1D’abord, on trouve un personnage de bande dessinée, Spirou, apparu en 1938, qui a connu plusieurs « pères » successifs, et dont Emile Bravo a imaginé la « vie » dans la Belgique occupée de la Seconde Guerre mondiale. Emile Bravo, fils d’un républicain espagnol, auteur confirmé de BD, d’une grande curiosité d’esprit et d’une grande jeunesse de réflexion, a voulu ainsi répondre aux questionnements qui étaient les siens depuis l’enfance, et composer une œuvre qui réponde aussi bien à la curiosité des enfants qu’à l’intérêt des adultes.

2C’est autour de l’œuvre d’Emile Bravo que se construit donc cette exposition, qui elle-même peut se décomposer en plusieurs étapes.

Didier Pasamonik et Caroline François (dir.), Spirou dans la tourmente de la Shoah

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3D’abord, il faut comprendre la situation de la Belgique pendant la guerre, où coexistent les héros, les trop rares résistants du début, confrontés à une répression de plus en plus brutale, une population soumise, apeurée, attentiste, aux prises avec les difficultés quotidiennes de l’existence, les collaborateurs enfin, tant du côté wallon que flamand qui croient tenir le haut du pavé alors que leur pouvoir n’est fait que d’apparence.

4Une fois le contexte dévoilé, apparaît Le Journal Spirou, créé par Jean Doisy, de son vrai nom Jean-Georges Evrard, un homme aux nombreuses facettes. Car cet homme qui écrit dans un journal pour la jeunesse proche des milieux catholiques est aussi un militant communiste convaincu. Cet homme qui semble peu concerné en apparence est en fait un des fondateurs du Front de l’Indépendance et, par là même, du Comité de défense des Juifs. Mais sa grande discrétion, sa mort prématurée, n’ont pas permis de lui rendre justice comme il le méritait.

Emile Bravo. Spirou. L’espoir malgré tout

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5Le Journal Spirou est donc le fil conducteur du combat résistant de Jean Doisy. Mieux, il transforme l’association des amis de Spirou en groupe de soutien à la Résistance, et quand l’occupant refusera de lui donner du papier, il répondra en créant un théâtre de marionnettes, ou « théâtre du farfadet » qui lui permettra de maintenir le lien entre les Résistants à travers la Belgique.

6Mais, alarmé par des informations de plus en plus rapprochées et inquiétantes, Jean Doisy prend deux décisions : transformer tout d’abord le Comité de défense des Juifs pour permettre aux adultes comme aux enfants menacés de déportation de disparaître dans la clandestinité pour échapper aux rafles, et cela notamment avec l’aide de jeunes femmes comme Suzanne Moons et l’institutrice Andrée Geulen.

7En second lieu, il sera à l’origine de la mission de Victor Martin, jeune sociologue d’une trentaine d’années qui se rendra jusqu’aux abords du centre d’extermination d’Auschwitz pour connaître le sort des Juifs déportés de Belgique et qui en ramènera un rapport, permettant, en toute connaissance de cause, de cacher et de sauver trois mille enfants. L’histoire est racontée au sein de l’exposition, avec en toile de fond l’obsédante question « qui savait quoi ? »

8Et c’est là qu’intervient à nouveau Emile Bravo. L’auteur a imaginé une rencontre improbable entre le petit groom bruxellois et un couple réel de peintres, le réfugié juif allemand Félix Nussbaum et son épouse juive polonaise Fela Platek. C’est ainsi que Spirou sera confronté à la persécution antisémite, aux déportations (le couple Nussbaum-Platek sera déporté le 31 juillet 1944 vers Auschwitz, ils n’en reviendront pas). Arrêté, déporté, le personnage de Spirou ne peut aller à Auschwitz. Il saute du train et sauve deux enfants.

9Le musée allemand d’Osnabrück a prêté plusieurs œuvres pour se souvenir de Félix Nussbaum et de Fela Platek.

10Une exposition brève, mais très riche, qui incite à aller plus loin, mais aussi un catalogue, édité par les Éditions Dupuis, d’un grand intérêt, avec des interventions d’historiens comme Tal Bruttmann et Joël Kotek, et la contribution passionnante de Bertrand et Christelle Pissavy-Yvernault, fort éclairante sur la genèse de toute cette histoire

11Cette exposition n’est donc pas un point final, mais un point de départ, qui incite à apprendre sur l’histoire de la Belgique et de la Résistance belge, sur l’histoire de Spirou et des Éditions Dupuis, sur la mission de Victor Martin, sur la figure tragique des époux Nussbaum. Et bien sûr à découvrir l’œuvre remarquable d’Emile Bravo, en cinq volumes, qui vaut autant pour le fond que pour le graphisme, d’une exceptionnelle qualité.