Introduction

1L’urbanisation au Maroc a connu un élan considérable depuis le début du 20^e siècle jusqu’à nos jours. La part des citadins est passée de 8%, en 1912, à plus de 60%, en 2014, et pourrait atteindre 73.6% à l’horizon de 2050 (CERED, 2017).

2Avant l’avènement du protectorat, le Maroc était constitué de villes généralement fortifiées et confinées dans des limites spatiales précises et d’un arrière-pays rural. Le protectorat a été exercé au Maroc de 1912 à 1956. Il a été le point de basculement de la manière de fabrication des villes et de gestion des territoires au Maroc et a été l’initiateur de la création de l’état moderne tel que nous le connaissons aujourd’hui.

3L’armature urbaine du pays a connu un changement radical pendant cette période, accompagné de nombreux phénomènes spatiaux et sociaux, dont les plus importants sont la littoralisation, l’exode rural, la prolifération de l’habitat non réglementaire et des bidonvilles au niveau des grandes villes et la sédentarisation d’une grande partie de la population.

4Les réformes juridiques et institutionnelles instaurées par le protectorat ont servi de support pour l’urbanisation accrue qu’a connu le Maroc. L’introduction de la planification urbaine et l’adoption d’un système foncier favorisant la propriété à l’utilisation collective des territoires en sont les plus importantes. Le système de planification urbaine marocain a ensuite privilégié une approche réglementaire de l’urbanisme, avec comme principal objectif la maîtrise et le contrôle du développement des villes. Ceci a engendré un mode de gestion de la ville rigide qui l’a empêché d’être un levier de développement économique et d’accompagner les évolutions politiques, économiques et sociales du pays (El Malti, 2006).

5Le Maroc est actuellement dans un tournant décisif. Conscient des enjeux en matière d’aménagement du territoire, celui-ci essaye de concevoir de nouvelles stratégies en vue de pallier les dysfonctionnements existants. La mégacéphalie des grandes villes, la précarité et le faible niveau d’équipement de certains tissus urbains, notamment non réglementaires, la pression sur les ressources naturelles et la vulnérabilité aux catastrophes naturelles font partie des plus importants défis à relever.

6Le Maroc a également subi des transformations majeures dans le mode de gestion des territoires dont certains sont étroitement liés aux effets de la mondialisation. Celle-ci a introduit de nouveaux modes de gouvernance (renforcement de l’échelle locale à travers les politiques de décentralisation et de déconcentration administrative, intégration de nouveaux acteurs notamment les ONG et les bailleurs de fonds internationaux).

7Les stratégies en matière d’urbanisme et d’aménagement se doivent d’être postérieures à une bonne compréhension des phases par lesquelles est passé le territoire marocain, non seulement du côté des « outils » notamment juridiques et institutionnels – qui ont été largement étudiés – mais également du côté des « dynamiques » ayant eu lieu. Ces dynamiques gagneront également à être étudiées par rapport au contexte international duquel nulle nation ne peut se détacher.

8L’appréhension du fait urbain est devenue complexe en raison de la multitude de paramètres qui interviennent dans le développement des agglomérations. La notion de « ville » est devenue réductrice et caduque parce qu’elle sous-entend une urbanité par opposition à un arrière-pays rural. Le concept de FUR (Zone urbaine fonctionnelle) permet d’appréhender une zone urbaine dans sa complexité en intégrant toute sa sphère d’influence. Les FURs de plusieurs régions dans le monde ont été étudiées sous plusieurs angles notamment celui des phases d’urbanisation (e. g. Cycle de vie urbain). Ces études se sont généralement focalisées sur les pays du Nord (e. g. Champion 1986, Van den Berg et al. 1982, Klassen et al. 1981, Hall 1971 ; Cheshire, 1995 ; Anthrop 2004 ; Benassi et Salvati 2020) et se sont rarement intéressées aux pays en voie de développement, notamment les pays de l’Afrique du Nord. En conséquence, le cadre épistémologique et les modèles proposés ont été développés sur la base des spécificités des pays étudiés. Les études empiriques faites sur la base de modèles théoriques contribuent à faciliter les études comparatives. L’objectif de cet article est d’enrichir la littérature relative à l’étude du cycle de vie urbain des territoires à travers le cas marocain de l’agglomération de Rabat. Il met ensuite l’accent sur le phénomène de Counter-urbanisation, qui peut être traduit par « urbanisation inversée », constaté dans le territoire d’étude à partir des années 1990. Ceci est réalisé à la lumière des données démographiques et des données de la mobilité.

1. Armature urbaine marocaine et défis d’aménagement du territoire

9Après l’avènement du protectorat au Maroc, le taux d’accroissement démographique annuel moyen a connu une augmentation exponentielle. L’accroissement a continué jusqu’au lendemain de l’indépendance, pour ensuite connaître une baisse depuis 1960. Celle-ci est amenée à continuer jusqu’à l’horizon de 2050 (Fig. 1). Cette évolution démographique post protectorat a été essentiellement urbaine (CERED, 2017) (Tab. 1, Fig. 2).

