L’auteur remercie les membres du séminaire « Conflictualités au travail » à l’ENS de Paris ainsi que les rapporteur-e-s de la revue Temporalités pour les commentaires et les critiques apportés à cet article
1Si la journée de travail a longtemps été le cadre temporel de référence dans l’industrie – tant dans l’organisation du travail que dans les revendications des organisations de salariés à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle – les évolutions de l’économie (Veltz, 2017) ont fait que la journée a perdu progressivement son sens dans le temps opérationnel de l’entreprise. La primauté du temps du marché fait que le temps est, d’une part, déterminé à partir du flux de production et, d’autre part, mesuré à partir d’unités de référence de plus en plus longues – la semaine, l’année, les cycles productifs, etc. (Bloch-London et Marchand, 1990).
- 1 On peut néanmoins citer le travail que Nicolas Hatzfeld (2005) consacre au chronométrage, sans pour (...)
2Quelles conséquences ont eu ces transformations sur la « structure du temps de travail » (Naville, 1972) dans l’industrie ? Cet article cherche à montrer, à partir d’une enquête de terrain sur une usine d’assemblage de voitures, que le temps de travail a adopté un caractère flexible et fragmenté suite aux transformations concomitantes de l’organisation du temps de travail et des relations professionnelles. Alors que le secteur « sert de “matrice” aux révolutions organisationnelles depuis un siècle » (Gorgeu et Mathieu, 2005) (restructurations, gestion de la main-d’œuvre, introduction de nouvelles technologies, etc.), peu de travaux ont été consacrés aux horaires de travail en vigueur dans les établissements de la filière automobile1. Pourtant, ce secteur repose désormais sur un modèle productif et des horaires de travail très dépendants du marché.
- 2 Cette annualisation permet de définir le nombre d’heures de travail de chaque salarié sur une année (...)
3De plus, la négociation d’accords d’entreprise dans la métallurgie – et tout particulièrement dans la filière automobile – favorise depuis plusieurs décennies la flexibilité des horaires. À titre d’exemple, on peut citer la dérégulation du travail du week-end à partir de l’ordonnance de janvier 1982 (Boulin et Lesnard, 2017) ou la négociation d’accords d’annualisation du temps de travail lors de la mise en place des 35 heures dans un cadre plus large que celui prévu par la loi2. Enfin, en réponse à la crise économique qu’a connue le secteur après 2008, les directions des groupes ont négocié une transaction entre la garantie de l’emploi et une flexibilité accrue du temps de travail sous la forme des accords dits « de compétitivité » (Carbonell, 2019).
4De manière générale, plusieurs travaux constatent un renforcement de la flexibilité du temps de travail et une disponibilité temporelle accrue des salariés en France et en Europe (Basso, 2003 ; Bouffartigue, 2012). Cantonnés au départ au secteur des services, ces changements s’étendent aujourd’hui à l’industrie, où la régularité et la prévisibilité des horaires déclinent. Ces modifications sont permises, entre autres, par le poids accru de l’autorégulation des entreprises en matière de relations professionnelles et d’organisation du travail. En ce qui concerne le temps de travail, comme le rappelle Annette Jobert (2010), les quinze dernières années sont en effet marquées par une libéralisation des 35 heures (notamment à partir du déplafonnement des heures supplémentaires) à laquelle s’ajoute la progression des horaires « atypiques » (Boulin et Lesnard, 2017).
5La sociologie a principalement abordé la question du temps de travail sous l’angle de l’emploi (Clouet et al., 2019) dont le maintien ou la progression est négocié contre plus de flexibilité ou plus d’heures travaillées, en minorant les pratiques d’organisation du temps de travail et de planification des horaires par les entreprises. Une telle approche éclaire les formes de flexibilité et d’intensification du travail et elle permet également d’aborder la question de la fragmentation du temps de travail. Cependant, la nature de cette fragmentation n’est pas clairement établie. Pour certains auteurs, elle prend la forme d’une diversification des durées individuelles du travail malgré l’existence de normes collectives (Afsa et Marchand, 1990). Pour d’autres, elle concerne plutôt les « modes de régulation de la durée de travail » (Freyssinet, 1997, p. 33). Dans notre terrain d’enquête, ces deux analyses se combinent, suscitant une soumission plus importante du temps des salariés au temps de la production, une plus grande flexibilité et une multiplication des durées de travail. Ceci correspond à ce que Jens Thoemmes appelle une « intensification discontinue » (2000, p. 66) du temps de travail.
6Dans une première partie, je présenterai les facteurs qui favorisent la variation du temps de travail dans l’établissement étudié. Dans une deuxième partie, je montrerai comment cette variabilité produit un temps désynchronisé et élastique. Enfin, dans une troisième partie, je reviendrai sur les négociations que suscitent les changements dans l’organisation du temps de travail entre la direction de l’établissement et les représentants du personnel.
