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Le Fort VII ou le martyrologe de Poznań

Fort VII, het martyrologium van Poznań
Johan Puttemans
Traduction de Ludovic Pierard
p. 36-45
Cet article est une traduction de :
Fort VII, het martyrologium van Poznań [nl]

Résumés

Poznań est une cité historique importante, située à l’ouest de la Pologne actuelle. Dès la prise de la ville par les nazis, son fort fut revendiqué par le Reichsstatthalter de la région de Posen, Arthur Greiser qui ordonna son aménagement en camp de concentration.

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Notes de la rédaction

Traduit du néerlandais par Ludovic Pierard

Texte intégral

1Poznań est une cité historique importante, située à l’ouest de la Pologne actuelle sur les rives de la rivière Warta. Comptant aujourd’hui environ un demi-million d’habitants, cette ville, une des plus anciennes de Pologne, a joué un rôle important dans l’histoire du pays. C’est là que les premiers rois polonais ont été inhumés. À partir du XIIIe siècle, alors qu’elle jouissait de privilèges calqués sur le modèle germanique, des Allemands commencèrent à s’y installer et l’appelèrent Posen, ainsi que des Juifs qui, eux, la baptisèrent Pozna (פאָדנאַ) en yiddish. Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, Poznań connut un énorme afflux d’Allemands, qui apportèrent dans leurs bagages leur propre folklore typique. Lors de la Deuxième Partition de la Pologne, en 1793, Poznań/Posen fut intégrée au royaume de Prusse, dont la puissance était alors en plein essor. Après la brève période napoléonienne, où elle fut rattachée au Duché de Varsovie, un État vassal de la France, le Congrès de Vienne décida en 1815 de restituer Posen à la Prusse. Dès lors, la population de la ville compta de nombreux Allemands, principalement luthériens, tandis qu’un quart de la population était juive. La première décennie du XXe siècle vit un recul sensible du nombre d’habitants allemands ou germanophones de Posen. En à peine un siècle, leur contingent s’était en effet réduit de moitié, un phénomène qui s’explique par deux raisons. Premièrement, la population allemande s’était mélangée aux Polonais, entraînant ainsi leur assimilation. Deuxièmement, de nombreux citoyens germanophones de Posen, dont beaucoup de Juifs, sont retournés dans des villes allemandes comme Berlin à la naissance de l’Empire allemand en 1871. En réaction, les autorités (locales) encourageront principalement des agriculteurs allemands à s’installer chez eux pour compenser ce recul germanique. Après la Première Guerre mondiale et la défaite de l’Empire allemand, le Traité de Versailles remit en 1919 la (Deuxième République de) Pologne sur la carte européenne. Poznań redevint une ville polonaise. Cela eut pour conséquence directe que les « Allemands » unilingues migrèrent (retournèrent) en Allemagne (alors la république de Weimar), mais aussi que les catholiques romains bilingues, désormais assimilés, s’identifièrent à des Polonais et décidèrent de rester. Au début des années 1930, seuls 5 % des habitants de Poznań se déclaraient encore « Allemands ».

2Le 1er septembre 1939, Hitler envahissait la Pologne, déclenchant ainsi la Seconde Guerre mondiale. L’armée polonaise fut rapidement contrainte de déposer les armes ; après un mois de combats, l’Allemagne nazie occupait la Pologne, qui devait être partagée selon un accord conclu entre Hitler et Staline. La partie occidentale de la république polonaise vaincue, dont faisait partie Poznań, fut annexée par l’Allemagne nazie et subdivisée en nouveaux districts. Posen intégra le Reichsgau Wartheland. L’oppression des Polonais y fut aussitôt tangible, tandis que les citoyens allemands d’avant 1919 étaient reconnus comme Volksdeutschers (à savoir, des germanophones qui habitaient hors des frontières de l’ancien Empire allemand).

3Après s’être emparées de la ville de Poznań, qui reprit officiellement le nom de Posen à partir du 1er novembre 1939, les autorités nazies allemandes la transformèrent en place forte militaire. Le Fort VII allait jouer un rôle important et sinistre dans la terreur que les nazis sèmeraient dans la région.

4L’environnement urbain et militaire de Posen avait changé à vue d’œil au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle ; sous le régime prussien, une ceinture de forts avait été érigée autour de la ville pour la défendre contre de possibles attaques. Le Fort VII, situé à l’ouest et également appelé Fort Colomb, avait servi d’entrepôt dans l’entre-deux-guerres. Dès la prise de la ville par les nazis, il fut revendiqué par le Reichsstatthalter de la région de Posen, Arthur Greiser, un nazi fanatique qui ordonna son aménagement en camp de concentration. À partir du mois d’octobre 1939, le Konzentrationslager Posen (une inscription toujours présente dans les ruines du site) servit à emprisonner des Polonais, principalement issus de la Grande Pologne et de l’intelligentsia locale, ceux qui jouaient un rôle social ou politique important dans la société de leur pays. Le Fort disposait d’une capacité d’incarcération simultanée de 2 000 à 2 500 personnes, sous la surveillance d’environ 400 SS.