10Toutes les villes n’ont pas évolué selon le même rythme. Les Villes situées sur la côte atlantique ont été les plus attrayantes, en raison de la volonté du protectorat de déplacer les centres de la vie économique et politique des villes intérieures (Fès, Marrakech) vers les villes côtières (Rabat, Casablanca, Kenitra, Mohammedia, Safi) (Awad, 1964). La répartition géographique actuelle des différentes strates de villes au Maroc démontre une concentration des grandes villes au niveau de la bande littorale, à l’exception de certaines villes du Maroc intérieur comme Fès et Marrakech (Carte 1). En effet, l’équilibre territorial instauré par le protectorat a été maintenu malgré les efforts fournis par l’état en vue d’implémenter une régionalisation avancée au niveau du Royaume et de promouvoir la compétitivité des villes intérieures.

11Cette situation soulève plusieurs questions notamment celles liées à la gestion des zones littorales qui subissent la pression de l’installation de l’habitat et des activités sur les ressources, ainsi que celles liées aux risques naturels maritimes, qui deviennent de plus en plus récurrents à cause des changements climatiques. La lutte contre les disparités socio-économiques entre les territoires intérieurs et littoraux fait également partie des grands défis de l’aménagement du territoire au Maroc.

12Le territoire marocain n’échappe également pas à la mégacéphalie urbaine qui caractérise plusieurs régions du monde. Celle-ci se traduit spatialement par l’étalement urbain avec tout ce que le phénomène peut induire comme disparités sociales et économiques entre les territoires « centraux » et les territoires « périphériques » des grandes agglomérations et comme incidences environnementales (e. g. mitage des terres agricoles, augmentation de la consommation des énergies fossiles liées aux mouvements pendulaires quotidiens).

13L’étalement urbain se manifeste au Maroc par l’apparition en périphérie des villes d’agglomérations aux formes disparates et aux occupations sociales très contrastées. Les villes dites « nouvelles », ainsi que les grands ensembles de logements sociaux, constituent l’une des formes d’étalement urbain les plus répandue et les plus manifestes. Ceux-ci se développent au gré des opportunités foncières et présentent un contraste avec leur environnement immédiat, constitué dans la plupart des cas de territoires ruraux. Les logements pavillonnaires constituent également l’une des formes de périurbanisation, notamment à proximité des grandes villes où la classe supérieure et la classe moyenne supérieure, sont largement représentées. Les agglomérations rurales existantes, surtout celles situées à proximité des grandes villes, se sont également étalées par l’agrégation de logements modestes parfois sommaires et constituent une autre forme de périurbanisation.

14En vue de pallier les dysfonctionnements liés aux phénomènes susmentionnés, des efforts considérables ont été fournis pour densifier la trame des villes moyennes et de renforcer leur rôle pour qu’elles puissent générer des emplois industriels et tertiaires et absorber une part des populations attirées par les grandes villes. Néanmoins, ces villes peinent toujours à se positionner au sein de l’armature urbaine marocaine et se limitent dans la plupart des cas à des espaces de recours pour les populations des petites villes et des zones rurales cherchant à accéder aux services manquants. En effet, celles-ci sont entrées dans une phase de ralentissement du rythme de croissance. Les taux d’accroissement moyens de cette strate de villes ont été de 0,92% de 1994 à 2004 et de 1,21% de 2004 à 2014 (MHUAT, 2017). Globalement, l’armature urbaine marocaine reste déséquilibrée, avec une domination du niveau supérieur de la hiérarchie urbaine et avec une concentration des villes les plus importantes sur la chaîne atlantique (CERED, 2005).

Tableau 1 : Population et taux d'urbanisation au Maroc (1900-2050)

	Population (en milliers )	Population urbaine (en milliers )	Taux d'urbanisation (%)
1900	5000	420	8
1912	5400	-
1936	7040	1450	19,2
1952	8953	2650	25
1960	11626	3390	29,3
1971	15379	5402	35,2
1982	20419	8730	42,6
1994	26019	13415	51,5
2004	29892	16464	55,1
2014	33848	20432	60,3
2030	39329	26661	67,8
2040	41901	29794	71,1
2050	43561	32061	73,6

Source : CERED (2005), CERED (2017)

2. La théorie du cycle de vie urbain des régions urbaines fonctionnelles : application au monde développé et réflexions sur le cas du Maroc

15L’urbanisme et l’aménagement du territoire au Maroc se font sur la base des limites des découpages administratifs. À l’échelle des zones fonctionnellement interreliées, le schéma d'aménagement urbain (SDAU) est le document d’urbanisme censé garantir la cohérence entre les différentes agglomérations constituant ces zones en mettant en place une vision d’aménagement commune. Les SDAU ont une durée de validité de 25 ans. Néanmoins, en raison de la rapidité des changements qui ont lieu au niveau des territoires, ces documents se trouvent dépassés par les dynamiques d’urbanisation et ne peuvent plus servir de document de référence pour guider le développement du territoire. Le cas du SDAU de Rabat (qui comprend également Salé et Temara) homologué en 1995 est toujours en vigueur, mais ses orientations ont été dépassées par le développement rapide de sa zone d'intervention. Aussi, un grand nombre de grands projets structurants ont vu le jour en marge de ce document (e. g. le projet d’aménagement de la vallée du fleuve du Bouregreg, la ville nouvelle de Tamesna). Le SDAU se trouve donc limité dans la plupart des cas à un document de référence pour les communes qui ne disposent pas encore d'un plan d’aménagement. L'élaboration du nouveau SDAU de Rabat-Salé-Temara a été lancée en 2014, mais est toujours en cours.

