Introduction

1Alors que l’urbanisme a été pensé par et pour la ville (Choay, 1965) et qu’il s’applique de manière indifférenciée sur l’ensemble du territoire, la question de son déploiement dans les espaces ruraux invite à explorer les manières dont il s’adapte et se reconfigure dans ces contextes territoriaux spécifiques. Les travaux sur l’urbanisme rural, portant de manière dominante sur les démarches de planification (Bombenger, 2011 ; Le Bivic, 2020) et de gestion foncière face aux dynamiques d’artificialisation (Melot et al., 2018 ; Schmitt et al., 2018), révèlent des systèmes d’acteurs marqués d’une part par une forte proximité géographique et sociale entre élus et habitants (Bombenger, 2011) et, d’autre part, par la prégnance des conflits d’usages dans la gestion des sols. Ils montrent également le caractère limité de l’ingénierie territoriale dans ces communes, accentué par le retrait de l’État local (Bombenger, 2011), leurs contraintes financières et leurs difficultés dans la gestion des conflits de l’usage des sols.

2Cependant, si la littérature sur l’urbanisme rural documente l’élaboration de projets de territoires et des documents de planification ainsi que la transformation des espaces agricoles ou naturels en espaces à vocation résidentielle ou d’activités, elle laisse souvent de côté un pan croissant de l’action dans ces espaces, celle de la revitalisation sur les centres-bourgs et les projets d’aménagement. La revitalisation constitue une priorité politique de plus en plus affirmée dans les politiques nationales comme en témoigne le lancement en 2014 de l’appel à manifestation d’intérêt « Centres-bourgs » concernant 54 communes puis, en 2020, celui du programme national « Petites Villes de Demain » à destination de plus de 1 627 communes. Certes, ces programmes ne ciblent pas exclusivement des communes rurales, mais un quart des communes de l’AMI Centres-Bourgs et un tiers de celles lauréates du programme Petites Villes de Demain comptent moins de 2 000 habitants dans leur agglomération principale, les inscrivant donc dans la définition statistique usuelle de l’espace rural. Ces programmes ont été pensés en réponse à l’augmentation de la vacance résidentielle, au déclin commercial et à la fragilisation des services au sein de ces communes. Ils portent des actions d’amélioration de l’habitat existant, de requalification de friches urbaines, de développement commercial et serviciel et de repositionnement des centres dans l’armature territoriale. Ces enjeux s’éloignent nettement de ceux traditionnellement étudiés lorsque sont examinées les formes d’action d’aménagement et d’urbanisme dans les espaces ruraux.

3Ainsi, cet article a pour objectif d’aller au-delà des démarches de projet de territoire ou d’élaboration de documents de planification mieux documentées. Il vise à analyser de quelle manière des communes inscrites dans l’espace rural élaborent et réalisent des projets de revitalisation des centres-bourgs alors qu’elles disposent de moyens techniques et financiers plus limités, sont marquées par une forte proximité sociale et géographique entre élus et habitants et sont confrontées à des instruments pensés pour d’autres territoires. Ainsi, dans quelle mesure le contexte d’intervention rural recompose l’activité de projet en urbanisme ? Dans la lignée des travaux de Nadia Arab (2018), nous entendons par activité de projet en urbanisme, l’activité intentionnelle, collective, indéterminée de définition et de concrétisation de transformation matérielle d’espaces et de leurs usages. Ces caractéristiques transcendent la diversité des situations de projet observées à l’échelle nationale et internationale. Cependant, selon N. Arab (2018), « les contextes d’intervention […] pèsent de façon différenciée sur la définition des choix de transformation de l’espace comme sur leurs conditions de faisabilité. Ils participent du système de ressources et de contraintes qui influence la relation entre « définir » et « faire advenir ». Le poids de ce paramètre lui donne une grande importance dans la façon d’envisager l’organisation et le pilotage de l’activité de projet. »

4Pour étudier cette question, nous nous intéressons aux actions de revitalisation des centres-bourgs menées par l’atelier d’urbanisme rural en Livradois-Forez. Ce Parc Naturel Régional a été créé en 1986 dans un objectif de lutte contre « la déprise sociale, économique et démographique » du territoire (Parc Naturel Régional Livradois-Forez, 2011, p. 8) et couvre désormais 176 communes à cheval sur trois départements : la Haute-Loire, la Loire et le Puy-de-Dôme. Plus généralement, le territoire est structuré par la vallée de la Dore au sein de laquelle passe la voie principale de desserte du territoire et s’égrène un chapelet de villages industriels comme Vertolaye où est implantée une usine de Sanofi-Aventis employant 780 personnes. De part et d’autre de la vallée se trouvent les Monts du Livradois et les Monts du Forez dont les altitudes s’échelonnent entre 1 000 et 1 600 mètres. Au sein de cette vallée et sur les versants des massifs se trouvent les centres-bourgs les plus peuplés du territoire, comme Arlanc et Cunlhat, dont la population oscille entre 1 950 et 750 habitants.

5Du point de vue des dynamiques démographiques, le Livradois-Forez est un territoire marqué par une déprise de longue durée ; depuis 1876, il a perdu 54 % de sa population. Depuis 1990, le solde migratoire est certes de nouveau positif, mais le solde naturel reste négatif et continue de se creuser sous les effets du vieillissement de la population. Par ailleurs, ce déclin démographique a des effets déstabilisants sur le marché immobilier, notamment dans un contexte de production soutenue. Alors que le nombre total de logements s’est accru de 30 % à 50 % depuis 1968 et de 15 % à 20 % depuis 1990, le taux de vacance augmente fortement, particulièrement dans les communes de bourgs atteignant 17 % à Ambert, 21 % à Arlanc et 16 % à Cunlhat en 2019 selon l’Insee. C’est dans ce cadre qu’en 2011 est adoptée la nouvelle charte du Parc Naturel Régional (PNR) qui place au cœur de son projet le développement d’un « urbanisme frugal en énergie et en espace » (PNR LF, 2011). Émerge ainsi la question de la revitalisation des centres-bourgs.