5Très vite, le Fort VII se forgea une triste réputation et suscita la crainte. Dès le premier mois de la création du camp, le chimiste SS August Becker y procéda aux premières expériences d’exécution à l’aide de monoxyde de carbone. Quelque 400 patients provenant d’institutions psychiatriques de la région seront gazés dans le Bunker 17. L’opération fut menée sous le contrôle du SS-Sturmbannführer Herbert Lange, qui dirigeait la Gestapo à Posen (dépendant de l’Einsatzgruppe VI). En octobre 1939, le Sonderkommando Lange se rendit dans l’institution psychiatrique de la ville d’Owińska, située au nord de Posen, pour en déporter les patients au Fort VII à bord d’un à trois camions militaires, pouvant chacun accueillir 25 personnes. Au cours de la deuxième quinzaine du mois d’octobre 1939, la moitié des patients avait déjà été assassinée. Les premiers déportés furent les hommes, puis les femmes et, le 11 novembre 1939, les 78 enfants de l’institution. Les patients transférés au Fort VII étaient aussitôt conduits à la chambre à gaz, fermée par une porte en fer. De l’argile était appliquée dans les interstices pour rendre ainsi la pièce bien hermétique. Le gaz (du CO de fabrication industrielle), stocké dans des bouteilles raccordées à la porte par une ouverture, tuait les patients assez vite. Après le gazage, des détenus réguliers du camp chargeaient les corps sur des camions, pour les jeter ensuite dans une fosse commune creusée dans un bois des environs. Plusieurs milliers d’autres patients furent assassinés avec ce gaz mortel, d’abord dans cette chambre à gaz primitive du Fort VII, puis dans des camions spécialement aménagés.

6Un mois après son ouverture, l’affectation du camp de concentration de Posen changea pour devenir une prison de la Gestapo et un camp de transit. La majorité des prisonniers y étaient enfermés quelques mois, avant d’être exécutés sur place ou transférés vers d’autres camps, dont Dachau et Auschwitz. Ce furent à nouveau principalement des résistants polonais qui y furent emprisonnés. En mai 1941, Heinrich Himmler, le chef des SS, ordonna que le Fort VII soit transformé en prison pour la police, placée sous la responsabilité de la Sipo.

7Le démantèlement du camp commença en mars 1943. L’espace disponible devait être consacré à l’industrie (de guerre). Les détenus du camp furent transférés à Żabikowo. Les derniers ne seront évacués qu’en avril 1944. Des accessoires liés à la guerre seront fabriqués dans le Fort VII, comme du matériel de radio pour sous-marins et avions.

8À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Fort VII fut restitué à l’armée polonaise, qui l’aménagea en entrepôt. Finalement, après plusieurs plans visant à le transformer en musée, les autorités locales décidèrent d’y aménager en 1979 le Muzeum Martyrologii Wielkopolan Fort VII. Selon les chiffres affichés par le musée d’État, pas moins de 18 000 personnes furent enfermées dans le Fort VII. Près de 4 500 prisonniers, soit un quart du total, n’ont pas survécu à leur incarcération, la plupart ayant été exécutés par pendaison ou fusillés. Tous les documents ayant été détruits à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les chiffres exacts ne seront jamais connus. Toutefois, le Fort VII occupe encore une place importante dans la mémoire de la souffrance polonaise à Poznań.

Entrée du Fort VII, dit fort Colomb, surplombée des runes SS et de la dénomination donnée par les nazis : Konzentrationslager Posen

Entrée du Fort VII, dit fort Colomb, surplombée des runes SS et de la dénomination donnée par les nazis : Konzentrationslager Posen

Après la guerre, une croix y fut apposée afin de témoigner du martyrologe polonais

© 2015, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Partie avant du Fort dont les pièces étaient occupées par les SS

Partie avant du Fort dont les pièces étaient occupées par les SS

© 2015, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Ancienne casemate (bunker)

Ancienne casemate (bunker)

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Dépôt de munitions (bunker 17) transformé par les nazis en chambre à gaz provisoire dès octobre 1939

Dépôt de munitions (bunker 17) transformé par les nazis en chambre à gaz provisoire dès octobre 1939

Les patients de l’hôpital psychiatrique d’Owińska, à 13 kilomètres au nord de Poznań, y furent assassinés

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Plaque apposée à l’initiative de la Société psychiatrique polonaise

Plaque apposée à l’initiative de la Société psychiatrique polonaise

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Urne renfermant de la terre de Chełmno nad Nerem, que les Allemands rebaptisèrent Kulmhof

Urne renfermant de la terre de Chełmno nad Nerem, que les Allemands rebaptisèrent Kulmhof

Le Sturmbannführer Herbert Lange, ayant procédé à des expériences de gazages au Fort, deviendra par la suite le premier commandant du centre d’extermination de Chełmno, fin 1941

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Intérieur de la poudrière/chambre à gaz provisoire, les plaques portent les noms des victimes identifiées

