- 1 Ce secteur d’activité singulier se caractérise par des contours juridiques flous (Seuret, 2007). Le (...)
- 2 Aux fins de commodité de lecture et partant du principe que, pour catégoriser le réel, les saisonni (...)
1Les métiers du tourisme en zones littorales sont, en France, structurés par la durée de la saisonnalité touristique des territoires. En Vendée notamment, les métiers de service dans le domaine du tourisme sont majoritairement caractérisés par des contrats de travail à durée déterminée en période estivale, excédant rarement trois à quatre mois entre mai et septembre. Si les tâches et fonctions sont variées au sein de ce secteur professionnel éminemment pluriel (Guibert et Réau, 2023), les rémunérations sont hétérogènes (allant du salaire minimum à plus du double du salaire minimum, y compris pourboires et autres gratifications) et ne nécessitent pas de haut niveau de qualification. Les professionnels de l’économie touristique estivale littorale1 en contrat de travail à durée déterminée (CDD) ou en contrat de « saisonniers » peuvent ainsi être embauchés dans la restauration en qualité de serveur, de plongeur, etc. ; dans l’hôtellerie en qualité d’agent d’accueil, de personnel d’entretien, etc. ; dans le domaine des services de loisirs en qualité d’agent d’accueil, d’animateur, de moniteur sportif diplômé d’État, etc. Ils peuvent également occuper des fonctions de surveillant de baignade, de vendeur dans les échoppes et autres magasins de plage, etc. De l’étudiant en « job d’été » au salarié pluriactif qui cumule depuis de nombreuses années « les saisons » estivales, du « jeune en insertion » à l’autochtone profitant durant un ou deux étés de la manne économique locale, les profils (âge, sexe, diplôme[s] et qualification[s], expérience[s] professionnelle[s], etc.) sont pour le moins hétérogènes2. Les saisonniers en station balnéaire constituent ainsi « un être collectif aux frontières mouvantes » (Bercot et al., 2012).
2Partant, dans le contexte français au sein duquel la contraction d’un emploi annualisé à temps plein en contrat à durée indéterminée (CDI) demeure « la forme normale et générale de la relation de travail » selon le Code du travail, qu’est-ce qui « fait tenir » ou non ces saisonniers dont les occupations professionnelles se caractérisent par des contrats à durée déterminée, des conditions de travail parfois « pénibles » (Charvet et al., 2016), où « les heures ne se comptent pas », où « le rythme de travail est dense », selon les expressions de saisonniers interrogés ? Quels sont les effets de la structure de l’emploi touristique sur les conditions de vie, notamment sur le plan familial lors de l’avancée en âge ? Les saisonniers mettent-ils en avant d’autres dimensions et d’autres inclinations que des nécessités d’ordre économique au sens restreint du terme pour justifier qu’ils occupent ces emplois, ou des aspects plus symboliques de leur travail peuvent-ils être relevés ? La « passion » et la « vie de bohème » peuvent-elles constituer un mode de justification de l’investissement professionnel d’une partie d’entre eux ? Autant de questions qui ont été peu traitées par les sciences sociales au sujet des métiers du tourisme, mis à part quelques travaux francophones ces dernières années (en particulier : Réau, 2009, dans le domaine de l’animation ; Dethyre, 2007, concernant le tourisme social ; Pinna, 2013, au sujet de l’hôtellerie de « luxe » ; Gentil, 2013, au sujet des mobilités géographiques ; enfin, Guibert et Slimani, 2011 ; Guibert, 2012 ; Rech et Paget, 2012 ; Hoibian, 2014 ; Guillaud, 2017 ; 2021, concernant le sport).
- 3 C’est-à-dire avant la crise économique qui a pleinement touché le secteur du tourisme en 2020 et 20 (...)
3À l’appui d’une enquête qualitative menée sur le littoral atlantique du Département de la Vendée, en majorité dans la station balnéaire des Sables d’Olonne, une trentaine d’entretiens semi-directifs d’environ une heure ont été réalisés et enregistrés à l’issue de la période estivale d’activités professionnelles à l’automne 2017, puis autant à l’automne 20183. Les questions portaient sur le sens donné au métier exercé par les personnes interrogées, aux vécus, aux expériences passées et aux espérances professionnelles, aux conditions de vie (matérielles, familiales, etc.) et enfin aux propriétés sociales. L’ambition visait par ailleurs à ne pas réduire la recherche à un secteur précis d’activité au profit d’une variabilité de profils sociaux et professionnels. En effet, les « professionnels » du tourisme littoral pris pour objet se caractérisent à la fois par « une occupation par laquelle on gagne sa vie » (Dubar et al., 2015) et par un ensemble de personnes exerçant des métiers analogues – ici répondre aux besoins d’une clientèle touristique estivale. Les contacts ont ainsi été faits directement dans les établissements et les lieux de travail, puis par effet « boule de neige » (Combessie, 2007). Les entretiens ont principalement été menés auprès de serveurs de bar et restaurant (n=9), de salariés en charge de l’entretien ou de l’accueil d’hébergements touristiques (n=7), de moniteurs de surf ou de voile (n=6), de surveillants de baignade (n=2), puis de gérants d’entreprise de services touristiques (n=5) et d’agents de Pôle Emploi (n=2). Les individus interrogés, dont les profils sont précisés lorsque les verbatims sont évoqués dans l’article, se différencient également par l’âge et les expériences de travail saisonnier, le sexe, les qualifications, la profession des parents ou encore l’origine géographique. Les caractéristiques transversales de la population des saisonniers enquêtés reposent sur l’homogénéité des lieux d’exercice professionnel et sur le fait que tous étaient en 2017 et/ou 2018 actifs au sein de l’économie touristique estivale locale. L’ensemble des entretiens n’est pas convoqué dans l’exposition des données empiriques. Les cas sélectionnés permettent toutefois de couvrir une diversité de situations rencontrées au sujet des conditions d’exercice d’une occupation professionnelle aux contours spécifiques.
4Contours de l’emploi et du travail dans le secteur du tourisme balnéaire
- 4 Source : Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, « Destination France. Plan de reco (...)
5Selon le ministère français de l’Économie en 2021, « Le tourisme constitue un secteur clé de son économie : il représente près de 8 % du PIB, 56,2 milliards d’euros de recettes, et deux millions d’emplois directs et indirects4. » Des éléments de contexte professionnel structurent en partie les trajectoires et les représentations des salariés. Le secteur est fortement impacté par le poids des très petites entreprises (TPE) : neuf établissements sur dix ont moins de dix salariés. Les TPE dans le milieu touristique emploient majoritairement des salariés saisonniers et n’ont donc pas ou peu d’employés à l’année pour, notamment, s’occuper de former et coordonner les équipes. Le niveau de formation requis dans la majorité des emplois est relativement faible : 80 % des emplois à pourvoir sont de premier niveau de qualification professionnelle. Cette forme de salariat est largement associée à la précarité économique, à l’absence de perspective d’emploi durable et d’évolution professionnelle. La rotation de main-d’œuvre et le renouvellement important des employés a pour effet des problèmes de fidélisation des salariés. La forte proportion de CDD, d’emplois à temps partiel et les possibilités d’évolution restreintes ont pour conséquence l’abandon des plus diplômés au profit d’autres secteurs d’activité.
