- 1 Soda tanzanien au gingembre
- 2 Entreprise publique de l’électricité en Tanazanie
1En cette chaude matinée de Février, Emanuel et Mohammed sirotent un Stoney Tangawizi1 sur la route poussiéreuse de Kitunda, à Msgongola, un quartier péri-urbain à l’extrême Sud-Ouest de Dar Es Salaam, dans le district d’Ilala. Ils attendent le dala dala qui les emmènera au travail, dans les arrondissements plus centraux de la grande agglomération tanzanienne. Installés le long de la route sur de frêles chaises en plastique devant l’un des seuls commerces du bourg disposant d’un réfrigérateur, les deux amis désignent d’un sourire entendu le dernier pylône raccordé au transformateur électrique de la TANESCO2 . Tout le monde sera bientôt connecté ici, et même la maison d’Emanuel, où le câblage est déjà installé depuis quelques semaines. Le président Magufuli (Novembre 2015-mars 2021†) l’a promis à la télévision : tous les tanzaniens auront l’électricité. Et ce jour-là, peut-être même qu’Emanuel investira alors dans un petit frigidaire. « Tu pourras m’inviter …et me rembourser enfin tous les sodas que je t’offre ! » s’esclaffe Mohammed en riant.
- 3 Lampe à pétrole
- 4 Musique Hip Hop aux sonorités traditionnelles
2Situé en toute fin de réseau, l’arrondissement de Msgongola est symbolique de l’arrivée du service d’électricité dans plusieurs localités péri-urbaines de Dar Es Salaam, administrativement urbaines mais avec de nombreux attributs de communes plus rurales. Ici se mêlent des lampes solaires chinoises à la vente du kérosène au détail pour s’éclairer au Koroboi3. Dans cet entre-deux urbain et rural, on repasse le linge avec un fer à charbon tout en écoutant le dernier tube de Bongo Flava4 à la radio ; on prépare l’ugali au feu de bois en téléphonant à ses amis via Whatsapp, et on leur réchauffe rapidement le chai sur une cuisinière au gaz lorsqu’ils passent rendre visite à l’improviste. Et, dans tous les cas, si on en dispose pas encore, on attend l’arrivée du réseau électrique avec impatience, notamment pour s’équiper d’un réfrigérateur par exemple, comme en rêve Emanuel.
- 5 Ainsi, durant les enquêtes relatives à cet article, les cadres dirigeants de la TANESCO ont été dém (...)
3A travers le cas tanzanien, cette étude s’intéresse aux transitions énergétiques dans les périphéries des villes africaines où l’électrification des ménages s’étend peu à peu. En Tanzanie, la transition énergétique soutenue par les institutions gouvernementales vise au remplacement des combustibles carbonés, comme le charbon par exemple, par l’énergie électrique, plus propre et fortement sollicitée par les habitants (NEP, 2015). L’idée directrice est que l’électrification puisse permettre une amélioration de la qualité de vie des habitants tout en préservant l’environnement par l’abandon des énergies carbonées dîtes « traditionnelles » considérés comme polluantes et dangereuses, notamment dans un contexte de déforestation (MEM, 2014). Cet idéal d’électrification n'est pas nouveau en Tanzanie, bien au contraire, il s’enracine historiquement dans le prolongement de la Tanzanie indépendante et l’idéal d’un socialisme africain. Hériter d’un appareil colonial centralisé, le régime de Nyerere (1964-1985) avait posé les bases d’une politique volontariste pour maintenir des tarifs domestiques extrêmement abordables, au point que l’électricité fut même pendant un temps la source d’énergie la moins chère disponible en Tanzanie, non seulement pour s’éclairer, mais aussi pour cuisiner (Hosnier Kipondya 1993). Jusqu’aux années 1990, les couts très bas de l’électricité s’expliquent alors d’une part par la promotion gouvernementale de l’énergie « moderne » dans un contexte de développement, et résultent d’autre part du refus d’augmenter les tarifs malgré l’inflation consécutive à l’entrée de la Tanzanie dans son Programme d’Ajustement Structurel (Wangwe, Semboja et al.1998). Néanmoins, sous la pression des bailleurs de fonds, la libéralisation du secteur consécutive à la National Energy Policy de 1992 finit par provoquer le désengagement de l’État et l’explosion des tarifs (Eberhard & Gratwick, 2011). De plus, le recours à de couteux producteurs indépendants privés et des usines d’urgence pour compléter l’insuffisante production publique d’électricité ne fait qu’empirer la situation financière de la compagnie publique de l’électricité, la TANESCO (Tanzania Electric Supply Company Limited) (Kapika & Eberhard, 2013; Eberhard et al.,2016) qui s’enfonce alors dans un cercle vicieux de sous-investissement et de dette. Toutefois, la mise en place du nouveau Programme National d’Électrification en 2013, le lancement de l’initiative « Big Results Now » pour soutenir le développement infrastructurel du pays et l’arrivée au pouvoir du président de Magufuli (2015-2021) remettent au premier plan l’accès à l’électricité, l’une des priorités politiques du gouvernement. A cet égard, la pression sur les administrations est forte pour augmenter rapidement le nombre de connexion, améliorer le service et rendre plus abordables les tarifs. Les résultats considérés comme insatisfaisants par la présidence se traduisent par le limogeage de la direction de TANESCO en Février 20175 puis de celle de la REA (Rural Energy Agency - l’agence pour l’énergie rurale ) en Juillet 2019 et un turn-over important au MEM (Ministry of energy and Minerals) avec une succession de secrétaires d’état et de ministres. Néanmoins ce contrôle autoritaire a permis d’accélérer le nombre de connexions électriques domestiques, dans toute la Tanzanie et à Dar Es Salaam en particulier, même si en pratique, son utilisation reste encore assez réduite. En effet, alors que le réseau s’étend peu à peu chez les ménages, dans les espaces en cours d’électrification comme Msgongola, la diversité des pratiques des habitants demeure, passant au quotidien d’un combustible à l’autre selon les besoins. Les sources d’énergie y sont en effet très diversifiées (bois, charbon, briquettes, gaz de pétrole liquéfié, kérosène, solaire, batteries) et leur modes d’utilisation tendent à se recomposer, mais sans disparaître pour autant, malgré l’arrivée du service d’électricité.
4C’est à partir de ce paradoxe apparent que cet article souhaite contribuer au présent dossier spécial de Territoires en Mouvement portant sur « les paradoxes de la transition énergétique ». Le postulat est que les espaces d’urbanisation diffuse dans les périphéries de Dar Es Salaam sont le lieu de recompositions énergétiques qui défient la notion de transition énergétique telle qu’elle se conçoit dans les pays du Nord (Rutherford, Coutard, 2014). Ce faisant, en analysant le raccordement électrique des zones intermédiaires, l’analyse s’inscrit nécessairement dans la continuité des débats en termes de modèle « d’échelle énergétique » et de « multi-énergies » (Horst et Hovorka, 2008 ; Masera et al. 2000) que l’on souhaite replacer dans le contexte géographique spécifique des zones intermédiaires « en bout de réseau » et leur gouvernance énergétique. Dans la littérature sur le choix des combustibles énergétiques, de nombreux travaux soulignent habituellement l’importance de la pauvreté dans les choix de combustibles des ménages (Kowsari et Zerriffi, 2011 ; Kedebe et al.2010 ; Visagie, 2008) passant graduellement à des énergies plus couteuse selon leur capacité à les payer. Cette linéarité de l’« échelle énergétique » est remise en cause par de nombreuses études (Horst et Hovorka, 2008 ; etc.) qui montrent que les décisions énergétiques des foyers dépendent aussi de facteurs culturels ancrés dans le quotidien (les habitants préfèrent cuisiner certains aliments au charbon ou au bois) (Karekezi et al 2008), selon un phénomène d’« energy stacking » (masera et al. 2000). Nous souhaitons contribuer à ces débats en intégrant à l’analyse d’autres facteurs plus structurels, à partir de la régulation de l’offre énergétique disponible, plutôt que seulement à partir des pratiques habitants, dans des espaces en transition encore peu pensées par la littérature généralement focalisée sur l’électrification rurale. Abordé à travers une perspective sociotechnique issue du courant « sciences techniques et sociétés », il s’agit là de questionner la temporalité de l’expansion du service public d’électricité lorsqu’il succède à celle d’autres dispositifs hors-réseau auxquels paradoxalement, il ne tend pas pour autant à se substituer systématiquement. Il s’agit là de comprendre comment le service d’électricité s’étend, selon quelles modalités et avec quels effets dans les périphéries des villes tanzaniennes ? Pourquoi certaines pratiques antérieures à l’arrivée du réseau semblent-elles paradoxalement amenées à perdurer malgré l’électrification de ces espaces ? Finalement, au-delà de la question énergétique qu’est-ce que ces processus traduisent-ils en termes de transition urbaine de ces espaces, en Tanzanie en particulier et plus largement, en termes de changements sociétaux pour la ville africaine du futur ?
- 6 Programme dans le cadre duquel une partie de ce terrain a été effectué : ANR Hybridelec : https://a (...)
