Navigation – Plan du site

AccueilNuméros129Site mémorielDrancy après Drancy

Site mémoriel

Drancy après Drancy

Renée Poznanski
p. 112-134

Résumé

Dès son installation dans la capitale, après la Libération, le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), fondé dans la clandestinité à Grenoble le 29 avril 1943, instaurait une Commission des camps – l’une des cinq commissions chargées de préparer les ouvrages qui documenteraient la persécution des Juifs en France. Le 22 février 1945, alors que des Français « suspects de collaboration » étaient encore internés à Drancy et des troupes américaines installées dans ses tours, le rapporteur général de la Commission, M. Ratner, appelait à rompre ce qu’il appelait « le blocus du silence » sur les persécutions antijuives en France, une œuvre qu’il estimait utile aux Juifs puisqu’elle « attirerait l’attention du monde sur la force qui voulait les détruire », mais utile aussi à la France, car elle « permettrait aux forces libres d’activer le travail d’épuration. »

Haut de page

Notes de la rédaction

Article publié précédemment dans Renée Poznanski, Denis Peschanski et Benoît Pouvreau, Drancy, un camp en France, Paris, Fayard, 2015. L’auteure l’a révisé pour cette édition.

Texte intégral

1Le 21 septembre 2012, l’institution héritière du CDJC, le Mémorial de la Shoah inaugurait, face à la cité de la Muette et en présence du Président de la République François Hollande, un musée consacré à l’histoire du camp. « La mémoire de la Shoah est bien sûr celle des Juifs qui, depuis 1945, sont des survivants et des témoins. Mais la mémoire de la Shoah, c’est aussi l’histoire et donc l’affaire de l’Europe et de la France », disait le Président Hollande ce jour‑là.

2Tout sépare ces deux époques. Que de différences en effet dans la place tenue par la Shoah dans la mémoire publique en France entre les deux dates ! L’histoire de Drancy après Drancy illustre certaines des évolutions qui les éclairent et les expliquent. Mais cette histoire se développe sur plusieurs axes. On a tendance à privilégier celui qui relève de la mémoire publique de la Shoah, dont on ne peut nier qu’elle a joué un rôle essentiel dans ces différences ; central certes, mais pas unique. Que dire de l’impact de la valeur d’un patrimoine architectural dont l’importance nous renvoie à la construction de la cité de la Muette dans les années d’avant-guerre ? Comment ne pas tenir compte des contingences politiques durant ces années où guerre froide puis post-guerre froide se sont succédé dans une banlieue qui fut « rouge » jusqu’en 2001 ? Quelle place accorder à la vocation sociale de la cité qui reprit ses droits dès 1946 ? Quelle part enfin attribuer dans cette histoire aux diverses associations qui ont vu le jour au lendemain de la Libération ou aux personnalités incontournables – comme Maurice Nilès, maire de Drancy de 1959 à 1997, Yves Jouffa, un ancien interné ou Serge Klarsfeld, militant de la mémoire ?

3Drancy après Drancy était donc polyphonique, ce qui s’exprime concrètement à travers les étapes de réhabilitation de la cité et les plaques ou monuments perpétuant la mémoire des internés et des déportés qui jalonnent aujourd’hui le site.

Mémorial

Mémorial

© Renée Poznanski

Le temps des associations, des témoignages, des pèlerinages, des statistiques et du retour de la cité à sa vocation première

4Dès la Libération, une série d’associations furent créées pour perpétuer la mémoire de tous les internés et tous les déportés. Communistes, apolitiques (réels ou prétendus) ou réunis en fonction du camp où ils avaient souffert et perdu leurs camarades, ces associations se séparaient sur bien des questions ; elles menaient souvent des actions distinctes, mais elles s’inséraient quasiment toutes dans une vision uniforme d’une déportation qui aurait frappé indistinctement ses différentes victimes. Or, à l’exception d’une vingtaine d’« Amis des Juifs », à de rares exceptions près, seuls des Juifs avaient été internés à Drancy. La création de deux associations pour perpétuer la mémoire du « camp des Juifs » s’inscrivait donc dans un double contexte : la volonté de s’inscrire dans la tradition républicaine et une conscience claire de la vocation singulière de ce camp. La Confédération générale des anciens internés victimes du racisme, Drancy, Compiègne, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, Gurs… réunissait plusieurs associations et amicales. Elle était animée par Roger Salomon, dit Jacques Darville, et Simon Wichené, des résistants et anciens internés de Drancy qui entreprirent d’emblée la rédaction d’un ouvrage sur la vie du camp et de la déportation de ses internés. Paru en 1945 et préfacé par Tristan Bernard Drancy la juive ou la Deuxième inquisition (Darville et Wichené, 1945), reproduisait de nombreux témoignages ainsi qu’un grand nombre de photos et de documents. Les auteurs proposaient une première périodisation ainsi qu’une liste des convois partis de Drancy et chiffraient à 120 000 le nombre de déportés du camp, une estimation alors consacrée au sein de la communauté juive et reprise partout.

5Cette publication inaugurait la toute première phase de l’historiographie du camp marquée, comme pour l’ensemble des ouvrages consacrés à la Seconde Guerre mondiale, par la prédominance des témoignages. Drancy ne faisait pas exception. Dans le corpus des ouvrages publiés alors par le CDJC, Contribution à l’histoire des camps d’internement dans l’Anti-France (Weill, 1946) et De Drancy à Auschwitz (Wellers, 1946), respectivement numéros 5 et 6 de cette liste – mais parus conjointement en octobre 1946 et avant les numéros 2, 3 et 4 – posaient d’emblée l’internement au cœur de la persécution antijuive et Drancy au centre du processus de déportation. « On a pu hésiter sur l’opportunité de publier une histoire des camps de concentration sous l’Occupation en France », écrivait Isaac Schneersohn, le fondateur et président du CDJC dans sa Préface au premier de ces deux livres. « À partir de 1942, tous les camps aboutirent à Drancy qui fut en même temps le centre de rassemblement, la gare de triage et le réservoir des victimes juives destinées à être livrées aux Allemands […] Drancy, pivot et fondement du drame juif en France occupée », précisa-t-il dans la Préface qu’il rédigea pour le second.

6Des témoignages publiés hors du CDJC s’additionnaient à ces deux ouvrages : Le Relais des errants (Aimé, 1946), La vie à Drancy : 1941-1944 (Crémieux-Dunand, 1945), Amie des Juifs, Le camp de Drancy, seuil de l’enfer juif (Horan-Koiransky, 2017), et en italien, Campo di rappresagli (Calef, 1991) complétaient ce premier corpus informatif, disponible dès la fin des années quarante (à l’exception de l’ouvrage de Calef, traduit plus tard), à mi-chemin entre le témoignage et l’histoire tandis que Calef empruntait au registre de la fiction et que Horan rassemblait dans son livre les dessins qu’il avait faits clandestinement lors de son internement et qui, si René Blum n’avait pas été déporté, devaient illustrer son témoignage. Tout y était abordé – la vie quotidienne était minutieusement décrite par des anciens internés venus d’horizons différents, hommes, femmes, Juifs, amie des Juifs ou convertis ; les différentes périodes dans la vie du camp étaient représentées, des premières analyses les accompagnaient, tandis que visuellement les peintures de Jane Lévy, reproduites dans le livre de Julie Crémieux-Dunand, et les dessins de Jacques Gotko dans celui de Georges Wellers complétaient le portfolio d’Horan.

7Ces différentes productions, tirées à peu d’exemplaires, ne soulevèrent qu’un intérêt restreint dans une France tout entière tournée vers sa reconstruction et qui, lorsqu’elle se penchait sur le phénomène concentrationnaire, n’opérait guère de distinction entre les différentes catégories d’internés. Par ailleurs, le projecteur étant dirigé sur les convois de la déportation, les camps français étaient renvoyés à la marginalité, une marginalité qui touchait l’ensemble des publications sur la persécution des Juifs de France. Léon Poliakov qui joua un rôle central au sein du CDJC évoque dans ses mémoires, L’auberge des musiciens : Mémoires (Poliakov, 1981), l’absence d’écho rencontré par tous les livres publiés par cette institution, une vingtaine avant la fin des années 1940, qui posèrent pourtant les fondements d’une historiographie qui se développa beaucoup plus tard.

La cité de la Muette

La cité de la Muette

© Renée Poznanski

  • 1 Habitations à bon marché.