- 5 Source : Vendée Expansion, Service d’observation et d’information économiques, « Le poids économiqu (...)
6À l’échelle du Département de la Vendée, le tourisme a un fort impact économique et social. Il représente 2,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016, selon une enquête menée en 2017 par « Vendée Expansion » (émanation de la Chambre de commerce et d’industrie locale)5. Chaque année, des millions de touristes (36,3 millions de nuitées en 2017) fréquentent en effet le département et cette fréquentation est majoritairement concentrée sur les mois de juillet et août (61 % de la fréquentation annuelle). Par ailleurs, 63 % de « l’emploi touristique » est en 2016 de type temporaire, c’est-à-dire en CDD, soit 23 398 sur 37 018 emplois salariés (les trois quarts de ces travailleurs sont âgés de 18 à 25 ans). Parmi ces emplois temporaires, près de 4 600 contrats de travail sont des CDD d’une durée maximale d’un à deux mois, répartis lors de la période estivale. Les deux tiers des « emplois touristiques » en Vendée sont situés sur le littoral.
7Au-delà des données de cadrage, l’analyse qualitative permet de caractériser les salariés du tourisme et les représentations que ces derniers se font de leur occupation professionnelle. Si les intérêts économiques, s’engager par « passion », vivre dans l’insouciance d’une « vie de bohème », développer un réseau social et acquérir du prestige symbolique constituent les principales raisons évoquées – avec leurs mots – par les salariés et les saisonniers interrogés quand ils expliquent leurs choix professionnels, il n’en demeure pas moins que les trajectoires localisées de ces professionnels se définissent à contre-temps en CDD (pendant les périodes de vacances ordinaires) et à contre-espace (dans des lieux de vacances). Il en résulte des écarts aux normes sociales selon lesquelles le CDI est érigé en règle, en « norme d’emploi » (Méda, 2018), et où les stabilités professionnelles géographique et domestique (être en couple, avoir un ou des enfant[s]) sont socialement valorisées.
8Circonscrit au littoral vendéen aux fins de cohérence des conditions de travail et d’existence – les problématiques de résidentialisation, de durée des contrats de travail, des salaires, etc. se posent de manière différente dans le contexte des stations de montagne l’hiver par exemple, où des processus de « diversification du tourisme » sont engagés depuis plusieurs années (Tuppen et Langenbach, 2022) –, cet article invite donc à penser les expériences et le sens des activités professionnelles des saisonniers, renouvelées chaque année, de manière contextualisée au croisement de plusieurs dimensions de la vie sociale (professionnelle, familiale et résidentielle). Si les travaux de sciences sociales portant sur le « sens du travail » sont nombreux et enquêtent des professions aussi variées que les juges de proximité (Mathieu-Fritz, 2010), les guichetiers (Hanique, 2004), les infirmières (Boivin-Desrochers et Alderson, 2014) ou encore les « métiers essentiels » au sens du BIT (Amossé et Erhel, 2023), etc., tous indiquent toutefois, comme c’est précisément le cas des saisonniers pris ici pour objets, que « le travail a un sens » (Coutrot et Perez, 2023). L’analyse vise en outre à éviter les écueils des approches misérabilistes et, à l’opposé, enchantées de la précarité. Comment les saisonniers vivent-ils ces postures professionnelles peu ordinaires et discontinues qui, de fait, renforceraient « l’insécurité sociale » (Castel, 2003) ? Pour autant, selon les configurations et les conjonctures, en quoi ceux qui « tiennent les saisons » ne sont-ils pas à l’inverse professionnellement « heureux » (Baudelot et Gollac, 2003) ?
9Le temps des vacances est caractérisé par une forte concentration estivale, à la fois spatiale (les stations balnéaires) et temporelle. Or, être salarié (ou à son compte) d’une entreprise ou d’une association de services touristiques signifie travailler à contre-temps et contre-espace (Sébileau, 2014), autrement dit hors des lieux et temporalités des cadres de vie ordinaires des touristes. Néanmoins, « le modèle d’emploi standard (c’est-à-dire salarié, en contrat à durée indéterminée [CDI], à temps plein et intégré à une carrière complète et sans rupture) et souvent qualifié de pilier d’une ‘société salariale’ » (Grégoire et Join-Lambert, 2017) demeure encore la norme professionnelle. La loi de 1982 parachève le processus en instaurant juridiquement le fait que le CDI constitue la forme de référence des situations d’emploi. Selon l’Enquête sur l’emploi de l’Institut national de la statistique et des enquêtes économiques (INSEE) en 2018, « Les salariés représentent 88,3 % des personnes en emploi en France en 2018 », dont 84,7 % en CDI ou fonctionnaires et 10,5 % en CDD6. Les jeunes âgés de 15 à 29 ans sont statistiquement plus souvent employés sous contrats temporaires que l’ensemble de la population : « L’obtention d’un CDI apparaît alors, particulièrement pour cette population de jeunes, comme une condition nécessaire à la stabilité de la vie professionnelle, ainsi qu’à la réalisation de leur insertion sociale » (Portela et Signoretto, 2017). La préférence du CDI dans l’espace des possibles des statuts professionnels est également fonctionnaliste : « Pour justifier le caractère désirable du CDI, deux raisons principales sont avancées : la garantie de la rémunération et des possibilités accrues d’accéder au logement » (Sarfati et Vivés, 2018).
10Les conceptions de l’état social relatives à la solidarité, à la maîtrise de l’avenir et au progrès social consistant à « anticiper des trajectoires de mobilité sociale ascendante » (Castel, 2003) s’adaptent difficilement aux caractéristiques du métier de saisonnier dans les destinations touristiques littorales. Au contraire, être saisonnier, c’est, en termes d’organisation de la production, une « déstandardisation du travail » reposant sur une flexibilité des durées des contrats et des horaires, puis sur une variation des tâches et des contextes professionnels. Les trajectoires deviennent erratiques, fragmentées, non linéaires et géographiquement mobiles, et s’opposent en cela aux conseils et aux recommandations de l’environnement social proche des saisonniers.
