Introduction

5Depuis ce jour, l’équipe municipale réunit un maire, ses adjoints — parmi lesquels des maires délégués pour chacune des communes historiques — et des conseillers municipaux issus de ces mêmes communes.

6Dans le cadre du programme POPSU Territoires, l’équipe de recherche « Longuenée-en-Anjou, commune nouvelle » réunit des chercheurs en géographie humaine et sociale et en droit public, ainsi que des représentantes de l’Agence d’Urbanisme de la Région Angevine. Ce texte prend appui sur le travail conduit :

• une enquête par questionnaire auprès de 116 agents municipaux de 6 communes nouvelles du Maine-et-Loire,

• une analyse de la presse régionale et des comptes rendus de décisions municipales des années 2015 et 2016 (ante et post fusion),

• des entretiens conduits en février 2020 avec les élus municipaux, en amont des élections de mars 2020,

• des entretiens menés entre fin 2020 et le premier trimestre 2021 avec 40 habitants de la commune, une dizaine d’associations et quelques entreprises (ces dernières ayant faiblement répondu en contexte de crise Covid 19),

• une table ronde organisée avec les élus et des représentants des services publics ne relevant pas de la commune (La Poste, la Gendarmerie, le SDIS, l’Inspection académique…).

• une démarche de questionnement en direction d’enfants des classes de CM1-CM2 de la commune (trois écoles).

7La fusion communale entraîne un bouleversement institutionnel et organisationnel transformant quatre communes de la couronne périurbaine d’Angers en une seule et même entité (N. Kada, 2017). Pour l’INSEE, Longuenée-en-Anjou est aujourd’hui une « commune rurale » (au sens de la grille de densité) et une unité urbaine (au regard de sa population). Elle présente donc à la fois des attributs de petite ville et des caractéristiques relevant de la ruralité périurbaine. Au regard de son organisation interne et dans ses rapports au territoire métropolitain (Communauté Urbaine Angers Loire Métropole ALM), quels sont — et comment s’y expriment — les propriétés d’une ville agrégeant quatre villages ? (partie 1). De cela découle une hypothèse : Longuenée-en-Anjou pourrait par son poids démographique de 6 312 habitants offrir une gamme de services bien supérieure à celles initiales des communes villageoises qui la composent. Or, il n’en est rien (partie 2). Enfin, il est peu probable qu’une identité à l’échelle de la commune nouvelle ait déjà émergé. D’une part, le développement d’un sentiment d’appartenance territoriale (ici communal) repose sur un processus long et progressif (A. Morel-Brochet, 2006). D’autre part, l’ancrage multilocal contemporain et l’absence de projet phare et/ou fédérateur font, pour le moment, de cette commune nouvelle une échelle administrative plus qu’un territoire de référence pour ses habitants (partie 3).

1. Dynamiques territoriales et contexte de fusion

8Longuenée-en-Anjou constitue la limite entre le Segréen (au nord-ouest du département) et la communauté urbaine d’Angers, laquelle compte 300 000 habitants et 29 communes, dont 5 communes nouvelles. Ces fusions ont eu des conséquences sur les équilibres politiques et territoriaux au sein d’ALM. Longuenée-en-Anjou est plus peuplée que certaines communes de la première couronne ; elle pointe à la dixième place avec deux représentants au conseil communautaire, mais aucun dans le Bureau exécutif.

1.1. Longuenée-en-Anjou : situation et portrait

9Du point de vue de son accessibilité, son territoire, vaste de 55 km², est desservi par l’axe Angers-Rennes (D775), plaçant Angers à 10-15 minutes en voiture. Trois communes déléguées sont reliées par la D105, au sud de la D775. Seul le bourg de Pruillé se situe au nord de cette 2x2 voies, dont le franchissement est possible depuis un rond-point aménagé entre les communes déléguées de Pruillé et La Membrolle-sur-Longuenée, mais peu sécurisé pour les vélos et piétons.

10L’évolution de la population à l’échelle de la commune nouvelle a été très forte entre 1999 et 2015 avec 1 390 habitants supplémentaires, puis ralentie depuis 2016, avec une perte de 66 habitants. Sur la période 1999-2018, la croissance démographique à Longuenée-en-Anjou a été de 1.25% par an, supérieure à celle d’ALM (0,41% par an). Le développement le plus important ces dix dernières années (2008-2018) concerne la commune déléguée de La Membrolle-sur-Longuenée. Avec 1 856 jeunes de moins de 20 ans, la commune nouvelle affiche un indice de jeunesse particulièrement élevé de 1,59 (1,29 pour ALM). Pour autant, l’analyse démographique montre un processus de vieillissement de la population, associé à la première phase de périurbanisation. Sur la période 2012-2017, la croissance est essentiellement portée par le solde naturel (0,95%), alors que le solde migratoire apparent est déficitaire (-0,32%). Cette croissance due au solde naturel s’explique par la remontée du nombre des naissances avec l’installation de jeunes ménages compensant la hausse du nombre de décès.