6Nous nous appuyons sur une enquête menée depuis janvier 2020 dans le cadre du programme POPSU-Territoires. Elle se compose d’une analyse documentaire des huit projets de revitalisation des centres-bourgs menés depuis 2011 sur ce territoire (cahiers des charges, rendus, contrats, financements, etc.) et particulièrement centrée sur les trois bourgs (Olliergues, Cunlhat et Ambert). Dix-sept entretiens semi-directifs ont été menés auprès d’élus (4), de techniciens d’une commune (1), de l’intercommunalité (1), du Parc (2), de l’État (3), des bailleurs sociaux (2) et de l’Établissement Public Foncier (1) et d’équipes de maîtrise d’œuvre (3). Les grilles d’entretiens ont été structurées de la même manière pour tous les acteurs et ont traité deux thèmes principaux : l’enjeu et les actions de revitalisation.

7Notre propos s’articule en deux parties. La première expose le besoin formulé par les acteurs locaux, d’inventer de nouvelles méthodes de projet afin de conduire la revitalisation de leurs centres-bourgs (1.) tandis que la seconde partie analyse la structuration du système d’acteurs, en montrant la singularité de l’activité de maîtrise d’ouvrage urbaine en contexte d’intervention rurale (2.).

1. L’invention d’une démarche de revitalisation des centres-bourgs

8Au cours de cette première partie, nous montrons que, dans des contextes ruraux marqués par une faiblesse de l’ingénierie (1.1.), les acteurs ont cherché à inventer une méthodologie d’action dans une perspective de revitalisation des centres-bourgs (1.2.), ce qui a permis de stabiliser une double logique d’intervention (1.3.).

1.1. Revitaliser dans le Livradois-Forez, une démarche complexe et nouvelle

9Au lancement de la réflexion, en 2011, suite à l’élaboration de sa charte mettant au cœur de son projet le maintien et l’accueil de nouvelles populations ainsi que la promotion d’un urbanisme frugal, le Parc Naturel Régional est en difficulté pour engager un processus de revitalisation des centres-bourgs. Plusieurs fragilités sont mises en évidence. Premièrement, les élus valorisent encore fortement un développement périphérique pour permettre l’accueil de nouvelles populations, soit sous la forme de petits lotissements soit via l’ouverture à l’urbanisation de petites parcelles dans les hameaux et en franges des centres-bourgs. Deuxièmement, si le problème du devenir des centres-bourgs est posé et reconnu dans la charte, les élus apparaissaient comme dépassés par la complexité de la démarche. Comme en témoignent ces deux citations, cette difficulté tient tant à la faiblesse de l’ingénierie territoriale, aux démarches spécifiques liées à une intervention sur du bâti existant qu’aux difficultés, pour les élus, de se positionner face aux propriétaires privés. On retrouve des éléments de fragilités de l’urbanisme rural documenté par la littérature sur le sujet (Bombenger, 2011 ; Le Bivic, 2020).

« Nous, on poussait les élus à travailler sur l’aménagement du territoire, mais ils étaient vraiment démunis. En termes d’ingénierie, on est vraiment sur de toutes petites collectivités, la plus grosse c’est Thiers à peine plus de 10 000 habitants, après on a Ambert autour de 5 000, au-delà on tombe sur quelques communes à mille, mais la strate après c’est vraiment 200 habitants, etc. Et même si les communes ont plusieurs milliers d’habitants, elles ne sont pas structurées en termes d’ingénierie pour pouvoir travailler sur « l’ampleur », on va dire, du champ de l’aménagement. Donc voilà, les services de l’État s’en allaient. Y avait pas forcément d’acteurs qui étaient en face […]. Et puis aussi, on se retrouvait avec ces centres-villes qui commençaient vraiment à perdre leur âme, en termes de prédominance de la vacance sur le logement et puis sur le commerce. Donc tout ça, ok, les élus : « oui, oui très bien sur ces questions-là, mais concrètement : comment on fait, et comment on peut être accompagnés ? ».
Entretien, Technicien.ne, Parc Naturel Régional, janvier 2020

« Lors de l’élaboration de la charte en 2012, c’était déjà les questions des élus de dire, à un moment donné, comment on peut agir sur du bâti privé qui est vacant ? C’est pas évident. L’aménagement au sens large déjà, réaménager sa commune, travailler sur les équipements, la qualité des espaces publics, proposer des nouveaux secteurs d’habitat, ce n’est déjà pas évident… mais alors vraiment, la question d’agir sur du bâti privé vacant, ça, c’était vraiment très complexe à appréhender. Et donc c’est pour ça que les élus sont venus titiller le Parc, en disant « c’est quelque chose qui nous dépasse ». Parce que parfois aussi il y a la proximité avec les élus des propriétaires, qui fait que c’est compliqué d’être dans une relation d’hyper proximité. »
Entretien, Technicien.ne, Parc Naturel Régional, mars 2020

10Cette difficulté est d’autant plus forte que la revitalisation des tissus urbains est comprise comme une activité de réactivation et restructuration d’un immobilier existant qu’il s’agit soit de transformer vers d’autres usages, soit de démolir dans l’objectif d’offrir de nouvelles qualités aux espaces urbains. Particulièrement complexe, cette démarche est largement conduite dans des contextes urbains, mais peu dans les espaces ruraux. En effet, des expériences de réhabilitation et de restructuration du bâti existant ont été menées dans de nombreux quartiers anciens des villes françaises à l’échelle nationale dès les années 1980 (Bourdin, 1984 ; Tomas, 1985 ; Miot, 2012). En revanche, dans les espaces ruraux, les interventions lourdes, relevant de l’aménagement, sont peu nombreuses et, en 2011, au moment du lancement des réflexions locales, aucun programme national dédié ni aucune aide à l’ingénierie spécifique n’existaient : il faudra attendre l’AMI centre-bourg de 2014. Enfin, la complexité d’une telle intervention tient à sa transversalité : jusqu’à quatre champs de politiques publiques différents peuvent être mobilisés : champs des politiques culturelles pour les questions patrimoniales, des politiques de santé pour ce qui relève de la lutte contre l’insalubrité, des politiques du logement pour les dispositifs d’amélioration de l’habitat et de l’aménagement lorsque des opérations de recomposition foncière doivent être conduites. Ces principaux instruments se déploient de manière imbriquée en fonction du degré de dégradation du bâti (Miot, 2012).