11Ce sont les parents qui, le plus souvent, réaffirment l’importance de l’emploi stable, en CDI, à plein temps, tout au long de l’année. Résultant du long travail politique visant à « attacher des protections fortes au travail » (Castel, 2003), les représentations parentales se cristallisent autour de la prééminence du salariat tout en identifiant, en miroir, le fait que « le saisonnier est la figure emblématique du travailleur précaire » (Dethyre, 2007). Les pressions se focalisent toutefois plus spécifiquement chez la population de saisonniers dont les parents occupent ou occupaient une situation sociale et économique stable (enseignants, commerçants, gérants d’entreprise, etc.) : « Si la crainte de la chute s’est diffusée dans tout le corps social, elle prend un sens particulier au sein des classes moyennes » (Ferreira, 2006). C’est le risque perçu de déclassement social générationnel et/ou la faible rentabilité des diplômes obtenus, bref, « la peur du déclin », qui provoquent les réticences parentales les plus prégnantes à l’égard du statut de saisonnier. Les cas sont nombreux au sein des matériaux empiriques qualitatifs récoltés, comme en témoignent les situations ci-dessous.
- 7 L’Union nationale des centres sportifs de plein Air (UCPA) est une association française créée en 1 (...)
12François, 32 ans, est originaire d’Arras. Titulaire d’un brevet de technicien supérieur (BTS, niveau baccalauréat+2) « Négociation et digitalisation de la relation client », il a également suivi une formation au centre UCPA7 de Carcan pour être moniteur de surf. Il enseigne le surf depuis sept ans en Vendée. Ses parents, tous deux professeurs des écoles, ont « très mal vécu » son choix de ne pas s’engager professionnellement dans un parcours en lien avec ses études. Socialement déclassé par rapport à son environnement familial, il a dû affronter les critiques de ses parents (qu’il fait parler à de nombreuses reprises lors de l’entretien), notamment de sa mère pour qui les études (elle qui n’a pu se réaliser totalement grâce à sa scolarité) sont essentielles à toute réussite professionnelle :
Ils me mettaient la carotte au bout, à grands coups de « tiens on va te payer ci, on va te payer ça si tu arrives à telle note », donc moi « oui d’accord », je faisais le strict minimum, mais tant mieux, heureusement qu’ils étaient là pour me booster un peu […] Ma mère n’a pas pu faire les études qu’elle voulait, le contexte familial, avec ses parents, ce n’était pas du tout la joie. Et ils n’ont clairement jamais voulu lui payer d’études, alors qu’elle avait eu de super notes au bac. Elle n’a pas pu faire les études qu’elle voulait et donc elle souhaitait me payer les études que je voulais : « Si tu veux faire médecine, on te paiera les études. » Ils voulaient que j’aie un travail, que j’aille le plus loin. Ça c’est une phrase qui résonne : « Fais des études, plus tu en feras, plus tu pourras choisir. »
« Moniteur de surf ? Mais tu fais quoi le reste du temps, comment ça se passe ? Tu ne gagnes pas assez d’argent… » Ils l’ont très mal vécu. Oui, sauf que je m’épanouis dans mon boulot. Donc c’est difficile à entendre pour eux. Et ma mère, clairement, elle dit que j’ai gâché mon potentiel d’études : « Tu aurais pu faire des études, avoir une carrière, banquier… ».
13Marie, 23 ans, détentrice d’un master en communication, alternait auparavant les saisons à la montagne en stations de ski l’hiver et sur le littoral vendéen l’été. Elle est salariée polyvalente (elle se partage entre l’accueil et l’animation des groupes) dans un centre de loisirs à Notre-Dame-de-Monts en CDD depuis deux ans, rémunérée « à un peu plus du SMIC [salaire minimum interprofessionnel de croissance] ». Le cas de Marie caractérise bien les singularités du secteur professionnel du tourisme et le rapport spécifique entretenu à l’égard du CDI. Ses parents, tous deux enseignants au secondaire à Angers, n’ont pas, selon Marie, jugé pertinente sa décision de continuer à travailler en qualité de saisonnière :
Mon père était un peu réticent vu que j’ai quand même des études, enfin des diplômes je veux dire. Il préférait que je me dirige plus dans des métiers en lien avec mes études, parce que j’ai un master en communication à la base. Du coup, mon père s’est demandé pourquoi j’avais fait tout ça si je finissais à faire des travails [sic] saisonniers quoi, entre guillemets. Mais avec le temps, et mon taf au centre en bord de mer, il s’est progressivement rendu compte que c’était un métier [salariée dans le centre de loisirs] comme un autre.
14Les normes sociales réaffirmées par les parents produisent leurs effets chez des saisonniers pour qui ce type d’occupation n’est que transitoire, du moins l’escomptent-ils. Sans associer cette analyse mécaniquement aux parents provenant de milieux sociaux favorisés, il n’en demeure pas moins que les saisonniers originaires de milieux modestes n’ont jamais évoqué, dans les entretiens, les injonctions parentales à stopper une activité en CDD ou sous statut de saisonnier l’été.
15Aucun enquêté n’a explicitement déclaré souhaiter « faire carrière » (Caveng, 2011) toute sa vie dans le secteur du tourisme en qualité de saisonnier. Le souhait d’obtenir un CDI et de bénéficier d’un emploi stable mieux rémunéré et éloigné du sentiment d’instabilité illustre l’idée selon laquelle « faire les saisons » en station balnéaire est pour certains « un choix par défaut… qui dure » (Roux, 2020). Pour autant, jusqu’aux récentes évolutions juridiques en la matière, nettement moins favorables dorénavant depuis décembre 2021 avec la réforme de l’assurance chômage, des saisonniers pouvaient croiser activité professionnelle en saison et allocations chômage lors de périodes d’inactivité. Avant la réforme, quatre mois d’activité pendant deux années permettaient de bénéficier des allocations, contre six actuellement.
16Chloé, 21 ans, dotée d’un diplôme de niveau moins élevé que les deux cas précédents, est titulaire d’un baccalauréat professionnel option vente, à la suite d’une formation de certificat d’aptitude professionnelle (CAP) en apprentissage en hôtellerie à la Roche-sur-Yon. Son père est gérant d’un magasin d’articles de sport et sa mère est commerciale. Elle est serveuse depuis trois ans (rémunérée au SMIC) en CDD, renouvelé l’été uniquement, dans un restaurant « milieu de gamme » situé sur le port des Sables d’Olonne. Évasive quant à son avenir, le statut de CDI reste pour elle une ambition, même s’il n’est pas question dans son propos (à l’inverse de François et de Marie) de critique parentale à l’égard d’un manque de valorisation professionnelle de ses études :
J’essaye de chercher un resto ici, j’aimerais bien être prise en CDI. Après je peux toujours essayer la vente ou alors partir quelques mois en Angleterre […] Voilà, les CDD c’est bien quand t’es jeune, mais bon c’est pas terrible, tu es sûr de rien… ! Que CDI, c’est sûr que moi j’aimerais trop…, mais c’est vrai qu’en restauration c’est pas évident de trouver des CDI.
