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Chroniques

Mick Jackson. Denial (Le procès du siècle)

Denial (Mick Jackson)
Jack P. Mener
p. 22-27
Traduction(s) :
Denial (Mick Jackson) [nl]

Résumés

Film. « Non, non et NON ! » aux négationnistes. Docu-fiction conçu d’après une histoire aussi vraie que renversante, Denial s’ouvre dramatiquement en 1994 à Atlanta dans l’auditoire où enseigne Deborah Lipstadt, professeur d’histoire juive auprès de la Emory University. Elle s’y fait interpeller par David Irving, historien spécialiste de l’Allemagne nazie et farouche négationniste de la Shoah qui la met au défi de prouver que les chambres à gaz aient anéanti des Juifs. Nullement démontée, elle refuse tout net la polémique. Le 5 septembre 1996, Irving l’assigne en diffamation, ainsi que les éditions Penguin Books, devant la Haute Cour de Londres pour l’avoir accusé d’être un négationniste de la Shoah dans un de ses livres. Ô satanique surprise, c’est à elle de prouver qu’il ment et que les Juifs ont bien été gazés à Auschwitz ! C’est une version tragique de l’arroseur arrosé, tournée ici de main de maître par le vétéran cinéaste britannique Mick Jackson. 110 minutes d’action judiciaire condensée pour suivre de près comment une femme d’exception sut dire NON à un négationniste pur et dur.

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Notes de la rédaction

Plus d’infos
Denial de Mick Jackson (2016)
Avec Rachel Weisz (Deborah Lipstadt), Tom Wilkinson (Richard Rampton), Timothy Spall (David Irving) e.a. – 110 minutes.

Texte intégral

Comment prouver l’évidence ?

1À bien y réfléchir, le vrai héros de cette saga historique et juridique n’est peut-être pas Deborah Lipstadt, si énergiquement incarnée ici par la talentueuse Rachel Weisz (The Constant Gardener, Youth…). Ce n’est pas non plus son brillant avocat Richard Rampton, ténor du barreau de Londres, magistralement joué par Tom Wilkinson (Shakespeare in Love, Indian Palace…). Non, le véritable héros de cette improbable empoignade légaliste entre le Bien et le Mal, c’est sans doute l’honorable juge Charles Gray qui sut statuer seul, en son âme et conscience, sur la question piège posée par l’historien négationniste David Irving (incarné avec un brio à la limite du manichéisme et de la caricature par Timothy Spall – Un thé au Sahara, toute la série des Harry Potter…) : « Prouvez-moi, répète-t-il à qui veut l’entendre, qu’il y avait à Auschwitz des chambres à gaz pour exterminer des Juifs ! »

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2Question scandaleuse dont la réponse semble d’une évidence criante pour tout un chacun… sauf pour les faussaires de l’Histoire comme David Irving qui, sans vergogne, rejettent systématiquement ou minimisent toute preuve matérielle, tout témoignage, comme insuffisamment probants et donc irrecevables en droit.

3Et pourtant, comment prouver l’évidence, comment prouver que c’est bien la terre qui tourne autour du soleil ? Eppur si muove… C’est en effet là tout le sujet et tout le sens du film.

4Après deux ans de procédure, de nombreuses auditions, des montagnes de dossiers, le déroulé des arguties de bonne et mauvaise foi, le juge Gray mis son honneur à statuer dans le respect scrupuleux du droit, sans préjugés, sans que viennent à la barre les témoins oculaires qu’étaient les déportés survivants (nous verrons comment et pourquoi), en réussissant à se tenir en équilibre sur le fil du rasoir d’un raisonnement froidement aiguisé par la haine qui animait David Irving. C’est tout à l’honneur de ce fin et grand juriste que son jugement modèle aboutit à une décision forgée en toute équité, dans la plus pure tradition de la Common Law.

5L’affaire fit grand bruit à l’époque, surtout dans le monde anglo-saxon, tant dans la presse populaire que dans les milieux juifs directement concernés.

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6L’historienne Deborah Lipstadt, en marge de ses recherches approfondies sur les camps d’extermination nazis, avait mis en cause dans son ouvrage, Denying the Holocaust : The Growing Assault on Truth and Memory, les dénégations de David Irving sur l’existence de ceux-ci. Ses diatribes à l’encontre de Lipstadt et des historiens de la Shoah en général prétendaient que les invocations de massacres de masse envers les Juifs d’Europe par le régime hitlérien étaient une pure invention destinée à recueillir des fonds au bénéfice des organisations juives et de l’État d’Israël. Estimant que l’ouvrage de Lipstadt portait atteinte à son honneur d’historien et nuisait à la vente de ses propres ouvrages, il poursuivit donc celle-ci et son éditeur Penguin Books en diffamation.