11Tous ces indicateurs sont caractéristiques des communes périurbaines, dont les habitants travaillent pour l’essentiel à l’extérieur de leur commune et utilisent leur véhicule personnel pour se rendre à leur lieu de travail.

12La mobilité quotidienne des 3 244 actifs de Longuenée-en-Anjou, dont 31% d’employés et 26 % de professions intermédiaires, se fait en grande partie vers Angers (45% du total des flux sortants). 61% des ménages sont équipés de deux voitures et plus (30,5% pour les ménages d’ALM). La multi-motorisation a accompagné le développement de l’habitat, l’installation de familles avec ou sans enfants et la présence de couples bi-actifs sur cette commune.

13Les communes historiques ont vu s’étendre des zones pavillonnaires. Le parc de logements y est composé à 92% de maisons individuelles. Le parc locatif social de la commune nouvelle compte 254 logements en 2019 et 337 en 2021, soit une part de logements locatifs sociaux passant de 10,3% à 13%.

14Avec trois communes déléguées de taille à peu près identique et disposées en chapelet le long de la D105, le territoire bénéficie d’une offre qualitative et équilibrée en équipements et services de proximité. La commune déléguée de Pruillé, plus petite, n’a plus de commerces locaux à l’exception d’un restaurant. Les équipements sportifs sont répartis sur les quatre communes déléguées. Pruillé, située au bord de la Mayenne, est davantage tournée vers les équipements touristiques (camping, port, guinguette). C’est à La Meignanne que l’on trouve le plus de commerces et services de proximité. À La Membrolle, quatre médecins généralistes et autres spécialistes de la santé ont leur cabinet de consultation.

15Enfin, la commune nouvelle compte cinq groupes scolaires, dont deux privés. En 2019, les effectifs sont de 699 (327 à La Membrolle-sur-Longuenée, 118 au Plessis-Macé et 254 à La Meignanne). Les élèves quittent ensuite le niveau primaire pour le secondaire vers trois collèges : deux se situant sur le territoire d’ALM avec une desserte par le prestataire Irigo et un troisième au Lion d’Angers (hors ALM) avec une desserte par le transport scolaire régional Aléop.

1.2. Entre recherche de la bonne mesure et consécration d’une coopération ancienne

16Les enjeux de création des communes nouvelles sont divers : souci d’une vision globale du territoire, simplification/rationalisation de la gestion territoriale, besoin de peser au sein d’une intercommunalité, construction défensive face à des territoires voisins en restructuration. À Longuenée-en-Anjou, les réunions préparatoires de 2015 ont abouti à l’affirmation de trois ambitions à long terme :

• Garantir une qualité de vie satisfaisante à tous les habitants

• Faire ensemble pour accroître l’efficacité de l’action publique

• Affirmer et renforcer la place et le rôle de la commune nouvelle dans l’agglomération angevine.

17Les objectifs qui ont présidé à la création de la commune nouvelle ont été d’atteindre une taille minimale pour être en mesure notamment de porter des services à la population, tout en restant « à dimension humaine » afin de ne pas perdre en proximité. La force est ici d’avoir agrégé des communes de taille relativement équivalente. On n’assiste pas de ce fait à la prédominance de l’une d’entre elles.

18Ensuite, l’équilibre de représentation des communes déléguées au sein du conseil municipal a constitué un choix précoce, tant pour des raisons d’équité que d’acceptation du processus. « Voilà, maintenant depuis 2016, on est rassemblé, mais nous avons la chance d’avoir gardé nos mairies et pour moi la commune nouvelle c’est aussi une avancée vers le futur, à savoir qu’on a beaucoup de services. Avant une secrétaire de mairie faisait tout le travail, les naissances, les décès, les permis de construire et tout. Maintenant il y a vraiment des services spécifiques comme dans les villes tout en étant à la campagne. On a l’urbanisme, on a le CCAS... c’est vraiment bien séparé. » (MG5 : Habitante, La Meignanne)

19Si le choix de mairies déléguées a été renouvelé lors des élections municipales de 2020 pour lesquelles une liste unique se présentait, il est susceptible d’être bousculé dans le futur. Demain, une liste non représentative des quatre communes pourra légalement être proposée. D’un point de vue administratif et juridique, les communes déléguées n’ont pas d’existence. Elles sont le fruit d’arbitrages locaux, mais figurent cependant comme élément de compromis dans la charte ayant présidé à la fusion, laquelle n’a pas de valeur juridique.