5Alors que l’électrification des villes apparait comme l’un des principaux médium de la transition énergétique, cet article fait l’hypothèse d’une « diversification énergétique » propre aux périphéries urbaines où différentes pratiques a priori antinomiques vont coexister de manière pérenne. S’inscrivant dans une perspective sociotechnique, le terme d’e « diversification énergétique » se nourrit notamment des réflexions issues du programme ANR Hybridelec6 (qui s’intéressent aux « hybridations électriques » des grands réseaux avec les systèmes électriques décentralisés), tout en les prolongeant au-delà de la seule problématique de l’électricité pour englober les autres sources hors-réseau et non-électriques, qu’elles soient dites « traditionnelles », « modernes » ou « innovantes », étant donné leur importance en pratique au jour le jour dans les villes africaines. Plutôt que le terme d’hybridation, nous préférons celui de « diversification», employé dans un sens proche de « l’hétérogénisation » identifiée par S. Jaglin qui « procède par adjonction progressive (plutôt que substitution) de nouveaux dispositifs sociotechniques qui diversifient les configurations en termes de technologies, d’acteurs et d’échelle » (Jaglin, 2019 p.8-9 ). Mais alors que l’hétérogénéité connote un manque d’unité, la diversité s’en distingue pour appréhender un ensemble certes différencié mais cohérent dans son ensemble. L’hypothèse d’une diversification énergétique est donc ici forcément « localisée » afin de souligner l’aspect territorial d’une « créolisation » (Edgerton, 2017) de sources énergétiques certes diversifiées mais homogène spatialement, en l’occurrence dans les zones intermédiaires de la périphérie de Dar Es Salaam. Dans le contexte de la transition énergétique, l’hypothèse de la « diversification » se distingue ainsi des assomptions de ‘substitution’ (le réseau d’électricité est voué à remplacer les autres sources d’énergie, hypothèse posée par le modèle « d’échelle énergétique » - Horst et Hovorka, 2008 ) comme celle des idées de ‘stratégies compensatoires’ (les dysfonctionnements du service d’électricité sont compensés par la mobilisation d’autres sources d’énergie) pour souligner plutôt l’élargissement d’une offre énergétique diversifiée dans ses services et ses usages (proche du concept « multi-énergie » -Masera et al. 2000- mais abordé ici à partir de la régulation des offres existantes, plutôt que centré uniquement sur la demande des usagers).
6A travers l’analyse du métissage de pratiques énergétiques diversifiées dans la périphérie de Dar Es Salaam, cette recherche permet in fine de réfléchir à l’appréhension de dynamiques spécifiques au cas des zones intermédiaires, avec le renforcement d’une urbanisation diffuse aux contours mouvants, dont les limites tendent à s’estomper au profit d’une « urbanisation sans ville » (Choplin, 2019, p.85), un entre-deux hybride entre ville et campagne.
7Pour répondre à l’ensemble de ces questionnements et tester l’hypothèse d’une « diversification énergétique » dans les zones intermédiaires, plusieurs séjours de recherche à travers Dar Es Salaam ont été menés entre Septembre 2015 et Aout 2019. Ces séjours de recherches ont été réalisés grâce au support de deux programmes de recherche (un programme DFG s’intéressant à la « traduction de l’idéal du réseau » en Afrique de l’Est7 ; ensuite par le projet ‘’Hybridelec » soutenu par l’ANR qui a facilité un travail d’analyse croisée avec le support d’une ingénieure cartographique de l’IRD PRODIG - Pauline Glusky).
8Une entrée centrée sur les pratiques locales des habitants a d’abord été privilégiée avec une démarche proche de l’ethnographie. Des enquêtes ménages auprès de quatre-vingts foyers ont ainsi été menés de manière qualitative avec l’aide de trois assistants de l’université technique d’Ardhi. Elles se sont plus particulièrement concentrés sur les habitants du district urbain d’Illala, qui présente une diversité de situations, s’étendant du centre-ville historique jusqu’aux extrêmes limites Sud-Ouest de Dar Es Salaam. Les vingt-six arrondissements du district ont ainsi été visités et quatre-vingt entretiens ont été menés auprès des ménages, dont trente-cinq dans trois quartiers périurbains (Kivule, Chanika,Msgongola) où le travail empirique s’est fait de manière plus intense à deux moments pre et post-electrification entre 2017 (avant l’expansion du réseau) et 2019 (pendant ses nouvelles phases d’extension). Ces enquêtes qualitatives ont été ensuite croisées avec une base de données statistiques construite pour l’occasion, issue du recensement de 2012 du National Bureau of Statistics (NBS 2012). Les données du recensement ont été désagrégées au niveau des arrondissements (« wards ») à l’occasion de cette recherche grâce au travail des agents tanzaniens du NBS. Les cartes produites à partir de ces données donnent à voir sous un jour nouveau la réalité énergétique du district d’Illala en représentant l’utilisation différenciée des sources énergétiques selon les quartiers. Bien qu’elle ne permettent pas de visualiser les autres sources d’appoint et compensatoires, elles sont un support inédit à l’enrichissement empirique de l’analyse, permettant d’affiner la précision des données recueillies. Les observations empiriques réalisées et les analyses cartographiques produites ont ensuite été discutées auprès des acteurs gouvernementaux de l’énergie à Dar Es Salaam à l’occasion d’entretiens aux sièges et bureaux régionaux de l’agence parapublique de l’électricité, la Tanzania Electric Supply Company Limited (TANESCO), de l’agence de régulation, l’Energy and Water Utilities Regulatory Authority (EWURA), des ministères, des agences spécialisées ainsi qu’avec les bailleurs internationaux (coopération suisse, japonaise, Banque Mondiale et Agence Française de développement). Enfin, nous avons précisés nos premiers résultats en rencontrant d’autres acteurs de l’énergie issus du secteur privé à plusieurs niveaux, en s’intéressant aux grandes entreprises du secteur (Gaz naturel, LPG, solaire) comme aux plus petits revendeurs des filières (de charbon, solaire au kérosène) et tout en prenant en compte les entreprises à caractère plus social (comme Arti-energy) ou les think-tank d’importance (comme TATEDO par exemple, qui prône pour une intégration plus forte de l’énergie carbonée). Les enquêtes ont donc bien dépassé la seule problématique du service d’électricité pour prendre en compte les autres situations énergétiques qui apparaissent toujours être la norme dans les pratiques quotidiennes des habitants, alors que l’électricité, hormis pour l’éclairage, semble d’un usage secondaire. L’objectif était de pouvoir offrir une image empirique de l’accès des ménages à l’énergie dans les zones intermédiaires renforcée par une perspective socio-politique multi-échelle du secteur qui détermine cet accès.
9Cet article présente dans un premier temps l’expansion urbaine de Dar Es Salaam et les modalités d’accès à l’énergie dans les quartiers en marges du réseau électrique à travers l’exemple du district d’Illala. Dans un deuxième temps, nous présentons le programme d’électrification et ses effets dans les périphéries de la ville, particulièrement à Msgongola, situé à l’extrême sud du district d’Ilala. Dans un dernier temps, ces observations sont ensuite mises en regard de la gouvernance énergétique de la Tanzanie afin d’expliquer la prévalence des sources d’énergies non-électriques dans le quotidien des populations péri-urbaines, non pas à partir des leurs préférences mais plutôt à partir de facteurs structurels qui les expliquent.
10En revenant sur l’ensemble de ces informations, nous concluons cet article en rappelant combien la diversification énergétique apparaît un processus forcément interdépendant des mutations territoriales où elle se met en place, révélant ici la nature transitoire et spécifique du processus d’urbanisation africaine.
11S’intéresser à la transition énergétique dans les villes africaines implique de s’intéresser à la transition urbaine du continent. Entre « rurbanisation » (Berger et al.1980) , « d’urbanisation périphérique » (Jaillet, Jalabert, 1982) et « d’urbanisation planétaire » (Brenner, 2014), le processus d’urbanisation est décrit comme s’intensifiant en dehors des villes africaines.
- 8 Le seuil de pauvreté de 2012 s’établissait en TZS 36,482 (soit TZS 48,898 en 2017 en considérant l’ (...)
12Capitale économique du pays, Dar Es Salaam contribue à 70% du PIB Tanzanien malgré une pauvreté importante avec 4,1% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté en 20128, mais qui a baissé de 10 points en 5 ans (14,1% en 2007) (Banque Mondiale, 2015). D’après les dernières données disponibles sur les migrations, datant de 2002, la moitié des habitants (49% en 2002) était née dans une autre région comme Emmanuel et Mohammed (1,4% des habitants venaient d’un autre pays), et 6,2% venait d’immigrer entre 2001 et 2002. Ces migrants sont généralement plus jeunes, plus éduqués et s’installent à Dar es Salaam avec l’espoir d’y trouver des meilleures conditions de vie et opportunités de travail. Passant de 2,5 millions d’habitants en 2002 à 4,4 millions en 2012, la ville a connu un taux de croissance de +5,6% (NBS, 2006, 2013). Cette croissance urbaine très rapide est à l’image de l’actuelle « révolution urbaine» du continent (Parnell, Pieterse, 2014) qui devrait compter 1,2 milliards d’urbains supplémentaires d’ici 2050. L’agglomération est désormais la plus peuplée de Tanzanie avec une population estimé à 6 millions d’habitants en 2020. Cette forte croissance démographique explique l’importante expansion spatiale de Dar Es Salaam (+133% de construction entre 2002 et 2011 d’après Macchi, Ricci, Congedo et Faldi, 2013). Les constructions s’intensifient dans les périphéries de la ville, mais le paysage reste à prédominante rurale au sein de cette urbanisation diffuse en « doigts de gant ». Nous sommes administrativement en ville mais on se sent visuellement à la campagne. De larges espaces sont laissées vacants entre les habitations, l’agriculture urbaine est partie intégrante de la ville et il n’est pas rare de voir des troupeaux de vaches brouter dans un champ. La densité est relativement faible à Dar Es Salaam, avec 3100 habitants /Km2 pour une étendue de 1393km2 en 2012 car la plupart des habitations sont de plain-pied, sans étage, et l’habitat est dispersé dans les périphéries.
