Awa BA, enseignante-chercheuse à l’Université Alioune Diop de Dakar

1°) Pouvez-vous présenter votre parcours ?

2°) Vous menez une étude encore en cours, sur les recherches concernant l’agriculture urbaine en Afrique de l’Ouest francophone et Madagascar, pouvez-vous nous expliquer l’origine de cette recherche ?

2Awa Ba : Comme le signale mon parcours, j’ai attrapé le virus de la recherche sur l’agriculture urbaine à l’INA-PG, c’est là que, comme agro-économiste, je me suis investie sur le sujet. Même si je suis maintenant en poste dans une université où l’on travaille plus sur l’agriculture « rurale », j’ai conservé cette envie de suivre ce sujet de l’agriculture urbaine. Il se trouve que dans mon université, tous les deux ans, les enseignants-chercheurs ont droit à un court séjour de type « voyage d’études », et, en 2018, dans le cadre d’un de ces « voyages d’études », j’ai eu un entretien avec Monique Poulot de l’Université de Nanterre. Nous avons évoqué l’intérêt d’une synthèse et d’un bilan des travaux francophones sur l’agriculture urbaine, en Afrique de l’Ouest. Ce n’est qu’en 2022, que j’ai pu commencer ce travail de recension bibliographique, auquel, avec Monique Poulot, nous avons décidé d’ajouter des interviews de chercheurs.

3°) Comment expliquez-vous le choix des pays dans cette recherche ?

4°) L’accès aux données d’analyse a-t-il été aisé ?

5°) Pourquoi commencer l’analyse en 2004 ? et qui sont les chercheurs/chercheures que vous avez pu identifier ?

6J’avais comme hypothèse, en commençant ce travail, que les chercheurs occidentaux seraient largement majoritaires. En effet, ici, en particulier dans mon université, on entend fréquemment les chercheurs dire que l’agriculture urbaine ne peut pas nourrir le pays, donc il n’est pas nécessaire de mener ces recherches la concernant ! À ma grande surprise, sur les 99 publications (articles de revues, ouvrages, thèses – j’en ai recensées 14 – communications à des congrès et rapports) que j’ai retenues, entre 2004 et 2022, plus de 60% des 167 auteurs sont Africains ! Les moins de 40% restants sont en majorité Européens (33% du total, dont une majorité de Français), 3 à 4% sont Nord-américains, auxquels s’ajoutent quelques chercheurs originaires d’Asie. Les auteurs africains sont très souvent en co-publication avec des collègues européens. Par exemple, il y a beaucoup de co-publications Sénégal-France, mais aussi avec France-Madagascar, et beaucoup de co-publication d’autres chercheurs africains, notamment de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso ou du Mali. Les thèses sont financées, principalement, soit par la recherche et l’université françaises, soit par des Canadiens (Centre de Recherches sur le Développement International CRDI). Surprise aussi pour moi, je pensais que les auteurs africains et malgaches étaient surtout issus d’instituts de recherche stricto-sensu. Or ce sont pour la plupart des universitaires, des enseignants-chercheurs. Je pense qu’une raison est qu’ils nouent des partenariats pour pouvoir publier dans le cadre de leurs évaluations par le CAMES qui a un fort pouvoir de décision sur leur évolution de carrière.

6°) Si l’on continue sur la place des femmes, mais cette fois-ci dans la pratique de l’agriculture urbaine en Afrique, qu’en est-il ? ?

8Awa Ba : Au Sénégal, mais on retrouve cela aussi dans d’autres pays, les femmes sont surtout dans la commercialisation et la transformation, beaucoup plus que dans la production ; depuis les collectrices de bords de champ (les bana bana) jusqu’aux femmes bien implantées dans les marchés officiels. Elles tiennent une place prépondérante dans la commercialisation. C’est aussi le cas dans la transformation agricole, d’ailleurs de tous produits agricoles (mil et autres céréales en couscous, jus locaux, fruits séchés, etc.) souvent grâce à des microcrédits. J’ai d’ailleurs actuellement une doctorante qui travaille sur l’entrepreneuriat agroalimentaire à Dakar et elle regarde, notamment, la place des femmes dans ces activités.