20C’est bien le maire de la commune nouvelle, appelé parfois « le grand maire » par les élus, en référence aux maires délégués, qui est le garant des équilibres internes et de la place des communes historiques : par ses propositions d’adjoint.e.s, par la composition de sa liste de candidature aux élections municipales. Il l’est également par les arbitrages conduits en matière d’équipements, de services et d’investissements (M. Long et al., 2020).

21D’autre part, et c’est un ferment essentiel ici, la fusion communale consacre une coopération antérieure de trois des communes historiques dans le cadre d’un syndicat intercommunal. Associées dans le cadre d’un SIVM depuis 1964 (compétences voirie, bâtiments, espaces verts), l’habitude de mutualisation s’est renforcée en 2008 avec la création de l’Espace Longuenée. Cet équipement à vocation sportive et culturelle semble constituer aujourd’hui une référence qui conforte le bien-fondé du regroupement en commune unique. Il en va de même des mutualisations d’un réseau des bibliothèques, d’un CLIC (Centre Local d'Information et de Coordination) et de multiples associations, avec le voisin Saint-Clément-de-la-Place. La convention territoriale globale a par exemple été définie en lien avec cette dernière collectivité.

22La proximité géographique entre Pruillé et La Membrolle explique le souhait de la première d’être associée à la réflexion. En revanche, Saint-Clément, avec qui il existait des liens de collaboration et des mutualisations, n’a pas souhaité rejoindre la commune nouvelle. Si au départ la réflexion intégrait 5 communes, la création n’a finalement concerné que 4 d’entre elles.

23Au registre des aspects positifs de la fusion évoqués par les habitants, il vient un renforcement du poids communal dans l’intercommunalité, une amélioration des services communaux, dont une meilleure communication municipale, mais, plus souvent, un rapprochement qui « irait de soi » entre des communes préalablement réunies dans un SIVM. « J’ai été bercé dans le mutualisme, donc de mettre en commun les moyens pour que tout le monde puisse en profiter […] On peut être trois communes séparées et avoir en commun le SIVM et de se dire on va utiliser la tondeuse, la machine en commun [...] Alors que là, on globalise complètement le fonctionnement des trois communes qui n’en font plus qu’une. […] C’est une bonne chose de vouloir alléger les coûts. Donc moi, ça m’a pas... je trouvais ça très bien. » (PM7 : Habitant, Le Plessis-Macé).

1.3. Regards habitants sur la fusion et la commune nouvelle

26Pour autant, d’autres (ou les mêmes) tempèrent, disant que cela ne les a pas choqués ou que « parfois il faut prendre des décisions qui sont contraires, mais qui sont pour le bien commun » (P4 : Habitant, Pruillé).

27Il est à souligner que le calendrier (élections municipales de 2014 et loi Pélissard de 2015, un an plus tard) n’était pas aussi propice au débat que si l’on avait été en contexte pré-électoral. La création de la commune nouvelle a de ce fait été un choix porté par les élus, mais peu discuté. Cette création s’est faite sur le fondement d’un compromis politique acté dans le cadre d’une charte de la commune nouvelle. Il ne ressort pas des enquêtes conduites, de forte opposition à l’existence de la nouvelle entité. À la question portant sur l’évolution éventuelle de leur opinion sur la fusion (avant et après qu’elle advienne), les avis défavorables augmentent légèrement (+ 4 habitants parmi 32 réponses à cette question). Très largement, les opinions restent inchangées et équilibrées. Notons toutefois que les personnes sans opinion sont au nombre de 9.

28En croisant cette question avec le degré d’implication des enquêtés dans la vie communale (participation ou administration d’associations, conseil municipal), il apparait, sans grande surprise, que les habitants les moins impliqués sont aussi ceux sans opinion marquée. A contrario, les acteurs associatifs ont un positionnement plus contrasté et les personnes ayant eu des expériences politiques locales ont un avis plus positif que les autres sur la fusion.

29Deux facteurs semblent ainsi jouer sur un positionnement plus tranché versus une indifférence à la fusion : d’une part le degré d’engagement dans la commune et d’autre part l’ancienneté d’emménagement. Il faut souligner que la très grande majorité des répondants, même lorsqu’ils émettent un avis plutôt positif ou négatif, n’étayent que rarement leur positionnement par la référence à des situations concrètes.

30Toutefois, trois enjeux semblent se dégager des opinions négatives exprimées : les soucis d’adressage (GPS, La Poste), les effets à venir découlant de la croissance de la commune (sur lesquels nous reviendrons) et les incidences sur la fiscalité locale.