L’enquête
Pour cet article, je mobilise les résultats d’une enquête de terrain réalisée entre 2013 et 2017 sur les conséquences de la crise du groupe PSA sur l’établissement de Mulhouse. Il s’agit d’une usine de fabrication et d’assemblage de voitures. Jusqu’en 2017, la production était organisée en deux flux de production ou systèmes. Le système 1 fabriquait des voitures de la marque Citroën et DS, tandis que le système 2 fabriquait des voitures de la marque Peugeot. Le site a connu une forte baisse de ses effectifs pendant la durée de l’enquête, passant de 7 800 salariés au début 2013 à 6 100 salariés en CDI au début 2017. Au moins trois équipes travaillent sur place : la tournée A (TA) et la tournée B (TB) alternent une semaine sur l’autre les horaires du matin (5 h 20-13 h 06) et les horaires de l’après-midi (13 h 06 - 20 h 32), tandis que la tournée C (TC) travaille la nuit (20 h 37 - 3 h 54). Les ouvriers qui travaillent à la TA et à la TB sont concernés par ce que Pierre Boisard et Jean-David Fermanian (1999) appellent un rythme de travail « hors norme », mais « cyclique » : ils alternent le travail le matin et l’après-midi une semaine sur deux. Les ouvriers de la tournée C connaissent quant à eux les mêmes horaires d’une semaine sur l’autre. Cette enquête, constituée principalement par des entretiens approfondis avec des ouvriers du montage et du ferrage de l’usine, a été complétée par l’analyse des procès-verbaux (PV) de la réunion ordinaire du comité d’établissement (CE) allant de 2013 à 2015. Lors de ces réunions ayant lieu à la fin du mois, les représentants de la direction présentent aux élus du personnel le bilan de l’établissement pour le mois écoulé, les programmes de production du mois suivant et les modifications des horaires des différents ateliers de production (montage, ferrage, peinture, forge, fonderie, outillage).
Certains travaux ont insisté sur les apports et les limites de l’utilisation de documents d’entreprise dans les enquêtes de terrain sur le travail (Michel et Lacoste, 1998 ; Lomba, 2008). Les PV du CE ne fournissent pas le déroulement à l’avance de la production à l’usine : le flux se heurte sans cesse et de manière imprévue à des pannes, à des ruptures d’approvisionnement, etc. Malgré le décalage entre les horaires annoncés et les horaires effectifs, la régularité des réunions de CE permet de suivre d’un mois à l’autre l’évolution de l’organisation du temps de travail. Ces documents nous intéressent aussi parce qu’ils montrent que le temps de travail est un enjeu de luttes entre représentants de la direction et représentants des salariés. Enfin, l’étude de la période 2013-2014 est particulièrement intéressante pour nous dans la mesure où c’est à ce moment-là que l’entreprise décide d’une nouvelle politique industrielle qui modifie l’organisation du temps de travail.
7La plupart des auteurs s’accordent autour d’un « tournant industriel » (Lallement, 2003, p. 20) du temps de travail aux xviiie-xixe siècles qui consiste en l’imposition d’horaires réguliers et collectifs aux ouvriers dans les premières manufactures (Thompson, 2004). D’un travail orienté par la tâche, les activités productives sont passées progressivement à un travail mesuré par des unités de temps. L’avènement d’une société salariale a ainsi fait que le temps est devenu « la mesure de l’opération de travail, et par suite du gain salarial » (Naville, 1972, p. 111).
8Toutefois, malgré l’apparence de régularité et de prévisibilité, plusieurs travaux ont montré à la fois l’absence d’une discipline d’atelier capable d’imposer des horaires stricts (Bourdieu et Reynaud, 2004) et la variabilité du temps de travail au début du xxe siècle (Roussel, 2011). Des travaux ont également mis en lumière l’évolution du temps de travail de la moitié du xixe siècle jusqu’à nos jours, suggérant que l’on peut penser désormais le temps de travail selon plusieurs unités de mesure, la journée, la semaine, l’année, ou même le temps à l’échelle d’une vie (Marchand et Thélot, 1997 ; Naville, 1972). Enfin, comme le rappelle Gary Cross (1989), un rythme de travail de journées de huit heures, interrompues par un week-end et des congés payés, a été une configuration historique limitée aux démocraties occidentales. Ainsi, ce que Paul Bouffartigue (2012) appelle la norme temporelle « fordienne », dont le propre est entre autres la régularité et la prévisibilité des horaires, a donc eu une courte durée de vie (des années 1930 aux années 1960), la période actuelle étant caractérisée par l’érosion de cette norme dominante.
9La réduction du temps de travail aux xixe et xxe siècles a eu pour effet de forcer les employeurs à rendre plus efficient l’usage de la force de travail grâce à la flexibilité du temps de travail et à une intensification du travail (Nyland, 1986). En France, le passage aux 35 heures a contribué à ce mouvement : pour les salariés, la réduction du temps de travail s’est traduite par une intensification de l’activité au travers d’une polyvalence et d’une productivité accrues, tandis que pour les employeurs, la modulation et l’annualisation du temps de travail ont permis de ne pas avoir recours à des heures supplémentaires en cas de dépassement de la durée légale (Pélisse, 2008, 2011). Plusieurs enquêtes récentes ont aussi montré les rapports étroits qu’entretiennent intensité et flexibilité du temps de travail : l’intensification du travail liée aux contraintes marchandes se répercute sur l’organisation du temps de travail, au profit de la réactivité des installations et de la disponibilité temporelle des salariés (Boisard, Cartron, et Valeyre, 2002 ; Valeyre, 2004). Enfin, comme nous l’avons dit, certains auteurs voient dans ces phénomènes une tendance à la fragmentation du temps de travail conduisant à une « intensification discontinue du travail » (Thoemmes, 2000, p. 66).