8À cette action de documentation, complémentaire de celle que menait le CDJC et relayée par d’anciens internés soucieux de publier leur témoignage, la Confédération ajouta un autre volet : elle envisagea l’érection d’un monument à la mémoire des déportés et internés du camp. À la fin du mois d’août 1945, la Confédération s’adressa à l’Office d’HBM1 de la Seine pour obtenir une cession de terrain dans ce but. Un comité de soutien prestigieux fut mobilisé : des hommes politiques (Édouard Herriot), des anciens de la France Libre (Maurice Schumann, René Cassin, Francis-Louis Closon), de nombreux ambassadeurs, ainsi que Tristan Bernard, Raoul Nordling, les veuves de Gabriel Péri et Jean Zay, le grand rabbin de France Isaïe Schwartz, des évêques, l’adjoint au maire de Drancy Benjamin Gibrat et d’autres. Cette initiative de la Confédération n’était pas isolée. Le Mouvement national contre le racisme (MNCR) avait précédé le mouvement en initiant dès décembre 1944 l’érection d’un monument pour témoigner de « la barbarie nazie et du martyrologe ». Le Consistoire central était de la partie. Confiante, la Confédération générale et l’Union internationale contre le racisme, associées sur ce projet, firent dresser un vaste panneau annonçant le futur monument devant le U. Pourtant, en octobre 1946 l’Office d’HBM de la Seine, après avoir consulté l’administration des Beaux-Arts, opposait un refus à cette requête, arguant que « les terrains de l’Office ne [devaient] pas être détournés de leur destination. » Ses dirigeants jugeaient le projet coûteux, d’un « goût plus que douteux » et regrettaient « que ce monument soit érigé essentiellement en mémoire des juifs victimes de l’internement à Drancy et de la déportation étant donné qu’il y a eu bon nombre d’autres victimes. »

9À cette date, les derniers internés avaient quitté les lieux, ainsi que les troupes américaines qui s’étaient installées dans une partie des gratte-ciels et y cohabitaient avec les gardes mobiles responsables de la surveillance des « suspects de collaboration ». Dès février 1946, l’Office d’HBM lançait des travaux pour terminer les 358 logements prévus avant-guerre dans le U et rendre la cité à sa vocation première. Les vastes espaces des chambrées devaient notamment être divisés en appartements. Un mois plus tard, à la demande de la municipalité, des classes provisoires et services administratifs étaient installés en rez-de-chaussée du U à la place des commerces prévus au départ. Dans les premiers mois de 1949, tous les logements étaient loués.

10Boutées dans leur volonté d’ériger un monument dans la cité de la Muette, la Confédération générale et l’Union internationale contre le Racisme se tournèrent vers la commune voisine. Le 28 septembre 1948, elles firent apposer, en présence de représentants de l’État et des autorités civiles et religieuses, trois plaques commémoratives en gare de Bobigny pour rendre hommage aux « plus de 100 000 personnes » déportées « de cette gare » ; si le camp de Drancy y était mentionné, rien n’indiquait que les victimes étaient juives.

11Le temps était mûr, en effet, pour les plaques apposées sur les sites centraux de la persécution, mais pas encore pour les monuments. Dès juillet 1946, une plaque avait été apposée au Vélodrome d’Hiver, « à la mémoire des trente mille hommes, femmes et enfants juifs victimes des persécutions raciales. » Ils avaient été parqués en ce lieu, expliquait ce texte qui évoquait leur déportation et leur extermination. Lors de la cérémonie, l’État français était représenté par un envoyé du ministère des Anciens Combattants.

12À Drancy, l’Association fraternelle des anciens internés et déportés juifs, une petite association fondée fin 1944, qui comptait parmi ses membres des internés, des déportés vers l’île d’Aurigny, mais aussi des « Amis des juifs » comme Henri Muratet, résistant au sein de Libération-Nord qui présidait l’association, secondé notamment par Yves Jouffa qui y jouera un rôle central œuvra pour l’apposition d’une plaque. Se présentant comme apolitique, elle était affiliée à la FNDIRP (Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes) de sensibilité communiste. « La Fraternelle » demanda à l’Office d’HBM de la Seine d’apposer dans la cité une plaque commémorative en « mémoire des juifs déportés ». Une fois l’accord obtenu, une plaque de marbre fut apposée à l’entrée du U le 21 décembre 1947. On pouvait y lire les lignes suivantes : « Ici furent internés par l’occupant hitlérien de 1941 à 1944 120 000 vieillards, hommes, femmes et enfants français ou étrangers de religion ou d’ascendance juives, tous déportés comme juifs dans les camps d’extermination en Allemagne où la plus grande majorité a trouvé la mort. » C’est devant cette plaque commémorative que la Fraternelle, associée à d’autres organisations déposa une gerbe lors du dixième anniversaire de l’ouverture du camp, le 10 août 1951, puis à nouveau à la fin mars 1952, pour commémorer le 10e anniversaire du premier départ en déportation.

13Dès la Libération, le monde juif s’était attaché à commémorer la mémoire de ses victimes. Les synagogues, les carrés juifs des grands cimetières parisiens, des salles louées de façon ponctuelle lors des dates anniversaires des grandes rafles et les lieux marqués par la persécution accueillaient souvent des foules très nombreuses. Le Consistoire israélite de Paris avait organisé un premier pèlerinage devant le « camp des Juifs » dès le 22 septembre 1944, alors même que des Français « suspects de collaboration » y étaient encore internés. Le 29 septembre 1946, un nouveau pèlerinage se déroulait pour la première fois à l’intérieur du U libéré des barbelés. Tous, dans la presse juive évoquaient une foule immense, une émotion intense. Un dernier pèlerinage fut organisé à Drancy le 21 septembre 1947. Des anciens déportés suivaient la cérémonie des étages où ils avaient été reconnaître les lieux de leur captivité, rapportait le journal sioniste Quand-Même qui citait le discours du grand rabbin de Paris, Julien Weill : « Ceux qui sont morts parce que Juifs sont morts pour le Judaïsme, nous leur devons de faire ce que nous pouvons pour vivre pour le Judaïsme. »

14Dès l’année suivante cependant, le Consistoire transférait sa cérémonie commémorative à la synagogue de la rue de la Victoire où, le 27 février 1949, une stèle du souvenir fut inaugurée par le Président de la République Vincent Auriol. La cité de la Muette avait retrouvé sa vocation initiale, et les cérémonies commémoratives remplaçaient dorénavant les pèlerinages. Une page était tournée. Car tandis que la plaque apposée à Drancy, comme celle qui se trouvait au Vélodrome d’Hiver, renvoyaient à l’internement et l’extermination des Juifs, cette stèle mentionnait d’abord ceux qui avaient péri les armes à la main et réunissait dans un même hommage toutes les victimes de l’occupant.

15La mairie de Drancy organisait ses propres commémorations sur le site, comme celle du 28 janvier 1951, « À la mémoire des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui passèrent à Drancy, avant d’être exterminés. » L’identité des victimes n’était pas précisée dans la presse locale, tandis que les auteurs du crime, les Allemands, au cœur des thèmes alors privilégiés par la presse communiste étaient clairement désignés comme les coupables.

16Quatre mois plus tard, une plaque était apposée à l’initiative de l’Association des combattants prisonniers de guerre de la Seine, pour rappeler l’internement des soldats français, prisonniers de guerre qui furent ensuite transférés en Allemagne.

17La Fraternelle de Drancy s’était aussi engagée dans une recherche fondamentale : elle s’était fixé pour objectif de recenser le nombre exact et la nationalité de tous les déportés de Drancy. En janvier 1954, le travail était achevé : 67 693 déportés de 57 nationalités différentes dont 2 698 « apatrides », 154 « à déterminer » et 5 124 de « nationalités indéterminées » avaient été recensés. Tous les convois de déportation étaient datés et chiffrés avec précision. Or ces résultats ne furent jamais publiés.

18Le travail de chiffrage entrepris par la Fraternelle n’était pas le seul du genre. Il ne fut pas le seul non plus à rester confidentiel – ou en attente d’une publication qui ne vint pas. Au niveau gouvernemental, la « Section des israélites déportés » du ministère Frenay aux Prisonniers, Déportés et réfugiés, dirigée par François Rosenauer fut la première instance à tenter d’établir une statistique du nombre de déportés, nous apprend Thomas Fontaine. Comme celui de la Fraternelle, ce travail s’appuyait en grande partie sur les listes récupérées du camp de Drancy, ce qui n’était guère surprenant, compte tenu du rôle tenu par « le camp des Juifs » dans le processus de déportation. Dès novembre 1944, un premier bilan était présenté, qui évoquait 62 812 déportés de Drancy sur un total de 85 000 déportés raciaux. Six mois plus tard, le ministère avançait un chiffre de 66 576 déportés de Drancy, ventilés par nationalités. La rédaction d’un historique de la captivité et de la déportation était prévue. Dans le plan envisagé, le sort des Juifs, annonciateur du sort des autres déportés, devait être traité dans les sous-parties pertinentes. Un développement sur la vie dans les « camps juifs (Drancy, Pithiviers, etc.) » avait aussi été planifié. Mais les perspectives politiques changeaient avec le départ du Général de Gaulle du pouvoir tandis qu’un ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre remplaçait le ministère Frenay. Les crédits vinrent à manquer et cet historique ne fut jamais publié, pas plus que les statistiques produites par le service Rosenauer du ministère Frenay.

19Dès lors, les fonctionnaires furent remplacés par les historiens regroupés au sein du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, Julien Cain présida la Commission « Déportation ». Il s’agissait de la première des Commissions créées par le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale. D’anciens déportés, soucieux de documenter et transmettre cette histoire furent à l’origine de cette Commission et notamment Annette Lazard, une catholique fervente, l’épouse de Christian Lazard qui n’était pas revenu de déportation, ainsi que d’autres anciens déportés qui, ensemble, créèrent par la suite le réseau du Souvenir. L’un de ses objectifs s’inscrivait dans la continuité du travail de statistique entrepris par le ministère Frenay, mais en usant de méthodes différentes. La Commission s’attela d’emblée à ce travail en lançant une enquête dans les différents départements. Or cette dernière traîna en longueur et ses résultats, réunis en mars 1975 dans un rapport de synthèse sur la « Statistique nationale des déportés », ne furent jamais publiés. Pour des raisons politiques ? Sans doute et notamment parce que, parmi les insuffisances notées, le chiffre de 28 162 « déportés raciaux » n’avait retenu que les Français et ignoré les Juifs étrangers déportés du territoire français. Que dire de ce résultat et de ses différences criantes avec le travail entrepris par le CDJC qui évoquait alors 80 000 déportés juifs de France dans ses ouvrages ?

