1Entre avril et juillet 1994, plus de 800 000 personnes – selon l’ONU –, essentiellement des membres de la minorité tutsie, ont été massacrées au Rwanda dans des conditions abominables, durant un génocide orchestré par le pouvoir de la majorité hutue. Les Hutu jugés « trop faibles » durant cette phase radicale, connurent souvent le même sort, sans toutefois être ciblés pour leur appartenance ethnique. Les Hutu radicaux tuaient donc systématiquement les Tutsi et les Hutu jugés comme traitres, ce qui invalide la théorie du double génocide, encore largement répandue de nos jours. La mémoire de ce génocide est un appel de plus à l’éveil de toutes les consciences sur ce que l’être humain peut commettre de plus atroce.

2Trente années, c’est aussi le temps qu’a pris l’évaluation et enfin la reconnaissance des responsabilités de pays comme la Belgique et la France. Des prises de conscience qui ont permis un apaisement progressif des mémoires entre ces pays et le Rwanda. La Belgique porte une responsabilité dans le temps, en tant qu’ancienne puissance colonisatrice du Rwanda, et par sa volonté administratrice de vouloir distinguer les Hutu des Tutsi et des Twa. Catégoriser les humains ne mène jamais à rien de bon. Cette même Belgique garde une cicatrice douloureuse des événements de 1994 qui menèrent au meurtre de dix paracommandos. Ce n’est qu’en avril 2000 que le premier ministre belge Guy Verhofstadt, qui avait dirigé en 1998 les travaux de la commission parlementaire consacrée au Rwanda, se rendit à Kigali et demanda pardon au nom de la Belgique et des Belges. La France, qui entretenait des relations étroites avec le régime rwandais hutu, a longtemps été accusée de « complicité » par Kigali. Une commission d’historiens mise en place par le président Emmanuel Macron a conclu en 2021 à des « responsabilités lourdes et accablantes » de la France, tout en écartant la complicité. Ce rapport a permis un rapprochement inédit entre Paris et Kigali après des décennies de tensions.

3En 2024, plus de 65 % de la population rwandaise a moins de 30 ans et n’a donc pas directement vécu le génocide, faisant, plus que jamais, des enjeux de mémoire une priorité. La récolte de témoignages et d’archives se poursuit sans répit. Le travail sur les génocides antérieurs nous révèle que la mémoire a un besoin crucial de se nourrir de la parole des rescapés et des contemporains des faits. C’est dans cette optique que la Fondation Auschwitz a soutenu la publication d’un ouvrage qui met côte à côte les récits de rescapés, de témoins, d’historiens et d’autres chercheurs ou spécialistes. Cet ouvrage, qui s’intitule Rwanda 1994. Quand l’histoire s’écrit à la machette. Seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter, se veut être une approche pluridisciplinaire sur ces trois mois qui ont marqué à jamais l’année 1994 dans nos mémoires.

4Enfin, malgré ces trente années écoulées, la volonté et les attentes des rescapés ne s’expriment pas d’une voix unique. Les nombreux groupes de rescapés ne s’entendent pas forcément sur la marche à suivre pour commémorer ce génocide « entre voisins ». Nous y avions déjà consacré un dossier lors de la commémoration des vingt-cinq ans du génocide – le numéro 128 de Témoigner d’avril 2019 – qui avait pour titre Kwibuka. Comment se souvenir du génocide des Tutsi au Rwanda ? Force est de constater que, cinq ans plus tard, la réponse à cette question ne se conjugue qu’au pluriel.