11Pour autant, malgré ces difficultés, l’engagement dans la revitalisation est facilité par le développement, dès le milieu des années 2000 d’une expertise sur le projet architectural en milieu rural au sein des écoles d’architecture de Clermont-Ferrand, de Saint-Étienne et de Grenoble. En outre, on constate la présence de membres du Parc dans les fondateurs du réseau « Espace rural et projet spatial », groupe de recherche en architecture hébergé par l’école d’architecture de Saint-Étienne depuis 2009 et regroupant six écoles d’architecture, dont les quatre écoles régionales, la fédération des PNR, l’école du paysage de Blois et dont l’objet est de réfléchir à la place et aux rôles des pratiques architecturales dans l’adaptation des espaces ruraux aux mutations contemporaines. Dans cette perspective, le PNR du Livradois-Forez forme un des terrains de réflexion du réseau (Guillot, 2009 ; Lardon et Pernet, 2016). Ainsi, au moment de la genèse de la démarche, les acteurs locaux disposaient de ressources expertes à mobiliser.

1.2. « Habiter Autrement les Centres-Bourgs » : une phase expérimentale pour mettre à l’agenda la question et poser de premiers jalons méthodologiques

12Afin d’engager la démarche de revitalisation, le PNR, poussé par ses élus, sollicite le Conseil départemental du Puy-de-Dôme en 2011 pour répondre à un appel à projets du Comité de Massif focalisé sur l’attractivité et l’accueil de nouvelles populations. La candidature propose de développer une démarche expérimentale de projet en faveur du renouvellement de l’habitat des centres-bourgs, îlot par îlot ou par groupes d’îlots. Elle repose sur un postulat : face aux formes urbaines des centres-bourgs du Livradois-Forez désormais inadaptées aux besoins de la population, il faut proposer une diversification de l’offre d’habitat, entendu comme le logement, les activités, les services et les espaces publics, afin de maintenir et d’accueillir de nouvelles populations. L’enjeu principal de la démarche réside dans le développement d’une méthode transposable de revitalisation des centres-bourgs. Il s’agit d’identifier les freins socio-culturels, patrimoniaux, juridiques et financiers et de faire émerger des solutions innovantes.

13Une fois la proposition du Parc et du Conseil départemental retenue, un appel à candidatures auprès des communes a été lancé. Puis le projet a été mis en œuvre dans six communes : Chateldon, La Monnerie-le-Montel, Courpière, Cunlhat, Saint-Germain-l’Herm et Saint-Dier-d’Auvergne. Les six communes correspondent à une diversité de situations territoriales représentatives du territoire : petits bourgs et bourgs structurants de montagne ou de vallée.

14Après la sélection des communes, un cahier des charges a été élaboré en vue de sélectionner des équipes de professionnels. Ce cahier des charges est structuré autour d’un socle partagé et d’une partie spécifique présentant chaque collectivité. La partie commune rappelle le constat général posé par le Parc : une dévitalisation et une dégradation des centres-bourgs expliquée par une inadaptation des formes d’habitat et une demande nouvelle s’orientant vers la périphérie. Ensuite, des parties spécifiques à chaque commune ont été produites avec d’une part des éléments de présentation du territoire (projets, démographie, périmètre, etc.), d’autre part, une spécification des enjeux formulés par une suite de questions et des objectifs détaillés à la fois à visées prospective, méthodologique et pré-opérationnelle. Les objectifs prospectifs et méthodologiques sont au centre de l’enjeu de reproductibilité de la démarche vers d’autres communes (fig.1).

15À la suite des études, un travail de capitalisation a été organisé sous l’égide du Parc Naturel Régional via des comités techniques et politiques réunissant les différents acteurs partenaires en jeu, c’est-à-dire le Parc, les communes, le Département, les équipes de maîtrise d’œuvre, mais aussi l’État local, le Comité de Massif, le CAUE et l’EPF. Formalisés dans des cahiers techniques, les résultats mettent en évidence les points de convergence de ces acteurs, concernant soit des méthodes de conduite des études, soit des principes d’action (PNR LF). Quatre dimensions ont particulièrement marqué les acteurs.

16En premier lieu, ils pointent l’importance de la participation et de la préfiguration des études de revitalisation. Ils valorisent également la déconstruction inscrite dans un projet à l’échelle de l’îlot. Dans la plupart des cas, la déconstruction doit permettre d’adapter les logements aux modes de vie actuels par la création d’extérieurs en pied de bâtis (Chateldon), par la réorganisation des façades et des adressages permettant de créer des façades plus calmes et plus lumineuses que celles s’ouvrant sur la rue (Saint-Dier-d’Auvergne). Elle vise l’amélioration des espaces publics ainsi que la valorisation du patrimoine existant par la création de vues et d’espaces mettant en évidence un bâtiment exceptionnel (Courpière) ou la sécurisation par la suppression d’immeubles menaçant ruines (Cunlhat). Elle doit également permettre la création d’une nouvelle offre de logements ou de services répondant aux besoins (Saint-Germain l’Herm et La Monnerie-le-Montel). En troisième lieu, la capitalisation insiste sur les stratégies foncières à développer, allant des méthodologies de production de connaissance sur le foncier, des formes de remembrement à conduire pour améliorer le cadre de vie jusqu’aux logiques d’acquisition foncière à mettre en œuvre. Enfin, les acteurs valorisent la production de nouvelles formes architecturales permettant de répondre aux besoins contemporains : amélioration de la luminosité des logements, création d’extérieurs, intégration des stationnements, etc.

