Ginette Kolinka. Adieu Birkenau

Zoom Original (jpeg, 611k)

1C’est une bande dessinée historique, une de plus, dans la veine des ouvrages d’Art Spiegelman ou d’Émile Bravo, mais ici on entend la voix d’une femme exceptionnelle, Ginette Kolinka, déportée à Auschwitz-Birkenau à l’âge de dix-neuf ans, en 1944, dans le même convoi que Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens et les enfants d’Izieu. Survivante, alors que son père et son jeune frère furent immédiatement assassinés, elle avait tu son histoire, et on découvre dans les premières pages comment son fils Richard, le futur batteur du groupe Téléphone, a longtemps cru que toutes les mamans avaient un numéro tatoué sur l’avant‑bras…

2Il fallut attendre 1996 pour qu’un assistant de Steven Spielberg demande à la filmer pour sa Fondation. Elle refusa, il insista, elle accepta. Elle pensait n’avoir aucun souvenir, et puis presque tout est revenu. Presque tout, mais il reste des vides, comme le voyage dans le convoi de déportation.

3C’est à partir de ce moment qu’elle accepta de témoigner dans des collèges et des lycées français, et d’accompagner des groupes scolaires sur les lieux de sa déportation.

4En octobre 2020, Ginette Kolinka permit à Victor Matet et à Jean-David Morvan d’accompagner un groupe en Pologne. Ce devait être son dernier voyage sur place.

5Le récit se veut sobre, mais l’écriture de Matet et Morvan, les dessins de Cesc et d’Efa mis en couleur par Sole, sont d’une terrible efficacité. Même le lecteur le plus averti, habitué aux visites des camps, aux paroles des déportés, aux récits publiés, sent par moments quelque chose se rompre dans son être, et se surprend à avoir les yeux embués de larmes. Et il n’en a pas honte.

6Des choses simples apparaissent : le récit des visites aux latrines, la saleté (dont à l’époque elle n’avait pas conscience), l’absence d’oiseaux lorsque le camp fonctionnait, le refus de jeter un morceau de pain sec en nos temps d’abondance…

7On suit le groupe à travers Birkenau. Et on écoute Ginette Kolinka tout en entrevoyant, par moments, les ombres de celles et ceux qui ne sont plus là. Des femmes dont elle savait si peu de choses, car, dit-elle, et c’est là le plus terrible, elle ne s’est liée à Birkenau « d’amitié avec personne ». Simone Veil, par exemple, ou Marceline Loridan-Ivens, des amies de prison ou de Drancy, elle les connaissait « d’avant ».

8Le livre se termine avec un ultime témoignage au Collège Beaumarchais à Paris, où Ginette Kolinka fut élève, et où les élèves, les professeurs et les membres de sa famille lui réservaient une ultime surprise.

9Quand on referme ce livre, qui devrait se trouver dans chaque bibliothèque de collège et de lycée, en France, en Belgique, et dans bien d’autres pays, on se sent « obligé ». Obligé envers cette femme dont le témoignage, en tant qu’acte de vérité et acte citoyen, n’a pas été une démarche facile. Obligé, envers la jeunesse, en devenant soi-même passeur de mémoire.

10Des sondages récents montrent l’augmentation, aux États-Unis, de l’ignorance de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Le phénomène semble plus limité en Europe, mais la disparition des derniers témoins nous oblige à sortir du simple devoir de mémoire pour faire, enfin, connaître à un public beaucoup plus large, et d’abord scolaire et universitaire, l’immense travail accompli par les historiens depuis huit décennies, et à lutter quotidiennement contre les manifestations multiformes de la haine, véhiculée par des ignares malveillants vers des publics peu informés.

11En cela, le dossier documentaire de Tal Bruttmann en fin d’album est très important. Et très bien fait.

12À lire, pour savoir, et pour lier l’émotion évidente et la connaissance nécessaire.