Intérieur de la poudrière/chambre à gaz provisoire, les plaques portent les noms des victimes identifiées

Les urnes contiennent de la terre provenant de lieux de mise à mort ou de camps de concentration où ont transité les détenus du Fort

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Vue vers l’extérieur de la chambre à gaz provisoire

Vue vers l’extérieur de la chambre à gaz provisoire

Les portes étaient calfeutrées avec de la glaise afin d’empêcher le monoxyde de carbone de s’échapper

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Urne contenant de la terre de Żabikowo (Poggenburg en allemand), le camp de concentration au sud de Poznań, qui reprit les activités du KL Posen, après la transformation de celui‑ci, en avril 1944

Urne contenant de la terre de Żabikowo (Poggenburg en allemand), le camp de concentration au sud de Poznań, qui reprit les activités du KL Posen, après la transformation de celui‑ci, en avril 1944

Par la suite, le Fort VII devint une usine Telefunken produisant des équipements radio pour les sous-marins et les avions

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Intérieur d’un ancien abri antiaérien, qui servit de cellule pour les détenus du KL Posen

Intérieur d’un ancien abri antiaérien, qui servit de cellule pour les détenus du KL Posen

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Angle sud-ouest du fort, sur la plateforme se trouvait le canon de 150 mm qui servait à la défense du Fort lorsqu’il était utilisé par l’armée polonaise

Angle sud-ouest du fort, sur la plateforme se trouvait le canon de 150 mm qui servait à la défense du Fort lorsqu’il était utilisé par l’armée polonaise

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Tour de guet, aujourd’hui entourée de végétation luxuriante

Tour de guet, aujourd’hui entourée de végétation luxuriante

© 2015, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Vue sur les « escaliers de la mort », plusieurs détenus y furent poussés par leurs geôliers

Vue sur les « escaliers de la mort », plusieurs détenus y furent poussés par leurs geôliers

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Le « mur de la mort » où furent exécutés les condamnés à mort par fusillade

Le « mur de la mort » où furent exécutés les condamnés à mort par fusillade

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

Vue d’ensemble de la partie sud du Fort ouverte aux visiteurs

Vue d’ensemble de la partie sud du Fort ouverte aux visiteurs

© 2020, Fondation Auschwitz/Frédéric Crahay

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Table des illustrations

Titre Ensemble Fort VII
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Titre Entrée du Fort VII, dit fort Colomb, surplombée des runes SS et de la dénomination donnée par les nazis : Konzentrationslager Posen
Légende Après la guerre, une croix y fut apposée afin de témoigner du martyrologe polonais
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Titre Partie avant du Fort dont les pièces étaient occupées par les SS
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Titre Ancienne casemate (bunker)
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Titre Dépôt de munitions (bunker 17) transformé par les nazis en chambre à gaz provisoire dès octobre 1939
Légende Les patients de l’hôpital psychiatrique d’Owińska, à 13 kilomètres au nord de Poznań, y furent assassinés
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Titre Plaque apposée à l’initiative de la Société psychiatrique polonaise
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Titre Urne renfermant de la terre de Chełmno nad Nerem, que les Allemands rebaptisèrent Kulmhof
Légende Le Sturmbannführer Herbert Lange, ayant procédé à des expériences de gazages au Fort, deviendra par la suite le premier commandant du centre d’extermination de Chełmno, fin 1941
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Titre Intérieur d’un ancien abri antiaérien, qui servit de cellule pour les détenus du KL Posen
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Titre Vue vers l’extérieur de la chambre à gaz provisoire
Légende Les portes étaient calfeutrées avec de la glaise afin d’empêcher le monoxyde de carbone de s’échapper
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Titre Urne contenant de la terre de Żabikowo (Poggenburg en allemand), le camp de concentration au sud de Poznań, qui reprit les activités du KL Posen, après la transformation de celui‑ci, en avril 1944
Légende Par la suite, le Fort VII devint une usine Telefunken produisant des équipements radio pour les sous-marins et les avions
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Titre Angle sud-ouest du fort, sur la plateforme se trouvait le canon de 150 mm qui servait à la défense du Fort lorsqu’il était utilisé par l’armée polonaise
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Titre Tour de guet, aujourd’hui entourée de végétation luxuriante
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Titre Vue sur les « escaliers de la mort », plusieurs détenus y furent poussés par leurs geôliers
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Titre Le « mur de la mort » où furent exécutés les condamnés à mort par fusillade
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Titre Vue d’ensemble de la partie sud du Fort ouverte aux visiteurs
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Pour citer cet article

Référence papier

Johan Puttemans, « Le Fort VII ou le martyrologe de Poznań »Témoigner. Entre histoire et mémoire, 132 | 2021, 36-45.

Référence électronique

Johan Puttemans, « Le Fort VII ou le martyrologe de Poznań »Témoigner. Entre histoire et mémoire [En ligne], 132 | 2021, mis en ligne le 26 janvier 2023, consulté le 20 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/temoigner/9868 ; DOI : https://doi.org/10.4000/temoigner.9868

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Auteur

Johan Puttemans

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