16Ainsi, faute d'un SDAU efficace et actualisé, les agglomérations se trouvent dans la plupart des cas régies uniquement par les différents plans d’aménagement. Ces documents qui constituent l’échelle de planification définissant les affectations au sol des territoires agit sur les échelles de communes, municipalités, villes et tiennent rarement compte des dynamiques qui s’opèrent entre ces entités et les agglomérations qui les entourent, et ce malgré la phase diagnostic préalable à l’élaboration des options d’aménagement exige cela. En effet, les rapports diagnostics établis pendant la procédure l’élaboration des plans d’aménagement se limitent souvent à des analyses thématiques du territoire étudié et se préoccupent rarement des dynamiques qui se sont opérées dans leur dimension écosystémique.

17L’armature urbaine marocaine est constituée de plusieurs strates de villes avec des interactions quotidiennes matérialisées par les flux de personnes, de biens, de capitaux et d’informations. L’analyse préalable à la planification urbaine doit intégrer toutes les strates de villes qui composent un territoire fonctionnel. L’un des concepts qui permettent cela est celui des zones urbaines fonctionnelles (FURs).

18De nombreuses études se sont focalisées sur les Régions Urbaines Fonctionnelles (Functional Urban Regions : FUR) comme concept englobant un territoire constitué de la ville centre et sa zone environnante et offrant la possibilité d’appréhender les interrelations entre les différentes agglomérations dans une approche éco-systémique (e. g. Brown et Holmes 1971; Drobne et al., 2010 ). Le concept de FUR permet de définir et de délimiter un territoire cohérent en se basant sur les données relatives aux flux journaliers (Drobne et al., 2010 ; Van den berg et al., 1982). La FUR est composée d’une ville-centre caractérisée par une concentration des populations et des bassins d’emploi et d’un arrière-pays qui en dépend en grande partie.

19Les FUR ont été étudiées sous différents angles notamment celui du cycle de vie urbain. Cette théorie suggère que l’urbanisation dans les pays développés s’est opérée selon un ordre déterminé en fonction de l’évolution démographique au niveau du centre de la Région Urbaine Fonctionnelle (FUR) ou de sa périphérie (Champion, 2001). Cette approche induit une évolution cyclique des agglomérations, d’où le concept du Cycle de Vie Urbain « Urban Life Cycle ». À partir de ce modèle, les études se sont intéressées à différentes régions du monde pour étudier quand est ce que ces phénomènes ont eu lieu et pour comparer entre les FUR dans différentes régions du monde.

20Ce modèle comprend 4 phases : l’urbanisation, la sub-urbanisation, la counter-urbanisation ou dis-urbanisation et la réurbanisation (Klassen et al. 1981, Van den Berg et al., 1982, Antrop 2004, Champion 2001). Chaque phase se distingue de l’autre selon que le gain ou la perte de la population se fasse au niveau du centre ou de la périphérie de la FUR. Pendant la phase de l’urbanisation, le centre de la FUR enregistre un gain démographique en attirant les populations des zones périphériques (Van den Berg et al., 1982). La seconde phase est celle de la suburbanisation, pendant laquelle la ville-centre perd de sa population et la périphérie enregistre un accroissement démographique rapide (Antrop, 2004). La counter-urbanisation ou dis-urbanisation a lieu lorsque la perte de la population au niveau de la ville-centre dépasse le gain au niveau de la périphérie (Couch, Petschel-held & Leontidou, 2007), le solde migratoire d’un espace urbain est donc inversement proportionnel à sa taille ou son importance (Fielding, 1982). Pendant cette phase, la FUR enregistre un déclin démographique. La dernière phase est celle de la réurbanisation pendant laquelle la FUR commence à regagner son attractivité. Ce processus commence à avoir lieu au niveau de la ville-centre pour ensuite s’étendre progressivement à la périphérie (Champion, 2001).

21La vérification empirique du modèle de cycle de vie urbain s’est faite principalement sur les pays du monde occidental. Champion (2001) a entrepris un travail synthétique des travaux réalisés dans ce sens en suivant le modèle dressé par Klassen et al. (1981). Il en ressort que les années 1950 ont été marquées par le phénomène d’urbanisation dû principalement à l’immigration des populations des zones rurales vers les grandes villes. Les années 1960 ont été celles de la sub-urbanisation, tandis que les années 1970 ont été marquées par la counter-urbanisation. La fin des années 1970 a connu les prémices de la phase de réurbanisation, qui continua jusqu’aux années 1980. Cette dernière phase est caractérisée par un regain d’intérêt envers la ville-centre, qui voit son taux d’accroissement de la population redevenir positif. Bien qu’il s’agit de tendances générales, Champion (2001) a soulevé des différences dans la temporalité du cycle de vie urbain des différents pays.