7Un moment tentée de suivre les conseils du rabbinat anglais d’éviter le scandale en s’accommodant d’un arrangement stratégique, Lipstadt décida de faire front et se fit défendre par le célèbre cabinet d’avocats conduit par Anthony Julius de Mishcon de Reya et les éditions Penguin Books prirent comme défenseur Kev Bays et Mark Bateman de Davenport Lyons.

8À noter que ce retentissant procès qui fit de David Irving une vedette, ne fut pas le seul. Il a été plusieurs fois condamné, notamment en 2006 à 3 ans de réclusion ferme par le tribunal de Vienne pour deux discours prononcés en 1989 (donc 17 ans après !) dans lesquels il prétendait qu’il n’y avait pas eu de chambres à gaz à Auschwitz, faits considérés comme crimes passibles de sanction par le droit autrichien (Libération, 21 février 2006).

9Disons déjà qu’à l’issue du procès que reconstitue le film Denial, titre traduit en français « Le procès du siècle » (qualification aussi racoleuse qu’erronée, car s’il y eut un procès du siècle en la matière, ce fut bien le procès de Nuremberg de 1945-46 intenté par les puissances alliées contre 24 des principaux responsables du Troisième Reich), Irving fut débouté par le tribunal londonien de ses accusations en diffamation contre Lipstadt dont les assertions furent reconnues vraies et dès lors non diffamatoires.

10L’intérêt du film Denial et de son scénario, confié au maître du genre David Hare (Licking Hitler, The Hours…), est d’avoir suivi avec fidélité et dans sa chronologie la bataille judiciaire dans laquelle Deborah Lipstadt fut entraînée presque malgré elle. Sa réalisation par Mick Jackson est traitée sur le mode conventionnel des films de prétoire chers au cinéma anglo-saxon tout en évitant la tentation formelle des flash-back. Mais ce choix d’un récit linéaire avec un minimum de scènes plus légères (Lipstadt faisant son jogging, les avocats savourant d’un bon vin leur victoire) favorise plutôt la bonne compréhension par le spectateur d’un affrontement juridique relativement complexe.

11Denial offre ainsi une minutieuse et vivante description de ce que fut le procès en diffamation que David Irving déclencha contre le professeur Rachel Lipstadt et constitue par là même un précieux outil pédagogique à l’attention du grand public et des générations d’étudiants pour comprendre le mécanisme pernicieux du négationnisme et se doter des moyens pour le combattre.

J’offre 1 000 dollars !

12Rappelons que le film débute habilement avec leur premier affrontement direct. Au moment même où Deborah Lipstadt enseigne à ses étudiants d’université comment contrer avec méthode les arguments de ceux qui nient ou minimisent l’existence de la Shoah, un homme l’apostrophe du haut des gradins : « Je suis ce David Irving que vous attaquez dans vos ouvrages pour vouloir démonter le mythe de cet Holocauste dont les Juifs et Israël tirent si grand profit. J’offre ici, dit-il en agitant une liasse de billets verts, 1 000 dollars à quiconque me prouvera que les Juifs ont été gazés à Auschwitz ! »

13Le professeur Lipstadt le coupe aussitôt : « Je ne débattrai pas avec vous ici, ni maintenant, ni jamais ! » et s’adressant à l’assistance : « Je peux discuter sur des opinions, pas sur des faits. L’Holocauste n’est pas une opinion, c’est un fait. Je ne discute pas avec quelqu’un qui nie les faits. » Fin de la discussion donc et de sa conférence. Ce qui n’empêchera pas Irving d’essayer à la sortie de rallier une partie de l’assistance à ses théories et de leur proposer ses ouvrages.

14Fin aussi du 1er acte ou comment clouer le bec à un interlocuteur de mauvaise foi, un fanatique ou un pervers. Les psys vous le diront : « Comment discuter avec un pervers ? Réponse : on ne discute pas. Point. » Et la formule vaut pour les négationnistes.

15Sauf qu’ici, en procédurier aguerri, David Irving trouva la parade pour reprendre le combat : attirer Lipstadt sur son terrain à lui et l’assigner en diffamation devant une cour britannique. C’est à partir de là que commence un bras de fer juridique serré, complexe et subtil qui a requis tout le savoir-faire du réalisateur Mick Jackson et de son scénariste David Hare pour capter et maintenir l’entière attention du spectateur dans les péripéties juridiques pas toujours faciles à suivre du Professeur Lipstadt entraînée de l’autre côté de l’Atlantique.