17Au-delà de ces acquis méthodologiques, l’enquête conduite dix ans après l’expérimentation a également révélé que cette première période a favorisé une mise à l’agenda (Hassenteufel, 2010) du problème des centres-bourgs entre les différents acteurs du territoire (fig. 2). Il nous est apparu que le réseau d’acteurs ayant participé à la phase expérimentale (État, CAUE, Département, Parc, communes, EPF, équipes de maîtrise d’œuvre, etc.) présente une vision commune du problème des centres-bourgs ; il est décrit dans des termes très proches de ceux portés dans la candidature, à savoir une inadaptation de l’offre de logements des centres-bourgs aux demandes actuelles du fait d’une trop forte densité, d’une absence d’espaces extérieurs et de stationnements et d’une difficile mutation de ce parc en raison de ses coûts de réhabilitation. Ainsi, cette offre serait concurrencée par des logements périphériques, présents dans les hameaux ou en extension urbaine. Cette construction d’une vision commune et d’un changement d’imaginaire du centre-bourg sont très clairement illustrés dans un des rendus des études : la « Glace à la fourme », produit par le collectif, ETC. Ce court film de fiction met en scène l’arrivée d’un néo-rural, M. Martin souhaitant s’installer dans la région. Grâce à une mise en scène savamment orchestrée par l’ensemble des habitants, il finit par se laisser convaincre d’acquérir plutôt la grange de Monsieur Maurice, en plein cœur du centre-bourg, qu’une ferme située en hameau.

18À cette vision convergente des problèmes se couple une manière commune d’y répondre par des actions de démolition et de réhabilitation permettant de mener de petits projets d’aménagements à l’échelle de l’îlot et une stimulation de l’initiative privée.

19En somme, la phase d’expérimentation de revitalisation des centres-bourgs est déterminante et structurante dans la manière d’approcher la problématique de la revitalisation. Le processus d’expérimentation et l’effort de capitalisation menés entre les acteurs participants et partenaires ont à la fois fait converger une vision commune des problèmes et fait naître de premiers acquis méthodologiques tant sur le processus de revitalisation que sur les études en elles-mêmes. Ils ont permis de lever certaines conditions de faisabilité des démarches de revitalisation en construisant à la fois le problème et le répertoire de solutions à envisager.

1.3. La stabilisation d’une double logique d’action : développer des projets de restructuration d’îlots et susciter l’initiative privée

20À la suite de cette phase expérimentale, depuis 2013, sept études et projets d’aménagement ont été conduits à l’échelle du Parc Naturel Régional. Ils se déploient selon deux logiques d’intervention différentes, le plus souvent articulées : une action à l’échelle d’un îlot et une démarche diffuse de stimulation de l’initiative privée. Jusque l’intégration récente de trois communes dans des dispositifs nationaux, les actions menées s’éloignaient des instruments classiques de la revitalisation des tissus urbains existants ; elles s’effectuent le plus souvent hors procédure d’aménagement et hors dispositif coercitif ou incitatif. Ce n’est que dans la perspective du programme Petites Villes de Demain qu’une OPAH-RU a été développée sur le territoire et a été lancée fin 2020.

21Deux opérations publiques de requalification d’îlot constituent, selon les acteurs, des pratiques témoins : les opérations Gouttefangeas à Olliergues et Henri IV à Ambert. Issues de la deuxième phase de la revitalisation suivant celle de l’expérimentation, elles apparaissent exemplaires, car elles dépassent l’opération immobilière pour passer à une requalification globale d’un îlot, articulent une programmation mixte (commerces et logements), promeuvent la déconstruction, soit ponctuelle (Ambert), soit lourde (Olliergues) et offrent des possibilités de requalification d’espaces publics (halle couverte et jardin ouvert sur la Dore à Olliergues, reprise de la placette devant le commerce et ouverture sur le square Chabrier à Ambert).

22En cela, elles correspondent pleinement aux principes de revitalisation retenus à la suite de la démarche expérimentale. En outre, toutes deux s’inscrivent soit directement, soit indirectement dans la continuité des études stratégiques de revitalisation des centres-bourgs. Enfin, elles présentent une réelle complexité opérationnelle malgré leur taille restreinte (moins de 2000 m² pour chacune d’elles). En effet, toutes deux ont impliqué une maîtrise foncière publique et une intervention de l’EPF d’Auvergne sous la forme d’une convention d’ensemble. Toutes deux ont nécessité un montage immobilier, associant les compétences d’une grande partie des acteurs publics du territoire ainsi qu’un soutien financier public exceptionnel et multiple (fig. 3). Leur développement repose sur une maîtrise foncière soit préalable des collectivités locales soit d’une acquisition amiable, évitant la prise d’une déclaration d’utilité publique d’aménagement.

23Aux côtés de ces interventions publiques à l’échelle de l’îlot se mènent des actions d’accompagnement et de stimulation de projets privés. Cette seconde modalité est une des méthodes valorisées par l’expérimentation “Habiter Autrement les Centres-Bourgs”. Pour les acteurs locaux, il s’agit de susciter un effet d’entraînement à partir de l’opération exemplaire. Le cas d’Olliergues permet d’illustrer cette logique. Alors que l’opération de restructuration de l’îlot a permis de créer un nouvel espace public et de requalifier ceux situés entre la place de la mairie et le projet, le maire, en tant que pilote du projet, fait en sorte que les nouvelles installations commerciales viennent prendre place dans les rez-de-chaussée vacants situés en face de l’opération et que les propriétaires engagent des travaux de réhabilitation. Depuis 2019, se sont localisés un coiffeur, un institut de beauté tandis que l’agence bancaire a réhabilité ses locaux.

24Dans d’autres communes, cette logique d’intervention devient le cœur de l’action de revitalisation. Ainsi, la municipalité de Cunlhat s’est engagée dans une politique de baisse des prix immobiliers pour rendre accessibles les biens et permettre aux particuliers de se saisir de la problématique.