17Alexia, 22 ans, fille d’un père commerçant et d’une mère aide-soignante à l’hôpital de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, est titulaire d’un BTS (brevet de technicien supérieur) en tourisme. Rémunérée au SMIC, elle effectue des travaux saisonniers depuis trois ans en qualité de vendeuse puis de réceptionniste. Cette installation dans l’emploi saisonnier ne renvoie pas à un choix mais découle d’une norme de recrutement dans le secteur du tourisme balnéaire où les CDD sont majoritaires. Tout juste diplômée, elle n’envisage pas occuper longtemps un poste de saisonnier et espère un CDI en lien avec son domaine d’études, condition évidente selon elle « pour faire des projets dans la vie » :
Alors mes souhaits, j’aimerais bien trouver un boulot stable CDI dans la réception, pour l’instant ça me convient très bien, dans le sens où c’est une obligation, si je veux acheter une maison il me faudra un CDI, si je veux acheter une voiture aussi, je ne pourrai pas faire de prêt, les banques n’accepteront pas le dossier : il faut avoir un CDI et un meilleur salaire si on veut faire des projets dans la vie.
18Les rémunérations modestes et leurs effets en termes de projection dans l’avenir (ex : prêt immobilier), d’un côté, et la pression sociale, de l’autre, qui s’exprime sous forme de normes sociale à suivre et qui se définit aussi sous forme de « rappel à l’ordre » de la part de la sphère familiale, ne constituent pas les uniques freins à l’établissement d’un statut durable de saisonnier. Comment, en effet, conjuguer activité professionnelle estivale lors des congés scolaires et la vie familiale ? Comment pérenniser une vie conjugale lorsqu’on « fait les saisons » (en été à la plage comme moniteur de voile par exemple, l’hiver comme guide de haute montagne) ? Quelle est en outre la portée de l’avancée en âge sur les perceptions du statut de saisonnier par les intéressés ?
19Si certains postes peuvent voir leur durée étalée sur plusieurs mois, d’avril à octobre environ, une majorité des contrats sont de durée inférieure, principalement en juillet et août. Les périodes travaillées sont positionnées sur le temps des vacances scolaires d’été, voire de printemps et d’automne. Les périodes hors saison touristique sont peu propices à l’emploi sur le territoire. Les enquêtes effectuées par l’agence locale de Pôle Emploi attestent bien que, selon un de ses agents, « La saisonnalité est extrêmement importante sur le territoire : les projets de recrutement sont, aux Sables d’Olonne, à 57 % saisonniers ! C’est pour ça qu’il y a un taux de chômage assez élevé, car il y a moins d’emplois l’hiver. » Ce constat pose le problème de la complémentarité entre la structure de l’emploi l’été et les offres d’emploi en hiver pour une station balnéaire. Les saisonniers ne sont toutefois pas homogènes, tant sur le plan des ressources sociales et familiales qu’au niveau de l’âge, du genre, de l’ancienneté en qualité de saisonnier, de la composition du ménage ou encore des revenus : il s’agit là de variables qui toutes, selon les cas et à des degrés divers, jouent sur les perceptions des saisonniers à vouloir durer, ou non, dans l’alternance des saisons.
20L’avancée en âge peut constituer un problème de projection ou de continuation à l’égard du statut de saisonnier marqué par l’alternance des saisons été et hiver, comme l’exprime cet agent de Pôle Emploi : « C’est vrai que pour tous les saisonniers, quand l’âge avance, quand on a une famille, des enfants, c’est pesant. La reconversion professionnelle est souvent une solution pour eux. » Ce constat est également identifié par cette gérante d’un camping 5 étoiles en zone rétro-littorale en Vendée, qui emploie 80 saisonniers chaque année, dont 50 % avec un contrat pour une durée de deux mois seulement. Pour elle, « [i]l y a une injonction au CDI, au fait d’avoir un enfant, d’avoir un bien et de devenir propriétaire. Et puis ceux qui font du saisonnier leur métier, un moment ça fatigue : on est toujours en surpression, donc oui, il y en a qui arrêtent. » Il devient donc nécessaire pour ce type d’employeurs de recruter de nouveaux salariés, de les former puis de tenter de les fidéliser : « On préférerait pouvoir conserver tous les salariés chaque année, enfin ceux qui font bien le job ! », conclut la gérante du camping. Nombreux sont les saisonniers enquêtés qui déclarent effectivement ne pas vouloir se projeter durablement dans l’alternance des saisons été/hiver, travaillées/non travaillées. Les raisons, au-delà des intérêts à penser le contrat en CDI comme plus stable socialement et économiquement, se situent dans une dimension domestique prenant en compte les effets sur la « vie de famille ». Autrement dit, c’est la « conciliation famille-emploi » (Périvier et Silvera, 2010) dont il est ici question. L’exigence de rentabilité économique des entreprises en saison estivale, l’absence d’aménagement d’emploi du temps pour la garde d’enfant et des mesures des entreprises du secteur pour limiter les contraintes domestiques sont autant d’éléments qui se posent directement aux saisonniers. Décalé avec les temporalités « typiques » du travail, le contre-temps des saisonniers « les rend aussi décalés avec certaines temporalités de la vie familiale, où les week-ends, jours fériés et vacances scolaires peuvent être considérés comme des moments importants » (Guillaud, 2017).
21Des données de terrain nuancent toutefois cette dimension en apparence univoque selon laquelle le travail seul influencerait les temps domestiques. De petits arrangements personnels et des aménagements organisationnels démontrent bien que la conciliation famille–emploi ne peut être pensée uniquement à l’aune de la régulation du temps domestique par le travail selon un modèle normatif allant du travail vers le temps domestique. Notre enquête montre en effet que si l’emploi saisonnier, du point de vue structurel, a des effets sur la famille, l’organisation familiale a aussi des effets sur l’emploi. Cette articulation plus nuancée des temps sociaux, telle une sorte de continuum, exprime l’idée selon laquelle les contraintes et les avantages sont, pour quelques saisonniers, tout autant du côté du temps de travail que du temps réservé à la famille. Plusieurs saisonniers indiquent en effet profiter du temps libre hors saison pour « voyager », « passer du temps en famille », « se reposer » tout en bénéficiant de l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Cette pratique courante illustre le mécanisme de bi-saisonnalité et de l’aspect pluriel de la période chômée tel que cela a pu être démontré au sujet de saisonniers du tourisme de montagne (Baghioni, 2019). D’autres mobilisent des ressources (proximité géographique de la famille par exemple) leur permettant de passer sans encombre l’intense période de la saison estivale, comme David qui fait appel à ses parents pour gérer la garde de ses enfants lorsqu’il travaille à son école de surf. Âgé de 43 ans, fils d’enseignants, marié et père de trois enfants, il est gérant d’une école de surf ouverte uniquement lors de la saison touristique chaque année, pour une durée de sept mois. Exerçant dans son entreprise avec sa conjointe qui l’accompagne professionnellement, la gestion du temps inversé ne pose aucun problème dans la vie domestique. Si le fait d’être « indépendant et propriétaire de son outil de travail » (Méda, 2018), c’est-à-dire « travailler pour soi » (Roux, 2014), permet à David d’accepter plus facilement des conditions de travail exigeantes, des négociations et des arrangements avec ses propres parents facilitent la gestion des enfants en période de forte activité professionnelle. La possibilité pour David de durer comme gérant d’une entreprise ouverte quelques mois dans l’année relève principalement d’une rémunération lui permettant de vivre à l’année, d’une part, et, d’autre part, d’une gestion individuelle et familiale, remettant en question en cela les recompositions des solidarités dans l’espace domestique : « Ma femme travaille avec moi à l’école de surf, et les trois enfants en bas âge sont sur la plage tout l’été. Parfois les grands-parents viennent nous filer un coup de main. En juillet-août, c’est sûr que c’est un peu speed par moment avec la fatigue et les longues journées de travail, mais ça ne dure que deux mois, on profite le reste de l’année. »
22Des récurrences dans les discours des saisonniers interrogés témoignent toutefois bien du fait que le temps domestique est difficile à accommoder au temps travaillé. Les saisonniers ayant plusieurs années d’expérience ne sont pas les seuls à penser qu’il est difficile de concilier période de travail atypique et vie amoureuse, vie de couple ou construction d’un foyer avec enfant(s). La gérante du camping 5 étoiles situé en zone rétro-littorale citée plus haut évoque néanmoins que « Parfois, des couples se font lors des saisons au camping, ça arrive et c’est vrai que les soirées entre saisonniers sont propices à ça ! » Associer univers professionnel et univers privé se révèle plus généralement, pour de nombreux saisonniers interrogés, tant pour les femmes que pour les hommes, « étanche » (Bozon, 2009), c’est-à-dire, selon leurs mots, « pas évident », « compliqué », voire « non compatible », comme en attestent les cas ci-dessous.