9La faible place des femmes dans la production de l’agriculture urbaine au Sénégal – mais c’est aussi ce que je vois ailleurs – dans le corpus étudié, serait liée, d’abord, à un accès limité et difficile au foncier, c’est vraiment l’hypothèse centrale. D’ailleurs, cela concerne aussi l’agriculture rurale. Cependant, il y a quelques exceptions et c’est notamment le cas du micro-jardinage au Sénégal. Pour rappel, la FAO a lancé le micro-jardinage en 1999, au Sénégal, d’abord, dans la région de Dakar, pour que les femmes puissent prendre une part dans la production et générer des revenus via la vente de légumes, précisément sans que ce soit coûteux en foncier (containers, tables de 1 m², notamment, utilisant comme substrat des sous-produits de l’agriculture). Ce programme a concerné, ensuite, tout le pays. Plus tard, en 2006, il y a eu un focus de ce programme sur la ville de Dakar, dans le cadre de la coopération décentralisée entre les villes de Milan et de Dakar, avec l’appui de la FAO et de la Coopération italienne. La plupart des sites de micro-jardins étaient hébergés par des mairies des dix-neuf communes d’arrondissement du département de Dakar et étaient gérés par des groupements d’intérêt économique (GIE) de femmes ou étaient localisés dans l’arrière-cour de certaines écoles, avec un but éducatif. C’est vraiment une réussite pour certaines femmes, comme la renommée Maman Africa, qui est connue et reconnue, à travers le monde !

7°) Revenons sur votre analyse de la littérature, quelles thématiques de recherche et disciplines sont les plus présentes ?

10Awa Ba : Le premier constat est une forte continuité avec les thématiques et les disciplines déjà signalées dans l’ouvrage de référence de Smit et al. (2004) : urbanisme et aménagement, environnement, gestion des déchets, et, bien sûr, production et alimentation des villes. La place des femmes était déjà présente dans l’ouvrage. Je constate, cependant, un approfondissement de certaines thématiques, du côté des géographes en particulier, toujours majoritaires, relativement aux insuffisances de l’insertion de l’agriculture urbaine dans la panification territoriale et dans l’aménagement urbain, ainsi que sur les questions environnementales. Les agronomes et les agroéconomistes publient beaucoup sur les questions de production, d’alimentation des villes, ainsi que sur la gestion des déchets.

11On voit apparaitre, également, des publications sur les enjeux socioéconomiques (par exemple, sur les activités génératrices de revenus, notamment du fait des crises – 2008 et suivantes), sur les enjeux sanitaires et la santé et, finalement, sur la diversité des systèmes de production et des productions. Par contre, je n’ai rien vu de spécifique sur la biodiversité ; de ce thème, on parle encore peu dans les recherches en Afrique francophone et, si c’est le cas, cela concerne surtout l’agriculture rurale.

8°) Partant des constats que vous avez pu faire grâce à votre expérience et cette recherche, sur quels thèmes est-il crucial de faire porter de nouvelles recherches concernant l’agriculture urbaine en Afrique de l’Ouest et à Madagascar ?

12Awa Ba : Je dirais, d’abord, sur la place des femmes. C’est important de mieux analyser leur faible place dans la production, tenter de vérifier si c’est bien lié aux questions foncières ; car c’est seulement sur cette base que pourront être initiées des politiques publiques adaptées, si bien sûr il y a une volonté politique pour ce faire ! Je dirais, ensuite, sur les aspects environnementaux. On l’a dit, la biodiversité, l’écologie sont des angles morts de la recherche. Or, c’est important ! On voit, par exemple, que les micro-jardins modifient la gamme des productions. Des espèces européennes deviennent, par exemple, majoritaires dans les légumes feuilles produits (ciboulette, basilic). Il faut pouvoir mieux étudier ces phénomènes.