22La prochaine section essaye d’appliquer la théorie du cycle de vie urbain à la zone urbaine fonctionnelle de Rabat, dans le but d’analyser son évolution à travers les données démographiques, puis ensuite à travers les données de la mobilité et de soulever les caractéristiques de l’évolution du territoire marocain.

3. Application de la théorie du cycle de vie urbain à la zone urbaine fonctionnelle de Rabat

3.1. Aire de l’étude

23La région de Rabat-Salé-Kénitra enregistre le deuxième plus grand niveau de mobilité entre les communes avec presque 30% d’actifs travaillant en dehors de leur commune d’origine (HCP, 2019 sur la base des données du recensement de 2014). La ville de Rabat (dont le territoire correspond à la préfecture de Rabat) est parmi les villes qui attirent les flux les plus importants de la population active occupée avec 134 000 actifs occupés soit 46% de l’emploi résidentiel de la Ville (i.e. emplois liés aux activités économiques destinées à répondre aux besoins de la population résidante sur un territoire) (Fig. 4). Ces données statistiques permettent de déduire que la ville de Rabat représente le centre urbain d’un territoire fonctionnellement interrelié où les flux journaliers de déplacement domicile-travail entre les communes sont très importants.

24La ville de Rabat entretient des relations fortes avec plusieurs villes de strates différentes (Kénitra, Casablanca, Mohammedia, Bouznika, Temara, Salé, etc.). Selon les données issues de l’Enquête nationale sur l’emploi de 2017, les préfectures de Salé et de Skhirate-Temara enregistrent le nombre le plus important en termes de flux d’actifs se déplaçant vers Rabat pour y travailler (HCP, 2019). Le territoire d’étude du nouveau Schéma Directeur d’Aménagement Urbain réitère ce constat puisqu’il a choisi la conurbation de Rabat-Salé-Temara comme zone cohérente nécessitant une planification intégrée des choix de développement pour les 25 années à venir. Ainsi, et pour l’étude des cycles de vie Urbain de la FUR de Rabat, nous nous sommes basés sur les données précitées pour limiter notre territoire d’étude aux préfectures de Rabat, Salé et Skhirate-Temara. Ces préfectures regroupent 24 communes et arrondissements qui ont été utilisés comme unités spatiales pour analyser les changements démographiques et spatiaux du territoire étudié.

25La FUR a été divisée en 3 zones : (i) Rabat qui constitue la ville-centre, (ii) la périphérie immédiate constituée de la Préfecture de Salé d’où on a soustrait le territoire des communes de Sidi Bouknadel, de Ameur et de Shoul (appelée Salé-Centre), ainsi que les deux communes de Temara et de Harhoura qui font partie de la Préfecture de Skhirate-Temara, (iii) La périphérie éloignée qui comprend le reste des communes de la Préfecture de Skhirate-Temara ainsi que les communes de Sidi Bouknadel, Ameur et Shoul (Tab. 2, Carte 2).

Tableau 2 : Division de l'aire de l'étude en ville centre, périphérie immédiate et périphérie éloignée

	Ville centre	Périphérie immédiate	Périphérie Eloignée
Préfecture de Rabat	Agdal Riyad / Hassan/ El Youssoufia/ Souissi/ Touarga /Yacoub El Mansour	-	-
Préfecture de Salé	-	« Salé centre » : Bab Lamrissa/Bettana/ Hssaine/Layayda/Tabriquet	Sidi Bouknadel/Ameur/Shoul
Préfecture de Skhirate-Temara	-	Temara/Harhoura	Ain Attig/Mers El Kheir/ Sidi Yahya Zaers/Ain Aouda/ El Menzeh/Skhirate/Sebbah/Oum Azza

26La périphérie immédiate représente le territoire d’extension de Rabat, qui s’est développé dans la continuité de la capitale. Il s’agit d’une zone à partir de laquelle il est possible de se rendre à la ville-centre sans passer par des territoires ruraux ou des zones d’habitat dispersé de très faible densité. La ceinture verte, qui sépare Harhoura et Temara de Rabat, constitue cependant une zone interdite à la construction et rompt cette continuité du côté Sud de Rabat. Il s’agit d’une forêt reboisée créée en vue de limiter l’extension de la capitale. La périphérie éloignée est constituée d’agglomérations qui se sont développées au niveau des marges plus reculées de la FUR et qui sont séparées de la ville-centre par des territoires ruraux ou de très faible densité.

27La notion de « zone d’extension » doit être utilisée prudemment lorsqu’il s’agit de la ville de Salé. En effet, Salé est une ville séculaire dont l’histoire précède celle de Rabat. Avant l’établissement du protectorat français et l’élévation de Rabat au rang de capitale administrative du pays, il s’agissait d’un centre économique, scientifique et spirituel bien plus important que celui de Rabat. Aujourd’hui, sa population est également plus importante que celle de la capitale. Malgré son poids démographique relativement faible, Rabat constitue le centre de la FUR selon l’approche du marché de l’emploi « Work Labor Market » (Drobne et al., 2010) parce qu’elle attire un nombre de travailleurs quotidiens beaucoup plus important que les travailleurs qui la quittent pour travailler dans un autre territoire. Salé quant à elle dépend largement de rabat et voit une grande partie de sa population se déplacer quotidiennement vers la capitale pour y travailler.