20Une « institution juive privée » – le CDJC – et « un organisme officiel de l’État français » – le Comité d’Histoire, pour reprendre les termes employés par Léon Poliakov, entretenaient certes les meilleures relations, de bon voisinage d’abord puisqu’ils furent un temps situés dans la même rue, puis de respect et d’amitié entre les membres des deux institutions. Mais, outre ces différences de statut qui ne devaient rien au hasard, ils édifiaient deux historiographies distinctes. Poliakov évoquait un « parallélisme des intérêts et des tâches ». On pourrait ajouter à cela que les parallélismes de méthode et les choix liés aux catégories à dénombrer ont donné lieu à des historiographies qui ne se rencontraient pas, malgré certaines entreprises communes, notamment à partir de la seconde moitié des années 1950. Au bout du compte, les statistiques qui s’étaient appuyées sur les listes du camp de Drancy avaient été les premières à toucher du doigt la réalité chiffrée de la déportation des Juifs de France.

Le temps des monuments

21Au début des années 1950, ce parallélisme se poursuivit, lié cette fois à l’érection de monuments de la Déportation. Deux institutions œuvrèrent dans ce sens, le CDJC et le Réseau du Souvenir.

22« Le Réseau du Souvenir n’est pas une nouvelle association de déportés ; il n’a pas pour but de défendre les intérêts des déportés […] Il se propose de faire communier le plus grand nombre possible de Français dans le souvenir des Martyrs de la Déportation », pouvait-on lire dans Le Figaro le 1er juillet 1952 sous la plume d’Henri Michel, le secrétaire général de la nouvelle association. Elle s’affirmait comme apolitique, pour bien marquer sa volonté de dépasser les débats idéologiques et les rivalités politiques qui avaient agité les amicales de déportés. S’y retrouvaient également de nombreuses personnalités qui s’étaient illustrées au sein de la Commission Déportation du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale. Quatre commissions furent créées, dont une commission artistique présidée par Jean Cassou qui se fixa pour objectif l’érection d’un Mémorial des Martyrs français de la Déportation.

23De son côté, le président du CDJC, Isaac Schneersohn, exprimait dès 1951 sa volonté d’ériger à Paris un mémorial dédié aux six millions de Juifs massacrés par l’Allemagne nazie au sein duquel le CDJC aurait sa place. À l’instar de l’Amicale d’Auschwitz, qui avait érigé un monument au Père-Lachaise en juin 1949, le Réseau du Souvenir comme le CDJC souhaitaient donc créer dans la capitale un pôle mémoriel pour y honorer les victimes de la Déportation – les Français déportés dans le premier cas et, dans le second, les Juifs exterminés, parmi lesquels ceux qui avaient été déportés du territoire français.

24L’inauguration du Mémorial du Martyr Juif inconnu devança de près de neuf ans celle du Mémorial des Martyrs français de la Déportation. Une campagne internationale, orchestrée par la revue du CDJC, Le Monde Juif, avait été lancée dès 1951. Fin 1952, le Conseil municipal de Paris octroyait un terrain rue Geoffroy-l’Asnier pour l’érection du monument dont la première pierre était posée en mai 1953 en présence d’un grand nombre d’officiels prestigieux. Restait à vaincre nombre de détracteurs d’un projet qui était loin de faire l’unanimité à l’intérieur même du monde juif organisé et à signer un accord de collaboration avec Yad Vashem dont la création avait été décidée par la Knesset – le Parlement israélien – en réaction au Projet Schneersohn. Le Mémorial du Martyr juif inconnu était inauguré le 30 octobre 1956. En revanche, le Mémorial des Martyrs français de la Déportation, situé à la pointe de l’Île de la Cité, n’était inauguré qu’en 1962.

25Prolongements de deux Comités différents centrés sur l’histoire et la mémoire de la déportation, deux mémoriaux distincts, séparés par deux branches de la Seine et sept minutes de marche, honoraient deux catégories de déportés. Les déportés français dans un cas, les victimes juives de la Shoah dans l’autre. Or cette proximité facilitera un rapprochement entre le Mémorial de la Déportation et le Mémorial du Martyr Juif inconnu. Il s’effectua dès 1957 à l’occasion de la Journée nationale de la Déportation et il devait tout à l’obstination d’Isaac Schneersohn qui entreprit des démarches pour une intégration du mémorial de la rue Geoffroy-l’Asnier au programme de la cérémonie nationale. Cet hommage officiel, concrétisé par une courte visite de tous les participants et qui « mobilisait des références républicaines, militaires et combattantes » pour reprendre l’analyse que propose Simon Pérégo, conférait au Mémorial du Martyr Juif inconnu une légitimité dont il pouvait désormais se prévaloir dans le monde commémoratif, aussi bien juif que national. Au début des années soixante, lorsque l’idée d’un monument, cette fois sur le site même du « Camp des Juifs », commença à faire son chemin, ce processus d’intégration était achevé.

26Le site commençait par s’enrichir d’une autre plaque, apposée juste au-dessus de la plaque de 1947, à l’occasion d’une commémoration organisée le 11 novembre 1962 par la British Legion en présence d’anciens prisonniers de guerre anglais qui avaient été internés avant août 1941. « En ce lieu furent internés des soldats britanniques capturés par l’armée allemande en mai et juin 1940 avant d’être exilés dans les stalags et Kommandos de l’Allemagne nazie. Remember », pouvait-on y lire. Une voix supplémentaire s’exprimait sur le site.

Monument Sellinger

Monument Sellinger

© Renée Poznanski

27Mais surtout, à partir d’avril 1961, se tenait à Jérusalem le procès mondialement médiatisé d’Adolf Eichmann. Seul témoin français, Georges Wellers y déposait le 9 mai 1961 en décrivant le quotidien des internés de Drancy et le sort des enfants juifs en transit vers les camps de la mort. Comme l’indiquera ensuite Maurice Nilès, maire de Drancy, Drancy acquérait de ce fait « une réputation mondiale » et, ajoutait-il : « C’est à la ville de Drancy qu’il revient de constituer [un] hommage. » Deux ans plus tard, le 11 décembre 1963, Nilès engageait la municipalité dans un « projet d’érection d’un monument aux victimes du nazisme mortes en déportation après leur internement à Drancy. » Le Conseil municipal décidait d’ouvrir une souscription nationale. Un mois plus tard, la Fraternelle de Drancy et son nouveau Président, Yves Jouffa, reprenaient le même projet. Dès lors, le maire de Drancy et la Fraternelle coopérèrent pour le faire aboutir, grâce à la complicité qui liait Jouffa et Nilès. Issus de la même génération, engagés à gauche, ils avaient tous deux été internés et résistants et s’étaient retrouvés récemment dans leur engagement contre la guerre d’Algérie. En juin 1964, la Fraternelle et la Ville de Drancy créaient un comité provisoire paritaire. Parallèlement, l’Office d’HLM de la Seine répondait cette fois favorablement à la demande de « cession à la Commune de Drancy du terrain nécessaire à l’érection d’un monument à la mémoire des Internés et Déportés. » Pourtant il fallut attendre encore une douzaine d’années pour que le projet aboutisse.

28Le 28 mars 1965, une grande cérémonie du souvenir se déroulait au camp de Drancy en présence du ministre des Anciens Combattants, Jean Sainteny, du grand rabbin de France, Jacob Kaplan, du Président du Consistoire central des Israélites de France, Louis Kahn, du Préfet de la Seine, mais aussi d’Henri Bouret, Préfet de la Seine-Saint-Denis, département qui avait été créé un an plus tôt. L’ensemble du monde associatif des anciens internés et déportés avait été convié. Le député-maire, récemment réélu, apporta son soutien matériel à la manifestation dans laquelle il voyait une préfiguration du projet de monument aux victimes. Organisée par la Fraternelle de Drancy, cette cérémonie commémorait à la fois la libération des camps et le premier convoi de déportation, alors que les cérémonies qui, au mont Valérien ou au Mémorial des Martyrs de la Déportation, commémoraient le 20e anniversaire de la libération des camps ne mentionnaient pas ce convoi du 27 mars 1942. La plaque apposée en 1947 fut remplacée ce jour-là pour en rectifier les erreurs factuelles, mais sans en modifier le message. « En ce lieu qui fut un camp de concentration de 1941 à 1944, 100 000 hommes, femmes et enfants de religion ou d’ascendance juives ont été internés par l’occupant hitlérien, puis déportés dans les camps d’extermination nazis où l’immense majorité a trouvé la mort. »

29On assistait dans les années soixante à une recrudescence des commémorations sur les sites symboliques des persécutions. On l’a vu à Drancy, mais cela se reproduisit sur le site du Vel d’Hiv ou devant le gymnase Japy où les Juifs avaient été concentrés en mai 1941 avant d’être transférés dans les camps du Loiret. Au Vélodrome d’Hiver, c’est l’Amicale des Anciens Déportés Juifs de France qui organisait ces manifestations. Créée en septembre 1945 par Nahum Fansten (de son nom de plume Marceau Vilner) et présidée par lui jusqu’à sa mort en 1967, cette Amicale, marginale de par son importance dans le monde associatif, avait la particularité d’insister constamment sur la nécessité de reconnaître la singularité du martyrologe juif, en rappelant l’extermination à laquelle étaient voués tous les Juifs, systématiquement et indistinctement. Fansten était un militant communiste, ancien résistant et déporté d’Auschwitz qui dirigeait l’organe en yiddish des Juifs communistes la Naïe Presse. On trouvait à ses côtés Henri Bulawko, un sioniste socialiste membre de l’ha-shomer ha-tza’ir qui, en tant que secrétaire général de l’Amicale en devint la cheville ouvrière. Pour commémorer le 10e anniversaire de l’anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv, une première commémoration était organisée en juillet 1952. D’autres suivirent, chaque année. Mais aucun représentant de l’État n’y participait. Au début des années 1960, l’Amicale sollicita systématiquement le ministère aux Anciens Combattants et Victimes de guerre et finit par parvenir à ses fins puisque la commémoration du 16 juillet 1963 était placée sous la présidence du ministre, Jean Sainteny. Cette implication de l’État ira s’accroissant, mais elle fut toujours le résultat de sollicitations expresses du monde juif organisé.