31En effet, l’augmentation des impôts, conséquence négative la plus souvent citée, touche essentiellement Pruillé. Le lissage des taux d’imposition sur 12 ans contribue à Pruillé à une hausse des taxes d’habitation — avant suppression — (de 15% à 20%) et foncière (de 22% à 29% pour les propriétés bâties). Une partie de cette augmentation ne découle pas directement de la fusion communale, mais du rattachement de celle-ci, induit par la fusion, à un nouvel EPCI (Angers Loire Métropole). « De toute façon on a tout perdu du côté de la taxe foncière et de la taxe d’habitation. Heureusement que la taxe d’habitation a subi les évolutions que vous connaissez. Mais sans ça, nous, c’était uniquement Pruillé — et un petit peu la Membrolle — qui augmentaient leurs taxes alors que la Meignanne et le Plessis-Macé diminuent leurs impôts par rapport à ce qu’ils payaient en 2016. C’est ça tout le problème, c’est que Pruillé ne sert qu’à participer au remboursement de la dette que les 3 autres communes ont contracté en construisant l’Espace Longuenée, auquel nous n’allons jamais. » (P9 : Habitant, Pruillé).

32La fusion n’a pas d’effet direct et immédiat sur l’endettement de la commune nouvelle, mais cette dernière va devoir honorer les prêts contractés par les communes historiques qui composent la commune nouvelle. Ainsi l’endettement élevé de certaines communes historiques peut exercer une influence sur l’endettement actuel de la commune nouvelle et, de ce fait, sur ses marges de manœuvre dans la perspective de nouveaux investissements. Cette question de l’endettement de certaines communes historiques a été évoquée par certains élus de Longuenée-en-Anjou lors des entretiens. La fusion entraîne par ailleurs des dépenses supplémentaires liées au déploiement des services sur l’ensemble du territoire (bibliothèques, etc.), ainsi qu'à la reprise en régie d’un certain nombre de services assurés jusque-là par des associations, pour les activités périscolaires notamment.

33En appréhendant cette situation par l’analyse du changement (E. Bioteau, A. Morel-Brochet et J. Prugneau, 2021), il ressort des enquêtes auprès des habitants et associations, que si changement il y a, celui-ci porte essentiellement sur une nouvelle dénomination communale, sur la réorganisation spatiale des services municipaux et dans une bien moindre mesure sur la vie quotidienne. « Je dirais qu’il y a eu une réorganisation des services, mais nous par rapport à ce dont on a besoin c’est pas trop gênant pour nous. On peut comprendre aussi qu’il y a une forme d’optimisation. » (MG3 : Habitante, La Meignanne).

34L’accès aux services et équipements des communes voisines (inclus les projets des communes historiques ayant vu le jour après fusion, mais souvent imputés à la fusion elle-même) est apprécié : le city park (terrain de sport en accès libre), l’Espace Longuenée (salle culturelle et sportive), le futur raccordement à la fibre, l’embellissement des centres bourgs, la création du CCAS pour les communes qui en étaient dépourvues… Les éléments d’amélioration énoncés par les habitants et attribués à la fusion communale sont donc à ce stade (bientôt sept ans après fusion) limités à quelques équipements collectifs, à l’esthétisation et à la communication principalement.

35L’essentiel des enquêtés estiment que la commune n’a peu ou pas d’incidence sur leur vie quotidienne.

2. Conséquences du passage en commune nouvelle

36Si le passage en commune nouvelle a été anticipé et préparé à de nombreux égards, dont la réorganisation des services, la fusion a eu d’autres conséquences dont les communes historiques n’étaient peut-être pas tout à fait conscientes ou qu’elles avaient moins anticipées.

2.1. Obligations et effets de seuils

37Certains de ces impacts sont liés à un changement de strate qui entraîne des effets de seuil, et à ce titre, de nouvelles obligations. En effet, au-delà de 3 500 habitants, une obligation administrative apparaît avec la mise en place d’une comptabilité fonctionnelle et d’engagement. À Longuenée-en-Anjou, il a fallu recruter une personne en 2017 pour y répondre.

38La commune nouvelle compte 91 agents et dépasse ainsi le seuil de 50 agents, créant l’obligation d’un comité technique ou comité social territorial (instance qui donne un avis sur toutes les décisions relatives au changement dans les services). Composé de représentants syndicaux et d’élus, il est présidé par le maire. C’est une nouvelle culture du dialogue social qui se met en place. L’expérience après plusieurs années de mise œuvre de cette instance représentative montre que les échanges sont plutôt constructifs, appréciés des élus et des agents, qui pour certains se sont rapprochés d’un syndicat.