Figure 1 : densité de Dar Es Saalam (en haut). Urbanisation (à gauche). District d’Ilala (à droite).
Source : census 2012. Réalisation : Pauline Gluski (Ird, Prodig) et Huong Pham
13L’étalement urbain est néanmoins depuis longtemps une caractéristique de la ville (de Blij, 1963). Cette urbanisation se fait selon des modalités informelles ou coutumières et est peu régulée, les ¾ des constructions étant non planifiées (Kironde, Lusugga, 2006 ; Kombe 2005). Emmanuel, que nous évoquions en introduction de cet article, s’est par exemple arrangé avec les représentants de l’arrondissement et la chefferie coutumière du quartier pour acheter son terrain et bâtir sa maison, sans réel permis de construire, tout comme le propriétaire de la chambre de Mohammed qui construit une nouvelle extension afin de pouvoir louer une pièce de plus aux travailleurs migrants.
Figure 2 : du centre-ville à MsGongola, des paysages très contrastés au sein d’une même ville
Légende : aux formes urbaines en hauteur de l’hyper centre (à gauche) répondent les paysages plus ruraux des périphéries de Dar Es Salaam (à droite)
14Alors que s’intensifie la pression sur les infrastructures urbaines pour atteindre les objectifs de développement durable, l’habitat diffus et non planifié de Dar Es Salaam ne facilite pas la mise en place de ces dernières (Hill, Huhner, Kreibich, Linder, 2013). En particulier, les infrastructures lourdes (eau et assainissement) se limitent principalement au centre urbain, autour des quartiers anciennement coloniaux, et peinent à s’étendre dans les lointaines périphéries. Le réseau d’eau potable ne dessert que 32,2% des habitants (dont seulement 19,9% dispose d’un accès domestique) et seulement 14,1% des foyers sont connectés au réseau d’égouts. Il va sans dire que les conduites d’eau potable de la DAWASCO (Dar Es Salam Water and Sewerage Corporation) ne s’étendent pas jusqu’à Msgongola (à l’extrémité Sud du district d’Ilala), et qu’aucun réseau d’égouts ne courent sous la route de Kitunda pour évacuer les eaux usées. Etant donnée une plus grande malléabilité, l’électricité est en revanche mieux diffusée avec 63,41% des habitants de Dar Es Salaam qui sont raccordés (d’après le recensement de 2012, 80% d’après URT, 2019) mais seulement 5,1 % des habitants de Msgongola qui déclarent s’éclairer à l’électricité (286 foyers sur un total de 5646 en 2012 selon les données du National Bureau of Statisitcs -NBS ). Même si elle reste insuffisante, il faut noter que cette couverture est sensiblement meilleure à Dar que dans les autres villes tanzanienne (où en moyenne, seulement 46,3% des urbains s’éclairent grâce au réseau électrique) et dix fois plus importante que dans les zones rurales (5,42%) (données du dernier recensement de 2012 – NBS 2013). (cf. tableau n°1 page suivante)
15Touchée par de graves crises financières, la Tanzanie n’a pas obtenu les financements nécessaires pour développer ses réseaux d’infrastructures dans les proportions adéquates à sa croissance rapide. Or, la production centralisée d’électricité requiert de lourds investissements pour financer l’extension des infrastructures. Les lignes du réseau sont peu rentables dans les zones périphériques à habitat fortement dispersé. Il en résulte une fourniture inégalitaire avec une bonne couverture du centre métropolitain alors que les espaces plus périphériques sont généralement très mal raccordés comme dans tant d’autres villes africaines (Allen, Davila et Hofman, 2006 ; Mc Granahan Miltin, Satterwhaite, Tacoli et Turok, 2009 ; Myers 2014 ; Van Dijk, Etajak, Mwawega et Ssempebwa, 2014).
Figure 3 : éclairage par réseau (Tanesco) ou par lampe à pétrole dans le district d’Ilala
Source : d’après NBS Census 2012. Réalisation : Pauline Gluski (Ird, Prodig)
16Le district d’Illala illustre bien cette problématique avec une forte utilisation de l’électricité pour l’éclairage dans les quartiers les plus anciens, où le réseau a d’abord été développé, et une diminution au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre historique (quartiers les plus au nord sur la carte), où l’expansion des infrastructures peinent à suivre le rythme soutenu de l’urbanisation.
- 9 Prolongation diffuse et non continue du suburbain.
17Dans les espaces aux marges de la desserte centralisée de Dar Es Salam comme dans une grande partie de l’Afrique Subsharienne, « l’approvisionnement énergétique « hors réseau » n’est un phénomène ni marginal ni provisoire » (Louvel, de Gromard, 2006, p.164). Beaucoup de pratiques du monde rural restent développées, en particulier dans les périphéries urbaines où le clivage traditionnel entre les villes et les campagnes s’estompe au profit d’une hybridation des espaces. De fait, que l’on qualifie ces espaces intermédiaires « d’exurbain9 » (Bailly, 2006),de « suburbain » ou de « rurbain », « les analyses classiques séparant à tort villes et campagnes [y] sont totalement dépassées » (Dubresson, Raison, 2003, p.129). Les sources d’énergie disponibles y sont très diversifiées et les pratiques se transforment avec l’urbanisation des modes de vie et l’arrivée du réseau centralisé. Alors que les difficultés à étendre les réseaux sont bien documentés, un nombre important de travaux s’attachent désormais à renseigner les autres systèmes composites existants de manière critique (Jaglin, 2019), les acteurs impliqués dans leur fourniture (Blundo et Le Meur, 2009) ainsi que les capacités des habitants à les mettre en place (Moretto , Ranzato, 2017).
18Objet de notre étude, le district d’Ilala s’avère à bien des égards statistiquement représentatif de la situation de Dar Es Salaam, alors que le quartier de MsGongola, où habite Emanuel, en bordure de la ville, présente une situation très similaire aux zones rurales de la Tanzanie, tant pour l’éclairage (table 1), que pour la cuisson (table 2 p.18)
Tableau n°1 : source primaire d’éclairage en 2012 à MsGongola, Ilala, Dar Es Salaam et Tanzanie
|
Quartier de Msgongola
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District d‘Ilala
|
Dar Es Salam
|
Tanzanie (Urbaine)
|
Tanzanie
(Rurale)
|
Tanzanie
|
Électricité du réseau (Tanesco)
|
5,1%
|
60,65 %
|
63,41 %
|
46,23 %
|
5,42 %
|
18,86 %
|
Groupe électrogène
|
0,73 %
|
0,29 %
|
0,22 %
|
0,40 %
|
0,30 %
|
0,33 %
|
Système Solaire
|
3,94 %
|
0,93 %
|
0,71 %
|
0,97 %
|
1,69 %
|
1,45 %
|
Lampes à pétroles*
|
79,15 %
|
31,61 %
|
28,76 %
|
45,14 %
|
68,84 %
|
61,4 %
|
Lampes à piles
|
7,08 %
|
3,7 %
|
3,87 %
|
4,76 %
|
19,88 %
|
14,90 %
|
Bougies
|
2,94%
|
2,68 %
|
2,91%
|
2,10%
|
0,97%
|
1,34 %
|
Autres**
|
1,08 %
|
0, 12%
|
0,12 %
|
0,39%
|
2,91%
|
2,08 %
|
Compilation de l’auteur réalisée d’après les données du recensement de 2012 obtenues au NBS
* Toutes lampes à Kérosène (wick laps, acetylene, chimney)
** gaz, vent et bois
19Dans l’attente du réseau électrique, les populations n’ont guère d’autre choix que de recourir à d’autres sources alternatives d’énergie, tant pour l’éclairage (bougies mais surtout lampes à pétroles –presque 80% de la population du quartier de Msgongola) que pour la cuisson (charbon pour plus de 71% des habitants d’Ilala et feu de bois pour les ¾ de la population de Msgongola) alors qu’elles plébiscitent fortement un raccordement au réseau. Les habitants demandent un accès à des services énergétiques abordables, et ces besoins s’intensifient avec la croissance démographique ainsi que l’émergence de la classe moyenne en Afrique (Karekezi, Majoro, 2002). Les changements des modes de vie liés à l’urbanisation et la massification des technologies fonctionnant à l’électricité (comme la téléphonique, la radio, la télévision) ont accentué la demande pour l’électrification des zones non-raccordés. Le kérosène, qui pouvait satisfaire les besoins en éclairage, n’est donc plus suffisant pour répondre à la demande croissante. Les habitants ont besoin de recharger leur téléphone portable à la maison, plutôt qu’au kiosque, ils veulent regarder la télévision ou s’équiper d’un réfrigérateur. Certains habitants ont parfois mis en place un système d’électricité autonome : alors que se développe une technique de la débrouille chez les moins riches, avec la transformation de batteries de voitures pour recharger les téléphones et s’éclairer la nuit, on trouve ainsi quelques installations plus coûteuses, comme les groupes électrogènes (fonctionnant au diesel), mais de manière très anecdotique (0,29% en 2012 d’après NBS), et les systèmes solaires, mais là aussi en faible nombre quoique plus importants quantitativement (0,93% en 2012 d’après NBS).