30En juin 1966, le ministre de l’Intérieur donnait son accord de principe pour le monument de Drancy et la Fraternelle devenait l’Amicale des internés et déportés de Drancy. Elle mobilisa d’autres associations autour de ce projet, dont l’Amicale des anciens déportés juifs de France. L’année 1969 se révéla décisive. La composition du comité provisoire, présidé par le maire, reflétait la situation très particulière de Drancy – on y trouvait en effet des représentants d’organisations juives aussi bien que des représentants des instances régionales communistes. Début octobre, les premiers aménagements étaient réalisés et on pouvait lire les lignes suivantes sur un grand panneau dressé sur le site :

De 1941 à 1944, 100 000 hommes et femmes, vieillards et enfants, victimes des persécutions raciales, ont été détenus au camp de Drancy. 67 693 d’entre eux ont été déportés dans les camps d’extermination de « L’Allemagne Hitlérienne », 66 175 ne sont pas revenus… Un monument sera érigé à cet emplacement en hommage à leur sacrifice, en hommage à tous les résistants qui ont donné leur vie pour la LIBERTÉ de la PATRIE et pour la PAIX.

31La première pierre fut posée le 26 octobre 1969 lors d’une cérémonie à laquelle assistèrent près de 3 000 personnes et qui fut présidée par Henri Bouret, le Préfet de Seine-Saint-Denis et Georges Valbon, le Président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis.

32Un an plus tard naissait le « Comité de soutien pour l’érection d’un monument à la mémoire des victimes du nazisme mortes après leur internement au camp de Drancy. » Mais à la mi-avril 1970, Henri Bulawko qui, depuis le décès de Fansten, dirigeait l’Amicale des anciens déportés juifs de France exprimait son inquiétude de voir effacée la spécificité juive du camp. Un rapprochement entre le Comité et le Consistoire central des Israélites de France ainsi que le Conseil représentatif des Juifs de France, le CRIF qui, issu de l’association de toutes les organisations de la Résistance juive et du Consistoire central, représentait les Juifs de France depuis la Libération, devait permettre d’éviter une telle évolution. Dès lors, sur une initiative d’Yves Jouffa le Comité changea de nom pour devenir le « Comité de soutien pour l’érection d’un monument à la mémoire des victimes des persécutions raciales internées au camp de Drancy, antichambre des camps d’extermination nazis. »

33En avril 1971, la nouvelle association préparait le lancement d’une souscription publique avec conférence de presse ainsi qu’un concours pour la réalisation du monument. Un large comité d’honneur et de parrainage rassemblait des personnalités officielles, d’anciens résistants, des communistes, des socialistes, des gaullistes, les deux associations d’anciens déportés qui s’étaient entredéchirées quelques années plus tôt, mais aussi des représentants tant des autorités locales que de tous les cultes. Le CDJC était le seul absent.

34Le concours était lancé le 15 avril et, le 3 septembre 1972, l’Association Consistoriale Israélite de Paris organisait, pour la première fois depuis 1947, sa cérémonie à la mémoire des déportés sur le site de la cité. Cette fois cependant, la cérémonie n’avait plus le caractère uniquement religieux des premiers pèlerinages de l’après-guerre, puisqu’en présence du maire de la ville, une intervention d’Yves Jouffa au nom de l’Amicale y suivait celles des grands rabbins de France et de Paris.

35Le 26 avril 1973, le jury choisissait la maquette présentée par Shelomo Selinger, sur la soixantaine de projets qui avaient concouru et qui furent exposés en Préfecture de Seine-Saint-Denis, dans le cadre de l’exposition sur le camp de Drancy pour la journée de la déportation, le 29 avril 1973. C’est au cours de cette même année que le livre de Georges Wellers, De Drancy à Auschwitz, était réédité une première fois.

36Deux ans plus tard, à l’occasion du trentième anniversaire de la libération des camps, et pour la première fois, le camp de Drancy rejoignait officiellement les deux mémoriaux pour la déportation dans les manifestations officielles. En effet, la commémoration du 26 avril 1975 débuta en soirée au Mémorial aux Martyrs français de la Déportation ; elle se poursuivit au Mémorial du Martyr juif inconnu, comme c’était le cas déjà depuis quelques années. Mais il était ensuite proposé aux participants de rejoindre en car la veillée funèbre organisée à Drancy par le Comité de soutien pour l’érection d’un monument à la mémoire des victimes des persécutions raciales internées au camp de Drancy, antichambre des camps d’extermination nazis.

3750 départements apportèrent leur contribution financière pour 25 % du budget (dont plus de la moitié pour la Seine-Saint-Denis), 176 communes pour un peu plus de 7 %, les associations (et principalement le CRIF et l’Amicale des anciens déportés juifs de France) pour 25 % ; des dons particuliers couvrirent près de 19 % du coût du monument, tandis que l’État participa pour un peu plus de 2 % et la ville de Drancy pour plus de 21 %.

38Le 9 mai 1976, le monument de Shelomo Selinger était inauguré, en présence du seul secrétaire d’État aux Anciens Combattants et Victimes de guerre, André Bord, car le Comité avait repoussé la proposition d’Yves Jouffa d’inviter les plus hauts dignitaires de l’État. La décision du Président Valéry Giscard d’Estaing, annoncée un an plus tôt, de supprimer la commémoration du 8 mai pour promouvoir l’amitié franco-allemande, était trop mal passée. Les discours de Maurice Nilès, d’Yves Jouffa et du grand rabbin Jacob Kaplan se succédèrent devant une foule fort nombreuse. Mais l’écho médiatique de cette manifestation resta faible.

39Les craintes exprimées par Henri Bulawko sur l’effacement identitaire des internés et déportés de Drancy se révélèrent vaines. Shelomo Selinger, rescapé de plusieurs camps et de deux Marches de la mort, seul survivant de sa famille, s’était établi à Paris en 1956. Son monument en granit rose haut de 3 m 60 était chargé de symbolique religieuse : trois blocs différenciés composaient la lettre hébraïque Shin, utilisée pour exprimer l’un des noms donnés à Dieu – Shadaï, ou Dieu tout-puissant – une lettre qui est inscrite sur la mezouzah, ce petit tube contenant un morceau de parchemin avec un verset de la Bible et que les familles juives fixent sur le linteau de leur porte.

40Le bloc central y représente dix personnages qui, ensemble, constituent le minyian, le nombre d’hommes requis pour pouvoir organiser une prière, prière qui constitue donc un motif capital du monument. Ainsi, la tête de l’homme représenté au centre est-elle ornée du cube rituel (les Tefilin) contenant des versets bibliques et rattaché à la tête par une lanière de cuir lors de la prière dite matin et soir les jours de semaine. « Les deux personnages centraux sur la façade, un homme et une femme, symbolisent la souffrance et la dignité » selon l’explication donnée par le sculpteur lui-même en 2000 et la tradition juive est bien au centre de ce monument. « Au milieu […] en bas, deux têtes renversées représentent la mort. Deux lettres hébraïques lamed et vav sont formées par la coiffe, le bras et la barbe des deux personnages en haut de la sculpture. Ces deux lettres ont la valeur numérique 36, selon le nombre de Justes grâce auquel le monde subsiste selon la tradition juive », ajoutait Selinger.

41Les deux blocs de pierre latéraux représentent les « portes de la mort » et portent des inscriptions en français et en hébreu avec le texte suivant :

Le 20 août 1941, 5 000 Juifs furent arrêtés à Paris et rassemblés en ce lieu inaugurant le camp de Drancy, antichambre des camps de la mort. Près de 100 000 juifs, Hommes, Femmes, Enfants et Vieillards y furent internés avant leur déportation pour la plupart à Auschwitz. 1 518 sont revenus. 256 furent fusillés comme otages. Ce monument témoigne des Martyrs Juifs de France victimes de la barbarie nazie. Passant recueille toi et n’oublie pas. Regardez et voyez s’il est une douleur comparable à ma douleur.

42Cette dernière phrase étant tirée des Lamentations de Jérémie, 1‑12.

43S’y trouve également une inscription en yiddish, rappelant le souvenir des martyrs assassinés en France par les nazis. Suivons encore Selinger :

Entre ces deux bras de pierre, la sculpture centrale décline des ellipses dans un corps auquel la charge symbolique donne une puissance épique […] L’enchaînement de ses courbes avec celles des portes de la mort, visible sous tous ses angles, contribue à l’harmonie et à l’unité de l’ensemble.
[…] Les deux rangées de 7 marches vont en rétrécissant vers la porte de la mort. Elles symbolisent l’élévation des âmes des victimes.