10Cette intensification discontinue est particulièrement sensible dans la filière automobile depuis la mise en place d’une production en juste-à-temps (JAT) et la mobilisation des salariés via le flux tendu (Durand, 2004). La coordination d’activités entre le service commercial et l’usine terminale où sont assemblées les voitures devient centrale pour le respect des programmes de production (Veltz, 2017). D’une part, le travail est rythmé par les aléas du marché et de la production, entraînant des périodes de chômage technique ou de suppression d’équipes de travail et des phases de montée en cadence, d’heures supplémentaires en horaires atypiques, de création d’équipes de travail de nuit ou de week-ends. D’autre part, les équipes, les tournées et les ateliers travaillent selon des rythmes et des modalités spécifiques de rémunération des heures supplémentaires.
- 3 C’est l’expression utilisée par les salariés enquêtés et dans les documents internes de l’entrepris (...)
11Ces évolutions ressortent nettement dans l’établissement étudié à partir de la signature de l’« Accord-cadre sur l’amélioration de l’organisation et la durée du travail, la formation et l’emploi » du 4 mars 1999 installant les 35 heures dans le groupe. Cet accord redéfinit le cadre horaire de l’activité productive. La durée conventionnelle du travail dans l’entreprise y est fixée à sept heures par « séance de travail »3 et à 35 heures hebdomadaires, le temps de travail pouvant être apprécié selon plusieurs échelles : le cycle de production, la semaine ou l’année. Cet accord permet l’organisation de cycles de travail de trois, quatre, cinq ou six jours par semaine après un accord d’établissement. Par ailleurs, l’annualisation du temps de travail peut faire varier l’horaire d’une semaine à l’autre. L’accord rappelle en effet que « l’entreprise pourra faire varier l’horaire collectif à la hausse pour faire face à une augmentation de la demande ou à la baisse, pour s’ajuster à des diminutions conjoncturelles des besoins » (p. 13). Dans cette optique, un compteur horaire individuel annuel a été mis en place dont la borne haute et fixée à + 35 heures et la borne basse à – 35 heures. Les salariés alimentent ce compteur à partir des heures travaillées au-delà des 35 heures lorsque des séances supplémentaires sont programmées. De même, dans le cas d’une situation économique défavorable, si le compteur passe sous les 35 heures, le salarié verra une partie de son salaire payé au titre du chômage technique (appelé aussi activité partielle, AP).
- 4 « Accord d’entreprise portant sur la durée effective, l’organisation du temps de travail et les co (...)
- 5 « Accord local portant sur la durée effective, l’organisation du temps de travail et les congés de (...)
12Cet accord a été complété par une multitude de textes négociés au niveau central ou au niveau local par les organisations représentatives dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur la durée effective et l’organisation du temps de travail. Ces textes précisent les horaires de travail, la création ou la suppression de tournées, la répartition des congés, etc. En ce sens, un avenant local à l’accord du 4 mars 1999 sur le site de Mulhouse définit un cycle de travail de huit semaines, avec un samedi travaillé à la fin du cycle de huit semaines. Il a été suivi par trois avenants à l’accord local précisant le régime de travail : le cycle a été réduit de huit à deux semaines en 2002, favorisant le travail le samedi une semaine sur deux. Les textes et les modalités qu’ils définissent changent à la faveur des contextes (croissance, crise, lancement d’un nouveau véhicule). Pour autant, dans un marché de vente d’automobiles où les variations de la demande peuvent atteindre plus ou moins 20 % dans la même année4, le but de ces accords est toujours d’organiser le temps de travail de manière de plus en plus flexible afin de pouvoir anticiper une situation qui « pourrait entraîner des modifications du calendrier de travail à la hausse ou à la baisse »5. Enfin, il faut mentionner que le volume d’heures travaillées n’est pas le seul outil entre les mains des entreprises pour gérer les variations du flux. L’emploi intérimaire permet aussi d’anticiper un calendrier de travail à la hausse ou à la baisse.
13L’effet de ces changements est perceptible lors des réunions mensuelles du comité d’établissement et de l’information-consultation qui y est faite sur les prévisions d’horaires dans les différents ateliers de l’usine pour les deux mois à venir et indiquant les hausses ou baisses d’horaires du mois à venir. L’ajout ou la suppression de séances de travail suscite souvent des échanges conflictuels entre la direction de l’usine et les représentants du personnel. Lorsque des séances sont ajoutées, les représentants du personnel réclament soit plus de clarté dans les choix de la direction, soit des contreparties aux efforts demandés aux salariés, soit tout simplement leur annulation au nom du respect de la vie privée des salariés. Quand des séances sont annulées, les représentants du personnel critiquent la marche de l’entreprise et l’organisation des transports ou de la restauration pour les salariés qui continuent de travailler dans certains secteurs.