40Autre conséquence, disposer d’une aire d’accueil des gens du voyage pour les communes de plus de 5 000 habitants. Au-delà du coût d’aménagement, ne pas offrir d’aire d’accueil empêche toute procédure administrative d’expulsion dans des situations d’installations diffuses qui poseraient des difficultés. La commune de Longuenée-en-Anjou a déjà réfléchi à l’aménagement d’un site et est en discussion avec ALM, en charge de cette compétence.

41Qu’il s’agisse de l’offre de logements sociaux ou de localisation des aires d’accueil des gens du voyage, le PLU intercommunal d’ALM, récemment approuvé, intègre ces nouvelles obligations d’un point de vue réglementaire. L’offre nouvelle de logements à créer peut désormais se répartir au sein de la commune nouvelle sans tenir compte des communes historiques comme le prévoyait l’ancien PLUi.

2.2. De la nécessaire centralisation au maintien de services de proximité historiques

42Chaque commune déléguée au-delà des missions légales (état-civil…) a reçu une compétence avec une répartition des services par pôles techniques et administratifs. Cette spécialisation peut éloigner l’administré du service, l’habitant devant se déplacer sur l’un ou l’autre pôle. Cela permet en contrepartie de maintenir des points d’ancrage dans chaque village.

43Cette réorganisation s’est faite en lien avec les souhaits des agents et répond à un souci d’équilibre. Elle a entrainé des changements parfois importants pour ceux-ci. L’enquête réalisée auprès d’eux dans 6 communes nouvelles du Maine-et-Loire montre que pour 41% d’entre eux, le passage en commune nouvelle a changé le lieu géographique de travail. 61% ont vécu un changement organisationnel important dans leur situation de travail. Cela se traduit généralement par un changement de poste ou des tâches effectuées : une spécialisation dans un domaine, une réorganisation du ou des services et, dans une moindre mesure, par plus de déplacements.

44La création de la commune nouvelle a par ailleurs conduit à un changement d’échelle qui a permis de développer de nouveaux services (création d’un syndicat avec Avrillé pour l’informatique) et d’en étendre d’autres (bibliothèque, petite enfance...). L’extension des services à l’ensemble du territoire a notamment bénéficié à Pruillé (extension du réseau d’assistantes maternelles, entretien…) : « Moi j’ai tout de suite vu la différence au niveau des services. Pruillé avant c’était 2 salariés et demi au niveau du service technique, qui étaient censés s’occuper des voiries, la mise en état ou en place d’un certain nombre de choses en extérieur. Donc avec la commune nouvelle, ils sont tout de suite rentrés […] dans un groupe d’une vingtaine voire plus d’employés, avec plus de moyens, plus de matériel. […] On a rapidement vu qu’il y avait notamment au niveau de l’entretien, beaucoup plus d’efficacité. » (P6 : Habitant, Pruillé).

45Les administrés gagnent ainsi en services et en professionnalisation, mais perdent de fait le point d’entrée unique que représentaient les mairies d’origine.

2.3. Enjeux des services publics sur un territoire élargi

46Parmi les incidences des fusions sur les services publics au sein des territoires et les organismes qui les gèrent, trois exemples sont retenus : l’accessibilité, la carte scolaire, les pompiers.

47Cette complémentarité des équipements et services sur la commune nouvelle devient un enjeu de mobilité pour les habitants afin qu’ils puissent accéder aux services répartis sur l’ensemble de la commune. En amont des élections de mars 2020, tous les élus ont évoqué la nécessité de mieux organiser les déplacements entre les communes déléguées et faciliter leur accessibilité. Aussi, la création de liaisons cyclables a été l’un des premiers chantiers mis en œuvre par la commune nouvelle, tout comme la mise en place par le CCAS d’un transport solidaire ou l’aide au permis de conduire.

48Un autre effet concerne l’affectation des effectifs scolaires au sein de la commune. Avant la fusion, l’affectation dans les groupes scolaires des communes relevait des services de l’Éducation nationale. Avec la fusion, il revient à la commune de sectoriser les effectifs pour garder un équilibre entre les différents groupes scolaires ; l’ouverture ou fermeture de classe à l’échelle de la commune restant du ressort de l’Éducation nationale. À Longuenée-en-Anjou, les règles pour l’inscription des enfants s’appuient sur des critères géographiques et familiaux. La sectorisation peut permettre de garder une école dans une commune déléguée grâce à un transfert de moyens entre les groupes scolaires au sein de la commune nouvelle. L’Association des Maires de France rappelle que ces transferts ne doivent pas se faire sans motif majeur, au regard de leur incidence forte en termes de transport, de relations avec les familles et de postes d’enseignants (AMF49, 2021).