20D’après le NBS, ces installations semblent extrêmement réduites dans la région de Dar Es Salaam (0,22% de groupes électrogènes et 0,71% de solaire pour l’éclairage en 2012 d’après NBS, cf. Tableau n°1) mais restent présentes chez quelques foyers habitant les rues encore non-raccordées des arrondissements au Sud du district, comme Msgongola. La cartographie fait apparaitre ces installations en contrepoint du réseau, absents du centre et émergeants dans les périphéries non raccordées.
Figure 4 : éclairage par groupes électrogènes et systèmes solaires à Ilala
Source : d’après NBS Census 2012. Réalisation : Pauline Gluski (Ird, Prodig)
21Les groupes électrogènes y sont en général utilisés pour des usages très déterminés, comme le fonctionnement d’une pompe à eau pour stocker l’eau d’un puit profond, voire par location ponctuelle comme pour l’alimentation d’un système d’amplification sonore lors de fêtes ponctuelles. Dans les zones intermédiaires étudiées, la revente d’électricité issue d’un groupe électrogène collectif n’a pas été observé sous la forme d’un mini-réseau privé, comme dans d’autres contextes, notamment libanais (cf. travaux d’Eric Verdeil, par exemple Verdeil 2009). Outre le coût de l’installation, c’est surtout le prix du diesel, en constante augmentation depuis les années 1990 qui découragent l’utilisation des groupes électrogènes, qui restent utilisées de manière très anecdotiques dans les quartiers pauvres et dont la consommation se limite en réalité à d’autres espaces, principalement aux immeubles des classes moyennes et supérieures du centre-ville anciennement urbanisé. Dar Es Salaam présente de ce point de vue une situation quasi-antinomique d’autres pays où le contexte pétrolier favorise l’utilisation de groupes électrogènes (fonctionnant au diesel) parmi les foyers grâce au faible prix à la pompe pour les foyers. Non comptabilisés par NBS, l’utilisation des sources d’énergie secondaires ou compensatoires feraient néanmoins apparaitre une utilisation des groupes électrogènes comme systèmes back-up dans les immeubles des quartiers condominium du centre historique, plus densifiés et plus riches que les périphéries.
22Si les groupes électrogènes sont finalement assez peu visibles dans les périphéries, l’arrivée des systèmes solaires apparait être relativement plus importante. Dans les arrondissements périphériques peu ou pas raccordés au réseau centralisé, la vente de systèmes solaires a émergé comme une alternative possible mais reste encore limitée en raison d’un coût initial important d’une part et d’une performance insatisfaisante d’autre part. L’accession au pouvoir de Magufuli en 2015 s’est de plus traduite par un renforcement des taxes à l’importation qui a encore pénalisé les prix à la vente des systèmes solaires, dont la plupart des composants sont importés, de Chine principalement.
23En 2017, un équipement complet pour 100 Watt coûtait aux alentours de 650 000 Tsh -soit 235e- (pour un salaire moyen de 44 000 Tsh -soit 16e- à la même époque) et permet de faire fonctionner une télévision, une radio, un décodeur et dix ampoules. Pour 900 000 Tsh – soit 326e- , on peut augmenter la capacité à 150 watt, ce qui permet de brancher en plus un petit réfrigérateur. De plus petits systèmes de 15-20 watt permettent d’allumer six ampoules. L’équipement le moins cher disponible sur le marché était de 80 000 tsh -soit 29e- pour 5 watt en 2017, ce qui permet de brancher trois ampoules et de recharger son téléphone. Enfin, l’achat d’un onduleur (qui converti la tension électrique) est nécessaire si l’on souhaite brancher d’autres équipements qui n’ont pas été spécifiquement conçu pour le système vendu. Enfin, la faible tension électrique ne permet généralement pas aux ménages de brancher un réfrigérateur, de repasser le linge ou d’utiliser une bouilloire. Il convient donc de relativiser l’importance des sources électriques solaires à Dar Es Salaam qui semble en partie fantasmée pour le moment.
24L’accès au service d’électricité en réseau de la TANESCO, à meilleure tension électrique que le solaire, plus simple d’utilisation et plus pérenne, reste donc fortement plébiscité par les habitants des zones intermédiaires, qu’ils bénéficient ou non d’une alternative électrique décentralisée autonome (solaire ou groupe électrogène).
- 10 En particulier la Suède et la Norvège.
25Le dernier pylône installé par la TANESCO à Msgongola est loin d’être anecdotique, et il n’est pas anodin qu’Emanuel et Mohammed le regardent avec un sourire entendu. L’arrivée du réseau dans les quartiers périphériques témoigne d’une forte volonté politique. L’expansion du réseau centralisé dans les zones peu densifiées nécessite en effet une infrastructure couteuse, en particulier pour raccorder les espaces en bout de réseau, et ne peut se faire sans l’appui de l’Etat. C’est à cet effet qu’a été créée en 2005 la Rural Energy Agency (REA), une agence du Ministry of Energy and Minerals (MEM) responsable de l’amélioration de l’accès à l’énergie dans les zones rurales et périurbaines. Géré par REA (et financé par les bailleurs internationaux10, la taxation sur l’électricité et les importations de pétrole), le programme National d’Electrification (2013-2022) avait déjà permis de raccorder en 2014 un total de 1,8 millions de foyers supplémentaires au réseau de la TANESCO, avec l’objectif d’atteindre 5 millions de ménages d’ici 2022 (MEM, 2014).
26L’originalité de ce programme est de mettre l’accent sur la réduction du coût des raccordements (cf. tableau n°2) , qui est une barrière majeure à l’expansion du réseau dans un pays où le seuil de pauvreté s’élève à seulement Tsh 36,482 en 2012 (soit 13e).
Tableau n°2 : coût du raccordement domestique
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Coût facturé à l’usager (sans programme)
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En zone rurale
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En zone urbaine
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Hors taxe
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+18% TVA
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TOTAL
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Hors taxe
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+ 18% TVA
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TOTAL
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Jusqu’à 30m du transformateur
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150000 Tsh (54e)
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27000Tsh (9e)
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177000 Tsh (63e)
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272000 Tsh
(98e)
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+ 48960Tsh (18e)
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320960 Tsh (116e)
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de 30m et 70m (Installation pylône)
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286220 Tsh
(103e)
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51519Tsh (19e)
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377739 Tsh (122e)
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436964 Tsh
(157e)
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+78604Tsh (29e)
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515568 Tsh (186e)
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Entre 30m et 70m (Installation 2ème pylône)
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385300 Tsh (139e)
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69354Tsh (25e)
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454654 Tsh (164e)
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590398 Tsh (213e)
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+106271Tsh (39e)
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696669 Tsh (252e)
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Coût subventionné (programme R.E.A)
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En zone rurale
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En zone urbaine
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Hors taxe
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+18% TVA
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TOTAL
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Hors taxe
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+ 18% TVA
|
TOTAL
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Jusqu’à 30m du transformateur
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0 Tsh
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27000Tsh (9e)
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27000Tsh (9e)
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0 Tsh
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48960Tsh (18e)
|
48960Tsh (18e)
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de 30m et 70m (Installation pylône)
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0 Tsh
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51519Tsh (19e)
|
51519Tsh (19e)
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0 Tsh
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78604Tsh (29e)
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78604Tsh (29e)
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Entre 30m et 70m (Installation 2ème pylône)
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0 Tsh
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69354Tsh (25e)
|
69354Tsh (25e)
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0 Tsh
|
106271Tsh (39e)
|
106271Tsh (39e)
|
27Alors que le tarif facturé par la TANESCO une nouvelle connexion est de 150 000 Tsh dans les zones rurales (un tarif déjà subventionné qui ne reflète pas les couts réels) auquel s’ajoute 27 000 Tsh de T.V.A, soit un total de 177 000 Tsh le programme de REA permet aux ménages de bénéficier d’une connexion quasi-gratuite en ne payant que la T.V.A (18%, soit 27 000 Tsh). Le programme REA porte mal son nom car il ne se limite pas stricto sensu aux zones rurales mais intègrent aussi une partie d’espaces administrativement urbains (cf. Carte de périmètre de REA à Ilala) , où les coûts de connexion sont théoriquement beaucoup plus élevés, à 272 000 Tsh (auxquels il faut rajouter 18% de TVA, soit 48960 Tsh) (cf. tableau n°2). Sous la pression de la nouvelle présidence Tanzanienne, la TANESCO a été obligé d’étendre en 2017-2018 le principe des connexions gratuites à une partie des zones urbaines non raccordées, à travers les projets Mbondole secondary, et Kibiriko project, avant le lancement officiel d’un projet spécifiquement axé vers le raccordement des ménages en zones dîtes « péri-urbaines ». Ainsi, plusieurs arrondissements excentrés de Dar Es Salaam ont pu bénéficier du programme : dans le district d’Ilala par exemple, il s’agit de la partie Sud de Msgongola et de Chanika, limitrophes de la région rurale de Pwani, ainsi que de Mahoje et de Pugu, quartiers moins éloignés du centre, mais rentrant géographiquement dans le périmètre de REA (cf. carte REA), dont certains habitants n’ont eu qu’à s’affranchir des 18% de TVA (48960 Tsh en zone urbaine) pour bénéficier de connexion au réseau
Figure 5 :périmètre de REA à Ilala
Légende : la Rural Energy Agency couvre une partie d’Ilala, district urbain de Dar Es Salaam, pour accélérer l’électrification des quartiers excentrés. Ce périmètre induit en confusion certains habitants du Sud de Pugu et Msgongola qui doivent se rendre à l’agence rurale de la TANESCO à Kisaware, à l’extérieur de Dar Es Salaam (et non pas dans les agences urbaines du centre-ville) (cf. frontières en pointillés de Msgongola au Sud-Est et de Pugu à l’Ouest)
28Le nombre de connexions pouvant ainsi être subventionnées dépend des objectifs fixés par chaque phase du projet selon les financements possibles, sur la base de premier venu-premier servi (le reste des ménages doivent alors payer la connexion au prix réel ou attendre une prochaine potentielle phase d’extension d’un projet REA). Les formalités administratives demandés par la TANESCO dans le cadre de ce programme sont facilitées, avec un simple plan d’électrification de la maison, sans introduire d’autres conditions, notamment foncières qui pourraient freiner les demandes. Pour réduire les coûts au maximum, la TANESCO s’appuie sur des technologies low-cost (comme un seul fil pour le retour terre par exemple) adopté en coopération avec d’autres compagnies d’électricité (comme la Compagnie Tunisienne d’électricité et Kenya Power Limited Company).