« Je pense que le plus important au niveau du public, de la collectivité, c’est de diminuer au maximum le coût. Donc nous on avait deux maisons qui appartenaient à la commune, on les a vendues à perte, pour montrer que ça sert à rien de vouloir vendre quelque chose de beaucoup trop cher […]. Et le fait de casser un peu ces prix, pas mal de propriétaires se sont aperçus que s’ils voulaient vendre, il fallait qu’ils baissent un peu les prix, ça a créé un peu une dynamique et ça a permis de revendre à certains endroits. »
Entretien, maire de Cunlhat, janvier 2020

25Par ailleurs, des collectifs, notamment issus du monde de l’architecture et de l’urbanisme et ayant participé aux études du programme “Habiter Autrement les Centres-Bourgs” se sont créés et ont saisi l’opportunité d’un immobilier accessible pour devenir des résidents plus pérennes du territoire. Portant des projets privés, ils démontrent l’existence de nouveaux besoins et la possibilité de nouvelles formes d’habitat en centres-bourgs. Ils se sont particulièrement implantés dans le bourg de Cunlhat (Imhof, 2020).

26Si cette méthode est aujourd’hui relativement stabilisée à propos du volet habitat, il convient de souligner que différentes pistes de réflexion ont été engagées pour favoriser la concrétisation des projets de revitalisation sans pour autant toujours aboutir. À titre d’exemple, le Parc a entrepris en 2015 une étude avec la Caisse des Dépôts pour créer un outil d’aménagement sous la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) pour financer les projets de revitalisation et y engager des partenaires privés. De la même manière, le Parc a impulsé un ensemble d’études sur des processus de réactivation de locaux commerciaux vacants et engage actuellement un travail avec la SCIC « Villages Vivants », portant des projets d’économie sociale et solidaire dans les communes rurales.

27Ainsi, la revitalisation des centres-bourgs dans le Livradois-Forez s’est structurée à partir d’une démarche expérimentale menée entre 2011 et 2013, démarche qui a déterminé un ensemble de principes d’actions. À sa suite, de premiers projets ont été développés selon deux modalités pouvant s’articuler : une logique de stimulation de l’initiative privée et une logique de petits projets d’aménagement à l’échelle de l’îlot dans une perspective d’amélioration du cadre de vie et de développement de nouvelles formes d’habitat dans les centres-bourgs. Les démarches entreprises s’éloignent des modalités d’action que l’on retrouve habituellement dans la revitalisation des tissus urbains anciens. Les outils classiques de cette démarche y sont peu mobilisés tandis que les acteurs cherchent plutôt à déployer des projets sans procédures opérationnelles lourdes. De notre point de vue, ces caractéristiques témoignent, d’une adaptation des logiques de projets de revitalisation au contexte rural marqué par une faiblesse de l’ingénierie territoriale et des moyens financiers.

2. La structuration d’un système d’acteurs au service de la revitalisation : l’Atelier d’Urbanisme en Livradois-Forez 

28Au cours de la première partie, nous avons montré que les acteurs locaux ont adapté les logiques d’intervention de la revitalisation au contexte d’intervention rural. Au cours de cette seconde partie, nous mettons en exergue la nécessité de structurer un système d’acteurs à même de porter les projets complexes. Les acteurs locaux ont mis en place un atelier d’urbanisme qui porte les fonctions d’une maîtrise d’ouvrage urbaine (2.1.). Cependant, au regard de la singularité des acteurs y prenant part, de ses missions et de ses fonctions, nous proposons de le qualifier de maîtrise d’ouvrage rurale (2.2.).

2.1. L’Atelier d’Urbanisme en Livradois-Forez : des missions classiques d’une maîtrise d’ouvrage urbaine

29Afin de déployer, de piloter et d’assurer la concrétisation des démarches de revitalisation des centres-bourgs, un collectif d’acteurs s’est constitué, notamment à travers un Atelier d’Urbanisme en Livradois-Forez (AULF). Ce collectif porte des missions de maîtrise d’ouvrage urbaine, c’est-à-dire d’élaboration, de concrétisation et de pilotage d’un projet urbain (Frébault, 2005). Concept non juridique, différent de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, issu de la pratique professionnelle des aménageurs au tournant des années 2000 (Arab, 2004 ; Frébault, 2005), la maîtrise d’ouvrage urbaine rend compte de la complexification des missions confiées aux acteurs menant des projets d’aménagement. Les activités classiques de viabilisation et de commercialisation de droits à construire étaient largement dépassées par de nouvelles missions, telles que l’élaboration stratégique du projet de territoire et d’aménagement, le pilotage technique et politique des objectifs ainsi que le portage des fonctions de développeurs de territoire. Elles s’exercent dans un cadre collectif de coopération. Dans cette perspective, la maîtrise d’ouvrage urbaine peut se définir comme le collectif d’acteurs portant la définition et la réalisation d’un projet dans le temps et dans l’espace tant d’un point de vue stratégique que technique. Elle recouvre le plus souvent des acteurs tels qu’une ou des collectivités territoriales, des opérateurs privés, de grands propriétaires fonciers et des sociétés d’aménagement.

30L’AULF est un collectif d’acteurs, créé à l’entrée en vigueur de la nouvelle charte du Parc Naturel Régional sous l’impulsion des élus. Aux côtés du syndicat mixte du Parc, il regroupe les CAUE, les EPCI, les Directions Départementales des Territoires ainsi qu’un réseau d’acteurs mobilisé en fonction des projets ; Etablissement Public Foncier, bailleurs sociaux, les Conseils départementaux, mais aussi les partenaires techniques et politiques des communes et des EPCI souhaitant voir émerger un projet d’équipement, d’aménagement ou de revitalisation. En effet, lorsqu’il se constitue dans une perspective de projets, le périmètre de l’AULF évolue en fonction des sollicitations pour mener à bien autant de petits projets d’aménagement.