44Or, c’est dans la Kabbale, une tradition ésotérique du judaïsme la désignant comme la loi orale et secrète donnée par Dieu à Moïse en même temps que la Torah ou loi écrite, que le chiffre sept figure la spiritualité.

45Le site de la cité de la Muette, un ensemble architectural abritant des logements sociaux et orné en son centre de cette impressionnante sculpture chargée de symbolique juive devenait l’un des lieux du souvenir des internés et déportés juifs de France assassinés à Auschwitz les plus singuliers.

46Lors de l’inauguration du monument, seule une tour surplombait encore symboliquement la cité. Les autres avaient été détruites, après de dures négociations entre différents agents. La dernière tour ne devait pas leur survivre bien longtemps. Le temps des gratte-ciels de la cité de la Muette était compté, mais elle continuait à se développer.

Entre vocation sociale et patrimoine architectural

47En 1956, l’Office édifiait sur le terrain disponible au sud du U 98 nouveaux logements HLM. Conçus par Lods, les logements plus spacieux y étaient majoritaires. L’Office qui n’en avait plus la disposition restait cependant propriétaire et donc responsable des tours. Peu entretenues depuis leur construction, expérimentales à bien des égards, les tours se dégradaient ; elles étaient devenues dangereuses. Le ministère de la Défense qui en était devenu le propriétaire depuis 1938, décidait de les démolir. Des architectes évoquèrent bien la possibilité d’en préserver une qui témoignerait du projet moderniste de Lods et Baudoin, étape clé dans l’histoire de l’architecture, mais leur proposition fut rejetée. Les tours étaient donc remplacées par de nouvelles casernes. Il fut cependant décidé de conserver une trace de la cité. Deux maquettes sous verre des tours et des peignes se trouvent aujourd’hui encore dans le hall de la nouvelle caserne de gendarmerie mobile. Par ailleurs, une plaque y rappelle la vocation initiale du site et son détournement :

La cité de la Muette à Drancy, « premier grand ensemble » imaginé par Lods et Beaudouin à travers l’aventure industrielle devait réaliser les meilleures conditions de la vie privée au sein de la vie de la communauté. Les aléas de l’histoire et de la Seconde Guerre mondiale amenèrent nombre de Français non pas à y être heureux, mais à y connaître souffrance et désespoir, la cité disparue de la Muette illustrera dans le souvenir national les contradictions de l’humanité.

48Or le lieu où ces nouvelles casernes avaient été érigées n’abritait pas le camp et ses internés juifs, mais des gendarmes chargés de leur surveillance.

49Les questions liées à la préservation d’un patrimoine architectural, celles qui renvoyaient à la vie quotidienne des résidents de la cité et à la politique urbaine du pays et, enfin, la mémoire de la Shoah, sur le point de prendre une place prédominante dans la conscience publique en France, se trouvaient au milieu des années 1970 intrinsèquement mêlées sur le site.

Entre la mémoire de la Shoah et les initiatives locales

50Diffusé à partir de 1985, le film monumental de Claude Lanzmann, Shoah, imposa dès lors ce terme en France dans les débats publics pour désigner l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Le processus qui mena en France au syndrome de Vichy – pour reprendre l’expression d’Henry Rousso – était alors bien engagé. Il se développa sur plusieurs plans. L’historien américain Robert Paxton, dont le livre était paru en France en 1973, révolutionnait le regard porté jusqu’alors sur la France des « années noires » et intégrait la politique antisémite menée de façon autonome par le régime de Vichy dans sa double étude de la Révolution nationale et de la politique de collaboration avec les occupants. Parallèlement, le film documentaire de Marcel Ophüls Le chagrin et la pitié, montré à la télévision française en 1981, soit dix ans après une interdiction qui avait relégué sa diffusion à une salle du Quartier latin, illustrait des thèses similaires dans le tableau qu’il présentait de Clermont-Ferrand sous l’Occupation ; et cela au moment où la spécificité de la Shoah avait percé le voile et commençait de bouleverser la conscience du monde occidental. Les changements intervenus dans la démographie des Juifs de France depuis le début des années 1960 avec l’arrivée en masse des réfugiés d’Afrique du Nord ainsi que les retombées de la guerre des Six Jours réveillèrent une mémoire juive – l’une des raisons, toujours d’après Henry Rousso, de la nouvelle centralité de la Shoah dans les affaires qui défrayèrent régulièrement la chronique à partir du début des années 1980 dans cette phase du syndrome de Vichy qu’il qualifiait d’obsessionnelle.

51Une grande partie de ces affaires médiatiques furent suscitées ou alimentées par l’avocat Serge Klarsfeld qui avait publié en 1978 le Mémorial de la déportation des Juifs de France, fondé l’année suivante l’association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France et qui, tout en procédant à la publication de documents originaux illustrant la politique de persécution subie par les Juifs de France pendant la guerre, œuvrait à imposer avec force la mémoire de la Shoah sur la scène publique française.

52À Drancy même, la combinaison de ce climat général et d’une découverte liée à des travaux aux abords de la cité marqua l’étape suivante de l’évolution mémorielle du site. En septembre 1980, la construction du gymnase Joliot-Curie à la sortie du U mettait à jour le tunnel d’évasion creusé par les internés en septembre 1943. Il fut décidé d’emblée de matérialiser son tracé et d’y joindre une plaque commémorative. À la même période, le proviseur du lycée Eugène Delacroix de Drancy, Jacques Durin, décidait d’engager un projet d’action éducative autour de l’histoire du camp. Les élèves de la classe d’hébreu se mirent au travail. Le réalisateur Jean-Patrick Lebel, qui animait l’antenne audiovisuelle de la maison de la Culture de la Seine-Saint-Denis (la MC 93), réalisa avec les élèves des interviews d’anciens internés et déportés. En 1982, une souscription permettait la publication de Drancy 1941-1944, l’aboutissement de ce travail dont les droits d’auteur financèrent une nouvelle plaque sur le site à la mémoire du poète Max Jacob, tandis que Lebel donnait une suite au projet avec La cité de la Muette (1986), le premier film documentaire exclusivement consacré au camp de Drancy.

53Outre ces développements dus à des initiatives locales, Serge Klarsfeld poursuivait à plusieurs niveaux son action militante, ce qui donna un relief particulier aux commémorations liées au quarantième anniversaire de l’année 1942, tournant dans la persécution des Juifs de France. Quarante ans après le premier convoi de déportation, une commémoration fut organisée simultanément à Compiègne et à Drancy (le 28 mars 1982), en présence du grand rabbin de France, de Maurice Nilès ainsi que d’un représentant du gouvernement. « Il y a quarante ans, à Compiègne et à Bobigny », titrait l’article qui, dans Le Monde, relatait la commémoration. On remarquera que si l’internement des Juifs déportés à Drancy y était évoqué dans l’historique de cette déportation, le titre de l’article évoquait la gare de Bobigny, alors que la majorité des déportés pour la « destination inconnue » avaient embarqué à la gare du Bourget-Drancy. À deux reprises au cours de cette même année (en avril et en juillet), Klarsfeld investit les médias en faisant paraître dans Le Monde des articles sur la politique antisémite du gouvernement de Vichy, la rafle du Vel d’Hiv et l’impunité dont jouissaient trois de ses architectes centraux : Darquier de Pellepoix, Jean Leguay et René Bousquet. La chasse aux responsables de l’arrestation et de la déportation des Juifs de France s’installait en France et l’avocat y joua un rôle central. En février 1983 Klaus Barbie, qui avait été le chef de la Gestapo à Lyon, recherché par les autorités françaises et démasqué dès 1971 par Serge Klarsfeld et sa femme Beate, était extradé de Bolivie vers la France, grâce à un changement de régime dans ce pays. Le procès qui lui fut intenté 4 ans plus tard fut le premier d’une trilogie (procès Touvier en 1992 ; procès Papon en 1997-98). Chef régional de la Milice à Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale, Paul Touvier, après une longue cavale grâce à la protection de nombreuses autorités ecclésiastiques, bénéficiait le 23 novembre 1971 d’un décret de grâce signé par le Président Pompidou. Ainsi débuta « l’Affaire Touvier » qui suscita une indignation générale dans les médias ; en novembre 1973 les associations de résistants portaient plainte contre lui pour crime contre l’humanité et Touvier se réfugiait à nouveau dans la clandestinité. Un mandat d’arrêt était lancé contre lui en 1981 et c’est le 24 mai 1989 qu’il fut arrêté dans un couvent de la région de Nice. Il était le premier Français à être reconnu coupable de crimes contre l’humanité.

54Au procès de l’occupant avait donc succédé le procès du collaborationnisme ; restait à dénoncer le rôle de l’État et de ses agents, ce qui fut réalisé avec le troisième procès. Le 6 mai 1981, Le Canard Enchaîné publiait un article révélant le rôle de Maurice Papon dans la déportation des Juifs bordelais. Le 19 janvier 1983, sur plainte de victimes, Maurice Papon était inculpé de complicité de crime contre l’humanité. C’est un fonctionnaire du gouvernement de Vichy, ayant poursuivi après-guerre une brillante carrière dans la haute administration française, qui était ainsi jugé pour sa participation à l’arrestation et à la déportation de 1 560 Juifs pendant l’Occupation.

55Durant toute cette période, les trois procès suscitèrent en France un intérêt médiatique fort important pour les « années noires ».