- 6 La crise du groupe s’est illustrée par une forte baisse des commandes. Entre janvier 2012 et janvie (...)
- 7 PV CE, janvier 2013.
14Les fluctuations du temps de travail par ajout ou suppression de séances dépendent de plusieurs facteurs, dont les variations des ventes de véhicules en France et en Europe. La crise qu’a traversée le groupe en 2012-2013 s’est ainsi directement répercutée sur le volume de travail fourni par les salariés et le nombre de leurs jours travaillés6 par la suppression d’un grand nombre de séances de travail sur les deux systèmes de production7 et la baisse des heures supplémentaires. Cette fluctuation des horaires de travail n’est pas nouvelle dans l’industrie. Lors de la crise des années 1930, les patrons de l’industrie textile de la Nièvre, par exemple, y avaient eu recours face à la baisse soudaine et brutale de l’approvisionnement, entraînant un chômage technique (Roussel, 2011).
15On constate d’autres sources de fluctuation de la production, cette fois plus directement industrielles, telles que les ruptures du flux de production dont on observe deux ordres. D’abord, des « ruptures négociées » du flux (Vatin, 1987), c’est-à-dire les grèves et les débrayages qui peuvent provoquer des pertes de production. Ce premier type de ruptures reste relativement rare dans l’usine étudiée, connue pour être peu conflictuelle hormis lors de la négociation de l’accord de compétitivité d’octobre 2013 au cours de laquelle des arrêts de travail concernant plusieurs centaines de salariés ont eu lieu. Ensuite, des ruptures non négociées provoquées par des pannes techniques ou des difficultés d’approvisionnement provoquant, là encore, des pertes de production – parfois considérables – que la direction cherche ensuite à rattraper par divers dispositifs.
- 8 La direction de l’établissement se réjouit de ces chiffres, qu’elle voit comme une confirmation de (...)
16La crise de 2012 et la suppression de séances de travail qui en découla, furent suivies d’une période faste pour le constructeur, avec le succès de la Peugeot 2008, dès son lancement en janvier 2013 : 36 500 unités ont été commandées en Europe au cours des six premiers mois et 73 000 la première année8. Comme le montre la figure 1, ce succès s’est traduit par l’augmentation symétrique du nombre d’unités programmées à l’usine et, corollairement, des séances de travail supplémentaires les samedis et certains jours fériés. Une telle séance est ainsi organisée le 1er novembre 2013 pour la tournée A et le 11 novembre pour la tournée B, permettant de produire 300 unités supplémentaires par jour. Il s’agit là de séances de travail en horaire affiché, c’est-à-dire obligatoire pour tous les salariés de la production. Ceux qui ne souhaitent pas travailler ces jours-là peuvent informer leur hiérarchie de leur « désistement », mais l’encadrement exerce de fortes pressions pour l’éviter. Seuls les représentants du personnel jouissent d’un rapport de force suffisant pour refuser le surcroît de travail (Carbonell, 2019).
- 9 PV CE, juin 2014, p. 8.
17La « garantie journalière de production », appelée aussi overtime dans la filière automobile, est un autre moyen de « rattraper » les pertes de production. Introduit par l’accord de compétitivité d’octobre 2013, ce dispositif rend possible l’ajout de dix minutes de travail supplémentaire, soit pendant la pause casse-croûte pour la tournée du matin, soit en fin de tournée de l’après-midi, soit vingt minutes en fin de séance pour la tournée de nuit. Appliqué aux trois tournées, ce dispositif élargit la journée de travail de 40 minutes. Jusqu’en octobre 2013, la direction de l’usine n’a pas eu recours à ce dispositif privilégiant les séances supplémentaires majorées et sur base de volontariat. Elle l’a introduit à partir de janvier 2014, quand le volume des pertes de production ne justifiait pas une séance supplémentaire. L’overtime est ainsi présenté par le directeur des ressources humaines (DRH) comme un moyen « d’honorer le contrat de production le plus rapidement possible par rapport aux délais »9.
18Si l’argument de l’ajustement du temps de travail au volume de production est sans cesse mobilisé par la direction de l’entreprise, certains travaux montrent toutefois que les dispositifs d’organisation d’un temps de travail flexible fonctionnent entre les mains des directions des entreprises comme un moyen de dépasser systématiquement les programmes de production (Pardi, 2009). En effet, des pertes de production ont lieu tous les mois pour diverses raisons, mais le rattrapage de la production permet presque toujours de les dépasser. La figure 2 montre les dépassements d’objectifs de production et les pertes de production sur le système 1 et le système 2 fabriquant respectivement les voitures Citroën et DS (bleu) et Peugeot (vert). On y voit qu’entre octobre 2013 et juin 2014, les programmes ont été dépassés, tous les mois, de plusieurs dizaines de voitures sur les deux systèmes et particulièrement sur le système 2. L’argument du « rattrapage » des retards de production doit donc être relativisé.
