Présentation
Texte intégral
1En 1990, Jacques Le Goff écrit :
- 1 À l’Est, la mémoire retrouvée, Paris, La Découverte, 1990.
« Dans l’ensemble des événements qui se sont déroulés à un rythme élevé en Europe de l’Est, il y en a un qui ne fait pas les gros titres des journaux, bien qu’il se révèle être un élément clef : la révolution en marche dans l’expression de la mémoire collective. Cet élément combine un aspect important du dégel des nations et des sociétés de l’Europe de l’Est à l’une des tendances les plus importantes de la pensée historique contemporaine : le rôle de la mémoire collective et la relation entre histoire et mémoire1. »
2Cette considération est d’autant plus pertinente que, à plus de vingt ans de distance, notre attention se porte sur les « sites » comme autant d’objets d’histoire, de mémoire, mais aussi de voyages mémoriels dans la sphère européenne. À ce titre, on peut se demander quelles sont les configurations muséales actuelles présentées au public et quels changements correspondant dans les discours mémoriels les justifient. Plus encore, il serait utile de comprendre quels débats, des années 1989 à 2013, ont produit ce changement et quels en étaient les critères, les idées et les méthodes d’inspiration ou de conception. Actuellement, des controverses persistent encore et des questions demeurent non résolues, sur le plan historique ou culturel, ou sur celui des politiques de la mémoire.
3Après-guerre, les anciens combattants et les survivants ont eu pour objectif d’ériger un musée à la mémoire des victimes sous divers aspects, des ouvrages de témoins ou de documentation, des monuments sculptés dans la pierre, des films et des albums de photos, des expositions itinérantes. À quoi s’ajoute l’importance des sites mêmes où les faits furent commis (Auschwitz, Buchenwald, Dachau, Hartheim, Mauthausen, etc.). Il était nécessaire de décider de leur transformation en musée pour en garantir la pérennité. De cette façon, selon les choix faits par les associations d’anciens combattants et de survivants et par les États impliqués dans les projets, des « stratégies » ont été définies qui, tour à tour, ont conservé, restauré, modifié, voire en partie annulé l’histoire en la pliant aux nécessités mémorielles respectives de l’Est sous les régimes communistes, comme de l’Ouest avec les nouvelles démocraties, au sein d’une division du monde qui semblait insurmontable jusqu’à 1989.
4Toutefois, et c’est une réalité depuis une vingtaine d’années, les critères d’exposition et de conservation des sites ont changé parallèlement à l’évolution de la recherche historique, à l’interprétation et la reconstitution des événements passés (un des facteurs de ces changements vient du passage d’une histoire écrite par des témoins à une histoire écrite par des historiens professionnels, mais ce n’est pas le seul). Cette conscience contemporaine a également de fortes conséquences sur les méthodes d’enseignement et de transmission qui ont elles-mêmes beaucoup changé, de même on enregistre la nécessité de combiner les deux recherches historique et archéologique.
5Parmi les différentes caractéristiques revêtues par les sites mémoriels, retenons-en principalement quatre. Les sites sont devenus des lieux d’histoire pour lesquels il a été nécessaire d’effectuer une rigoureuse reconstitution historique, pour cela l’historiographie est revenue sur ce terrain comme à une source. Mais l’on a aussi affaire à des lieux de mémoire où se comparent (et se sont parfois confrontées) différentes mémoires nationales et qui, ce faisant, peuvent permettre d’étudier et de comprendre l’évolution des mémoires européennes. Il faut également considérer qu’il y a là des lieux archéologiques qui donnent accès non seulement à ce qui a eu lieu à partir de l’étude des vestiges, des ruines et des restes, mais qui renseignent aussi sur l’histoire et les modifications ultérieures apportées par le temps et les hommes. Enfin – la liste n’est pas close pour autant –, ce sont des lieux de tourisme de la mémoire et de didactique de l’histoire par lesquels (ou à travers lesquels) il est possible de transmettre un message qui a ou aura des conséquences sur la vision du futur de l’Europe (la mémoire projetée au présent et au futur).
6Avec les quelques sites choisis pour ce dossier, nous avons cherché à donner une vision exemplaire des différentes transformations mémorielles qui ont traversé l’Europe contemporaine, et du développement sur les plans respectifs de la représentation, des appareils législatif et historico-culturel des « lieux » de sauvegarde de la mémoire et des commémorations qui s’y déroulent.
7Westerbork, Malines, Buchenwald, Auschwitz, Belzec, Fossoli, Rivesaltes, le château de Hartheim, Jasenovac permettent ainsi de découvrir et de réfléchir sur le passé et le présent de l’histoire et de la mémoire, ainsi que sur leurs possibles évolutions futures. Conscient que ces phénomènes peuvent avoir des conséquences importantes sur le développement de la mémoire collective, sur les manières avec lesquelles s’est constituée la nouvelle histoire européenne et même sur la façon de vivre ensemble, avec différents héritages.
Pour citer cet article
Référence papier
Frediano Sessi, « Présentation », Témoigner. Entre histoire et mémoire, 114 | 2012, 14-15.
Référence électronique
Frediano Sessi, « Présentation », Témoigner. Entre histoire et mémoire [En ligne], 114 | 2012, mis en ligne le 16 avril 2025, consulté le 17 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/temoigner/13309 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13ri8
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