31Son fonctionnement suit plusieurs étapes récurrentes (fig. 5). Les acteurs relevant des structures d’animation et de développement territorial de l’AULF (Parc Naturel Régional et CAUE) répondent à une sollicitation politique d’une commune associée à une intercommunalité à propos d’un projet de revitalisation des centres-bourgs. Cette sollicitation est examinée de manière partenariale par l’AULF qui formalise un avis sous la forme d’une note d’enjeux. Ce document rappelle les besoins exprimés et propose une première forme de réponse à la collectivité demandeuse. Si le besoin exprimé renvoie à des objectifs de revitalisation et que les élus et les techniciens des communes donnent leur accord, le Parc Naturel Régional et le CAUE rédigent pour le compte des collectivités une première version d’un cahier des charges afin de commander une étude stratégique de revitalisation du bourg. Ce cahier des charges reprend en grande partie la trame de ceux de l’expérimentation « Habiter Autrement les Centres-Bourgs » augmentée de certains apprentissages sur le pilotage de l’étude. Sans se substituer à la maîtrise d’ouvrage juridique des collectivités locales porteuses, les acteurs animateurs de l’AULF et les collectivités organisent une analyse technique des candidatures et participent à la sélection des équipes de maîtrise d’œuvre. Si les études stratégiques ont réussi à construire un portage politique communal suffisant et qu’une dynamique habitante semble porteuse, une phase de conception de détail du projet d’aménagement s’ouvre. Dans ce cas, les acteurs de l’AULF se réunissent de nouveau afin d’engager des études de faisabilité. Effectuées à l’échelle d’un îlot apparu comme stratégique dans le projet de revitalisation, ces dernières visent à décrire un projet architectural et urbain précis, déterminant les parcelles à acquérir, leurs coûts, les risques et les contraintes techniques. Ces études de faisabilité sont souvent intégrées dans le marché de l’étude stratégique comme une phase optionnelle. Au cours de ces études sont donc réalisées une pluralité de tâches relevant de la conception : élaboration d’une vision stratégique et prospective du centre-bourg, définition d’orientations urbaines et d’une programmation, conception de formes urbaines et concertation avec les usagers.

32L’activité de l’AULF ne s’arrête pas au pilotage et à la coordination de la conception du projet d’aménagement. L’AULF continue son travail afin de lever les conditions de faisabilité du projet. Il construit les partenariats financiers permettant le montage économique du projet. Il associe les acteurs bloquants en vue de construire des compromis programmatiques, architecturaux, patrimoniaux. Il trouve les formes juridiques permettant la réalisation du projet. Il cherche les opérateurs à même de réaliser le projet, que ce soient pour assurer la maîtrise foncière ou pour acheter les droits à construire. Ici, le collectif de l’AULF travaille donc à la concrétisation du projet. En revanche, au regard de nos entretiens, il se tient plus en retrait durant les phases de chantiers qui sont pilotées par les maîtrises d’ouvrage que sont les collectivités et/ou les opérateurs.

33Ainsi, les missions réalisées par l’AULF correspondent pleinement à l’activité de projet en urbanisme décrite par N. Arab (2018). Elles recouvrent bien des missions de définition et de construction des conditions de faisabilité du projet pour permettre la concrétisation du projet d’aménagement. Elles constituent une activité collective, finalisée (la revitalisation du centre-bourg), mais indéterminée au regard d’un ensemble de risques qu’il s’agit de maîtriser (le bouclage financier, le fait de trouver un opérateur, la construction d’un compromis patrimonial) ou que l’on découvre chemin faisant (la fragilité d’une construction à réhabiliter) et produisant des artefacts matériels (des logements, un espace public, des bureaux, des commerces).

2.2. L’Atelier d’urbanisme en Livradois-Forez comme maîtrise d’ouvrage rurale

34Ainsi, l’AULF pourrait s’apparenter à une maîtrise d’ouvrage urbaine au regard des activités qu’il prend en charge. Cependant, nous souhaitons ici proposer le terme de maîtrise d’ouvrage rurale pour souligner certaines de ses spécificités qui nous semblent liées au contexte d’intervention rural.

35Premièrement, la fonction de maîtrise d’ouvrage est très largement partagée et intègre des acteurs peu usuels dans les projets urbains. En effet, les projets d’aménagement ici étudiés ne sont pas menés par des aménageurs alors que c’est majoritairement le cas dans les projets urbains mis en exergue dans la littérature (Arab, 2004 ; Frébault, 2005 ; Pinson, 2009). Formellement, la maîtrise d’ouvrage reste aux communes et aux intercommunalités sous la forme d’une régie. C’est une situation existante dans certains projets urbains, mais souvent minoritaires. Toutefois, au regard de la faiblesse de leur ingénierie, communes et intercommunalités sont en grande difficulté pour exercer pleinement cette mission. En effet, les communes ne sont souvent représentées que par leurs élus et un secrétaire de mairie ou un directeur des services techniques tandis que les intercommunalités ne réussissent à mobiliser que peu de temps de travail. Dans le cas de l’intercommunalité d’Ambert-Livradois-Forez qui a porté trois projets de revitalisation des centres-bourgs entre 2014 et 2020, cette responsabilité a reposé sur un·e seul·e chargé·e de mission habitat et urbanisme qui a également en charge les démarches de planification territoriale. Face à cette configuration singulière, la fonction de maîtrise d’ouvrage repose donc sur d’autres acteurs qui font quasiment office d’assistants à maîtrise d’ouvrage. Dans les phases de définition du projet et de montage opérationnel, ce sont les structures de conseil et d’animation du développement territorial qui sont au centre du jeu pour porter ces missions de maîtrise d’ouvrage, car elles disposent d’une ingénierie, certes limitée, mais dédiée aux questions de revitalisation. C’est particulièrement le cas du Parc Naturel Régional qui finance un poste de chef de projet « mission centres-bourgs », via les fonds européens LEADER. Le·a chef·fe de projet participe activement à la rédaction des cahiers des charges encadrant les études, prépare les instances de pilotage de l’étude et l’arrivée des équipes de maîtrise d’œuvre, lève les conditions de faisabilité de l’étude (trouver un local, préparer l’information auprès des habitants avec les communes), suit l’étude pendant son déroulé, met en lien équipes de maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage et sollicite les acteurs en fonction des besoins. Après les études stratégiques, il/elle joue un rôle similaire dans les études de faisabilité et le passage à l’opérationnel (démarchage des acteurs financeurs et des opérateurs) et suit le projet d’aménagement jusqu’à sa finalisation. Lors des phases de chantiers, ce sont les opérateurs publics et para-publics qui exercent cette fonction dans le cadre de groupement de commande. Il s’agit d’abord de l’Établissement Public Foncier qui prend en charge les procédures d’acquisition foncière, de portage foncier et de suivi des travaux de démolition. Puis, c’est l’Office Public de l’Habitat départemental qui, en tant qu’opérateur de construction des programmes de logements, réalise également les travaux d’espaces publics, aménage les logements et les locaux d’activités ayant vocation à intégrer le patrimoine des collectivités locales. Ainsi, face à la faiblesse des ingénieries techniques des communes et des intercommunalités, des formes de délégation de la fonction de maîtrise d’ouvrage s’effectuent vers des structures de conseil et d’animation territoriale dans les phases de définition et de montage des projets et vers des opérateurs publics dans les phases de construction. En cela, c’est une configuration peu habituelle des collectifs de maîtrise d’ouvrage urbaine souvent organisés autour d’un binôme collectivité locale et aménageur.