Figure 1. Programme de production (en nombre de véhicules produits), 2013-2014.
Sources : procès-verbaux du comité d’établissement.
Figure 2. Dépassement et pertes d’unités sur les deux systèmes, 2013-2014.
Sources : procès-verbaux du comité d’établissement.
- 10 Le système andon est une des innovations introduites par le toyotisme. Il permet à un opérateur de (...)
19Les pertes de production et les arrêts de chaîne sont intégrés dans les programmes de production – ce que l’on appelle les provision andon10 dans le langage de l’entreprise. Cela veut dire que chaque panne évitée permet un dépassement des programmes. Plusieurs exemples permettent d’illustrer ce phénomène : au mois de janvier 2013, le système 1 qui fabrique les voitures Citroën a perdu 374 véhicules à la suite de pannes informatiques et d’arrêts andon, mais il a « rattrapé » 692 unités. Les dispositifs andon et overtime peuvent aussi se combiner pour dépasser les programmes de production. Ainsi, au mois de juin 2014, le système 2 qui fabrique les voitures Peugeot a perdu 85 unités et en a « rattrapé » 247 grâce à ces deux mécanismes. Toutefois, si les pertes dues à des pannes sont trop importantes (comme au mois d’août 2014, où une rupture d’approvisionnement a empêché la fabrication de 1 307 unités au système 2), elles ne peuvent être compensées que sur plusieurs mois.
20Le temps de travail enchaîne donc des périodes d’activité partielle et des périodes d’activité intense par l’introduction de séances supplémentaires et par l’overtime, ce qui suscite l’incompréhension des représentants du personnel. Un élu CFTC explique par exemple au comité d’établissement d’avril 2013 :
- 11 Procès-verbal (PV) du comité d’entreprise (CE), mars 2013, p. 20.
« Nous ne comprenons pas que vous planifiez une séance supplémentaire le 20 avril pour l’[unité terminale], alors qu’elle a chômé fin mars. »11
- 12 Les prénoms ont été modifiés.
21Il en est de même pour Frank12, élu CGT, ouvrier à l’atelier mécanique, qui rapporte l’exaspération des salariés :
- 13 La réduction des stocks en fin d’année conduit à une meilleure situation des actifs, ce qui permet (...)
- 14 PV CE, décembre 2013, p. 19.
« Nous déplorons le recours à l’activité partielle (AP) en fin d’année pour ajuster les stocks13. Par ailleurs, le moindre aléa de production oblige à rétablir des séances de travail en dernière minute, comme nous l’avons encore constaté dernièrement en mécanique. »14
22À ces différentes réclamations, le DRH répond généralement qu’il faut « répondre à la demande » par tous les moyens que leur permet l’organisation industrielle. Des travaux ont documenté comment le temps de travail pouvait apparaître comme « tyrannique » aux salariés en imposant une temporalité de l’extérieur (Snyder, 2017). Pour notre usine, les variations du marché et les pannes, qui justifient aux yeux de la direction la variabilité des horaires, apparaissent aux yeux des ouvriers comme des facteurs externes au travail, ou comme n’étant pas de leur responsabilité directe.
23On voit donc comment les contraintes de marché et les contraintes industrielles sont des facteurs qui font varier le temps de travail à l’usine à l’échelle de la journée (allongements horaires) ou à l’échelle de plusieurs mois (planification de séances de travail supplémentaires). Cette flexibilité ne provoque pas seulement une variation dans le volume d’heures travaillées, mais également un temps désynchronisé et élastique au niveau des ateliers et des équipes.
24Les variations à la hausse et à la baisse du volume d’heures de travail se doublent d’une désynchronisation des différents ateliers et tournées de l’usine. Le travail en équipe existe depuis longtemps dans l’industrie et tout particulièrement dans la filière automobile. Toutefois, l’exemple étudié montre comment les ruptures négociées et non négociées du flux modifient plus encore la structure du temps de travail.
25Le calendrier de travail des différentes tournées des premiers mois de 2016 permet de suivre l’évolution des horaires de travail et le paiement des séances supplémentaires en modulation. La désynchronisation affecte tout d’abord les différents ateliers de l’usine. Par exemple, le 8 et 9 mars n’ont pas été travaillés uniquement pour la tournée A du ferrage et de la peinture. Certains ateliers peuvent donc être « en avance » relativement à d’autres dans la modulation de la production. C’est aussi le cas du ferrage par rapport au montage en début d’année à la suite d’une panne. Le samedi 4 février correspond au deuxième samedi travaillé au ferrage, mais seulement le premier au montage. Ces décalages entre ateliers ont des conséquences sur le paiement des samedis travaillés : le samedi 4 mars a été majoré de 25 % pour les ouvriers du ferrage, mais pas pour les ouvriers du montage.