23Chloé, 21 ans, citée plus haut, est consciente des difficultés que le statut de saisonnier peut engendrer : « Tu travailles le midi et puis le soir, donc l’après-midi tu peux pas forcément prendre des rendez-vous, puis même pour plus tard, ceux qui ont des enfants et tout, c’est pas évident ! »
24Quentin, 29 ans, titulaire d’un baccalauréat scientifique, a arrêté ses études « pour travailler, à 18 ans ». Réceptionniste six mois par an dans un hôtel, il est bi-saisonnier et alterne les saisons été/hiver depuis huit ans (il ne travaille pas le reste de l’année et bénéficie de l’allocation d’aide au retour à l’emploi). Les professions de ses parents (son père est gérant-électricien et sa mère assistante de service social) témoignent d’un déclassement social tant économique (« je gagne que le SMIC plus quelques primes et pourboires ») que statutaire. Il adopte le discours selon lequel, au moment notamment où la question de l’installation dans une vie conjugale se pose, il souhaite arrêter d’être saisonnier au profit d’un statut plus stable lui permettant d’envisager une vie de famille. Ce type d’argumentation se retrouve régulièrement, lors de l’avancée en âge, au sein de la population de travailleurs précaires, par exemple chez les intermittents du spectacle, les salariés agricoles (Roux, 2014 ; 2020) :
Et comme je prends de l’âge, tous les ans je perds un pote ou deux, saisonnier qui s’en va, qui va faire autre chose. Je me suis dit que c’était mon tour quoi. Oui, et puis je me dis maintenant j’ai 29 ans. C’est sérieux d’arrêter. Les saisons c’est vraiment très bien. Mais je commence à penser à des trucs : avoir un bateau, une femme, des enfants, après ça devient compliqué.
25Serveur dans la restauration, Nicolas, 26 ans, célibataire sans enfant et résidant chez ses parents aux Sables d’Olonne, est titulaire d’un baccalauréat professionnel commerce. Son père est fonctionnaire et sa mère est couturière salariée. La puissance des termes employés par Nicolas renvoyant à une absence totale de vie sociale pendant la période de fréquentation touristique fait penser à un sentiment d’enfermement professionnel. Il juge le rythme de travail « intense » lors de la saison estivale. Il déclare lors de cette période de l’année où il travaille « ne pas avoir de vie sociale à côté, hormis [son] équipe de travail » ; selon lui, « c’est le néant ».
26D’autres saisonniers n’envisagent pas quant à eux d’être « en ménage » ou encore moins de fonder une famille. Le cas de Louis diffère des précédents en cela que ce dernier ne perçoit pas les complications potentielles du statut de saisonnier à l’égard d’une vie de famille. Plus jeune, âgé de 20 ans, il est fils de marin-pêcheur et de serveuse en ÉPHAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] et habite toujours chez ses parents. Titulaire d’un baccalauréat littéraire, il a arrêté ses études et est employé polyvalent dans une rôtisserie en CDD en saison estivale aux Sables d’Olonne depuis qu’il a 17 ans. Il est célibataire et sans enfant. Niant les contraintes portant sur les conditions sociales d’existence, il justifie, à l’inverse de Nicolas ou Quentin cités plus haut, de manière angélique et supposée rationnelle, le « choix » et le « mode de vie » recherchés par certaines de ses connaissances de durer en qualité de saisonnier (« ils font ce qu’ils veulent »). La stabilité, son « petit confort » et son projet de formation – visant à « reprendre les études supérieures en septembre du coup, en tant qu’ingénieur son » – et de professionnel l’écartent toutefois de l’alternance des saisons à long terme. Le fait que Louis envisage l’activité saisonnière uniquement de manière transitoire n’a pas d’effet sur d’éventuelles perceptions selon lesquelles être saisonnier peut être contraignant sur la vie de famille.
27La volonté de poursuivre dans l’alternance professionnelle du travail saisonnier peut avoir des conséquences sur la stabilité conjugale. Des négociations au sein des couples sont de mise selon les déclarations des enquêtés. Être saisonnier de l’économie touristique implique d’être mobile géographiquement dans les destinations touristiques et pose, en cela, la question des incidences biographiques (Lambert, 2018) : séparations, divorces, célibat mais aussi mise en couple. C’est le cas d’Arthur, âgé de 30 ans, titulaire d’un BTS hôtellerie-restauration (père agriculteur, mère cuisinière dans les collectivités), célibataire sans enfant qui a divorcé récemment. Il est chef de rang dans un restaurant situé sur le port des Sables d’Olonne, en CDD de juin à octobre. Arthur distingue bien les variations selon l’avancée en âge et les effets sur sa vie personnelle :
C’est plus compliqué d’avoir une vie de famille quand on fait ce métier. Travailler le week-end par exemple si vous avez des enfants, c’est pas le top. Vous profitez de rien. C’est bien quand on est jeune. Moi, j’ai divorcé dans l’année, et une des raisons principales, c’était l’envie que j’avais de refaire des saisons. Ce qui veut dire travailler tard, commencer tôt, être fatigué. Ma compagne ne voulait pas […] Les saisons sont propices aux « amourettes », mais si un des partenaires n’exerce pas ce métier, c’est compliqué.