49Une conséquence de l’élargissement du territoire communal et de sa réorganisation est, pour les employés municipaux pompiers volontaires, un éloignement du centre de secours à plus de six minutes, les rendant indisponibles pour intervenir durant les heures ouvrables. Or, ils sont une source de garantie d’efficacité des secours auprès des citoyens pour les interventions durant les jours de la semaine. Le Contrôleur général du SDIS a prévu de travailler, avec les maires concernés, sur ce problème jugé majeur.

3. Faire lieu, faire projet, anticiper

50Une fois la période de transition et de réorganisation administrative achevée, ne faut-il pas s’interroger sur ce qu’est une commune nouvelle, sur sa chair, sur ce qui fera lien, sur qui fera qu’on ne la dira plus « nouvelle » ?

3.1. Une « campagne aux portes d’Angers »

51Si les entretiens auprès des élus font ressortir la réalité organisationnelle et technique de la commune nouvelle, ce nouveau périmètre correspond-il à un espace vécu ?

52« Quels sont les premiers mots qui vous viennent à l’esprit quand on dit Longuenée-en-Anjou ? Bah ce qui me vient à l’esprit tout de suite maintenant c’est le regroupement de communes. Après c’est que c’est la campagne aux portes d’Angers, pour moi en tout cas. Pour moi c’est aux portes de la grande ville, ça reste la campagne, on y est très bien, quoi. » (MB4 : Habitante, La Membrolle). Incontestablement, Longuenée-en-Anjou est une commune (ou plutôt, encore pour l’heure, 4 villages) périurbaine par ses mobilités et le rapport habitant à l’agglomération ; par sa morphologie peu dense aussi. Les paysages communaux sont ceux de villages, encore largement séparés par des terres agricoles. D’un bourg à l’autre, il faut environ 30 minutes à pied, 15 minutes à vélo et 5 en voiture.

53Son caractère urbain n’est pas ressenti, ni son unité socio-spatiale. « Mais voilà, pour moi, c’est des petits centres qui sont dans un gros machin, assez théorique en fait. C’est pas vraiment un lieu... ben c’est normal parce que c’est fait de plusieurs lieux, mais c’est pas une entité à identité forte. Pour moi, c’est un truc administratif, c’est pas un lieu. » (P1 : Habitant, Pruillé). L’habiter (Morel-Brochet, Ortar, 2012) est finalement peu impacté, ce qui signifie aussi que le nouveau territoire n’est pas (encore) approprié et ne constitue pas la référence territoriale locale des habitants. Si les personnes enquêtées se sentent vivre à la campagne, peu en revanche se sentent vivre à Longuenée-en-Anjou. « Moi sur le courrier, je n'arrive pas à mettre Longuenée-en-Anjou, je ne suis pas encore de Longuenée-en-Anjou. Même des fois, je cherche : « ah oui, comment ça s'appelle, ah oui Longuenée-en-Anjou ». Non, ça me parle pas Longuenée-en-Anjou, pour moi Longuenée-en-Anjou, ça n'a pas encore de sens. Je suis de la Membrolle. « Tu habites où ? » À la Membrolle » (MB1 : Habitante, La Membrolle). L’enquête auprès de classes de CM1-CM2 confirme ce qu’on perçoit chez beaucoup d’adultes. Les élèves peinent à orthographier la commune, certains hybrident celle-ci avec le nom de leur village, comme par exemple avec « La Membrolle-sur-Longuenée-en-Anjou ».

54L’étude du processus de fusion montre que l’on peut juxtaposer une réalité administrative et recréer une identité officielle sans que cela ne bouleverse fondamentalement le sentiment d’appartenance et l’identité ressentie. Les entretiens regorgent de telles illustrations. Se révèle ainsi une inversion originale entre temporalités administratives et temporalités habitantes. Alors que sont souvent fustigés les retards d’ajustement de l’administration sur l’évolution des pratiques et représentations des habitants-citoyens, ici, l’administration fait évoluer le territoire dans un laps de temps très resserré (moins d’une année…) et l’adaptation habitante à ce nouveau territoire (appropriation, pratiques, représentations…) est encore inachevée, voire à construire. Cette question temporelle est centrale.

3.2. Un territoire en quête de projet ?

55Si aujourd’hui le territoire fonctionnel est celui de la nouvelle entité, l’habitus reste infracommunal. Par exemple, certains enquêtés savent qui est le maire de Longuenée-en-Anjou, mais spontanément quand on évoque « le maire », ils pensent à leur maire délégué. Pour autant, la réélection du maire montre bien, que malgré certaines réticences, la commune nouvelle fait sens dans son action et son existence. Les problématiques temporelles évoquées rejoignent en cela des enjeux relationnels et questionnent un projet communal pouvant être le ferment d’une identification collective.