Le renversement de la preuve et autres surprises

16Revenons à sa première surprise : Lipstadt apprend de son avocat anglais (Anthony Julius, joué avec flegme et sobriété par le relativement jeune mais chevronné acteur irlandais Andrew Scott – Il faut sauver le soldat Ryan, 007 Spectre…) venu à Atlanta la conseiller sur la démarche à suivre que, contrairement au droit américain, en Angleterre c’est à elle d’apporter la preuve qu’elle ne ment pas en affirmant que David Irving est un faussaire de l’Histoire quand il prétend dans ses propos écrits et verbaux que les chambres à gaz n’ont pas existé à Auschwitz. Ce n’est pas tout. Celui qui la défendra en Haute Cour, le barrister Richard Rampton (joué avec maestria par l’imposant Tom Wilkinson) lui dévoile les conditions à respecter pour remporter le procès :

  • Qu’elle ne vienne surtout pas témoigner à la barre du tribunal (alors que David Irving lui, ferrailleur chevronné des prétoires et des médias, a décidé d’assurer lui-même sa propre défense). À Lipstadt estomaquée qui estime être compétente pour lui faire face, les avocats rétorquent : « Ce procès vous arrive à vous, mais il n’est pas à propos de vous. […] Nous ne vous protégeons pas vous, mais notre affaire. Notre stratégie est de nous centrer sur Irving et lui seul. Ce n’est pas un test de votre crédibilité mais de la sienne. Tout ce que vous aviez à dire est dans votre livre. […] Auschwitz est au centre même de l’existence de l’Holocauste, donc il est au centre même du négationnisme. […] Nous, nous savons de quoi il s’agit, mais à nous de savoir comment prouver ce que c’est. »

  • Que les survivants du camp d’extermination d’Auschwitz eux non plus ne viennent pas témoigner à la barre. Car David Irving, habile débatteur rompu à l’exercice du contre-interrogatoire, se servirait sans scrupules de leur émotivité pour les déstabiliser en ôtant toute crédibilité et validité juridique à leur témoignage.

  • Qui plus est, la défense acceptera qu’il n’y ait qu’un seul juge plutôt que trois, cela pour trancher clairement, et éviter une décision partagée qui pourrait être prise à la majorité de deux contre un. Lipstadt a beau s’indigner, ce qui importe pour les avocats et donc pour la cause, c’est d’être juridiquement efficaces afin de débouter David Irving par une décision du tribunal qui condamne sans ambiguïté le négationnisme à travers lui. Plutôt que d’offrir une tribune où viennent s’épancher des survivants de la Shoah avec le risque d’un résultat aléatoire, ses défenseurs optent pour la constitution d’un dossier froidement matériel réunissant des faits et des preuves en béton.

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17Pas de sentimentalisme, des faits, semble être le mot d’ordre de ces juristes hautement expérimentés.

18« Et si nous perdons, dit-elle, désormais il sera acceptable de dire que l’Holocauste n’a pas existé ? » C’est le risque, en effet.

19C’est dès lors pourquoi l’importante équipe de son bureau d’avocats, en considération de l’énormité de l’enjeu, va jouer serré et mettre toutes les chances du côté de Deborah Lipstadt qui n’en saisit pas immédiatement l’enjeu, notamment lorsque le barrister Rampton passera de longs moments dans le froid à arpenter minutieusement les lieux.

20Ils feront en plus saisir, pour les éplucher page par page, les nombreux mètres linéaires de la bibliothèque de David Irving où il a consigné pendant vingt ans dans son journal intime les moindres détails de sa vie. Travail de fourmis qui donnera lieu, comme on le verra, à de précieux rebondissements au cours des audiences du procès.

21Et c’est précisément sur des détails d’apparence triviale, photos et conclusions scientifiques à l’appui, que le juge de la Haute Cour sera amené à statuer.

No holes, No holocaust!

22Effectivement, toute l’argumentation de David Irving – qui par ailleurs se défend avec morgue de n’être ni antisémite ni raciste – va porter sur l’absence de preuves matérielles d’une quelconque existence de chambres à gaz mortifères sur le site du camp d’Auschwitz.