28Si « faire les saisons » peut, comme pour Arthur, contribuer à une séparation au sein du couple, le travail saisonnier peut aussi à l’inverse être un moyen privilégié de faire des rencontres, comme l’atteste le cas de Julie, 18 ans, étudiante à Nantes. Ses parents sont gérants de campings, son père dans une petite commune rurale à Landevieille, à proximité des Sables d’Olonne, et sa mère à Olonne-sur-Mer. Familiarisée au secteur professionnel du tourisme, Julie a débuté « en donnant des coups de main » dans les entreprises familiales dès 14 ans. Ses activités récentes en qualité de saisonnière consistent à « faire de l’accueil, de l’animation, un peu de ménage ». Si elle est en couple avec son ami, rencontré lors de la saison d’été, la question de la projection conjugale se pose :
Nous nous sommes rencontrés cet été au camping, moi je travaillais en animation et lui en réception. Il souhaite continuer les saisons alors que moi non ce n’est pas dans mes projets. En ce moment nous vivons tous les deux chez moi dans mon appartement à Nantes. Lui souhaite trouver une saison d’hiver, il est en recherche d’emploi mais moi étant [aux] études, je vais rester à Nantes. Donc pour le moment nous avons des projets différents. On ne peut pas prédire l’avenir [rires], on va dire qu’on verra selon notre relation d’ici quelques mois !
29Si Julie est nouvelle dans la carrière de travailleuse saisonnière eu égard à son âge, Emmanuelle, célibataire âgée de 33 ans et originaire des Sables d’Olonne, est quant à elle installée depuis plusieurs années dans cette configuration professionnelle. En déclassement social, sa mère, à la retraite, était directrice d’établissements sociaux et son père était dessinateur maquettiste ; elle indique que ses parents l’ont « laissée faire » ce « choix » du service en restauration selon un supposé libre-arbitre, « c’est mon choix, personne ne m’a influencée ». Pour financer ses études « et avoir un peu d’argent de poche », Emmanuelle a débuté en qualité de saisonnière pendant ses études. Titulaire d’un baccalauréat sciences et technologies tertiaires option communication, elle a ensuite voyagé puis obtenu sa formation d’hôtesse de l’air pour finalement se diriger vers la restauration. Son parcours révèle une trajectoire erratique qui confirme qu’une partie des salariés installés dans l’alternance des saisons s’explique davantage par nécessité économique et « choix raisonnable » (Caveng, 2011) que par choix rationnel. À l’instar de ceux qui ont des « petits boulots » d’étudiants, Emmanuelle n’a alors « pas d’autre avenir que l’éternisation d’un présent marqué par l’occupation d’un emploi non qualifié » (Pinto, 2014). Elle est actuellement et depuis quatre ans serveuse et « smicarde » durant les saisons d’été aux Sables d’Olonne et elle juge qu’être saisonnier, « c’est pas toujours évident » sur le plan des relations sociales et familiales. Les relations conjugales sont également « compliquées », selon elle, si le conjoint n’est pas lui-même dans le même secteur professionnel :
Bah oui, forcément ça joue. Je pense que c’est compliqué d’être avec quelqu’un qui ne fait pas partie du milieu de la restauration. Dans ma famille, euh… on fait pas les fêtes de famille, on loupe des anniversaires, mais bon après c’est comme ça. Enfin c’est un choix, j’ai choisi ce métier. Enfin je veux dire, je savais les contraintes qu’il y a derrière et après du point de vue privé. Oui c’est pas toujours évident […] Euh oui un jour ouais j’aimerais bien fonder une famille, faut déjà trouver mon petit ami déjà il me manque quelqu’un [rires]. Mais actuellement, non c’est pas compatible.
30Consciente des effets d’âge, notamment de l’avancée en âge au regard des exigences physiques du métier de serveuse, Emmanuelle n’envisage pas de rester saisonnière toute sa vie. Davantage que les saisonniers interrogés plus jeunes en âge, l’indécision qui caractérise ses propos (à preuve les nombreux « je sais pas ») résulte de la précarité de sa situation et d’une forme d’usure professionnelle progressive sur le plan de la santé, générant en cela de l’incertitude quant à son avenir :
Oui enfin ça dépend si j’arrive pas à monter mon affaire plus tard, je me vois pas à 50 ans en train de courir comme je peux le faire maintenant ! Usant oui c’est sûr, je pense que c’est fatigant physiquement. Donc là, je me dirais qu’il serait temps de faire autre chose. Après est-ce que à 50 ans il est pas trop tard pour se reconvertir ? Je sais pas mais euh oui. Je me vois pas ailleurs, aujourd’hui je me vois pas dans un autre métier. Je sais pas, je pense que je sais que chaque établissement est différent et que même si tu changes d’établissement tu as une autre clientèle, tu as une autre façon de travailler. Donc je sais pas si tu t’en lasses vraiment, même si dans le fond c’est toujours la même chose. Ouais je sais pas.
31Se faisant toujours plus prégnantes avec l’avancée en âge, les questions associant stabilité conjugale, usure physique, proximité géographique et organisation des temps de travail se posent donc pour la plupart des saisonniers enquêtés, interrogeant en conséquence « l’articulation des temps de vie » (Lambert, 2018). Une solution trouvée parmi les plus jeunes consiste à éviter les relations amoureuses durables et stables, comme le justifie Théo, 20 ans, de Noirmoutier. D’origine populaire, son père est maraîcher et sa mère est assistante maternelle, il est titulaire d’un BTS tourisme et effectue chaque été des saisons en camping. Si Théo affirme être célibataire et sans enfant par « choix » « pour le moment », ce « désir » relève plutôt d’une adaptation à une situation contraignante, voire à une nécessité pour pouvoir s’insérer professionnellement en lien avec une temporalité biographique :
Je suis célibataire. C’est complètement un choix de ma part car je ne me vois pas forcément être en couple en ce moment puisque je suis amené à bouger, car plus je suis loin de chez moi et plus ça me plaît pour découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles personnes et davantage de choses avec mon travail.
32Dès lors, partant du constat de la prééminence du statut de CDI comme norme établie dans la vie professionnelle et des difficultés réelles ou affirmées du statut de saisonnier avec une vie sociale et familiale stable, quelles sont les raisons qui motivent les saisonniers à continuer dans cette voie ? Est-ce que les emplois en tourisme font toujours partie d’un projet de carrière ou peut-on penser qu’il s’agisse seulement d’un passage – souvent justifié à l’aune de « choix personnels » ayant pour effet de s’auto-persuader – avant de trouver un emploi économiquement et symboliquement plus « prometteur » ? Au-delà des profits économiques escomptés, comment les saisonniers justifient-ils leur engagement initial dans les saisons ou leur souhait de poursuivre encore quelques années ? Quelles sont les contextes et les conditions sociales qui permettent de durer et en quoi les saisonniers peuvent-ils trouver des satisfactions à leur situation ?
