Arnaud de la Croix. “Degrelle 1906‑1994”
Arnaud de la Croix. Degrelle 1906‑1994. Bruxelles, Racine, 2016, 232 p.
- Traduction(s) :
- Arnaud de la Croix, “Degrelle 1906‑1994” [nl]
Texte intégral
1Cette biographie retrace les années de formation de Léon Degrelle, son engagement politique qui l’amène dès 1933 à avoir des contacts avec l’Allemagne nazie, sa fondation du mouvement « Rex », son engagement dans la collaboration puis dans la Waffen-SS, sa fuite en 1945 en Espagne où il restera jusqu’à sa mort en 1994.
2Très tôt, nourri de Maurras et de Léon Daudet, admirateur de D’Annunzio et de Mussolini, Degrelle est hostile à tout ce qui ressemble au communisme. C’est ainsi qu’étudiant, en janvier 1928, il organise le vandalisme de l’exposition de Bruxelles pour le dixième anniversaire de l’Union soviétique. Ce fait d’armes entre autres l’amène à collaborer au quotidien catholique Vingtième siècle, marqué à droite, de même que Georges Rémi (Hergé) qui dirige le supplément jeunesse, Le Petit Vingtième, où en janvier 1929 commencent les aventures de Tintin. L’exposition saccagée leur aurait donné l’idée d’envoyer Tintin en Union soviétique. Mais parallèlement à son hostilité au communisme, Degrelle se penche sur la misère ouvrière, fait des reportages sur les taudis, ce qui rappelle la composante sociale ou socialisante des mouvements populistes. Son activité de journaliste et son militantisme attirent l’attention de la droite allemande : en 1933, après la prise de pouvoir par Hitler, la légation allemande à Bruxelles prend contact avec lui, il est invité à Berlin. Pourtant, si Mussolini fait l’unanimité dans la droite catholique belge, Hitler inquiète ; le soutenir serait « un suicide médiatique et politique ». Mais le journal de Degrelle publie des articles antisémites proches de la doctrine nazie : « Hitler est clairement perçu comme un rempart, peut-être déplaisant mais nécessaire [contre] la dictature communiste. »
3Dans la même période, dans l’optique d’une prise de pouvoir ou en tout cas de conquête d’influence, Degrelle veut noyauter le parti catholique. « Dans le pays, les apparitions se multiplient, en ces temps troublés […] La Vierge apparaît à Beauraing, dans la province de Namur […] Des guérisons ont lieu. Degrelle publie aussitôt des brochures consacrées aux miracles. » On chercherait en vain l’ombre d’un doute de l’auteur sur ces guérisons ou ces apparitions : ce qui est sûr, c’est que Degrelle, en bon patron de presse, voit le parti à en tirer. Malgré ces succès éditoriaux, les revues de Degrelle restent déficitaires, si bien que l’Action catholique met fin officiellement à son association avec la société d’édition Rex. Degrelle s’éloigne peu à peu du parti catholique, si bien qu’en novembre 1935 l’Église interdit aux religieux d’assister aux meetings de Rex. Désormais, Degrelle est seulement le chef de file du mouvement « Rex ».
4Populiste, il dénonce les « malversations » des politiciens, il attaque la « particratie. » En 1936, aux élections, Rex obtient 11,5 %, prenant des voix aux socialistes, aux libéraux et surtout aux catholiques. En juin 1936, éclate comme en France une grève générale : Degrelle et les rexistes appuient le mouvement, sans parvenir pour autant à rallier la classe ouvrière. En revanche, cela inquiète la classe moyenne qui voyait en lui un défenseur de ses intérêts.
5De 1936 à 1937, Rex est subventionné par Mussolini. En août 1936, Degrelle rencontre Hitler, puis en octobre 1936, Goebbels qui lui promet « du papier pour ses journaux », alors que Degrelle affirmera qu’il « n’a jamais reçu un pfennig de Hitler. » Dans la même logique, l’Allemagne finance le mouvement nationaliste flamand (VNV, Vlaams Nationaal Verbond) : on apprend avec intérêt que le VNV est issu du « frontisme », « révolte née dans les rangs des conscrits flamands lors de la Grande Guerre, lorsque la Belgique tenait seule sur le front de l’Yser, jusqu’à l’offensive alliée de 1918. » En France, mais surtout en Allemagne et en Russie, de telles révoltes ont eu des conséquences bien différentes.
