant aux échelons locaux que régionaux. Ces « synergies et paradoxes » (Rouget, 2014) représentent autant d’enjeux, en partie communs entre villes des Nords et des Suds. Ces enjeux sont relatifs à la réhabilitation des fonctions nourricières (au profit des consommateurs aisés, parfois en direction des plus précaires), aux concurrences foncières et pour l’accès aux ressources, à la cohabitation des fonctions et des usages, aux représentations mêmes de ces agricultures, à leurs finalités et à leurs statuts (Aubry, Margetic, 2023 ; Bré-Garnier, Rouget, Poulot, 2023).

3Des contributions étaient notamment attendues sur la question de l’intégration des différentes initiatives agricoles dans la conception des quartiers et sur leur influence concrète dans la fabrique urbaine, mais finalement cette direction-là n’a pas été prise par les autrices et auteurs de ce numéro.

4Les huit articles sélectionnés reflètent la prédominance de certaines formes et de certaines fonctions de l’agriculture urbaine. Les jardins collectifs restent la première forme d’agriculture urbaine par le nombre d’urbains concernés, ce qui rejaillit sur la diversité des pratiques horticoles (Di Pietro et Gosset). Ils sont en développement rapide dans les DROM-COM comme à Tahiti (Tchekemian), mais aussi en Amérique Latine. K. Redouté, nous montre à propos de Quito, les différentes étapes de leur institutionnalisation. Au-delà de leurs rôles de renforcement des liens sociaux au sein des communautés, ou d’intégration à la ville des populations impliquées (appropriation-production), leurs fonctions nourricières d’autoproduction et/ou de vente sont réaffirmées et revisitées, notamment à l’aune de retrouvailles des populations avec leurs cultures alimentaires. La mise en marché plus ou moins orientée par les institutions peut cependant amener, comme on le voit à Quito, à passer de la milpa au fenouil, ce dernier satisfaisant davantage les couches aisées de la population. À Antananarivo (Andriamanga et al.) ou à Ouagadougou (Yonli), ce sont aussi ces fonctions nourricières d’agricultures urbaines, largement familiales et orientées vers la vente, qui priment, avec de nombreuses exploitations maraichères intra et périurbaines contribuant majoritairement (et par nécessité) à l’approvisionnement de la ville.

5Le rêve d’une plus forte participation directe de l’agriculture périurbaine et intra-urbaine au « métabolisme urbain » (Aubry et Pourias, 2013) se heurte à la nécessité de relever un certain nombre de défis. En région parisienne, la controverse autour du Triangle de Gonesse (Macé le Ficher) montre les tensions sur la place de l’agriculture périurbaine dans le projet du territoire. Si elle est fortement déconnectée du système alimentaire régional, sa re-territorialisation repose sur la construction collective de nouveaux objectifs et référentiels partagés par les acteurs du territoire (agriculteurs et agricultrices, acteurs socio-économique, acteurs institutionnels). Ce rêve se traduit aussi - à Paris toujours - par une multiplicité de nouvelles fermes urbaines, lesquelles, lorsque trop spécialisées et/ou trop couteuses, ont fini par révéler leur grande fragilité économique. Des figures plus innovantes (Nagib) réunissant les fonctions environnementales, récréatives et sociales émergent et, pour certaines, se maintiennent sous forme de micro-fermes participatives. La fourniture de services et leur marchandisation, l’esthétique versus l’utilitarisme productif, n’en représentent pas moins des arbitrages qui, par leur codification, pourraient entraîner une homogénéisation des paysages (Bonin).

6Au-delà de la question des fonctions remplies par - ou attendues de - ces agricultures urbaines, se posent celles des types de relations entretenues de fait avec la ville et de l’intégration de ces agricultures dans le projet de territoire (Giacchè et al., 2022). On regrette, à Ouagadougou ou à Quito, que l’agrarisation de la ville, pourtant indispensable à son approvisionnement alimentaire (et aussi à son assainissement), ne soit pas inscrite de manière formelle dans les documents d’urbanisme locaux, ni d’ailleurs dans des politiques nationales. À Antananarivo, l’inscription explicite et récemment réitérée de l’agriculture urbaine dans des documents d’urbanisme (en l’occurrence le PUDI en 2019), pour des raisons de protection de la ville contre les inondations encore plus que d’autonomie alimentaire, ne suffit cependant pas à protéger entièrement l’agriculture, loin de là, de l’extension urbaine. En revanche, dans la dialectique Extension urbaine sur les espaces agricoles / Nécessité de conserver une production alimentaire de proximité, la capitale malgache montre la transformation des paysages agricoles sous l’influence de cette pression urbaine, avec relocalisation et modification forte des systèmes de production. Si les questions liées à l’approvisionnement, à l’alimentation, au foncier et à l’aménagement sont très présentes dans les travaux sur les agricultures urbaines à Madagascar et en Afrique de l’Ouest, d’autres problématiques, socio-économiques, sanitaires, relatives à la place des femmes, etc. doivent être mises en avant (entretien avec Awa Ba).

8Les crises récentes et à venir nous imposent d’adapter nos villes et nos agricultures, partout dans le monde, aux changements globaux qui sont en cours et vont s’accentuer : crises énergétiques rendant intenables des approvisionnements alimentaires lointains ou encore la poursuite de la fabrication d’engrais de synthèse autant énergivores que polluants et chers ; changements climatiques devant être anticipés, exposant Suds et Nords, tant aux risques d’inondations que de sécheresses ; lutte contre les canicules aux conséquences sanitaires néfastes notamment en milieu urbain ; préservation autant que faire se peut de la biodiversité, etc. Des agricultures urbaines, intra et périurbaines, diversifiées, inscrites et protégées, vont devenir de plus en plus un des éléments de réponse à ces crises, même si à l’échelle régionale ou nationale, partout dans le monde, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour aller vers une vision plus holistique des liens entre agricultures et villes. Cela implique une réflexion de fond sur la considération des agricultures urbaines et sur la qualité des acteurs convoqués : créatures urbaines, pensées dans le cadre d’une économie de services, produits de la puissance publique, des acteurs de la société civile et de quelques entreprises d’ingénierie territoriale… ; ou composantes à part entière à la fois de la cité et du système agricole productif ? Par un jeu de miroir, les enjeux et questionnements propres à l’agriculture urbaine interrogent les agricultures en général (et les politiques agricoles, alimentaires, sociales, foncières, environnementales, y compris telles qu’elles sont appliquées hors des villes), soit le devenir de la très grande majorité des espaces nourriciers et agricoles, garante de notre alimentation, de la qualité des eaux et de la biodiversité.

9Penser indépendamment les agricultures, c’est au contraire continuer à dédouaner les acteurs des filières agro-alimentaires dominantes de leurs responsabilités sociales et environnementales.

10Aussi, est-il urgent de concevoir l’agriculture urbaine au Nord comme au Sud comme une agriculture à part entière.