3.2. Méthodologie

28L’évolution de la FUR est analysée sur les bases des données statistiques des recensements généraux de la population et complétée par les estimations démographiques de différentes études. L’analyse couvre la période allant de 1912 à 2014. Les données antérieures à 1982 ne sont pas disponibles, pour les territoires faisant partie de la périphérie éloignée, mais cela n’influence pas les résultats puisque le taux d’accroissement annuel moyen y était très faible vu qu’il s’agissait de territoires ruraux. Le dernier recensement général de la population du Maroc date de 2014, les données postérieures à 2014 ne sont donc pas disponibles pour toutes les communes.

29L’application de la théorie du cycle de vie urbain (ULC) à l’aire de l’étude s’est basée sur le taux d’accroissement annuel moyen calculé à travers la formule [pop (t+1)/pop (t)^(1/nombre d’années)-1]*100. La phase d’urbanisation a lieu lorsque Rabat gagne en population au détriment des zones périphériques. La sub-urbanisation arrive lorsque la tendance est inversée en faveur de la périphérie immédiate. La counter-urbanisation est celle où les communes plus éloignées voient leur TAAM croître plus rapidement que les autres agglomérations. La définition de la counter-urbanisation dans la théorie du cycle de vie urbain, qui avance que cette phase n’a lieu que lorsque la perte en population de la ville centre excède le gain des communes périphériques et induit donc une perte de population totale au niveau de la FUR (Champion, 2001), n’a pas été adoptée parce que la FUR de Rabat est l’une des plus importantes du pays et maintient son attractivité même si sa ville centre est entrée dans une phase de déclin.

3.3. Résultats et discussion

30Du début du protectorat jusqu’au début des années 1950, la ville de Rabat connaissait le taux d’accroissement annuel moyen le plus important de la conurbation. Il s’agit ici de la phase d’urbanisation caractérisée par l’afflux démographique vers la ville centre. Cette tendance s’inversera au profit de la ville de Salé, qui devança la capitale à partir de 1952. Le TAAM de Rabat continue d’évoluer de manière négative, jusqu’à ce qu’il devienne inférieur à 0% à partir des années 2000.

31La périphérie immédiate de la FUR constituée de la ville de Salé et des communes de Temara et de Harhoura a évolué de manière très significative entre 1960 et 1994, avec un TAAM compris entre 6% et 7%. Les données démographiques antérieures à 1960 de la ville de Temara n’étant pas disponibles, et compte tenu de son poids démographique faible à cette époque, il était judicieux de se baser sur la courbe de la ville de Salé pour la période 1912-1960 pour analyser l’évolution de la périphérie immédiate. Une phase de sub-urbanisation à partir de la moitié des années 1950 en ressort. Pendant cette phase, le TAAM de la périphérie immédiate dépasse celui de la ville-centre avec un pic d’écart entre le taux d’accroissement des deux zones de 4,29% pendant la période 1982-1994. (Tab. 3, Fig. 5).

32La périphérie éloignée de la FUR évolue également de manière significative à partir de 1994, avec un pic de 5.28% pendant la période 2004-2014. L’évolution de la périphérie éloignée dépasse celle de la périphérie immédiate pendant la période 1994-2004. Il s’agit ici d’une phase de counter-urbanisation caractérisée par la forte attractivité des agglomérations plus éloignées du centre de la FUR. Bien que la ville de Rabat enregistre un TAAM négatif depuis 2004, et que la zone urbaine fonctionnelle est entrée dans une phase de counter-urbanisation, le système urbain dans sa globalité continue à croître démographiquement. (Tab. 3, Fig. 5)

33Le phénomène d’urbanisation s’illustre à travers l’augmentation de la taille des agglomérations ou la multiplication du nombre d’agglomérations (Berry, 1976). Dans le cas de la FUR de Rabat, nous avons assisté aux deux phénomènes, avec un décalage dans les périodes. De 1912 jusqu’à la moitié des années 1990, la FUR a évolué d’une manière continue, ce qui a fait des villes de Rabat, Salé et Temara une conurbation aux liens fonctionnels très forts. À partir de 1994, le développement urbain a été caractérisé par la multiplication des points de concentration de la population à travers la phase de counter-urbanisation. En effet, plusieurs villages, au caractère rural, ont vu des populations de citadins s’y installer, soit d’une « manière spontanée » notamment à cause de l’offre immobilière abondante et moins chère et de la proximité de Rabat, ou alors d’une manière « brutale », à travers la relocalisation en masse de populations issues des bidonvilles de Rabat devant être relogés hors de la capitale, ou à travers la création de villes nouvelles ex-nihilo destinées à absorber une part du besoin en logement de Rabat. Les résultats obtenus démontrent que la FUR de Rabat est actuellement au niveau de la phase 4 du modèle de ULC définit par (Klassen et al., 1981) à savoir une décentralisation absolue au niveau de la phase de Sub-urbanisation, où la ville centre perd de sa population, alors que la périphérie et la FUR en entier en gagnent toujours.