33De nombreux travaux ont montré que l’engagement sur le modèle de la forme rhétorique de la « passion », dans certains secteurs professionnels, constitue une spécificité que l’on peut adosser au secteur touristique. Passionnés de « vieilles pierres », passionnés de surf ou de voile (Guibert et Slimani, 2011 ; Guillaud, 2018), d’équitation (Slimani, 2014), de sport (Dubois et Terral, 2016), de voyages et « d’aventure » (Réau, 2011), des professionnels du tourisme s’engagent dans des carrières à l’aune de leurs propres pratiques personnelles, de leurs passions souvent enfantines ou contractées à l’adolescence. Ils se doivent de négocier la place de leur passion – terme qu’ils ne définissent jamais en détail dans les entretiens – dans leur activité professionnelle. La dénégation de la relation marchande conforte par ailleurs une forme de brouillage des frontières entre travail et hors-travail, attestant en cela de « l’ambivalence » (Simonet, 2015) de la passion au travail.
34Si les serveurs dans les bars et les restaurants ou les réceptionnistes déclarent majoritairement avoir un intérêt pour les tâches professionnelles exercées (en particulier le « contact client »), ce sont davantage les saisonniers engagés dans les métiers de service sportif qui vouent une passion à leur travail. Tous les moniteurs de surf, de voile, et les surveillants de baignade interrogés déclarent avoir choisi d’être saisonniers à partir de leur passion, préexistante à leur occupation professionnelle, pour leur activité sportive et pour l’océan, tel un « terrain propice à l’émergence de nouvelles « vocations » professionnelles chez les pratiquants amateurs les plus engagés et les plus passionnés » (Chevalier et Dussart, 2002). Les termes « loisirs », « liberté », « vacances », « plage » sont très présents dans les entretiens, moyens de s’émanciper et de mettre à distance les univers professionnels plus classiques, urbains et encombrés (Boltanski, 1976). Déclarer s’engager « par passion », c’est aussi accepter tacitement les difficultés – pas toujours perçues comme telles – liées aux conditions de travail (horaires atypiques, rythmes soutenus en été, etc.). Toutefois, des variations existent dans les modes d’engagement de ces « passionnés » : certains le font en qualité de « travailleur étudiant », d’autres en complément d’une activité annuelle ou encore dans le cadre de la création d’une entreprise qui constitue la totalité des ressources économiques du ménage. Exercer une occupation professionnelle sur le littoral est également un argument qui confère du sens à la « passion » – et donc du sens au travail – en permettant de « s’ancrer sur le territoire » (Guillaud, 2021).
35David, cité plus haut, est « un peu le seul marginal de la famille » selon lui : ses parents, son frère et sa sœur sont fonctionnaires dans l’enseignement mais la stabilité économique de son entreprise justifie pour lui son « choix » de vie bohème issu du « résultat des interactions qui se construisent progressivement entre les deux univers séparés à l’origine, celui du travail et celui des loisirs » (Chevalier et Dussart, 2002). Titulaire d’une licence universitaire en biologie, c’est après avoir validé un brevet professionnel de surf qu’il a décidé, en famille, de vivre de sa passion en s’installant aux Sables d’Olonne ; passion toutefois devenue, avec le temps et par glissement, un peu plus aliénante, « une nécessité » selon lui :
Le plaisir de transmettre ce que j’aime, de partager des bons moments dans mon environnement favori, c’est-à-dire l’océan. J’ai choisi ce métier plutôt par passion pour le surf ouais, puis après c’est devenu… À l’époque on a créé notre entreprise, mais au départ c’était vraiment de la passion. Après on a vu qu’on pouvait en vivre donc on a été là directement là-dedans, c’est devenu une nécessité.
36Associés au thème de la « passion », les entretiens témoignent par ailleurs d’un décloisonnement et d’un « brouillage plus intense entre vie privée et vie professionnelle, engendrant de nouveaux questionnements quant à la structuration des temps sociaux » (Rech et Paget, 2012). La frontière est en effet mince entre un temps de travail où l’on encadre une clientèle en surf ou en voile et un temps libéré où le professionnel redevient un pratiquant ordinaire : « Les moniteurs sont donc passés du statut de consommateurs à celui d’offreurs de services sportifs » (Bouhaouala et Chifflet, 2001). Les modalités de pratique sont néanmoins bien distinctes entre, par exemple, un cours de surf proposé à des débutants dans des conditions sécurisées de houle d’une part et l’activité que le moniteur pratique pour lui-même dans des conditions de pratique différentes (vagues puissantes par exemple) d’autre part. Cette discontinuité est ainsi insinuée par Olivier, 52 ans, gérant et moniteur d’une école de surf depuis quatre ans. Si sa « passion » pour le surf est au principe de sa reconversion professionnelle, il était auparavant animateur au sein d’une collectivité locale auprès des publics adolescents, il affirme sans détour : « Les cours que je donne l’été aux touristes dans les petites mousses près du bord, c’est pas du surf ! » Finalement, si s’engager « par passion » est un régime discursif très régulièrement convoqué par les moniteurs de surf et de voile interrogés, les situations professionnelles et les conditions d’exercice inhérentes font que « la passion peut se retourner contre les travailleurs » (Simonet, 2015).
37Un autre régime de justification dans l’espace des possibles consiste à penser le travail estival à la frontière de l’activité professionnelle et du loisir, comme c’est le cas pour Pierre, 21 ans, fils de restaurateurs, titulaire d’un BTS et d’une licence universitaire dans le domaine du tourisme. Il a obtenu un brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique (BNSSA) et travaille, comme son grand frère chaque été depuis quelques années, les saisons sur la plage principale des Sables d’Olonne. La dissociation entre travail et loisirs est pour Pierre très faible. Cette dissociation euphémisée se traduit par une forme d’invisibilité du travail, qui provient chez lui de la perception « enchantée » de son activité (« c’est pas un vrai métier ») et de son environnement direct, la plage :
Pour moi, même si c’est la saison, même si on travaille, je veux que ça reste quand même des vacances. En tant qu’étudiant, ça inspire plus le côté financier, je veux dire je sais que ça va être la partie de l’année où je vais pouvoir gagner le plus d’argent que sur le reste de l’année. Mais, plus que le salaire, c’est vraiment la passion qui explique mon choix : être à la plage et être utile. Et puis c’est pas un vrai métier.