26Par ailleurs, les tournées A et B sont susceptibles de travailler selon des rythmes différents. Par exemple, deux séances supplémentaires ont été programmées pour la tournée A du système 2 au mois de janvier et deux séances de travail supplémentaires au mois de février 2014. Dans la même période, la tournée B n’a travaillé qu’une séance supplémentaire par mois. Le dernier samedi du mois est en effet souvent programmé pour pallier d’éventuelles pertes de production – il est considéré comme journée de « sécurisation » – mais il peut être annulé s’il n’y a pas eu de pertes15.
27Des séances de travail de certaines tournées ou de certains ateliers peuvent également être annulées après un événement imprévu et indépendant de l’entreprise comme (souvent) des ruptures d’approvisionnement de sous-traitants ou des aléas naturels, tels que des inondations. Ainsi, le vendredi 20 et le samedi 21 janvier, la tournée A du montage n’a pas travaillé par défaut d’approvisionnement de pièces. Toutefois, l’annulation de séances de travail reste rare à l’usine terminale (même si elles ont des conséquences sur le paiement des heures supplémentaires par la suite), alors qu’elles sont fréquentes dans d’autres secteurs comme l’outillage central ou à l’atelier mécanique.
28En réaction à cette désynchronisation, les élus du personnel demandent que les tournées soient synchronisées. Les salariés de certaines tournées risquent en effet de travailler plusieurs samedis de suite comme le dénonce un élu CFE-CGC au comité d’établissement du mois de janvier 2014, qui demande un « rééquilibrage » des séances de travail supplémentaires des tournées A et B. Le DRH, qui souhaite conserver le principe des samedis de « sécurisation »16, juge la demande irrecevable. Ainsi, la désynchronisation favorise une individualisation du temps de travail sur le site entre salariés qui ont travaillé plus ou moins de samedis et constitue un enjeu pour les organisations syndicales tant du point de vue de la charge de travail que du paiement des samedis travaillés.
29L’organisation du temps de travail se voit modifiée d’une autre façon – cette fois-ci à l’échelle de la journée elle-même – par la cadence de la ligne de production. C’est le cas des run, qui sont des courtes périodes d’accélération de la cadence, généralement placées en début de journée, souvent sans même prévenir les opérateurs.
30Ce dispositif participe à l’intensification discontinue du temps de travail. Le but affiché de ces run au système 2 est double. Premièrement, rattraper des pertes de production en faisant travailler plus vite les ouvriers monteurs. Deuxièmement, accoutumer ceux-ci à un rythme de travail plus élevé, anticipant la « modernisation » de l’atelier montage. Jusqu’à l’inauguration du nouvel atelier montage en 2017, au système 2, la cadence de ligne passait, lors des run, de 70 secondes d’intervention par voiture à 64 secondes. Depuis, la cadence stabilisée est montée jusqu’à 57 secondes par voiture, sans recours à de nouveaux run. Christian, ouvrier au montage et militant à la CGT, explique le mécanisme de cette intensification :
« Ils appellent ça des run, ça veut tout dire, hein ! On fait une course. Les gens n’arrivaient pas à tenir pour faire entre 50 et 60 voitures à l’heure. Maintenant à 62 voitures à l’heure, les moniteurs servent de régie, c’est-à-dire que les moniteurs plutôt que de venir à l’appel, ils sont là, ils aident, ils montent des pièces pour qu’on y arrive. Tout le monde malheureusement baisse la tête et monte dans le train pour faire un maximum de voitures. (…) Ils ont toujours exercé ce genre de pratiques pour augmenter la vitesse. C’est une sorte d’entraînement à une vitesse haute. (…) Ça nous est arrivé ce jeudi, quand on est arrivés à 5 h 30 on se disait on est fatigués, c’est pas possible. Donc, on a contrôlé au chronomètre, on a vu qu’on était au-dessus de la minute. Donc, j’ai interpellé le responsable de fabrication, et il m’a confirmé qu’on exerçait un run, alors qu’il y a aucune prévenance. La vitesse était accélérée sans qu’on sache rien. S’ils nous disaient que la vitesse accélère, les gens effectivement on pourrait dire qu’ils sont des têtes dures, alors ils freineraient. Mais là, sans nous le dire, ils essaient de nous faire croire qu’on est fatigués et puis ils nous font courir. Après ils l’ont arrêté à sept heures ce bordel, parce que ça n’arrêtait pas d’arrêter la chaîne, des pièces étaient mal montées, ça allait trop vite. Même les installations ne suivaient pas. »
31Le run n’est pas sans conséquence sur la qualité du travail. Plusieurs salariés enquêtés expliquent qu’à cette occasion, des pièces peuvent être mal montées au système 2. C’est de nouveau le cas lors des tentatives pour atteindre une vitesse « normale » lorsque le nouvel atelier montage est inauguré, obligeant les moniteurs à occuper temporairement des postes de production. Enfin, comme l’a expliqué Christian dans l’extrait d’entretien ci-dessus, les run interdisent toute forme de « freinage », les ouvriers n’en étant pas informés.