23On le sait, avant de fuir le camp d’Auschwitz-Birkenau, les troupes nazies reçurent l’ordre et mirent à exécution la destruction des preuves de leurs crimes, entre autres les bâtiments où se trouvaient les chambres à gaz dont il ne resta jusqu’à aujourd’hui que des ruines. L’argument massue de David Irving et ses acolytes négationnistes fut de prétendre que ces chambres à gaz n’exterminaient que les poux qui pullulaient dans les effets personnels des déportés et étaient susceptibles de répandre le typhus. Quant aux photos prises après la libération du camp par les troupes soviétiques elles n’apportaient apparemment pas la preuve claire et manifeste de l’existence de conduits où, par les toits, aurait été injecté le fameux gaz mortel Zyklon B (B pour Bayer…). Ce qui incita la presse à sensation présente au procès de titrer en gras à la Une des quotidiens, cette formule sinistrement lapidaire : NO HOLES, NO HOLOCAUST (Pas de trous, pas d’Holocauste).

24C’est là où les patients pas d’arpenteur qui avaient permis au barrister Rampton de mesurer sur place les distances entre chambres à gaz et baraquements, démontrèrent l’absurdité qu’il y aurait eu à faire accomplir chaque jour par les gardiens nazis d’importants et injustifiables déplacements pour transporter les guenilles des déportés soumises à une simple désinfection au gaz Zyklon B contre la vermine. En outre, l’examen minutieux des agrandissements photographiques révélant des traces d’ombres sur les toits en ruine permit de confirmer l’existence d’emplacements pour les conduites de gaz.

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25Autre péripétie du procès qui contribua à consolider les thèses de la défense : la citation devant la Cour d’extraits du journal intime de David Irving, si acharné à réfuter toute accusation d’antisémitisme et de racisme. Il y relatait qu’il chantait à Jessica, sa fillette de 9 mois, des berceuses comme : « … Je suis un bébé aryen, ni juive, ni sectaire, je n’ai pas l’intention d’épouser un singe… »

26Le barrister Rampton eut beau jeu de reprocher à Irving ; « Et c’est vous qui nous assignez pour vous avoir traité de raciste et d’extrémiste ! – Je ne suis pas raciste, s’entêta Irving. – Lisez vos propres mots ! »

27C’est cet échange qui permit à la défense d’arguer qu’Irving avait délibérément menti et trompé la Haute Cour en prétendant qu’il n’était ni antisémite ni raciste. Un autre croc-en-jambe à l’argumentaire fallacieux du négationniste et qui contribua à sa chute.

28Pour paraphraser l’amusante formule utilisée le 31 janvier 2017 par l’éditorialiste Amanda Marcotte sur le site salon.com en réaction à la déclaration de Donald Trump le Jour de la commémoration de la Shoah, si Deborah Lipstadt fut contrainte elle aussi de « danser avec le diable », ce ne fut pas sans délibérément lui marcher sur les orteils et terminer la valse par un croc-en-jambe qui mit David Irving proprement par terre et hors de combat.

29La victoire pour blanchir le professeur Deborah Lipstadt de toute accusation ne fut pourtant pas si évidente à remporter.

30Le juge Charles Gray au cours des débats, en dépit de son impassibilité, avait donné par moments l’impression qu’il était sensible à certains arguments avancés par David Irving. Était-ce par ruse tactique pour mieux débusquer la vérité ? Quoi qu’il en soit, après un long recueillement dans l’intimité de son bureau, à l’heure et à la minute annoncée, la perruque bien droite, il vint solennellement annoncer son verdict : l’innocence de Deborah Lipstadt à l’égard de tout propos diffamatoire envers Irving dans ses ouvrages.

31David Irving avait clairement perdu son défi. Il n’est toutefois pas certain que cette conclusion mit fin au juteux commerce de ses nauséabondes publications négationnistes et encore moins qu’avec sa condamnation disparaissait le dernier des négationnistes. Mais ça, c’est une autre histoire. Un éternel recommencement. NON ?

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Pour citer cet article

Référence papier

Jack P. Mener, « Mick Jackson. Denial (Le procès du siècle) »Témoigner. Entre histoire et mémoire, 125 | 2017, 22-27.

Référence électronique

Jack P. Mener, « Mick Jackson. Denial (Le procès du siècle) »Témoigner. Entre histoire et mémoire [En ligne], 125 | 2017, mis en ligne le 24 décembre 2021, consulté le 13 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/temoigner/6170 ; DOI : https://doi.org/10.4000/temoigner.6170

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Auteur

Jack P. Mener

Vice-Président de l’Union de la Presse Cinématographique Belge

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