1Les Einsatzgruppen responsables de ces massacres, et certains des chefs de ces escadrons – grâce au travail acharné du procureur Benjamin Ferencz (1920-1923), décédé en avril 2023 à l’âge de 103 ans – ont également été jugés à Nuremberg après la guerre. Il s’agit ici en l’occurrence du neuvième procès de Nuremberg, mené exclusivement contre les responsables des Einsatzgruppen A, B, C et D qui s’est tenu du 15 septembre 1947 au 10 avril 1948. Certains accusés du procès sortent du lot et sont mis en avant dans ce documentaire. C’est le cas d’Otto Ohlendorf (1907-1951), mari « modèle », père de cinq enfants, un intellectuel à l’allure élégante, un homme pouvant impressionner les juges par son éloquence, mais n’éprouvant aucune once de remords pour les actes horribles que lui et ses subordonnés avaient commis.

Des hommes ordinaires

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2Des hommes ordinaires se concentre surtout sur les membres de la Ordnungspolizei et, plus précisément, sur les policiers du bataillon de réserve 101 de Hambourg, une troupe qui a abattu près de 40 000 personnes et en a envoyées encore beaucoup plus par train vers le centre de mise à mort de Bełżec, ce qui en fait l’un des groupes criminels les plus performants dans le cadre des Einsatzgruppen.

3Encore un documentaire qui traite de SS fanatisés qui exterminent des civils innocents ? Certainement pas, le bataillon de réserve 101 était entièrement composé de « simples » Hambourgeois : des ouvriers, des boulangers, des bouchers et d’autres petits bourgeois, qui étaient pour la majorité trentenaires et donc trop âgés pour combattre au front et devaient avancer en deuxième ligne en étant incorporés dans un bataillon d’Orpos. Il s’agissait également de personnes qui n’avaient pour la plupart jamais manifesté de réelle sympathie pour le régime nazi, comme le démontra l’historien américain Christopher Browning, omniprésent dans le documentaire qui s’inspire directement de son œuvre phare Des Hommes ordinaires : le 101^e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne, paru en 1992. Le documentaire, à l’instar du livre, est confronté à la problématique suivante : comment des hommes ou des femmes que rien ne semble prédisposer à devenir des assassins, peuvent-ils obéir à des ordres iniques ? Le documentaire montre le cheminement des hommes du 101^e bataillon sous forme de docufiction. Après avoir occupé essentiellement des fonctions de gardiens de ghettos – comme celui de Litzmannstadt dans le Warthegau – leurs tâches devinrent directement meurtrières dès le début de l’été 1942. Au début de leur première mission – l’extermination de la population juive du village polonais de Józefów – leur supérieur Wilhelm Trapp (1889-1948) leur avait laissé le choix de s’engager ou non. Pas de « Befehl ist befehl », en d’autres termes : les hommes étaient autorisés à refuser et ne seraient pas punis pour cela. Mais seuls 12 des 500 hommes acceptèrent l’offre, et les autres partirent pour leur première fusillade, le 13 juillet 1942, abattant quelque 1 500 hommes, femmes et enfants dans les heures qui ont suivi.

4Des hommes ordinaires montre la brutalité insensée du bataillon et les limites entre le normal et le monstrueux – un des policiers a même invité sa toute nouvelle épouse à venir le voir travailler en guise de « lune de miel » – mais décrit également les conditions dans lesquelles ces hommes ordinaires ont pu commettre leurs crimes. Certains (une minorité) sont nés tueurs et sont devenus de plus en plus sadiques, mais beaucoup ont dû trouver des excuses pour se justifier. Après tout, c’était leur travail, ils avaient été choisis pour cela, on pouvait difficilement abandonner ses collègues et les laisser agir seuls. Et ne valait-il pas mieux abattre aussi les enfants qui, de toute façon, n’auraient plus de père ou de mère ? Leurs raisonnements, tirés d’interviews réalisées dans les années 1960 lors de leur procès, font à la fois bouillir et se figer le sang, car on se rend compte que peut-être, en effet, tout le monde est capable du pire confronté à certaines situations. Dans ce sens, tout en étant une leçon d’histoire, le documentaire réussit à renvoyer au spectateur sinon un questionnement, tout au moins une matière à réflexion. Dans les derniers instants du documentaire, les réalisateurs Manfred Oldenburg et Oliver Halmburger font le lien entre les actions du Battalion de réserve 101 et des massacres plus récents, comme ceux perpétrés par des soldats américains le 16 mars 1968 dans le village vietnamien de My Lai ou le génocide contre les Tutsi au Rwanda entre avril et juillet 1994. En résumé, ce documentaire ne remplace pas une lecture de l’œuvre de Browning, mais peut servir d’illustration en docufiction du livre. Pour un public « non averti », il peut amener à s’intéresser davantage à cette question historique si actuelle.