56Le début du procès Barbie en mai 1987 mobilisait à nouveau le député-maire de Drancy, d’autant que Drancy avait été souillée une fois de plus par des inscriptions nazies quelques mois plus tôt. Le 1er juin, Nilès convoquait un conseil municipal extraordinaire : « le nom de Drancy restera dans l’histoire de notre pays, comme l’un des symboles de l’holocauste et du martyre du peuple juif » déclarait-il, soulignant que Drancy se trouvait « au premier plan de l’actualité ». Il souhaitait que la ville soit représentée à Lyon pendant le procès et proposait un additif au dispositif mémoriel du site du camp. Un wagon du souvenir abritant une exposition sur le camp s’ajouterait au mémorial existant. Le Comité du monument fut donc réactivé pour ouvrir une nouvelle souscription et Shelomo Selinger fut associé au projet pour veiller à l’intégration de ce nouvel élément dans l’ensemble du site. Pour la circonstance, la SNCF céda des rails et un wagon de 1941. Pour l’inauguration du wagon-témoin, prévue le 6 novembre 1988, date anniversaire de la Nuit de cristal, Maurice Nilès avait souhaité la participation des plus hautes autorités de la République. Il dut se contenter du soutien exprimé par le Président François Mitterrand qui choisit de ne pas honorer la cérémonie de sa présence. En mars 1990, le wagon témoin était protégé au titre des Monuments historiques.

Wagon du souvenir

Wagon du souvenir

© Renée Poznanski

57Un projet associatif (non confessionnel), dû à une initiative locale, reprit à son compte la dimension pédagogique, atténuée dans le wagon tel qu’il avait été réalisé. En octobre 1988, le docteur Richard Haddad, médecin dans le quartier de la Muette, exprimait le vœu qu’il partageait, disait-il, avec d’autres Drancéens de « conserver et transmettre la mémoire du camp ». Le maire apporta son soutien à la création de l’association du « Conservatoire historique du camp de Drancy ». L’ambition des initiateurs de ce projet, soutenu par de nombreuses personnalités : à la fois Centre de documentation et de recherches avec bibliothèque, photothèque, fonds audiovisuel et base de données informatique et espace d’exposition, le nouvel espace devait être un lieu de pédagogie en même temps qu’un lieu de recueillement. Une secrétaire, un informaticien et un historien étaient prévus pour assurer ces différentes missions. C’est au rez-de-chaussée de la cité, dans un espace de 115 m² cédé par l’Office HLM de la Seine-Saint-Denis, que le Centre s’installa. De ce vaste projet, ne subsista qu’un lieu géré par celui qui en avait conçu l’idée et qui accueillit les élèves, auxquels on relatait l’histoire du « camp des Juifs » avant de leur montrer l’exposition présentée dans le wagon et de les inviter au recueillement devant le monument de Selinger.

58C’est au niveau national que les efforts de Serge Klasfeld portèrent leurs fruits dans les années 1990, atteignant des résultats qui, s’ils pouvaient le satisfaire, peinèrent à y inclure la mémoire du « camp des Juifs ». Pourtant, cette étape centrale dans la déportation des Juifs de France était intrinsèquement liée à nombre d’affaires qui défrayèrent la chronique. Ainsi du « Fichier des Juifs », « découvert » par l’avocat au ministère des Anciens Combattants, et constitué en réalité par le regroupement de six fichiers différents, comme l’établit le rapport publié en 1996 par la Commission Rémond, créée pour enquêter sur la question. Car cette affaire permit de retracer dans le détail l’histoire du processus de contrôle et de fichage des Juifs durant l’ensemble de la guerre, étape préliminaire à leur traque, leur arrestation, leur internement, puis leur déportation à partir de Drancy. Ainsi, de la même façon, du combat que mena l’avocat pour que la France reconnaisse officiellement sa responsabilité dans le génocide des Juifs. Ses tentatives se heurtèrent à la résistance du Président Mitterrand qui, fidèle à une tradition établie d’emblée – c’est-à-dire dès 1940 – par le Général de Gaulle, établit une distinction entre le régime de Vichy qui n’avait aucune légitimité à se réclamer de l’État français et la République française qui n’avait jamais cessé d’exister et n’avait donc pas à répondre de crimes commis par cette « autorité de fait ». C’est lors de la commémoration, le 16 juillet 1942, du cinquantième anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv que la confrontation atteignit son paroxysme, lorsque devant de nombreux représentants de la République, le Président Mitterrand, présent, mais silencieux, fut hué par des manifestants suscitant l’indignation de Robert Badinter, Président du Conseil constitutionnel. Espérant mettre fin à la controverse, le Président Mitterrand institua en février 1993, par décret présidentiel, la Journée nationale à la mémoire des victimes « des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite “gouvernement de l’État français” (1940-1944) ». Elle fut fixée au dimanche 16 juillet ou au dimanche suivant – la rafle du Vel d’Hiv servant de référence pour la date choisie. Ce décret reconnaissait trois lieux symboliques de la mémoire nationale des victimes des persécutions racistes et antisémites : l’ancien Vel d’Hiv, l’ancien camp d’internement de Gurs et la Maison d’Izieu, honorés l’année suivante. Le camp de Drancy n’en faisait pas partie.

59Sur le site lui-même, durant cette même année 1993, les autorités municipales organisaient la commémoration de la Journée nationale de la Déportation (le 24 avril), en jumelant deux cérémonies l’une à Drancy, et l’autre à Romainville d’où les 230 femmes communistes pour la plupart ou femmes de communistes avaient été déportées pour Auschwitz le 24 janvier 1943. À cet hommage était aussi joint celui qui fut rendu aux six déportés résistants originaires de Drancy. L’histoire locale était complexe en effet et les manifestations organisées par la municipalité communiste devaient permettre l’expression de toutes les composantes de son histoire pendant la guerre.

60La date choisie par le Président Mitterrand dicta indirectement les développements suivants. Lorsque le Président Jacques Chirac effectua le geste symbolique tant attendu par Klarsfeld et ses partisans et prononça le discours qui, en 1995, rompait avec son prédécesseur et reconnaissait que « Oui, la folie criminelle de l’occupant [avait] été secondée par des Français, par l’État français [… que] La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable », c’est un 16 juillet qu’il le fit, devant le lieu où s’élevait pendant la guerre le Vélodrome d’Hiver, où les familles juives avec enfants avaient été rassemblées avant d’être expédiées d’abord dans les camps du Loiret, puis à Drancy juste avant leur déportation. Le choc de la rafle de familles entières résonnait plus fort dans les consciences que l’internement de dizaines de milliers de Juifs parfois pendant de nombreux mois ; le 15e arrondissement était plus accessible que la banlieue parisienne, même si elle n’était distante que de dix kilomètres du centre de Paris.

61Localement, les retombées de telle ou telle affaire suscitaient parfois des exactions : ainsi peu après la diffusion par l’émission Envoyé spécial d’un film documentaire consacré à Drancy (Drancy, la honte), le wagon-témoin était profané. Mais c’est une fois de plus Serge Klarsfeld qui remit « le camp des Juifs » à l’ordre du jour. Cette fois-ci, il s’attaquait à la question de la spoliation des Juifs, en s’appuyant sur un rapport du 31 juillet 1944 de Maurice Kiffer, qui après avoir été le caissier du camp de Drancy en était devenu le liquidateur des comptes après la prise en mains du camp par Brunner. « La IVe République s’est approprié » cet argent, accusait le président de l’Association des filles et fils de déportés juifs de France. Ces propos publiés le 15 juillet 1995 à la veille de la déclaration du Président Chirac dans le journal Libération, étaient repris trois jours plus tard dans Le Monde.

62Là encore, ses actions finirent par aboutir, puisqu’en mars 1997 le Premier ministre Alain Juppé annonçait la création d’une « Mission d’études sur la spoliation des Juifs de France ». Le travail effectué par cette commission, dirigée par Jean Mattéoli, un ancien résistant qui était alors le Président du Conseil économique et social, aboutit entre autres à la publication au printemps 2000, d’un rapport général et de neuf ouvrages qui documentaient toutes les dimensions de la spoliation des Juifs. Parmi ces derniers, Annette Wieviorka consacrait une étude détaillée aux Biens des internés des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande où l’on apprend notamment qu’environ 12 millions de francs avaient été déposés par les internés ou saisis sur eux par les responsables français du « camp des Juifs » avant le 25 juin 1943.

63À l’issue de ce processus et sur recommandation de la commission Mattéoli fut créée en décembre 2000 la Fondation pour la Mémoire de la Shoah dont la dotation était constituée par les fonds en déshérence résultant de la spoliation des biens juifs et conservés par les administrations de l’État et les établissements financiers français. La mission qui lui était confiée comportait plusieurs facettes : recherches historiques et diffusion de connaissances sur la Shoah, soutien des initiatives des associations d’aide aux victimes des persécutions, projets éducatifs, culturels et cultuels. La FMS jouera un rôle central dans l’étape suivante de la transformation du site de la cité de la Muette et l’évolution du paysage mémoriel autour du site.

Le site classé Monument historique et le Mémorial de la Shoah à Drancy

64C’est la conjonction de plusieurs facteurs qui provoqua les évolutions des années 2000 à nos jours. La nécessité de rénover les bâtiments d’habitation, le souci de conserver le patrimoine architectural, le militantisme de Serge Klarsfeld, des moyens financiers accrus grâce à la nouvelle FMS – autant de dimensions toujours présentes ou nouvelles qui jouèrent alors avec force.