36Deuxièmement, il convient également de souligner le caractère stratégique de certaines missions, comme la participation des habitants et des usagers dans ces démarches de revitalisation. Celles-ci prennent des formes diverses selon les études de revitalisation : réalisation d’un film à Cunlhat, résidence culturelle théâtrale à Billom, permanence et production d’une maquette à Olliergues, permanence et co-conception de mobiliers urbains à Ambert et Chateldon, permanence et accompagnement de collectifs d’habitants à Sauxillanges, etc. Au-delà de formats différents, la participation induit des équipes de maîtrise d’œuvre intéressées par la démarche et créant des méthodologies ad hoc. C’est le cas notamment du collectif, ETC, connu, à l’échelle nationale, pour avoir développé des formats participatifs via la conception de mobilier urbain en palette, ou de l’équipe locale du Pari des Mutations Urbaines qui s’est formée à l’éduction populaire. La participation induit aussi des rapprochements avec d’autres acteurs, tel qu’une compagnie de théâtre menant des résidences culturelles participatives. Ces formats participatifs sont considérés comme essentiels pour trois raisons. Ils permettent de changer les représentations des habitants sur le devenir des centres-bourgs et de révéler aux élus qu’il existe une demande sociale pour l’intervention sur le centre-bourg. Elle permet également de remobiliser les propriétaires de biens vacants et d’ouvrir des scènes de négociation avec eux. C’est le cas à Olliergues où le travail participatif autour d’une maquette de grande taille a permis de construire, d’une part, l’acceptabilité sociale de la démolition ponctuelle pour créer un nouvel espace public, mais aussi une doctrine d’intervention en concentrant la restructuration uniquement sur des biens en vente, vacants et vétustes. Enfin, ces démarches participatives ont des fonctions préfiguratrices pour des actions à mener qui s’inscrivent dans une longue durée. En accompagnant les propriétaires, en construisant des collectifs d’habitants intéressés aux questions de revitalisation, en menant de petites actions améliorant des points problématiques du fonctionnement des bourgs, elles permettent de mieux gérer le temps de latence entre la fin de l’étude stratégique et la stabilisation du montage économique et opérationnel des opérations d’aménagement. Ainsi, ces démarches participatives sont considérées comme essentielles par les acteurs rencontrés. Elles semblent résoudre les difficultés liées à la proximité géographique et sociale entre élus et habitants (Bombenger, 2011 ; Le Bivic, 2020), en dépassant le poids des relations interpersonnelles dans la définition des actions foncières et de transformation de l’espace, en ouvrant à la fois l’imaginaire sur le devenir du bourg, mais aussi en donnant une légitimité aux élus pour passer à l’acte, notamment en usant de leviers coercitifs.

« La maquette, ça a été un outil qui a réussi à dynamiser les réunions publiques et chacun y allait un petit peu de son anecdote en disant « oh si on enlevait cette maison » et l’autre qui répondait « oh, mais j’habite là moi c’est ma maison, tu ne vas pas m’enlever ma maison », voilà […]. Donc après, y a eu de plus en plus de monde dans les réunions publiques et on a senti que la population était en train de s’investir dans le projet Olliergues 2030. C’est à ce moment-là qu’on a dit « on doit pouvoir lancer cette opération ». J’avais refusé de faire des Demandes d’Utilité Publique et d’exproprier les gens […]. Si par exemple on fait une étude, sur un bâtiment, le propriétaire nous dit « il n’y a pas de problème je le vends » et si finalement après l’étude, soit son bâtiment n’est plus en vente, soit le prix a tellement augmenté que… donc là, on aurait pu le faire, seulement pour ces raisons-là. Sinon, je pense que si on avait fait en force tout de suite, ça n’aurait pas été accepté de notre population et ça aurait été un petit peu plus compliqué.
Entretien, maire d’Olliergues, juin 2020

37Troisièmement, ce collectif d’acteur est marqué par sa très grande fragilité. Alors que la phase expérimentale avait pour objectif de trouver des méthodes reproductibles de revitalisation des centres-bourgs, notre enquête, après dix ans de mise en œuvre, rend compte de succès, mais aussi de difficultés importantes pour massifier l’intervention dans les centres-bourgs ruraux. Le système d’acteurs est en effet fragilisé par le retrait des opérateurs intervenant dans les phases de chantiers sous les effets des réformes nationales. Le bailleur social départemental, sous les effets de la loi ELAN et de la réduction obligatoire des loyers, a décidé de se retirer des territoires où il est exposé à un risque de vacance. Il n’a donc plus vocation à se développer sur ce territoire, d’autant que ces opérations sont petites et lointaines.