56À ce titre, la stratégie de réalisation des projets antérieurs à la fusion et d’une voie verte reliant les bourgs est une approche que nous pouvons qualifier de prudente, maintenant une relative paix sociale dans le contexte de fusion. Mais cela ne semble pas suffisant pour renforcer l'attachement au lieu « commune nouvelle ». Il semble manquer un ou des projets mobilisateurs et fédérateurs : un marché hebdomadaire (évoqué notamment par un chef de service de la commune), un évènement culturel récurrent, des réponses à des appels à projets, un service ou un équipement étendard. Autant d’exemples qui pourraient être facteurs d’identification versus de différenciation. De tels projets, de même que la figure du maire, doivent incarner le nouveau territoire et faire lieu afin que Longuenée-en-Anjou devienne l’espace vécu (A. Frémont, 1974).

3.3. Villages ou petite ville périurbaine ? Une évolution à anticiper

57Une telle fusion, pourtant de bien moindre ampleur que dans les Mauges voisines, demeure un défi pour les années à venir. Un défi pour faire lieu et communauté à travers des projets, un défi pour allier préservation d’un cadre de vie rural qui fait consensus et trajectoire d’une petite ville périurbaine en construction. « Et là, on veut faire des logements sociaux, très bien, parce qu’on est en déficit de logements sociaux sur Longuenée-en-Anjou. […] Donc là, ils veulent en faire 66, donc ça sera sans doute à étages, j’imagine, ça pourra pas être autrement. On grignote aussi beaucoup beaucoup sur les terres agricoles par rapport à ça […] Mais l’autre côté de l’eau [à Pruillé], la rive gauche [de la Mayenne], ils sont complètement esseulés ces gens-là, ils ont des problèmes de transport parce qu’on prévoit pas de transports, il faut que les parents aient obligatoirement des voitures pour déposer les enfants à l’arrêt de bus [...]. C’est préoccupant pour Pruillé » (MB6 : Habitante, La Membrolle). Cette question de l’urbanisation de la commune, avec ses effets de seuils induits, conduit certains habitants à confondre l’impact de l’entrée de Pruillé dans ALM et l’impact de la fusion elle-même.

58Toujours en lien avec le changement de taille de la commune, l’inquiétude de voir la proximité avec les élus — caractéristique appréciée de la vie dans des villages — se diluer avec le temps, revient dans les propos de six habitants. « On connaît pas les élus, il y a des gens qu'on connaîtra finalement pas et vers qui de toute façon on se tournera pas. Je suis incapable de citer d'ailleurs qui sont les élus de la Meignanne. De vue, c'est des gens que je connaissais pas du tout, alors que du Plessis, même si on est là que depuis une dizaine d'années, on connaissait quand même la majorité des gens quoi... Donc il y a un éloignement, une professionnalisation aussi […] Il peut y avoir un peu dans cette histoire une espèce de perte un peu démocratique parce que finalement le fait d'avoir une commune nouvelle, on diminue le nombre potentiel, ramené par commune, d'élus et aussi on professionnalise un peu finalement la fonction d'élu » (PM1 : Habitante, Le Plessis-Macé).

59Un autre défi concerne l’anticipation du dimensionnement des services à la population. Ces communes nouvelles, au poids plus important, intègrent le cercle des petites villes. À ce titre, elles sont soumises à de nouvelles obligations juridiques, qui nécessitent de se doter d’un projet de territoire pour mieux préparer leur avenir, anticiper leur croissance et leurs besoins en équipements et services.

60Passer de 13 à 20% de logements sociaux questionne la commune sur le nombre d’habitants à accueillir dans les quinze ans à venir, sous l’angle de la mixité sociale, de la répartition spatiale de la population, de la réorganisation des mobilités et des transports. Le type de logements, les nouvelles formes urbaines à créer, mais aussi la gestion foncière et le dimensionnement des futurs équipements nécessiteront anticipation, pédagogie et concertation avec toutes les parties prenantes (élus, services municipaux, habitants, associations, acteurs économiques, services de l’État, Département et Région…). La croissance démographique, qui découlera du rattrapage en termes de logements sociaux, ne se limitera sans doute pas à la seule offre sociale. En effet, le SCoT, approuvé en 2011, s’appuie sur une organisation multipolaire constituée du pôle centre (Angers et les communes de première couronne) et d’un réseau de polarités intermédiaires rayonnant sur un bassin de vie de proximité. Au nord-ouest, « la polarité à constituer » de La Meignanne / La Membrolle-sur-Longuenée / Le Plessis-Macé, située à mi-chemin du pôle centre et du pôle intermédiaire du Lion d’Angers voit son rôle renforcé, même s’il n’est pas certain qu’elle demeure identifiée comme telle à l’issue de la révision en cours. L’intégration de la commune de Pruillé a par ailleurs nécessité un aménagement du PLUi ; cette commune étant rattachée auparavant à une autre intercommunalité.