29Le programme REA est fortement plébiscité par les habitants des zones intermédiaires car il permet de réduire les coûts déjà élevés d’électrification du ménage. Il faut déjà compter aux alentours de 400 000 Tsh (soit 145e)pour réaliser l’électrification intérieure d’une maison de deux pièces, sans compter le coût du raccordement au réseau. Cependant une partie des zones urbaines non raccordées restent en dehors du périmètre couvert théoriquement par REA : à Kivule par exemple (arrondissement non couvert par REA, situé au nord de Msgongola), les habitants sont contraints à payer l’intégralité des coûts de raccordements alors que certains quartiers restent très éloignés du réseau. En outre, la TANESCO ne peut pas se permettre le financement gracieux des raccordements au-delà d’un rayon de 30 mètres du transformateur. En 2019, l’installation du pylône électrique supplémentaire, reste à la charge de l’usager, soit 286 220 Tsh en zone rurale et 436 964 Tsh en zone urbaine jusqu’à 70 mètres (sans la TVA à 18%); l’installation de deux pylônes jusqu’à 120 mètres fait grimper la facture l’usager à 385300 Tsh en zone rurale et 590398 Tsh en zone urbaine (sans compter la TVA (cf. tableau n°2). Certains ménages éloignés de l’infrastructure de la TANESCO, qu’ils soient théoriquement couverts ou non par REA, mettent en place des stratégies collectives pour éviter les coûts pleins d’un raccordement via principalement deux options : l’attente de l’expansion accélérée du réseau via un intermédiaire politique afin d’éviter d’avoir à financer la mise en place de plusieurs pylônes électriques; la coopération avec le voisinage pour faire baisser les coûts en se répartissant l’effort collectif de financement d’un nouveau pylône électrique de la TANESCO.
Figure 6 : en bout de réseau à MsGongola
Légende : un pylone de la TANESCO en attente de raccordement au réseau (MsGongola)
30Dans le premier cas, il s’agit d’attendre en espérant être un jour dans le rayon d’un nouveau pylône électrique de la TANESCO afin de pouvoir bénéficier d’un raccordement subventionné. La stratégie est néanmoins moins flegmatique qu’il n’y parait au premier abord. Les représentants des arrondissements aux alentours de Msgongola expliquaient ainsi le rôle actif jouée par leur parlementaire (Member of Parliament) avant les élections en promettant un meilleur raccordement des localités s’il était élu: « nous avons rassemblé tous les habitants du quartier qui souhaitaient obtenir l’électricité et nous avons transmis un courrier signé au MP qui a fini par aboutir au siège de la TANESCO »( dixit un représentant local de Chanika, Juillet 2019). Cette intermédiation politique a facilité la prise en compte par la TANESCO de ces quartiers peu ou pas raccordés au réseau
31Dans le second cas, la proximité de voisinage permet de faire baisser le coût de l’installation du pylône lorsque plusieurs ménages coopèrent pour se répartir les coûts d’installation entre eux, afin de rendre l’infrastructure plus abordable. Par exemple, trois ménages en zone urbaine peuvent se cotiser et faire baisser le coût du raccordement à un peu plus 100 00 tsh chacun (soit 320 960 Tsh au total, incluant la TVA). Ces arrangements donnent parfois lieu à des stratégies de contournement, certains voisins moins fortunés attendant que d’autres financent un pylône de la TANESCO avant de s’y connecter afin d’éviter d’avoir à contribuer aux coûts de raccordement complet.
32Dans les deux cas, ces stratégies concourent à accélérer l’expansion du réseau centralisé dans les zones éloignées du centre urbain, permettant à des ménages d’accéder à l’électricité de la TANESCO.
33Le programme d’électrification REA provoque une baisse de consommation de feu de bois (- 8,5%) et du charbon de bois ( -4,3%) et une chute drastique de kérosène (-58%) qui était utilisé pour s’éclairer et cuisiner (d’après le rapport d’évaluation des projets financés par REA, 2018).
34En effet, dans les zones intermédiaires d’Ilala, l’arrivée du réseau, fortement attendu, recompose rapidement les pratiques énergétiques. L’électricité du réseau y est principalement utilisée pour l’éclairage (en se substituant donc au lampe à kérosène) et la sécurité (ampoule allumée la nuit à l’extérieur), ainsi que pour le rechargement des objets électriques (téléphonie principalement), suivi de la télévision et la radio, et enfin pour le repassage et du réfrigérateur, en remplaçant les autres systèmes qui préexistaient au réseau comme les groupes électrogènes et panneaux solaires.
35Ainsi comme Neema, une habitante récemment connectée, l’explique : « L’utilisation du groupe électrogène nous revenait trop cher en carburant et dès que nous avons pu investir dans cette petite installation solaire, cela nous a permis de réduire drastiquement l’usage du groupe électrogène pendant quelques années. Mais depuis votre dernier passage (ndlr : en 2017, juste avant l’arrivée du réseau) et la connexion au réseau (ndlr : en 2019), nous n’utilisons quasiment plus ni l’un ni l’autre, mis à part lors des coupures trop longues » (dixit Neema, August 2019, Msgongola).
36Le réseau reste le service privilégié pour accéder à l’énergie électrique, en se substituant aux autres systèmes électriques qui lui préexistaient. Etant donné leurs limites technologiques actuelles, les alternatives solaires sont désavantagées par rapport à l’offre du réseau. Les foyers qui ont pu s’équiper de systèmes solaires n’en sont pas toujours très satisfaits à cause de leur durée de vie limitée. En effet, selon les utilisateurs, les batteries disponibles doivent être changées tous les trois à cinq années en moyenne, alors qu’il s’agit généralement de l’équipement le plus couteux de l’installation. A Msgongola, Neema nous expliquait avoir déjà dû changer plusieurs fois de batterie après quelques années d’utilisation: « Le système complet de 80 Watt nous a coûté 250 000 Tzs en 2010 et il m’a fallu racheter la batterie, qui coûte 175000 Tzs à trois reprises » (Neema, Msgongola, 2016). Ainsi, lorsqu’en 2019 Neema fut enfin raccordé à la TANESCO, son système solaire est rapidement tombé en désuétude, de la même manière que l’arrivée du solaire avait provoqué la relégation des quelques groupes électrogènes pré-existants. Désormais, même lorsqu’une coupure électrique arrive, Neema n’utilise plus son installation solaire et préfère simplement allumer une bougie ou utiliser une lampe à pile. D’autres ménages ayant acquis une installation solaire avant d’obtenir finalement un raccordement par la TANESCO essaye dans un premier temps de continuer à l’utiliser exclusivement pour l’éclairage afin de faire baisser le paiement du rechargement de leur compteur. Mais le réseau électrique fournissant généralement une électricité de meilleure qualité et moins chère, les usagers finissent généralement par délaisser peu à peu leurs systèmes solaires.
37Dans le cadre de la présente recherche, les enquêtes réalisées à plusieurs moments distincts dans les quartiers intermédiaires d’Ilala entre 2015 (avant l’arrivée du réseau) et 2019 (après l’arrivée du réseau) montrent que le marché du solaire est peu à peu repoussé vers les zones non encore raccordés au réseau, où la demande est plus forte, et progressivement délaissé dans les espaces nouvellement connectés, où elle baisse fortement. L’expansion du réseau tend ainsi à progressivement se substituer à ces systèmes en offrant une meilleure fourniture en électricité, qui reste l’option favorite des habitants pour satisfaire leur besoin en électricité pour l’éclairage, la téléphonie et la télévision. De manière similaire, dans les villages plus éloignées, les mini-réseaux privés (alimentés par groupes électrogènes ou solaire) semblent voués à disparaitre avec l’extension du réseau. Avec la TANESCO, les ingénieurs de l’EWURA (Energy and Water Utilities Regulatory Authority) mettent généralement en place une compensation de transition pour l’opérateur (entretien à EWURA, aout 2019), au cas par cas, avec l’expansion des infrastructures de transmission jusqu’au zones éloignées. Les gestionnaires des mini-réseaux des zones rurales sont censés pouvoir recouvrir leur investissement initial mais sont bien censé redéfinir leur activité in fine, devenue caduque avec l’arrivée de la fourniture par la TANESCO.