32La désynchronisation du calendrier de travail et l’intensification par les run montrent que le temps de travail perd son homogénéité au profit d’un temps aussi bien imprévisible que flexible, discontinu et élastique. Il s’agit d’un temps sur lequel les salariés et leurs représentants ont moins de prise, comme le suggère l’entretien avec Christian cité plus haut. Les organisations syndicales ne peuvent en effet plus, comme dans la norme fordienne, négocier la majoration d’un temps de travail reconnu comme « atypique » relativement à un temps de travail « normal » régulier et prévisible. Nous allons montrer que, dans la configuration actuelle, les syndicats tentent de redonner une régularité et une unité au temps de travail.
- 17 La revendication d’un temps de travail régulier n’est pourtant pas nouvelle. Sidney Webb et Beatric (...)
33Salaire et temps de travail vont de pair dans l’activité de négociation des organisations syndicales à l’usine. Par le passé, celle-ci a concerné notamment la majoration des heures supplémentaires et du travail à des horaires « atypiques » (travail de nuit, travail posté, travail le samedi et le dimanche, etc.). Dans le contexte de la flexibilité et de la discontinuité du travail, l’un des enjeux pour les organisations syndicales est de redonner une certaine synchronicité au temps de travail et de négocier des contreparties aux allongements horaires. Paul Bouffartigue constate ici un paradoxe : alors que le patronat a lutté pour imposer des horaires collectifs aux salariés, « aujourd’hui les syndicats de salariés peuvent apparaître comme défendant la norme salariale fordiste face à des employeurs avides de flexibilisation du travail et de l’emploi » (2012, p. 76)17.
34Nous l’avons vu précédemment, des élus demandent à la direction de l’établissement de mieux synchroniser les tournées A et B. Leur but est, d’une part, que le nombre de jours travaillés – et donc les rémunérations – soient les mêmes pour tous les salariés et, d’autre part, que les effets du surcroît de travail (notamment la fatigue) ne soient pas supportés que par une partie de la main-d’œuvre. Cette revendication d’équité prend la séance de travail comme levier qui permet de mesurer le nombre de jours supplémentaires travaillés selon la tournée ou l’atelier. Autrement dit, l’action des syndicats suit trois logiques : une logique de contrôle du salaire à partir du nombre de jours travaillés, une logique d’équité pour éviter que les efforts ne pèsent inégalement sur les équipes et les ateliers et une logique de contrôle de l’intensification du travail quand le nombre d’heures dépasse la norme journalière.
35Les organisations syndicales se sont mobilisées en fin d’année 2014 devant les annulations de séances de travail et leurs conséquences sur les horaires de travail et la rémunération des salariés. En effet, si le dispositif de l’activité partielle permet aux salariés de conserver 75 % de leur salaire en cas de chômage technique, sur le long terme les salariés peuvent voir une partie non négligeable de leur paie amputée. Les organisations syndicales n’ont pas toutes la même position sur cette question et accordent plus ou moins d’importance à la journée comme unité de mesure des efforts fournis par les salariés. Un élu de la CFTC demande à la direction d’organiser des formations qui soient comptabilisées comme séances de travail travaillées afin que les salaires ne soient pas réduits. Le représentant de FO au CE suit la revendication de la CFTC :
- 18 PV CE, août 2014, p. 11.
« La formation est la contrepartie indispensable pour que nous acceptions l’[activité partielle]. »18
- 19 Fin septembre 2014, 823 salariés étaient à –6 dans leur compteur de modulation.
36Mais cet élu réclame également que les salariés du système 1 puissent travailler au système 2 afin d’augmenter les heures dans leur compteur. De même, le représentant de la CFE-CGC rappelle que les salariés du système 1 ont déjà connu des annulations de séance les mois précédents, ce qui veut dire que beaucoup d’entre eux ont déjà un compteur à –519. Ils subiront donc ces annulations en activité partielle de plein fouet et leur fiche de paie sera amputée à la fin du mois.
37Pour d’autres organisations, comme la CGT par la voix de l’un de ses représentants, il s’agit plutôt de remettre en cause l’organisation du temps de travail elle-même, c’est-à-dire sa flexibilité et son éclatement :
- 20 PV CE, août 2014, p. 12.
« Vous offrez une belle récompense aux salariés pour les efforts fournis en juillet 2014, en leur imposant deux semaines de chômage qui se traduisent par une perte de salaire. Nous ne voyons décidément pas en quoi les salariés retirent un avantage de la modulation, qui perturbe leur rythme de vie et leur accorde des majorations moins fortes que précédemment pour les H+. »20
38Pour cette organisation syndicale, le cœur de la revendication repose sur les questions de rémunération, d’incohérence dans l’organisation du travail (la succession de périodes d’activité partielle et de séances supplémentaires) et d’effets des variations du volume de travail sur la santé. La négociation autour de la variabilité du temps de travail n’aboutit pourtant pas toujours à une plus grande régularité dans le planning des horaires, ce qui pousse les organisations de salariés à négocier des contreparties salariales lorsqu’il y a des allongements.
- 21 Cela veut dire que ce temps n’est pas payé en tant qu’heure supplémentaire, mais qu’il est mis dans (...)