61Quoi qu’il en soit, les évolutions à venir nécessitent de construire une stratégie d’accueil de nouvelles populations, avec une approche prospectiviste à dix ans sur les effectifs dans les différentes écoles, avec une offre réfléchie de mobilité à l’échelle communale comme intercommunale.

62Ce cadre d’actions dépasse celui des compétences traditionnelles partagées entre la commune et l’EPCI. Les coopérations avec les territoires limitrophes peuvent être multiples et à des échelles de territoire imbriquées. Créer un service informatique mutualisé avec des communes voisines (comme c’est le cas avec Avrillé), contribuer par son agriculture à la ressource alimentaire locale ou encore produire une énergie renouvelable demain sont autant de coopérations et d’interdépendance des territoires qui ne relèvent pas que de ces deux seules échelles. S’insérer dans un système territorial fluctuant, maintenir le dynamisme de leurs centres-bourgs historiques et les services à la population seront la clé de réussite de ces petites villes périurbaines, si elles ne veulent pas se transformer en simples cités dortoirs. « Globalement on a pas beaucoup de choses à proximité, parce que le sport pour les enfants c’est soit au Lion soit à Montreuil, mais il y a très peu de choix sinon sur la commune en dehors du foot, du judo et du tennis. Donc après, il y aura peut-être des opportunités, mais pour l’instant c’est vrai qu’on a l’impression que ça reste des communes très, enfin pas dortoir, mais on est pas loin quand même » (P2 : Habitante, Pruillé).

Conclusion

63Aucun des enquêtés ne pose une adhésion semble-t-il totale ou a contrario un rejet ferme et définitif de la fusion. Les voix qui s’expriment peuvent regretter la disparition de leur commune originelle, un processus de fusion jugé parfois insuffisamment participatif, ou encore poser l’ubiquité de la fusion en elle-même, mais aucune personne n’évoque le souhait de quitter Longuenée-en-Anjou pour ces motifs. Pour autant, on ne peut conclure que Longuenée-en-Anjou fasse complètement commune.

64Là où la configuration villageoise prédominait avant fusion, où la commune originelle réunissait différents ferments d’une communauté villageoise, comme à Pruillé, les avis sont ainsi plus tranchés soit en faveur de la commune nouvelle, vue comme vecteur d’amélioration des services et gage d’une certaine modernité, soit en rejet de celle-ci : le village avant la commune. Pour les autres enquêtés, l’attachement au lieu de vie prend appui sur le logement, son environnement immédiat et la commune historique, ainsi que sur son positionnement dans un environnement élargi et sur les facilités du quotidien, confirmant l’une des hypothèses.

65Ainsi, les échelles de référence des habitants enquêtés intègrent-elles presque systématiquement la dimension métropolitaine. Les mobilités de recours aux services, de chalandise et de loisirs intègrent le quart nord-ouest de l’agglomération angevine. Nous sommes là dans une configuration périurbaine relativement classique.

66Des villages qui doivent se penser comme une ville : telle est l’affirmation qui prélude à ce texte. Le processus de la fusion, réalisé dans un laps de temps très court, est le prolongement d’une coopération qui elle s’était amorcée de longue date, mais entre trois des quatre communes composant Longuenée-en-Anjou, avec une quatrième restée en dehors de la fusion. En quelque sorte, la fusion serait une extension du SIVM, du moins sur le plan des coopérations techniques et de l’interconnaissance entre élus comme entre techniciens. Mais les autres dimensions de la fusion — appropriations habitantes notamment — sont plus lentes, moins naturelles, mais ne doivent toutefois pas être négligées si l'on veut faire territoire, validant l’autre hypothèse.

68En somme, la commune nouvelle ici abordée montre la coexistence entre une échelle administrative, connue, mais pas totalement appropriée, et une échelle villageoise appropriée, qui a une territorialité affective et qui persiste sur le plan politique au travers de la figure du maire délégué. Échelle administrative, partagée sans susciter une adhésion particulière, son existence interroge les leviers pouvant favoriser un processus de territorialisation communale à venir.

69De la même manière, et sans que cela ne prête à quelconque interprétation d’un défaut ou de difficultés à venir, il convient d’admettre que les territoires habitants ne sont pas, ou plus, les territoires administrés pour eux. Si enjeu il y a, celui-ci réside alors, tel que confirmé par les entretiens conduits à Longuenée-en-Anjou, commune nouvelle, dans le potentiel de la municipalité à porter des projets structurants à cette échelle, projets à même de susciter l’adhésion du plus grand nombre, et peu voire pas de rejet ou de sentiment de dépossession.