Figure 7 : une offre disponible diversifiée à MsGongola
Légende : dans les zones encore peu raccordées de la périphérie de Dar Es Salaam, des boutiques proposent à la vente des technologies solaires à côté des fours à charbon amélioré (en bas à droite) qui permettent d’économiser la quantité de charbon consommé tout en générant moins de fumée. Les systèmes solaires s’adressent d’abord à une clientèle non raccordée au réseau d’électricité, ils sont avant tout destinés au marché rural, dans l’attente d’une connexion à la TANESCO.
38Cependant, à la temporalité de l’expansion du réseau qui se substitue aux alternatives qui lui préexistaient, il faut aussi prendre en compte la transformation des modes de vie qui tend à renforcer le caractère indispensable d’une fourniture continue en électricité et les désagréments consécutifs à l’intermittence du service peu à peu ressenti comme indispensable : « c’est vrai que l’on se demandait comment on faisait avant ! Alors que j’ai vécu toute ma vie sans électricité, depuis la connexion à la TANESCO, on ne pourrait plus s’en passer ! Comment faire sans la télévision et le réfrigérateur ? » (dixit Patrick, résident, Kivule, arrondissement situé au Nord de Msgongola, Août 2019).
39Cette autre temporalité, celle de la transformation des modes de vie qui accompagne l’urbanisation et l’électrification pourrait provoquer la résurgence de systèmes alternatif d’électricité en tant que dispositifs compensatoires (back-up). Il semble en effet plausible qu’à moyen terme, le marché des systèmes compensatoires d’électricité puisse se développer de manière plus intense, afin de pallier les déficiences du réseau électrique dans les zones raccordées, comme c’est l’usage dans les quartiers centraux plus anciens de la ville où l’habitat densifé et le style de vie de la classe moyenne a favorisé un processus d’hybridation plus visible. A Ilala, dans les quartiers les plus anciens connectés au réseau et dans lesquels s’est développé une importante activité commerciale et où l’habitat résidentiel est densifié (comme notamment dans les quartiers plus centraux de Kivukoni) le recours aux groupes électroènes comme « système back-up » collectif est plus répandu qu’en périphérie (mais non comptabilisé par e recensement étant donné qu’il s’agit d’une source secondaire). L’étude d’évaluation de la REA (Ministry of Energy, 2018) remarque d’ailleurs que dans une partie des zones rurales désormais connectées, la consommation de diesel tendrait paradoxalement à s’accroitre, sans doute en raison d’une augmentation du recours aux groupes électrogènes pour pallier aux coupures. En revanche, ce n’est pas le cas dans les zones périphériques, car d’une part le coût prohibitif du diesel comme celui des batteries freine l’utilisation de ces sources énergétiques, et d’autre part l’habitat peu densifié ne facilite pas la mise en place de système collectifs compensatoires. Cette situation semble a priori plus probable dans les maisons et les immeubles des quartiers les plus riches de Dar Es Salaam où ils sont utilisés comme systèmes back-up. Cette utilisation, anecdotique à l’échelle de la ville, pourrait cependant s’avérer problématique à long terme en raison de l’émancipation potentielle qu’elle offre vis-à-vis du réseau de la TANESCO, et des politiques de redistribution tarifaires qu’elle remet en question (cf. Dubresson, doc de travail Hybridelec, 2019)
40Bien que l’arrivée du réseau se substitue rapidement les autres systèmes électriques « hors-réseau » (groupes électrogènes et solaires), plus couteux et moins performants que l’offre réticulaire, il ne substitue pas pour autant à toutes les autres pratiques énergétiques. Pour questionner la temporalité des effets du réseau, il est utile de mettre en perspective les quartiers périphérique nouvellement connectés avec ceux situés aux alentours du centre-ville, raccordés depuis longtemps. Cela permet de rendre compte que ce n’est pas parce qu’on est connecté à l’électricité que l’on s’en sert forcement pour tous les usages domestiques, comme la cuisson par exemple. La cuisine est emblématique d’un usage énergétique potentiellement interchangeable entre des équipements électriques (plaque de cuisson, four ou micro-onde électrique) ou non-électriques (cuisinière au feu de bois, gaz, charbon, parafin) (cf. table n°2)
Table n°2 : source primaire de cuisson en 2012 à MsGongola, Ilala, Dar Es Salaam et Tanzanie
|
Quartier de Msgongola
|
District d‘Ilala
|
Dar Es Salam
|
Tanzanie (Urbaine)
|
Tanzanie
(Rurale)
|
Tanzanie
|
Électricité du réseau (Tanesco)
|
0 %
|
8,48%
|
7,19 %
|
4,17 %
|
0,19 %
|
1,5 %
|
Groupe électrogène
|
0 %
|
0,026 %
|
0,04 %
|
0,07 %
|
0,04 %
|
0,05 %
|
Système Solaire
|
0,55%
|
0,09%
|
0,06%
|
0,07 %
|
0,06 %
|
0,06 %
|
Paraffin/kérosène
|
2,5 %
|
6,02%
|
6,72 %
|
5,34 %
|
1,01 %
|
2,43 %
|
Charbon
|
21,36%
|
71,36%
|
73,81 %
|
62,34%
|
7,77 %
|
25,74%
|
Bois
|
75,23 %
|
7,98 %
|
6,63 %
|
24,55%
|
90,23 %
|
68,60%
|
Gaz
|
0,37 %
|
6,01%
|
3,94 %
|
2,43 %
|
0,16 %
|
0,91 %
|
Autres*
|
0 %
|
0,03%
|
0,05%
|
0,14%
|
0,40%
|
0,69%
|
*vent, résidus agricoles, n.a
Figure 8 : sources primaires d’énergie pour la cuisson à Ilala
Source : d’après NBS Census 2012. Réalisation : Pauline Gluski (Ird, Prodig)
41Ainsi, en 2012, alors que 60,65% de la population d’Ilala s’éclairent à l’électricité de la TANESCO, ils ne sont que 8,5% à cuisiner à l’électricité, à peine plus qu’à Dar Es Salaam (7,19% en 2012). Pourtant, en 1990, ils étaient 39% à cuisiner aux plaques électriques à Dar Es Salaam grâce à des tarifs très fortement subventionnés (ESMAP 1987, Hosnier Kipondya 1993). Sachant que l’utilisation d’une cuisinière électrique pendant trois heures par jour correspond à 135 kWh/mois (Choumert, Combes Motel, Le Roux, 2018) les usagers domestiques bénéficiaient en 1992 d’un tarif « lifeline » très avantageux jusqu’à 1000 Kwh/mois (« lifeline tarif »), qui en réalité équivalait à 2500 Kwh, étant donné la baisse des tarifs dus à la forte inflation (Hosier and Kipondya, 1993). De 1000kWh, la subvention « lifeline » est réduite à 500kWh en 1995, puis à 100kWh en 2002, puis à seulement 50 kWh en 2005 et reste aujourd’hui à 75kWh, au tarif de 100 Tsh/kwh, au-delà duquel l’unité pas à 292 Tsh/Kwh. Avec ces très fortes augmentations des tarifs, les ménages ont fini par délaisser l’usage de l’électricité pour la satisfaction des besoins domestiques où elle est interchangeable avec d’autres combustibles moins couteux. A Illala on observe ainsi de fortes disparités qui traduisent la géographie sociale de la ville : dans les quartiers les plus centraux, ils étaient ainsi plus de la moitié à cuisiner avec des plaques électriques dans le centre-ville, plus riche (cf. les arrondissements situés au nord du district sur la carte ci-dessus) alors qu’ils sont très peu dans le reste de la ville, plus pauvre (la plupart des ménages cuisinant au charbon, LPG, kérosène (paraffin) ou voire feu de bois au sud du district). Selon en étude réalisée en 2017 (Ministry of Energy 2018), les ménages les plus riches tendent ainsi à consommer deux fois plus d’électricité, en consacrant en moyenne 10 056 Tsh (3,6e), que les ménages les plus pauvres, qui n’y consacrent en moyenne que 5651 Tsh (2e). L’universalisation des compteurs à prépaiement LUKU « Lipa Umeme Kadri Unavyotumia » (« Payez l’électricité comme vous l’utilisez »)a facilité une « rationalité de calcul » (Baptista, 2016, à propos du Mozambique) chez les usagers, en termes “money-kwh-time” dans un pays où la TANESCO a été une entreprise pionnière en la matière en les installant dès 1993 (d’abord dans les quartiers de la classes moyenne à importante consommation électrique haute avant de s’étendre à l’ensemble de la ville. Contrairement aux contestations qu’ils tendent à provoquer dans les quartiers précaires de nombreuses autres villes sub-sahariennes (cf. Bercegol, Monstadt, 2018), ce mode de paiement est généralement bien accepté à Dar Es Salaam y compris parmi les ménages les plus pauvres qui apprécient de pouvoir contrôler leur consommation en évitant de s’endetter.