39Les syndicats de l’usine se trouvent face à l’impossibilité d’influencer durablement la flexibilité du temps de travail, soit parce qu’elle est permise par les accords sur le temps de travail signés par le passé, soit parce que la direction présente les variations du marché automobile comme un facteur extérieur qui s’impose. La plupart des syndicats, à l’exception de la CGT, cherchent alors à axer la négociation sur des contreparties salariales à l’intensification. À partir d’avril 2013, pour faire face à l’augmentation de commandes de la Peugeot 2008, la direction envisage des allongements d’une heure en H+21 du lundi au jeudi en tournée de l’après-midi, de 20 h 30 à 21 h 30, et la programmation de trois samedis jusqu’en juillet 2013. Ces heures supplémentaires ont pour but de fournir des voitures aux concessionnaires le plus rapidement possible, comme le dit le DRH :
- 22 PV CE, mai 2013, p. 16.
« Nous ne programmons donc pas ces heures supplémentaires pour déplaire aux collaborateurs concernés, mais nous ne pouvons en aucun cas prendre le risque d’expliquer au Commerce que nous ne sommes pas en mesure de répondre rapidement à la demande. »22
- 23 PV CE, 28 mars 2013, p. 17.
- 24 Tract CGT PSA Mulhouse, « Derrière ces heures supplémentaires, une attaque d’envergure contre nous (...)
40Le lancement et le succès de la Peugeot 2008 sont encourageants pour le site, après une année 2012 marquée par des incertitudes, comme l’expriment la plupart des syndicats, que ce soit la CFE-CGC ou la CGT. Cette dernière souligne néanmoins que « le dispositif présenté anticipe en réalité les mesures qui pourraient être envisagées dans un avenir proche dans le cadre du futur accord de compétitivité »23. Même si seulement 450 salariés sont concernés par l’allongement des horaires sur trois mois, l’expérience préfigure ce que seront plus tard les modalités normales du temps de travail après l’accord de compétitivité d’octobre 2013. La CGT voit là « un test grandeur nature »24 du futur accord. En effet, comme nous l’avons dit plus haut, une fois mis en place, l’overtime permet de rattraper la production perdue, voire de dépasser les programmes de production. Ce qui inquiète un élu de la CGT au comité d’établissement :
- 25 PV CE, décembre 2014, p. 6.
« Certains secteurs ont effectué jusqu’à 10 overtime en novembre 2014, alors que plusieurs jours ont été chômés. Les salariés sont donc contraints à des rattrapages de production plus d’un jour sur deux. Cette situation leur paraît de plus en plus aberrante. »25
41La plupart des représentants du personnel CFTC ou CFDT refusent que cet allongement d’une heure au système 2 et les samedis travaillés deviennent obligatoires en tant qu’horaire affiché en H+ et demandent de revenir au volontariat. Or d’après la direction, le volontariat risquerait de désorganiser l’ensemble de la production. Elle s’y oppose donc :
- 26 PV CE, mai 2013, p. 13.
« Comme chaque mois, nous vous répondrons qu’un système complet ne peut travailler sur la base du volontariat, sous peine d’hypothéquer la qualité de la fabrication. Nous ne pouvons en effet être assurés de disposer des bonnes compétences si nous recourons uniquement à cette formule. »26
- 27 La direction estime qu’un opérateur percevra autour de 400 euros supplémentaires par mois grâce à l (...)
42À l’issue de cette discussion, la direction a maintenu les allongements de temps en horaire affiché, mais l’heure supplémentaire travaillée étant majorée de 75 % avec une prime de transport exceptionnelle pour les salariés qui empruntent habituellement les bus27. On voit ainsi comment, devant l’impossibilité de refuser les allongements horaires dans la journée, la plupart des organisations syndicales du site négocient des contreparties et défendent le volontariat et la majoration des heures supplémentaires travaillées.
43Alors que l’emploi a été au cœur des négociations entre syndicats et employeurs sur le temps de travail au cours des vingt dernières années, cet article montre que d’autres enjeux tels que la flexibilité, l’intensité et la fragmentation du temps de travail sont aussi l’objet de négociations dans les entreprises. J’ai cherché à montrer comment, d’une part, le temps de travail dans l’établissement apparaît comme flexible dans la mesure où il peut varier à la hausse ou à la baisse selon plusieurs facteurs affectant les programmes de production et comment, d’autre part, le temps de travail est désynchronisé entre les différents systèmes, tournées ou ateliers. Enfin, j’ai articulé flexibilité des horaires et intensification du travail : les programmes de production non seulement « rattrapent » les pertes de production, mais, grâce à la flexibilité des horaires de travail, les dépassent souvent. Dans ce contexte, les organisations syndicales de l’usine se trouvent visiblement en difficulté pour s’opposer frontalement aux transformations en cours du régime horaire de travail. Elles tentent d’en limiter l’impact en demandant la resynchronisation de l’activité des ateliers, des lignes et des tournées et cherchent à négocier des contreparties salariales. Au final, la diversification de la norme horaire de l’établissement complexifie considérablement la défense des intérêts des salariés, notamment en raison de formes de négociation moins institutionnalisées qu’elles ne l’étaient en régime fordien.
Flux RSS