13Concernant les questions de planification territoriale et d’aménagement urbain, je crois que, maintenant, il faut surtout diffuser les connaissances acquises pour que, là aussi, les politiques changent et qu’il y ait une sécurisation foncière pour l’agriculture urbaine, en Afrique. L’accès à l’eau et à l’irrigation sont également des défis majeurs de production et d’environnement. Aujourd’hui en zones capitales on voit, comme à Dakar, des utilisations possibles d’eaux usées épurées ; il faut pouvoir travailler là-dessus. Enfin, il y a très peu d’études encore sur les élevages en milieu urbain, à l’exception de thèses comme celles d’Ophélie Robineau, à Ouagadougou, au Burkina Faso et au Sénégal, celles d’Abdou Khadre Fall, à Thiès, ou de Sécou Oumar Diédhiou, à Ziguinchor. Or, cet élevage urbain est potentiellement très rémunérateur. Au Sénégal, on a des élevages ovins de la race Ladoum qui sont très recherchés, les petits peuvent même être vendus, avant même leur naissance. Cela suscite des convoitises et il y a de nombreux risques de vols. Dans certaines villes comme à Mbour, par exemple, on voit des éleveurs urbains protéger leur petit élevage du vol en l’abritant à côté de leur chambre !

9°) Est- ce que vos étudiants sont intéressés par l’agriculture urbaine ?

14Awa Ba : Ce sujet est plus traité dans la recherche que dans l’enseignement, au Sénégal et, de fait, plus dans le monde des projets que dans le monde académique. Dans les curricula, il n’y a pas d’enseignement sur l’agriculture urbaine. J’essaie d’intéresser mes étudiants, lors dans mon cours d’économie rurale, j’aborde les concepts d’agriculture « à temps partiel », une variante de l’agriculture « moderne ». Ici, à l’ISFAR (ex École nationale des cadres ruraux de Bambey), nous sommes quasiment en zone rurale et, de fait, nous formons des cadres de l’agriculture pour toute l’Afrique. Je vous l’ai dit, certains de mes collègues « ne croient pas » à l’agriculture urbaine. Je leur montre que l’agriculture urbaine est source d’innovations techniques et économiques et j’en parle aussi lors des animations scientifiques.

10°) En fin de compte, considérez-vous avoir assez de contacts avec vos collègues chercheurs et enseignants-chercheurs africains qui s’intéressent à ce sujet ?

15Awa Ba : Non, clairement pas assez ! À ma connaissance, il n’y a pas de réseaux de travail, j’ai entendu parler d’un réseau créé par le professeur Jean-Louis Yengué (Université de Poitiers, en France), mais je constate qu’il n’y a pas de chercheurs qui travaillent vraiment ensemble. C’est tout à fait nécessaire ! C’est pourquoi, l’initiative en cours pour tenir à Dakar, en 2025, une session spéciale des JIFAU (Journées internationales Francophones de l’Agriculture urbaine) va être très précieuse. Il faut pouvoir aussi s’appuyer sur des acteurs opérationnels ; l’Institut Africain de Gestion Urbaine (IAGU) fait beaucoup de choses et a beaucoup de partenaires, il peut être un allié puissant pour ces chercheurs travaillant sur l’agriculture urbaine, en Afrique.

11°) Un dernier point à ajouter ?

16Awa Ba : Il y a beaucoup d’acteurs et d’auteurs de l’agriculture urbaine en Afrique francophone et à Madagascar, mais ils ont besoin d’être connectés, ils ont besoin d’être visibles dans les médias : il n’y a que comme cela qu’on existe ! Les JIFAU, de ce point de vue, vont être un moment important, elles vont contribuer à constituer une force de frappe dans ce domaine, du moins je l’espère !

17Awa Ba, nous vous remercions vivement d’avoir accepté cet entretien.

18C’est moi qui vous remercie, toutes les trois, d’avoir pris le temps d’échanger avec moi.

Site maraicher de Lendeng, près de Dakar

Crédit : Awa BA