65Alors que plaques et monuments ornaient désormais le site, les bâtiments d’habitation se dégradaient. L’Office engagea donc des travaux de rénovation en juillet 1999. Or plusieurs initiatives étaient engagées pour que la cité de la Muette soit classée au titre des Monuments historiques. À la mi-décembre 1998, le docteur Richard Haddad s’adressait dans ce sens à la direction des Affaires culturelles de l’Île-de-France (la DRAC), en faisant valoir « l’histoire tragique dont ce lieu [avait] été la scène » et en insistant plus particulièrement sur les caves et le tunnel d’évasion. Près d’un an après le début des travaux de rénovation, un photographe américain William Betsch, dont l’attention sur la cité avait été attirée lors du Procès Papon, se trouvait en visite sur les lieux pour y « entreprendre un travail sur les traces encore visibles de la déportation », pour reprendre les termes de Vincent Guigueno. Il s’indigna de constater que les huisseries de la cité dessinées par Jean Prouvé, le fondateur des ateliers de Nancy et dont les œuvres atteignaient des sommes fort élevées outre-Atlantique, étaient jetées et ces fenêtres remplacées sans le moindre souci de leur valeur architecturale. « En détruisant la forme originale de la façade, nous brouillons la réalité, coupant insidieusement tout lien direct avec le passé, créant un voile apte à la projection de l’imagination, qui empêche le travail de mémoire de se faire à partir de l’objet lui-même », écrit-il dans un rapport adressé en juin 2000 à la DRAC. L’accord du préfet régional pour une instance de classement du bâtiment ne tarda pas à répondre à une requête de la DRAC, aussitôt adoubée par Catherine Tasca la ministre de la Culture et l’Office était mis en demeure de stopper les travaux. À l’automne, la Commission régionale du Patrimoine et des sites accédait à la demande de classement de la cité, ce qui fut officialisé par la ministre par un arrêté du 25 mai 2001.

66La cité de la Muette, était classée comme « réalisation architecturale et urbanistique majeure du XXe siècle […] et en raison également de son utilisation durant la Deuxième Guerre mondiale d’abord comme camp d’internement, puis comme camp de regroupement avant la déportation, qui en fait aujourd’hui un haut lieu de la mémoire nationale. » Étaient particulièrement évoqués « les façades et toitures, les escaliers et leurs cages, les caves, le tunnel des déportés, pour sa partie située sous la parcelle n° 104, le sol de la cour. » Les appartements eux-mêmes pouvaient être rénovés librement pour répondre au souci exprimé par ceux qui craignaient de figer le site dans son passé au risque d’entraver le développement et la rénovation nécessaires au bien-être des résidents.

67La demande de classement du site, venue de deux sources, conjugua donc les deux arguments évoqués d’emblée pour finalement aboutir : sa valeur architecturale et son histoire tragique durant la guerre. Restait à régler le problème des fenêtres Prouvé qui avait été le vrai déclencheur de ce classement. L’architecte en chef arguait de l’impossibilité de les restaurer et préconisait de les remplacer à l’identique, une proposition qui fut validée en juin 2002. Compte tenu du coût de ce type d’opération, il fallut attendre encore quelques années cependant pour que ces travaux soient effectués.

68Dans le même temps, le lien entre la cité et son histoire continuait d’occuper tant les politiques sur le plan local que les militants d’une mémoire de la Shoah. Le nouveau maire de Drancy, Gilbert Conte, qui avait remplacé Jean-Claude Gayssot en 1997 souhaitait, d’accord en cela avec Nilès, élargir la vocation mémorielle du site en y créant un « Centre international de recherche sur les exclusions » et en associant trois lieux symboliques, le Musée de Robben Island à Capetown, Gorée au Sénégal, lieu symbole de la traite négrière en Afrique, et Drancy dans une même étude de l’histoire des trois crimes contre l’humanité, l’apartheid, l’esclavage et la Shoah. Mais ce projet, qui ne faisait pas l’unanimité, tourna court après la victoire le 11 mars 2001 de Jean-Christophe Lagarde un conseiller municipal UDF mettant ainsi fin à soixante-six ans de gestion communiste à Drancy et dans un contexte où le Mémorial de la Shoah prenait un nouveau départ à Paris. Signe du retournement politique, la rue Lénine sera débaptisée trois ans plus tard et se verra attribuer le nom de rue Max Jacob. Le nouveau maire de Drancy se voulut pilote d’un nouveau projet d’aménagement qui connut plusieurs moutures et qui engage aujourd’hui l’ensemble du quartier et réunit tous les partenaires.

69De son côté, le Préfet de la Région Île-de-France (Jean-Pierre Duport) qui avait occupé de 1993 à 1998 les fonctions de préfet de Seine-Saint-Denis à Bobigny, reprenait une idée que la ville de Bobigny et son maire depuis 1965, Georges Valbon, en partenariat avec l’association Fonds Mémoire d’Auschwitz (AFMA) essayaient de promouvoir depuis le début des années 1990. L’AFMA avait été créée en 1987 par Georges Wellers et Henri Moraud pour pérenniser la mémoire des Juifs exterminés. Première manifestation d’un phénomène déjà évoqué à propos des travaux de rénovation des bâtiments d’habitation à Drancy, c’est un projet de démolition du bâtiment dit des voyageurs qui avait réveillé la mémoire jusqu’alors assoupie du rôle joué par la gare de déportation entre juillet 1943 et la Libération. Un comité de pilotage était créé en mai 2002 pour réfléchir sur le développement de la cité de la Muette et de la gare de Bobigny. C’était là le début d’un processus qui conduisit en janvier 2005 au classement de la gare au titre de Monument historique. La même année, l’entreprise de ferraillage qui avait occupé les lieux déménageait et Réseau ferré de France (RFF) dont Duport était devenu le Président du Conseil d’administration en juillet 2002 cédait, au franc symbolique, le bâtiment des voyageurs à la ville. Dernière étape en date de cette évolution mémorielle de la Gare de déportation, la SNCF et la ville de Bobigny signaient en 2011 un protocole de coopération pour la réhabilitation de cette ancienne friche ferroviaire. C’est en ce lieu que Guillaume Pepy, Président de la SNCF, prononçait sur place un discours de reconnaissance du rôle de la SNCF dans la déportation des Juifs de France, en présence de Simone Veil, qui avait été déportée à Auschwitz depuis Bobigny.

70Comme pour matérialiser les évolutions qui s’étaient produites dans les vingt années précédentes, le Mémorial du Martyr juif inconnu (son nom officiel depuis 1974) devenait en 2005 le Mémorial de la Shoah. Avec un « Mur des noms » pour rappeler le souvenir de tous les Juifs déportés de France et morts en déportation, un mur extérieur donnant sur une allée rebaptisée Allée des Justes et sur lequel furent inscrits les noms de tous les Français reconnus par Yad Vashem comme Justes parmi les Nations pour leur aide aux Juifs persécutés, une exposition permanente consacrée aux Juifs de France pendant la guerre, le mémorial s’était modernisé et considérablement agrandi, grâce notamment à l’aide financière de la FMS. Depuis cette date, il se trouve au cœur de la mémoire de la Shoah en France.

Wagon du souvenir

Wagon du souvenir

© Frédéric Crahay/Fondation Auschwitz

71Mais Serge Klarsfeld n’oubliait pas Drancy pour autant. Ayant repéré un pavillon en vente juste en face de la cité, il en informa la FMS qui demanda à la municipalité de le préempter. Le 8 novembre 2004, le préfet d’Ile de France convoquait un comité de pilotage en présence de Simone Veil, Présidente de la Fondation. Ayant posé pour préalable que les travaux et aménagements « destinés à garder et transmettre la mémoire de cette période de l’histoire nationale [respecteraient] le lieu de vie quotidienne des habitants de la cité de la Muette », le comité annonça que la Ville de Drancy cédait au Mémorial de la Shoah « un terrain situé en face de l’ancien camp, en vue d’y édifier un lieu de mémoire, d’enseignement et de recueillement. » Trois ans plus tard, la FMS proposait son projet de centre d’histoire et de mémoire sur ce terrain. Le concours international portant sur cet ensemble de 2 500 m² fut remporté par un architecte suisse, Roger Diener. Le Mémorial de la Shoah Drancy, qui s’attachait à ne pas se singulariser pour s’intégrer dans l’ensemble du site, permettait avec ses larges baies vitrées d’avoir une vue globale de l’ancien « camp des Juifs » à partir de la salle d’exposition où son histoire était retracée avec précision et sobriété.

72En 2009, lorsque les travaux de remplacement d’une partie des huisseries de la cité de la Muette furent enfin engagés, des graffitis jusqu’alors inconnus furent découverts par des ouvriers dans ce qui avait constitué les « escaliers de départ ». Environ soixante-dix carreaux de plâtre avec graffiti étaient restaurés en 2011 à l’initiative du Conseil général et avec le soutien du conseil régional d’Île-de-France et exposés l’année suivante dans la crypte du Mémorial de la Shoah à Paris puis aux Archives départementales de Seine-Saint-Denis. La boucle était (provisoirement ?) bouclée.

73À l’intérieur d’un ensemble de bâtiments en fer à cheval, un wagon, des rails de chemin de fer et une statue monumentale ; à l’extérieur, des casernes où résident des familles de gendarmes ; dans divers endroits, des plaques du souvenir et face à la cité de la Muette, il y a donc aujourd’hui un lieu dédié à la mémoire du camp, une annexe du Mémorial de la Shoah dans la capitale. Car il s’agit toujours d’un lieu excentré, en banlieue, et qui n’est pas toujours inclus dans les parcours mémoriels, malgré son importance centrale dans l’histoire de la déportation des Juifs de France. Pas très loin, deux stations sur la ligne B du RER peuvent éveiller de sombres souvenirs : « Drancy » et « Le Bourget ». Une des sorties de cette dernière mène à la Place des Déportés. Le dispositif mémoriel installé à la gare de Bobigny complète ceux de la cité de la Muette. Localement, l’histoire est désormais inscrite dans le paysage urbain.