34L’étude du cycle de vie urbain de la FUR de Rabat a démontré que la FUR a expérimenté les deux premières phases du cycle : à savoir l’Urbanisation, avec l’avènement du protectorat, et la Sub-urbanisation, à partir des années 1960, puis une décentralisation au niveau de la ville centre pendant laquelle la FUR entre dans la phase de counter-urbanisation, marquée par un accroissement démographique important dans les agglomérations de la strate inférieure. Néanmoins, il y’a lieu de préciser que les résultats obtenus sont étroitement liés aux choix faits pour délimiter la zone centrale et les zones périphériques de la ville. En effet, si les frontières de la FUR ont été limitées à sa périphérie immédiate et la périphérie éloignée en a été soustraite, les résultats de l’application de la théorie du ULC démontreront d’une phase de Counter-urbanisation à partir des années 1980. Le cycle de vie urbain de la FUR de Rabat sera donc plus ou moins compatible avec les résultats obtenus dans l’étude des FURs des pays développés. Ceci repose la question soulevée par Champion (2001) de savoir si la phase de « counter-urbanisation » est foncièrement différente de celle de la « sub-urbanisation » ou si elle n’est qu’une extension de celle-ci.

35Par ailleurs, le choix de considérer la ville de Salé comme territoire périphérique de Rabat influe profondément les résultats de l’application du ULC à la FUR de Rabat. Intégrer cette ville au territoire de la ville centre signifierait qu’on ne parlerait de Sub-urbanisation dans la FUR de Rabat qu’à partir des années 1980. Ceci dit, le choix des unités spatiales a été induit par les recherches qualitatives qui démontrent la dépendance de Salé vis-à-vis de Rabat et du rayon d’influence de Rabat qui atteint les communes constituant la « périphérie éloignée ».

36L’interprétation des différentes phases du modèle joue également un rôle dans les résultats obtenus. Au niveau du travail de Salvati et Carlucci (2016), la phase de sub-urbanisation commence lorsque la ville centre commence à perdre de la population au profit de sa couronne périphérique. Dans le présent travail, la sub-urbanisation a lieu lorsque la ville centre évolue à un rythme moins élevé que celui de sa zone périphérique, même si son taux d’accroissement annuel moyen est toujours positif. Les différentes interprétations de la théorie peuvent aussi influer les résultats obtenus.

4. La counter-urbanisation au Maroc : un phénomène qui s’écarte du modèle occidental par sa forme et sa temporalité

4.1. La counter-urbanisation dans le contexte mondial

37L’article met l’accent sur la 3e phase du cycle de vie urbain, à savoir la counter-urbanisation, parce qu’il s’agit de la phase actuelle dans notre FUR, mais également parce que cette phase a connu des interprétations diverses, contrairement à l’urbanisation et à la sub-urbanisation qui ont relativement fédéré les chercheurs autour des mêmes définitions.

38Différentes études se sont focalisées sur le phénomène de counter-urbanisation (i.e. Geyer et Geyer, 2017 ; Berry, 1976, Fielding ; 1989, Mitchell, 2004 ; Phillips, 2010). La littérature sur le monde développé avait tendance à le circonscrire au mouvement de populations généralement aisées en recherche d’une meilleure qualité de vie des villes vers le monde rural. Ce type de mouvement des populations vers les agglomérations plus petites et reculées a été traduit par les chercheurs à travers plusieurs notions : Post-productivist counter-urbanisation (Geyer et Geyer, 2017), environmentalist counter-urbanisation (Geyer et Geyer, 2017), human-led counter-urbanisation (Halfacree, 2008), rural gentrification (Phillips, 2010). Les recherches plus récentes suggèrent que ce schéma est réducteur. Phillips (2010) met l’accent sur la nécessité de ne pas cloitrer la recherche sur la counter-urbanisation dans le cadre de la gentrification rurale.

39L’exploration du phénomène de counter-urbanisation dans les pays en voie de développement a été rare. Le travail de (Geyer et Geyer, 2017) démontre qu’en plus des formes classiques de counter-urbanisation remarquées dans le monde développé, l’expérience des pays en voie de développement, et du cas de l’Afrique du Sud en particulier, fait preuve d’autres formes à savoir la counter-urbanisation agraire et la counter-urbanisation industrielle. Il souligne également que la counter-urbanisation productiviste (e. g. economically led counter-urbanisation) inclut des catégories socio-économiques variées et pourrait donc être un levier de développement économique dans les pays en voie de développement.

40D’autres pays africains ont également assisté au phénomène pendant différentes périodes. Le Burkina Faso, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal ont vu la part de migrants des villes secondaires baisser entre 1988 et 1992 (Beauchemin, 2011).

41Le travail de Brown and Lawson (1989) sur le phénomène de polarisation inversée au Venezuela fait apparaître les premiers signes du phénomène dès le début des années 70, avec un intérêt vers les zones périphériques de la part des ressources humaines qualifiées, même si les flux migratoires vers les grands centres urbains restent élevés.