Figure 9 : outils d’autocontrôle de la consommation électrique
Légende : avec le compteur à prépaiement, les ampoules basses –consommations sont très appréciées des usagers qui souhaitent rationner leur consommation
42Au-delà du cas tanzanien du district d’Ilala, dans de nombreuses villes (en Afrique mais aussi en Asie du Sud Est), les habitants connectés au service d’électricité privilégient généralement le recours à d’autres sources énergétiques moins couteuses pour cuisiner, comme le bois et le charbon, alors que l’usage de l’électricité à cet effet reste minimal. Plus de raccordement au réseau électrique ne signifie donc pas pour autant la disparition des autres sources énergétiques moins chères au quotidien comme le charbon et le kérosène.
Figure 10 : l’importance quotidienne du kérosène pour l’éclairage ainsi que la cuisson
Légende : que ce soit pour s’éclairer (au gauche) ou pour cuisiner (au milieu), l’avantage du kérosène est sa divisibilité qui permet d’acheter au quotidien en petite quantité (à droite) ce dont on a besoin.
43Bien que l’utilisation du kérosène tend à diminuer en raison de l’augmentation de son coût (consécutive à la libéralisation du secteur pétrolier en 2002), sa consommation reste toujours relativement importante, en particulier chez les ménages modestes des quartiers du centre-ville. Le kérosène reste la source énergétique la plus importante en Tanzanie pour l’éclairage, et est la seconde après le charbon pour la cuisson ( Maliti, Mnenwa, 2011). Son utilisation avait été pendant longtemps privilégiée par le gouvernement via des subventions aux prix d’achat pour faciliter l’accès à l’énergie et réduire l’utilisation de biomasse. Pendant des années, le caractère relativement abordable du kérosène avait permis de favoriser son utilisation non seulement pour l’éclairage, qui perdure encore dans les faits, mais aussi pour la cuisine, qui tend désormais à diminuer au profit du charbon.
44Le charbon de bois est considéré comme une amélioration énergétique par rapport au feu de bois, car sa combustion produit moins de fumée, est plus commode d’utilisation et moins dangereux (Van der Plas, 1995). Les migrations vers la ville induisent presque toujours une substitution du feu de bois par le charbon (Hosier et Kipondya, 1993). Avec l’urbanisation, le bois, encore majoritairement utilisé dans les villages, a été ainsi largement remplacé en ville par le charbon, moins encombrant et produisant moins de fumée. A Dar Es Salaam, la transformation des modes de vie des foyers, avec une taille plus réduite des ménages (qui implique une consommation plus individualisée) et la croissance des consommateurs institutionnels et commerciaux (comme les restaurants), contribue encore à augmenter la demande. A Illala en particulier, cet usage du charbon, loin d’être marginal, est la norme et ne se limite pas aux ménages les moins fortunés. Contrairement au sens commun, le charbon n’est pas nécessairement « l’énergie du pauvre » (Arnold et Al. 2006 ; Wood and Baldwin, 1985) : étant donné que le charbon est utilisé par la majorité de la population urbaine, cela implique que la consommation de charbon touche une part très variée de la population (comme le montre bien la cartographie, le charbon est utilisée dans la plupart des districts). Ainsi, à Ilala, la très grande majorité des ménages disposent d’une cuisinière à charbon qu’ils utilisent comme premier mode de cuisson, même dans les quartiers de la classe moyenne qui le trouve plus commode : « vous savez, l’avantage du charbon par rapport à l’électricité, ce n’est pas seulement son cout : c’est aussi qu’il n’y a jamais de coupures intempestives ! » (dixit une habitante de Mchikicheni, un quartier de la classe moyenne proche du centre-ville).
45Le cas d’Illala est ici très représentatif des villes tanzaniennes où la norme est celle du charbon, avec près de 70% des ménages utilise le charbon de bois comme principale source d’énergie pour cuisiner. La Tanzanie consomme environ 1 million de tonnes de charbon de bois par année, dont la moitié est consommée par Dar Es Salaam. Chez les plus riches comme chez les plus pauvres, cuisiner au charbon permet de réduire la consommation électrique afin de consacrer cette dernière à d’autres utilisations plus valorisées. Donc, in fine, le nombre absolu d’usager de charbon de bois tend paradoxalement à augmenter avec la croissance urbaine même si sa part relative par habitant peut diminuer au profit d’autres sources énergétiques (IEA, 2009), comme l’électricité.
46Mais les prix ont sensiblement augmenté ces dernières années en raison de plus fortes taxes imposées par le gouvernement et couplées à l’inflation consécutives aux politiques de dévaluations successives combiné à la taxation plus forte de cette énergie indésirable du point de vue du gouvernement : en 2019, il fallait compter 1000 à 3000 Shillings pour un sac contre 300 à 500 Shillings en 2005. Cette hausse des prix, contraint les ménages les plus pauvres à rationaliser leur consommation de charbon, parfois au profit d’autres combustibles récupérés (déchets secs, feuille de noix de coco), mais surtout en maximalisant l’usage du charbon grâce à des cuisinières améliorées (JIKO) et une économie du partage grâce à une proximité de voisinage facilitée par l’habitat urbain. A Buruguni, un quartier pauvre à proximité du centre ville, Karim Mohamed (un des représentants de quartiers) explique ainsi que : “un petit paquet de 1500 Tsh de charbon peut être partagé entre plusieurs familles. Après qu’une famille ait terminée de cuisiner, la même cuisinière à charbon est utilisé par les voisins » (Karim Mohamed, Burugini, Février 2017) . Le charbon, qui est acheté de manière quasi-quotidienne, a l’avantage d’être offert en petites quantités qui correspondent aux faibles moyens monétaires des ménages (Bacon et autres, 2010). En Tanzanie, la cuisine est très genrée, confiée aux membres féminins de la famille. Or ces dernières ont un pouvoir de décision très réduit. Ne travaillant pas, elles restent dépendantes des faibles moyens financiers accordés par leur mari pour cuisiner. Avec en moyenne 2000 à 5000 Tzs par jour, elles doivent par conséquent se limiter aux énergies les plus abordables. Dans la plupart des ménages, les besoins quotidiens (charbon, Kerosène, sel, nourriture, huile) sont ainsi achetés en petite quantités. Enfin, le relatif faible coût des foyers améliorés (de type « jiko », qui réduisent la fumée et la quantité de combustible nécessaire) favorise encore l’utilisation du charbon.
47Bien que le charbon joue un rôle important dans les économies énergétiques domestiques, les politiques énergétiques de la Tanzanie priorisent l’électrification pour réduire la pauvreté énergétique. Le gouvernement tanzanien considère le charbon comme une source d’énergie indésirable : « c’est une source énergétique non moderne, dangereuse pour la santé et qui contribue à la déforestation de notre pays. Par une fiscalité accrue et l’augmentation des contrôles, nous voulons décourager les revendeurs, et indirectement la population, à continuer à s’approvisionner en charbon » (dixit fonctionnaire en charge au MoEF, Juillet 2019). Il a été estimé il y a plusieurs années que 1% de croissance urbaine en Tanzanie, équivalait ainsi à une hausse de 14% de consommation de bois (cf. Hoser et Kipondya, 1993). Le sens-commun attribue la déforestation au développement du charbon de bois, alors que la réalité apparait plus complexe. Les études sur le sujet tendent à montrer que la régulation de la production et de la consommation de charbon de bois tendrait plutôt à limiter la dégradation des forets, en favorisant leur régénération : « le gouvernement fait un raccourci rapide et trompeur entre la déforestation et le charbon, mais c’est inexact, une production régulée et une combustion contrôlée permettent d’assurer une énergie au plus grand nombre tout en assurant le renouvellement d’une ressource extrêmement abondante en Tanzanie, commode, abordable et qui permettrait au pays de s’émanciper de la dépendance au pétrole » dixit Mr. Estomih. N. Sawe, directeur de TaTEDO, Février 2017). Les réformes de décentralisation ont permis aux communes locales de mieux maîtriser leurs ressources, notamment forestières tout en soutenant un secteur économique dynamique. Selon certains, c’est surtout la conversion de foret en terres agricoles et le pastoralisme qui conduisent à la déforestation (May–Tobin, 2009), ce qui contribuerait indirectement à la production de charbon (en carbonisant les arbres abattus), et c’est cette offre qui créerait la demande dans un contexte d’alternative plus couteuses (GPL et électricité). De plus, il est estimé que le secteur économique du charbon destiné à la fourniture de Dar Es Salaam générerait 350 millions de dollars (plus que le café et le thé, deux secteurs de croissance majeurs) ainsi que du travail plus centaine de milliers de personnes (World Bank, 2009).
48Le charbon consommé à Illala provient d’en-dehors de Dar Es Salaam, il est importé du district de Kisaware, région mitoyenne au Sud de la ville où se trouve la foret « Cholechole »; de la région de Tanga (foret de Kwedikwazu), plus au nord, de Mororgo et de Dodoma à l’est, et de la région Mtwara au Sud (ainsi que la foret de Kazimzumbwi). Les espaces périphériques sont ont ainsi une consommation de charbon favorisée par leur proximité avec les lieux de production.