74Dans la cité même, la vie continuait. Durant toutes ces années, les résidents s’étaient souvent inquiétés, le classement, l’arrêt des travaux de rénovation, des rumeurs d’une expulsion à venir – vivre sur le site du « camp des Juifs » n’était pas de tout repos. Pourtant, ils n’ont guère attiré l’attention que dans un film réalisé en 1998 et peu diffusé. Dans Les voix de la Muette, un documentaire qu’elle dédie à ses grands-parents, et notamment à la mémoire de son grand-père Max Rawicz, déporté de Drancy le 15 mai 1944, Daniela Zanzotto accorde une large place aux paroles des résidents. La juxtaposition de leurs propos ou d’images de leur vie courante et de témoignages sur l’internement ou d’images du « camp des Juifs » se passe de commentaires. Il n’y en a d’ailleurs guère dans ce film tout entier construit en patchwork. La cité a rajeuni, elle a été largement rénovée au cours des années, les habitants en sont conscients dont certains se félicitent de la chaleur humaine qui règne dans cet endroit où l’espace est suffisant pour éviter toute promiscuité. La factrice connaît tout le monde ; sous l’œil attentif de la caméra, elle réserve un mot gentil à chacun des résidents. D’autres se plaignent de la composition sociale qui a cours dans le site – « des gens à problèmes ». C’est une nouvelle sorte de ghetto, s’inquiète la factrice évoquant la surreprésentation d’une population immigrée. Les jeunes remplacent progressivement les gens âgés. Chacun sait que l’histoire du site a été tragique pendant la guerre, même les enfants. Cela se passait entre les Allemands et les Juifs soutiennent des jeunes, surpris et incrédules lorsqu’on les confronte avec une photo d’époque où se profile le képi d’un gendarme. Certains en ont assez d’être dérangés au nom de ce passé. D’autres se sont habitués. D’autres encore sont un peu gênés lorsqu’ils pensent à ce qu’a été leur appartement quelques dizaines d’années plus tôt. C’est une cité comme une autre, dit l’un des résidents. Une cité comme une autre ? La cité de la Muette à Drancy parle de plusieurs voix, mais l’une reste irrémédiablement liée au « camp des Juifs ».

Haut de page

Bibliographie

Archives (consultées par Benoît Pouvreau)

Archives municipales de Drancy (AM de Drancy)
Délibérations du Conseil municipal du 01.03.1945, du 17.01.1947 et du 11.12.1963.

Archives nationales (AN)
F/21/7085/B, Archives de la Direction Générale des Beaux-arts n° 910322 : Archives du Conseil d’administration de l’OPHBM (Département de la Seine).

Centre historique de Sciences Po
Y J 43‑46, Archives d’Yves Jouffa.

Mémorial de la Shoah, CDJC
CCXVII-25_001 à 011, CCXVII-29_001 à 003,
CCXVII-30_001 à 003, Archives de la Confédération générale des anciens internés victime du racisme.

Archives de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France (Paris)
Dossier de protection au titre des Monuments historiques de la cité de la Muette, 1976‑2001.

Livres et articles

Denise Aimé, Relais des errants, Paris, Desclée De Brouwer, 1946.

François Azouvi, Le Mythe du grand silence : Auschwitz, les Français, la mémoire, Paris, Fayard, 2012.

William Betsch, Drancy ou le travail d’oubli, Londres, Thames & Hudson, 2010.

Nissim (Noël) Calef, Drancy 1941 : Camp de représailles, Drancy la faim, Paris, Serge Klarsfeld / FFDJF, 1991.

Jacques Chirac, Discours et Messages, En hommage aux Juifs de France victimes de la collaboration de l’État français de Vichy avec l’occupant allemand, Paris, FFDJF, 1998.

Françoise Choay, « Cité de la Muette, Drancy : le culte patrimonial », Urbanisme, n° 325, juillet-août 2002, p. 90‑92.

Alice Courouble, Amie des Juifs, Paris, Bloud et Gay, 1946.

Julie Crémieux-Dunand, La vie à Drancy. Récit documentaire, Dessins de Jane Levy, Paris, Gedalge, 1945.

Jacques Darville et Simon Wichené, Drancy la juive ou la Deuxième inquisition, Paris, A. Breger Frères, 1945.

Gabriele Dolff-Bonekämper, « Les vestiges du camp de Drancy classés Monuments historiques », Bulletin de DOCOMOMO France, nº 6, 2001.

Edmond Dreyfuss, Quatre années au Consistoire de Paris (1946‑1949), Paris, 1953.

Annie Fourcaut, Banlieue rouge 1920‑1960, Paris, Autrement, 1992.

Sarah Gensburger, « Essai de sociologie de la mémoire : le cas du souvenir des camps annexes de Drancy dans Paris », Genèses n° 61, décembre 2005.

Vincent Guigueno, « Peut-on entrer dans l’histoire de la Shoah par la fenêtre ? L’aménagement de la cité de la Muette (Drancy), entre devoir de mémoire et politique du patrimoine », Andrieux Jean-Yves (dir.), Patrimoine. Sources et paradoxes de l’identité, Rennes, PUR, 2011.

Georges Horan-Koiransky, Le camp de Drancy, seuil de l’enfer juif. Dessins et estampes (1942‑1947), Paris, Créaphis, 2017.

Laura Jockusch, Collect and record: Jewish Holocaust Documentation in Early Postwar Europe, Oxford University Press, 2012.

Pieter Lagrou, Mémoires patriotiques et Occupation nazie, Bruxelles, Complexe/IHTP-CNRS, 2003.

Sébastien Ledoux, « Écrire une histoire du devoir de mémoire », Le Débat, 170, 2012/3, p. 175‑185.

Damien Mannarino, La mémoire déportée. Du témoignage des déportés des camps nazis dans l’édition en langue française, 1944‑1993, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Paris I, 1993.

Stéphane Maurel, Aux origines de la Fédération nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP), 1944‑1946, Paris, FNDIRP, 1993.

Simon Perego, Renée Poznanski, Le Centre de documentation juive contemporaine, 1943‑2013 : documenter la Shoah, Paris, Mémorial de la Shoah, 2013.

Denis Peschanski, La France des camps. L’internement, 1938‑1946, Paris, Gallimard, 2002.

Léon Poliakov, L’auberge des musiciens : Mémoires, Paris, Mazarine, 1981.

Benoît Pouvreau (dir.), Les Graffiti du camp de Drancy. Des noms sur les murs, Courtrai, Snoeck/Conseil général de la Seine-Saint-Denis, 2013.

Renée Poznanski, « La création du Centre de Documentation Juive en France (CDJC), avril 1943 », XXe Siècle. Revue d’Histoire, 63, juillet-septembre 1999, p. 61‑73.

Renée Poznanski, Propagandes et Persécutions, la Résistance et le « Problème juif », Paris, Fayard, 2008.

Henry Rousso, Eric Conan, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, 1994.

Simon Texier, « Le Mémorial des martyrs français de la déportation et le Réseau du Souvenir », in Bernard Marrey, Les bâtisseurs de la modernité, 1940‑1975, Paris, Le Moniteur, 2000.

Joseph Weill, Contribution à l’histoire des camps d’internement dans l’Anti-France, Paris, Centre de documentation juive contemporaine, 1946.

Georges Wellers, De Drancy à Auschwitz, Paris, Centre de documentation juive contemporaine, 1946.

Annette Wieworka, « Un lieu de Mémoire et d’Histoire : Le Mémorial du Martyr juif inconnu », Revue de l’Université de Bruxelles, 1987.

Annette Wieworka, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Paris, Plon, 1992.

Annette Wieworka, Michel Laffitte, À l’intérieur du camp de Drancy, Paris, Perrin, 2012.

Haut de page

Notes

1 Habitations à bon marché.

Haut de page

Table des illustrations

URL http://journals.openedition.org/temoigner/docannexe/image/8685/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 141k
Titre Mémorial
Crédits © Renée Poznanski
URL http://journals.openedition.org/temoigner/docannexe/image/8685/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 583k
Titre La cité de la Muette
Crédits © Renée Poznanski
URL http://journals.openedition.org/temoigner/docannexe/image/8685/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 433k
Titre Monument Sellinger
Crédits © Renée Poznanski
URL http://journals.openedition.org/temoigner/docannexe/image/8685/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 657k
Titre Wagon du souvenir
Crédits © Renée Poznanski
URL http://journals.openedition.org/temoigner/docannexe/image/8685/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Wagon du souvenir
Crédits © Frédéric Crahay/Fondation Auschwitz
URL http://journals.openedition.org/temoigner/docannexe/image/8685/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 375k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Renée Poznanski, « Drancy après Drancy »Témoigner. Entre histoire et mémoire, 129 | 2019, 112-134.

Référence électronique

Renée Poznanski, « Drancy après Drancy »Témoigner. Entre histoire et mémoire [En ligne], 129 | 2019, mis en ligne le 25 mai 2022, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/temoigner/8685 ; DOI : https://doi.org/10.4000/temoigner.8685

Haut de page

Auteur

Renée Poznanski

Département Politics and Government
Université Ben Gourion du Néguev, Beer-Sheva, Israël

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search