42Les phénomènes de counter-urbanisation, urbanisation différentielle et polarisation inversée ont eu lieu dans le monde en voie de développement à partir des années 1970 et pendant les années 1980 pour la majorité des pays. Ceci dit, plusieurs éléments influencent les résultats, notamment les différentes définitions du phénomène. Mitchell (2004) met l’accent sur les différences dans l’interprétation de la counter-urbanisation dans la littérature selon l’étendue spatiale des changements démographiques qui ont lieu ; alors que certains travaux définissent le phénomène comme étant des redistributions démographiques ayant lieu dans les zones périphériques éloignées, d’autres incluent également les changements dans les zones limitrophes aux zones métropolitaines. Couch, Petschel-held & Leontidou (2007) avancent que le phénomène a lieu lorsque la perte de la population au niveau de la ville-centre dépasse le gain au niveau de la périphérie alors que Fieding (1989) fait référence au phénomène comme ayant lieu lorsqu’il y’a un rapport négatif entre la taille de l’agglomération et son taux d’accroissement démographique.

43D’autres éléments peuvent également influencer les résultats notamment (i) la définition de la grande ville, de la ville moyenne et de la petite ville (ii) la délimitation des aires métropolitaines à étudier (iii) et la prise en considération de la phase de sub-urbanisation, qui précède généralement la migration vers les petites villes plus éloignées : dans le cas contraire, les deux phénomènes peuvent être étudiés comme étant faisant partie d’une même dynamique, et la counter-urbanisation est donc considérée comme une extension de la sub-urbanisation vers des territoires plus étendus.

4.2. Le cas marocain à travers l’étude de la FUR de Rabat

44Pour l’étude du phénomène de counter-urbanisation dans la FUR de Rabat, 3 critères ont été retenus pour définir le phénomène :

• Le phénomène a lieu au niveau des zones périphériques relativement éloignées par opposition à la sub-urbanisation qui a lieu dans les zones périphériques limitrophes à la ville centre ;

• Le mouvement démographique a lieu vers des strates de villes du niveau hiérarchique inférieur ;

• Le phénomène a lieu même lorsque la FUR dans sa totalité continue de croître démographiquement.

45La phase de counter-urbanisation est la dernière phase du cycle de vie urbain de la FUR de Rabat. Le but de cette section est d’explorer les données démographiques et de la mobilité des actifs en vue d’éclairer sur les dynamiques derrière ce phénomène. L’étude de la FUR de Rabat ne prétend pas informer d’une manière exacte sur le cycle de vie urbain de tous les systèmes urbains au Maroc, mais contribue sans doute à lever le voile sur les particularités du contexte marocain et plus largement nord-africain.

46L’évolution du TAAM des agglomérations qui constituent la FUR de Rabat illustre davantage le phénomène de counter-urbanisation. En effet, pendant la période 1994-2014 la ville-centre Rabat ainsi que les agglomérations qui constituent la périphérie immédiate de la ville ont évolué avec un rythme moins élevé que les agglomérations de la périphérie éloignée. Aussi, Rabat, Salé-centre et Temara ont vu leur TAAM baisser entre la décennie 1994-2004 et la décennie 2004-2014, alors que la majorité des agglomérations de la périphérie éloignée ont vu leur TAAM augmenter, à l’exception des villes d’Oum Azza et Sebbah, marquées par leur caractère rural, ainsi que la ville de Skhirate, qui a connu une légère baisse de son TAAM bien qu’il reste important. (carte 3, carte 4).

47L’étude de la mobilité de la population active de la FUR de Rabat, selon son lieu de travail (Tab. 5, Carte 5), prouve davantage la relative autonomie de la ville de Rabat vis-à-vis des bassins d’emploi, avec plus de 33% de la population travaillant dans les arrondissements de la ville (e. g. quartiers de la ville) et 24,5% travaillant dans leur quartier de résidence. Les données de la Préfecture de Salé témoignent de sa dépendance vis-à-vis d’une autre province de la FUR (Rabat principalement) avec près de 28% de la population de Salé qui y travaille. La Préfecture de Skhirate-Temara présente également une part d’actifs travaillant dans une autre préfecture très proche de celle de Salé, avec 26,5% des actifs de plus de 15 ans qui travaillent principalement à Rabat.

48Alors que les données démographiques prouvent incontestablement que le taux d’accroissement des communes éloignées a connu une hausse considérable au détriment de l’accroît de la ville centre, qui est entrée dans une phase de taux d’accroissement négatif, les données de la mobilité, elles, affirment que les causes et l’illustration du phénomène sont beaucoup plus complexes. L’étude des données relatives aux arrondissements et communes des deux Préfectures Salé et Skhirate-Temara démontrent la corrélation entre la mobilité des actifs et le caractère de l’agglomération ou du quartier. Ainsi, alors que les communes à caractère rural (Shoul, Ameur, Oum Azza, Sidi Yahya Zaers et Sebbah) affichent un taux d’actifs travaillant dans le quartier ou douar de résidence important, les communes ou arrondissements à caractère urbain (Harhoura, Temara, El Menzeh, les arrondissements de la ville de Salé) voient une grande part de leurs actifs se déplacer vers Rabat pour y travailler. Un autre aspect peut également ressortir de l’étude de la mobilité des actifs, à savoir celui de la présence de l’activité industrielle au niveau des communes éloignées. En effet, un pourcentage important des actifs des communes de Ain Aouda, Ain Attig et Skhirate travaille au niveau de son quartier ou de sa commune de résidence. Vu que l’activité agricole dans ces communes n’est plus importante, ces taux peuvent être liés à l’implantation d’unités industrielles au niveau de ces communes. Ce constat rejoint les résultats de Geyer et Geyer (2017) sur la counter-urbanisation industrielle, qui peut contribuer au développement des régions éloignées. La ville nouvelle de Tamesna, qui fait partie du territoire de la commune de Sidi Yahya Zaers, ainsi que la commune de Mers El Kheir, voient une part importante de leurs actifs se déplacer vers une autre commune de la province de Résidence relativement attrayante, à savoir Temara, au lieu de se déplacer vers la ville-centre.