Figure 11 : modes de cuisson traditionnelle au feu de bois et au charbon de bois
Légende : que ce soit au bois ou surtout au charbon, les combustibles dit « traditionnels » reste d’une importance majeure au quotidien car ils sont faciles d’accès (disponible dans toute la ville et abordable (en particulier dans les périphéries, plus proches des zones de production forestières)
49La politique énergétique de la Tanzanie vise à réduire l’usage du charbon, considéré comme polluant et source de déforestation, au profit de l’électricité, et désormais aussi du LPG, après avoir favorisé un temps l’usage du kérosène. Le gaz butane (LPG) tend ainsi peu à peu à se diffuser depuis quelques années, notamment grâce aux transformations des pratiques culinaires (le riz, à cuisson rapide, remplace les tubercules, à cuisson longue), la réduction de la taille des ménages (le charbon est plus approprié pour les grandes familles). Mais a contrario du charbon, en revanche, le LPG doit être acheté en grande bombonne (problème d’« indivisibilité ») et nombreux sont les ménages qui n’ont à aucun moment les moyens de le payer (Cowan et Mohlakoana, 2005). Le secteur privé, en majorité étranger, l’a bien compris et commence à proposer des bombonnes de tailles plus réduites, et à mettre en place des mécanismes de financement (type micro-crédit) susceptible de favoriser l’acquisition et l’utilisation d’équipements. De plus, à l’échelle du régulateur, cette substitution par le LPG reste questionnable étant donné la dépendance aux importations qu’elle induit vis-à-vis des pays producteurs (Arnold et Al. 2006 ; Maes and Verbist, 2012). Comme le confiait un fonctionnaire de l’EWURA, la difficulté du gouvernement à mettre en place une régulation de l’importation de LPG (« LPG Bulk stratégy »), en négociation depuis plusieurs années, témoigne de la tension que ces énergies importées suscitent : malgré ses avantages, le LPG ne permet pas une autonomie énergétique et reste, comme le pétrole, dépendant des fluctuations internationales. La production autonome d’électricité reste donc la priorité pour le pays Le développement de projet gas-to-electricity dans le cadre du National Natural Gas Infrastructure Project (NNGIP) pour transporter les réserves considérables de gaz naturel de la baie de Mnazi et de Songo Songo jusqu’à Dar-es-Salaam, via un pipeline de 532 km achevée en 2015, pourrait permettre à l’avenir à la TANESCO de s’émanciper des couteuses importations pétrolières et des producteurs d’électricité indépendants, qui contribuent à aggraver sa dette. Cependant, pour que ces couteux projets d’infrastructures soient financièrement viables, il faudra que la Tanzanie puisse établir un marché d’exportation pour rentabiliser leur exploitation. Dans l’attente, les tarifs de l’électricité vont rester à un niveau trop élevé pour inciter les ménages à délaisser les autres sources énergétiques, contribuant au renforcement d’une diversification énergétique quotidien dans les pratiques selon les usages.
50Finalement, abordable, solidement ancré dans les pratiques quotidiennes et facilement disponible, le charbon résiste à sa substitution que ce soit par l’électricité, plus chère, ou le LPG, dont le coût initial d’équipement (achat de la gazinière et de la bombonne) freine la diffusion. Les coûts trop élevés expliquent pourquoi, a contrario des services électriques (radio, télévision, téléphonie), les besoins domestiques comme la cuisine, ainsi que les commerces de restauration, restent satisfaits par le recours à une énergie de biomasse principalement, même quand l'électricité ou le GPL sont disponibles.
51Concluons cet article en revenant à Emanuel et Mohammed, nos deux comparses de Msgongola attendant leur dala dala sur la route de Kitunda qui les emmenera plus au centre de Dar Es Salaam. Ces deux habitants nous permettent de souligner la spécificité de l’urbanisation africaine et la diversification énergétiques qui prend place dans les périphéries.
52Comme Emmanuel ou Mohammed, ils sont nombreux à s’installer dans cet entre-deux entre la ville et la campagne, plus abordable que le centre de l’agglomération tout en restant proches des opportunités d’emplois qu’offre la capitale économique du pays. L’urbanisation y différent de celle des pays occidentaux : plus diffuse notamment, moins densifiée, en partie précaire, elle explique la lente et difficile mise en place des services techniques réticulaires, accentuée par un manque de financements. Leur quartier d’habitation, Msgongola, à l’extrême sud du district d’Ilala, est symptomatique d’une expansion rapide des périphéries des villes africaines que le rythme des infrastructures peine à suivre.
53Dans ces quartiers encore mal connectés au réseau d’électricité, c’est l’importance des sources d’énergie non-électrique qui prédomine tant pour la cuisson que l’éclairage et constitue le quotidien de la grande majorité des habitants. Etant donné son poids démographique, on pourrait presque ainsi dire que ce n’est pas cette population qui vit en marge du réseau, mais c’est plutôt le réseau qui ne dessert pour le moment qu’une partie de la société (Louvel, Gromard 2007). Ainsi, la transition énergétique ne dépend pas seulement des pratiques des habitants mais aussi et surtout de la disponibilité et la régulation des offres énergétique disponibles, dans leur accessibilité physique comme sociale.
54A l’image d’Emanuel qui rêve d’électrifier sa maison, le service électrique de la TANESCO reste fortement plébiscité par les résidents. Si l’extension des lignes électriques des zones éloignées s’améliore peu à peu (et plus rapidement que celle d’autres services techniques comme l’assainissement), elle repose néanmoins sur la mise en place d’une infrastructure lourde et couteuse (transformateurs, lignes à haute tension, poteaux) difficile à assumer pour les ménages. Certains groupes de résidents tentent de s’organiser pour faire baisser ces coûts de connexion en partageant les frais d’extension du réseau ou en s’appuyant sur des relais politiques pour accélérer le déploiement des lignes. Mais ces investissements ne peuvent se faire à plus grande échelle sans un fort soutien étatique via des programmes gouvernementaux d’électrification massive. Les « Big Result Now », « Umeme kwa Vote (electricity for all » ou « Development Vision 2025 » sont autant de projets politiques qui marquent la volonté des gouvernements de soutenir l’universalisation du réseau. C’est bien cette forte pression politique, accrue depuis l’arrivée au pouvoir du président Magufuli, qui a notamment permis de faire bénéficier les zones urbaines non-raccordées de subventions aux connections par l’agence rurale de l’énergie (REA).
55En bout de réseau, dans ces espaces en transition, l’arrivée de l’électricité participe à la transformation des modes de vies en favorisant une « diversification » des pratiques énergétiques. Pour les habitants nouvellement connectés, les coupures intempestives ne sont pas encore aussi insupportables que dans les quartiers du centre-ville: à Msgongola, on ressort simplement les bougies et les lampes à pétroles ou à piles en attendant le retour du courant. Le recours à des systèmes de secours plus couteux (de type groupe électrogène) se retrouve dans les maisons et les immeubles des quartiers densifiés les plus riches de Dar Es Salaam, plutôt que dans ses périphéries plus pauvres. Tout d’abord, le coût élevé des équipements en batteries et du diesel limite leur acquisition ; ensuite l’habitat peu densifié rend difficile leur utilisation collective ; enfin l’installation à long terme de systèmes solaires domestiques (net-metering) nécessite des capacités d’investissements trop éloignées des moyens de la majorité de la population. On y trouve bien quelques systèmes solaires et groupes électrogènes chez les ménages les plus privilégiés mais cela reste anecdotique en comparaison de l’utilisation massive qui est faite des lampes à kérosènes pour l’éclairage ou du charbon pour la cuisine.
56A la temporalité des modes de vie qui s’urbanisent dans les périphéries avec l’arrivée de l’électricité, il faut donc compter avec la régulation de l’offre disponible. Il est à cet égard frappant de constater combien l’utilisation de l’électricité pour la cuisine domestique a baissé depuis les années 1990, et ce malgré l’augmentation constante du nombre de connexions, à cause des hausses tarifaires de la TANESCO. Le contrôle de la consommation électrique individuelle, facilité par la mise en place de compteur à prépaiement, a conduit les ménages à faire des choix très stratégiques en privilégiant l’éclairage et en utilisant des combustibles moins couteux dès que possible pour les autres usages domestiques. Les facteurs structurels, tels que la localisation et la densification du quartier, la disponibilité et le coût de l’électricité domestique, ou encore la régulation des autres combustibles, contribuent à déterminer l’utilisation quotidienne des offres énergétiques disponibles qui tendent à se diversifier dans les pratiques : l’électrification des périphéries permet un élargissement de l’offre des services énergétiques (accès au réfrigérateur, à la télévision, à l’ampoule), mais ne substitue pas forcement aux énergies préexistantes (avec l’usage du kérosène pour l’éclairage et la cuisson rapide ou en particulier du charbon reste d’une importance majeure)
57Le futur énergétique des villes tanzaniennes, se fera donc en pratique avec des systèmes non-conventionnels en termes de transition énergétique, et non pas via seulement l’électricité. Les périphéries de Dar Es Salaam témoignent assurément de transformations socio-spatiales, entre ruralité et urbanité, qui se traduit in fine par une diversification renforcée des sources énergétiques. A l’échelle de la ville, alors que s’universalise lentement le réseau d’électricité, la co-existence de différentes pratiques trahit la géographie sociale d’une agglomération en développement avec des quartiers excentrés où l’on s’éclaire encore largement au kérosène alors qu’on cuisine depuis longtemps à l’électricité en centre-ville. En fin de compte, ce que sous-tend le sourire entendu de Mohammed et Emmanuel lorsqu’ils regardent avec envie le dernier pylône de la TANESCO, c’est peut-être bien l’effacement des périmètres circonscrits de la ville, avec des quartiers qui attendent encore la ligne électrique qui les raccordera symboliquement au reste du centre-ville tout en restant bien éloignés en pratique.