6En 1940, Degrelle, soupçonné de contacts avec l’ennemi, est arrêté, baladé de prisons en camps, pour finir au camp du Vernet d’où il est libéré le 22 juillet 1940. Il va pouvoir reprendre ses activités, mais les Allemands, estimant que Rex est un mouvement minoritaire, veulent le cantonner à un rôle subalterne, en Wallonie. Degrelle cherche aussi le contact avec les autorités catholiques, qui se sont adaptées à l’Ordre Nouveau, mais ne sanctionnent pas forcément son engagement dans la collaboration, lequel culminera avec l’engagement dans la Waffen-SS, sur le front de l’Est. En décembre 1944, le tribunal militaire de Bruxelles le condamne à mort pour intelligence avec l’ennemi. Mais dès septembre, Degrelle a fui en Allemagne, et en mai 1945 il réussit à s’enfuir en Espagne, où il vivra sous de fausses identités. Plusieurs tentatives d’enlèvement échouent, ainsi que quelques (molles) demandes d’extradition.
7L’auteur donne à voir la trajectoire de son personnage, l’explique (sans l’exonérer) par l’ambition, l’opportunisme, le « mensonge par magnificence », tout en lui reconnaissant un projet politique. Il critique son manque de déontologie journalistique : c’est ainsi que Degrelle s’empare d’une esquisse d’Hergé pour en faire une affiche, malgré les protestations du dessinateur, ou achète, via la Société des gens de lettres, des articles déjà publiés, si bien que Mauriac, Gide, Maeterlinck ou Maurois « collaborent au magazine Rex » !
8De même, l’auteur ne prend pas pour argent comptant les « rodomontades » de Degrelle, il minimise notamment l’influence que celui-ci a cru avoir sur les Allemands, qui à diverses occasions se sont défiés de lui ou n’ont pas cru pouvoir l’utiliser. Mais parfois il semble le suivre. Par exemple, Degrelle est-il vraiment à l’origine de la condamnation de l’Action française par la papauté ? En 1924, étudiant en droit à Namur, répondant à une enquête des Cahiers de la jeunesse catholique, il incite ses condisciples à voter Maurras, ce qui inquiète la hiérarchie catholique, mais est-ce ce minime incident qui amènera Pie XI, deux ans plus tard (décembre 1926) à condamner la lecture de L’Action française ?
9Quelques détails historiques seraient à nuancer. Par exemple, à propos de la guerre d’Espagne, en 1937, le gouvernement belge « s’engage dans une politique de stricte neutralité, qui a le don de déplaire aux Français et dans une moindre mesure, aux Britanniques, tandis qu’elle rencontre l’approbation de l’Allemagne. » La neutralité belge ne saurait « déplaire aux Français » puisque le gouvernement de Léon Blum avait adopté une politique de non intervention, choisissant de ne pas défendre le Frente popular légitime contre les putschistes de Franco.
10Enfin, on peut regretter que l’auteur, sans dissimuler ses sources, les rejette en fin de volume, sans appel de notes ni mention précise de pages, ce qui les rend difficiles à consulter. Une présentation traditionnelle, avec notes infra-paginales, aurait permis notamment de hiérarchiser les écrits, leur provenance, et les récits plus ou moins bravaches du « héros », ou encore les propos « tenus » par Hitler, qui sont en fait rapportés par un témoin (son médecin) ou par Degrelle lui-même… Ce choix éditorial, sans doute dicté par un souci de lisibilité, nous semble nuire à la qualité proprement historienne d’un ouvrage pourtant bien informé.
Pour citer cet article
Référence papier
Anne Roche, « Arnaud de la Croix. “Degrelle 1906‑1994” », Témoigner. Entre histoire et mémoire, 125 | 2017, 148-149.
Référence électronique
Anne Roche, « Arnaud de la Croix. “Degrelle 1906‑1994” », Témoigner. Entre histoire et mémoire [En ligne], 125 | 2017, mis en ligne le 24 décembre 2021, consulté le 13 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/temoigner/6657 ; DOI : https://doi.org/10.4000/temoigner.6657
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