49La counter-urbanisation, au niveau de la FUR de Rabat, est illustrée par deux phénomènes principaux :

• La counter-urbanisation résidentielle qui peut être « spontanée » liée aux ménages qui s’installent dans les petites villes en raison de l’offre de logements accessibles ou « activée » où l’accroît démographique des petites villes est lié à des programmes étatiques (e. g. ville nouvelle de Tamesna) et à de grandes opérations de logements sociaux subventionnés (e. g. projet Al Firdaous à Ain Aouda)

• La conter-urbanisation industrielle causée par la nouvelle dynamique économique résultant de l’installation d’unités industrielles au niveau des petites villes (faible coût du foncier et bonnes conditions de desserte).

50À travers l’analyse des dynamiques démographiques et de mobilité au sein de la FUR de Rabat, celle-ci peut donc être considérée comme une FUR nodale. La FUR nodale constitue une situation d’exception, où la FUR est non seulement basée sur les interactions entre les différentes entités géographiques qui la constituent, mais également sur la relation de rang ou d'ordre d'une entité géographique, par rapport à une autre, et où une seule entité géographique est identifiée comme dominant toutes les autres (Brown et Holmes, 1971). La FUR de Rabat obéit à ce modèle, celle-ci peut être apparentée à un bassin versant avec Rabat comme « cours d’eau » principal et où Temara et Salé constituent deux « affluents » importants. Dans ce schéma, la conurbation gagnerait à renforcer le rôle de Salé et Temara pour qu’elles se libèrent de leur dépendance vis-à-vis de Rabat (au niveau des emplois et des services supérieurs) et du rôle de villes dortoirs qui leur est assigné pour qu’elles puissent être un réceptacle pour les flux de populations désirant bénéficier des opportunités qu’offre la conurbation, et ce au-delà de l’offre de logement. Les villes de strates inférieures peuvent également être un élément d’équilibre de l’armature urbaine en offrant des services de base et un tissu économique pour les populations rurales avoisinantes. Ceci dit, le rôle de la coopération intercommunale est primordial pour atteindre cette complémentarité entre les différents niveaux hiérarchiques au sein de la FUR et pour éviter une compétitivité négative qui permettrait le développement d’agglomérations au détriment d’autres.

5. Conclusion

51La complexité du phénomène urbain et l’importance du contexte économique, politique, social, culturel et environnemental dans le développement des villes rendent l’applicabilité des théories urbaines délicate. Néanmoins, il s’agit d’une des méthodes qui permettent l’étude comparative des transformations urbaines dans différents pays. L’étude de la FUR de Rabat prouve que la ville marocaine n’a pas suivi le cycle urbain défini dans la littérature qui correspond aux spécificités du monde développé. La phase d’urbanisation a eu lieu après le boom démographique dans les grandes agglomérations marocaines causé par l’immigration et la hausse du taux de fertilité. Cette phase a été suivie par une sub-urbanisation marquée par le développement des agglomérations avoisinantes de Rabat, puis par une phase de counter-urbanisation caractérisée par l’accroissement démographique au niveau des petites villes plus éloignées. La phase de réurbanisation n’a néanmoins pas été prouvée au niveau de la FUR étudiée. Malgré le fait que Rabat ait vu son TAAM devenir négatif pendant la phase de counter-urbanisation, la FUR continue de grandir autour de la ville primate, qui exerce son influence sur toute la FUR. Par ailleurs, une réurbanisation peut avoir lieu à Rabat si la zone de Akreuch qui constitue la dernière réserve foncière au niveau de la ville est ouverte à l’urbanisation et/ou si les planificateurs font le choix de la densification des quartiers de résidences individuelles de faible densité, notamment les quartiers de Souissi et de Hay Riad.

52L’étude des dynamiques démographiques revêt une grande importance parce qu’elle permet aux décideurs d’anticiper la réalisation des infrastructures nécessaires au développement harmonieux des agglomérations lorsque l’accroît démographique est encore en germe. Ceci n’a pas été le cas dans plusieurs villes du territoire, notamment Temara qui a évolué par succession de lotissements sans vision d’ensemble, ce qui a engendré des problèmes d’accessibilité, de congestionnement, de manque accru d’espaces verts et publics, etc.

53Aussi, la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 a démontré l’importance capitale des villes moyennes et petites dans la hiérarchie urbaine. Celles-ci ont été les plus résilientes à la pandémie et ont continué à fonctionner alors que les grandes villes étaient les plus touchées et devaient faire objet de mesures sanitaires plus drastiques qui entravent le fonctionnement optimal de la ville.