« Depuis l’application de la RLS [réduction du loyer de solidarité], nos opérations ont moins de faisabilité financière, et on a beaucoup de mal aujourd’hui à répondre aux élus qui nous appellent pour, principalement, réhabiliter des fonciers anciens de centres-bourgs, parce que personne ne les a voulus avant nous et qu’ils sont très dégradés. Donc nous on a beaucoup de mal à pouvoir les valider. Sachant que, quand on regarde le bilan des dernières opérations acquisition-amélioration, on a des coûts qui sont très très supérieurs aux opérations qu’on pourrait faire en habitat… et souvent, pour des formes habitats qui sont plutôt collectifs, sans espaces extérieurs, et qui ne répondent pas à la demande de nos locataires qui préfèrent, clairement, comme tout le monde, un pavillon avec un jardin. »
Entretien, technicien.ne, service maîtrise d’ouvrage, Office public de l’habitat départemental, mai 2020

38De même, l’Établissement Public Foncier, face à un patrimoine étendu qu’il peine à gérer et commercialiser, souhaite désormais limiter son investissement et ne veut plus intervenir si le montage économique du projet n’est pas entièrement bouclé. Pourtant son investissement préalable était considéré comme un facteur facilitant le déclenchement du projet. Enfin, le collectif d’acteurs est également mis en difficulté par les fusions des intercommunalités. Alors que jusque 2017, ces dernières étaient de petite taille, sous les effets des schémas départementaux de coopération intercommunale et des seuils démographiques redéfinis par la loi NOTRe, elles ont fusionné dans de vastes ensembles. Cela a conduit à une fragilisation du portage politique des élus, mais aussi à des remises en cause des financements et des modes d’intervention. Par exemple, l’intercommunalité d’Ambert Livradois-Forez ne crée plus d’offre de logements et a abandonné un projet de tiers-lieu et de maison de santé pluridisciplinaire dans le bourg de Cunlhat, projet lancé en 2014 et dont les travaux de déconstruction avaient déjà commencé. En outre, en tant que jeune structure, celle-ci peine à édicter ses priorités d’interventions face à un territoire hétérogène, entre vallée et montagnes, marquées par une très faible densité et où plus d’une heure de route sépare les communes situées aux extrémités.

Conclusion

39Pour conclure, cet article s’est intéressé aux logiques de projet de revitalisation dans des contextes d’intervention ruraux, illustrant clairement et à plus d’un titre leurs singularités. Les acteurs qui y interviennent sont confrontés à un ensemble de difficultés similaires à celles documentées par la littérature sur la conduite de démarche de planification : une grande faiblesse de l’ingénierie territoriale et des moyens financiers limités pour mener à bien des projets complexes. Ainsi, engager des projets de revitalisation dans un contexte rural appelle à inventer de nouvelles façons de faire, s’éloignant de celles conduites dans des espaces urbains. C’est ce qu’a entrepris le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez via une démarche d’expérimentation qui a inventé une doctrine et une méthode de revitalisation des centres-bourgs. Celle-ci se structure largement en dehors des instruments classiques de l’intervention sur les tissus urbains constitués. Ainsi, mener la revitalisation des centres-bourgs du territoire implique la constitution d’un collectif d’acteurs qui, s’il présente des caractéristiques communes avec la maîtrise d’ouvrage urbaine (Frébault, 2005), présente trois singularités qui l’en distingue. Cela tient d’abord aux conditions d’exercice de fonction de maîtrise d’ouvrage qui, dans un contexte de faiblesse de l’ingénierie territoriale, est portée par des acteurs spécifiques. D’un côté, des acteurs du développement et de l’animation territoriale viennent quasiment jouer le rôle d’assistant à maîtrise d’ouvrage dans les séquences de définition et de montage opérationnel des projets. De l’autre, des opérateurs publics et para-publics non-aménageurs (EPF, bailleurs) portent la transformation matérielle de l’espace en prenant en charge la séquence de chantiers. Ensuite, l’activité de projet est fortement caractérisée par des démarches participatives qui ont pour principales fonctions de changer l’imaginaire des habitants et des usagers des centres-bourgs, de préfigurer la transformation à venir et de crédibiliser les interventions lourdes que vont devoir conduire les élus sur un temps plus long. Cette mobilisation des habitants permet également de dépasser des logiques de proximité socio-spatiale parfois bloquantes pour enclencher une action publique de revitalisation. Toutefois, cette maîtrise d’ouvrage rurale est marquée par une très grande fragilité due aux réformes de l’État qui tendent à saper les capacités d’intervention des acteurs palliant la faiblesse de l’ingénierie territoriale. Reconstituer ce collectif d’acteurs est un enjeu constant pour permettre à d’autres projets de revitalisation de centres-bourgs d’advenir. En somme, à la différence d’auteurs appelant à la création d’un urbanisme adapté aux contextes d’intervention rurale (Boutet, 2004 ; Jousseaume, 2020), cette enquête de terrain permet de rendre compte que celui-ci s’invente déjà grâce à l’engagement de praticiens spécialisés. Pour combien de temps ? L’heure est désormais aux programmes nationaux, mais ceux-ci viennent appliquer sur ces territoires une lecture hiérarchique et descendante potentiellement divergente des logiques d’action construites jusqu’à présent. Dès lors, il convient de souligner l’importance du travail de traduction et de spécification engagé par ces professionnels qui développent et imaginent des solutions au regard des forces, des projets politiques et des structures de leurs territoires. D’autre part, il nous semble primordial d’insister sur la sensibilité de ces systèmes d’actions aux logiques de révision des politiques publiques et d’austérité.