38Plus rarement et formalisant en cela un cas singulier, des professionnels de l’économie touristique estivale occupent un autre métier « à l’année », stable et en CDI. Romain, par exemple, 31 ans, est moniteur de surf durant la saison et kinésithérapeute le reste de l’année. Son cas, économiquement sécurisé, est illustratif de conditions sociales spécifiques favorables à l’engagement et à la durabilité dans les saisons. Né aux Sables et y résidant, il déclare n’avoir « jamais voulu aller ailleurs » : « J’étais bien et je ne me voyais pas partir alors que j’avais tout sur place. » Il est marié et a un enfant. Ses parents sont gérants d’un bar de plage au sud de la corniche des Sables d’Olonne. Romain a très vite été familialement socialisé à l’activité économique touristique. « [J’ai commencé les saisons l’été] à l’âge de 14-15 ans et j’ai arrêté lorsque j’ai commencé mon activité de kinésithérapeute vers 22 ans. » Cela est pour lui vécu sur le mode de l’évidence, mais aussi comme une aubaine afin « de se faire de l’argent de poche ». Romain cumule donc activité saisonnière l’été, sa passion et un « vrai » métier « le reste de l’année » au sein de son cabinet. Être saisonnier est pour lui une activité professionnelle complémentaire choisie et secondaire :
Après mon bac j’ai passé mon brevet d’État surf 1er degré et ensuite j’ai fait deux « prépas kiné » pour intégrer l’école qui a duré trois ans. Trois ans de formation en kiné dans le Nord et depuis je suis kiné […] Le salaire n’est pas une motivation pour moi car j’ai mon boulot pour subvenir à mes besoins, après je le fais dans un but de plaisir. Bien évidemment je ne travaille pas gratuitement, faut pas se leurrer, il y a tout l’amortissement du matériel etc., le camion, les planches, etc. et il faut quand même vivre voilà, mais je ne compte pas sur cette activité saisonnière pour vivre. J’ai mon boulot qui me permet de subvenir à tous les besoins de ma famille.
39Tiraillé entre l’activité saisonnière et les contingences de son travail alimentaire, « faire la saison » consiste à « casser la routine » pour Romain : le surf est pour lui une « passion » qu’il envisage comme support à la diversification de son activité professionnelle. Dissociant clients présents « par plaisir » et patients présents par « obligation », il exerce son activité de moniteur de surf en qualité d’indépendant, ce qui lui permet d’envisager ce travail saisonnier de manière très flexible sur le plan de la gestion du temps : « mais c’est surtout pour se divertir professionnellement et en plus c’est ma passion le surf, donc euh voilà, ça c’est important de le souligner. Ça permet d’allier divertissement et puis le plaisir. »
40Les modalités d’engagements professionnels qui convoquent la passion et qui procèdent par brouillage des frontières entre sphères du travail et du hors-travail ne sont pas les seules à justifier les trajectoires plus ou moins durables des saisonniers. La porosité du temps travaillé et du temps privé est souvent identifiée comme une spécificité du travail saisonnier, surtout chez les plus jeunes d’entre eux. Être saisonnier, c’est aussi potentiellement capitaliser sur le plan des relations sociales. Les régimes discursifs exprimant le développement ou le maintien de relations amicales grâce au cumul des saisons sont convoqués de manière explicite.
41Être saisonnier, c’est, selon une partie des enquêtés, retrouver d’année en année un cercle de connaissances permettant de maintenir ou d’élever un capital social. Les réseaux de connaissances géographiquement localisés permettent de trouver un travail saisonnier ou d’en faciliter l’accès. Les soirées entre saisonniers sont des espaces-temps où les sociabilités amicales, voire amoureuses surpassent le cadre professionnel. Plusieurs saisonniers interrogés avouent d’ailleurs être actuellement en couple à la faveur d’une rencontre lors de la saison. Ce type d’interactions sociales renforce également les « sentiments d’appartenance » entre le « nous » à l’aune d’une forme d’entre-soi temporaire (le temps de la saison) et le « eux » (les touristes). Emmanuelle indique ainsi : « Maintenant je me suis fait un cercle d’amis qui travaillent dans le milieu également. À force d’être dans le milieu on se fait des amis. » Charly, 26 ans, saisonnier dans la restauration, affirme que l’emploi du temps typique de sa profession a des effets sur ses relations : « Même quand on sort, on sort avec des gens de la restauration parce qu’ils comprennent et qu’ils ont le même rythme. » Pierre, cité plus haut, maître-nageur sauveteur (MNS), précise ainsi : « Quand il y a des soirées, les sauveteurs sont souvent là ! »
42Les sociabilités cultivées dans et autour du travail peuvent dans d’autres cas être rentabilisées professionnellement. Elles favorisent une forme d’appel à l’autonomie : gérer un statut professionnel précaire s’appuie sur le développement de compétences relationnelles en ce sens que les saisonniers doivent individuellement se « gérer eux-mêmes » (Caveng, 2011). Développer son propre réseau est une stratégie visant à penser sa trajectoire professionnelle au-delà du temps présent (celui de la saison). Thomas, 26 ans, titulaire d’un CAP et cuisinier dans un restaurant, considère ainsi que le réseau constitué en saison peut être mobilisé pour trouver du travail hors saison estivale, à la montagne par exemple :
Ça permet de rencontrer des gens qui sont intéressants, qui connaissent d’autres gens, ça permet de se faire un grand réseau. Si tu veux partir la saison d’après en montagne, tu connais les gens qui peuvent t’envoyer là-bas, que ça soit des collègues, des patrons, les gens que tu rencontres dans un bar, c’est bête à dire mais tu rencontres pas mal des gens qui te permettent d’évoluer dans l’avenir.
43L’avancée en âge est par ailleurs une variable systématiquement avancée pour justifier l’arrêt des fréquentations systématiques entre saisonniers après une journée de travail. François, ex-saisonnier dorénavant gérant de son entreprise de cours de surf, précise ainsi :
Avant, ouais carrément, on faisait la fête tous les soirs ! C’était l’avantage de l’UCPA, cet esprit de famille où tu te retrouves, où les saisons sont plus longues, puisqu’ils arrivent à proposer des produits d’avril à fin octobre, et donc tu peux faire de longues saisons. Mais ça, c’était avant [rires]. Maintenant, avec les enfants, c’est plus trop possible.
44Au-delà des relations amicales facilement établies en saison entre saisonniers, certains métiers spécifiques en lien avec la clientèle touristique (serveur, moniteur sportif, surveillant de baignade) procurent une sorte de profit qui permet d’accepter plus facilement, tel un rééquilibrage entre pertes et gains, les horaires longs et atypiques ou encore les rémunérations modestes. Les métiers de service sont particulièrement propices à cette perception subjective selon laquelle un saisonnier trouve de la satisfaction, voire de la reconnaissance à effectuer son travail. Pierre est conscient du profit symbolique lié à son métier dont les représentations alternent, selon lui, entre « respect » et « image positive » : « l’identité de [son] activité [est] source de prestige » (Menger, 2003). L’utilité sociale et le travail relationnel constituent le moteur de son engagement : « Je continue les saisons parce que l’image des MNS est positive… parce qu’on est là pour les autres. Bon notre but c’est pas non plus de donner notre vie pour un autre, c’est pas la raison, on bosse pas pour mourir pour quelqu’un d’autre ! Mais ce côté de venir en aide est quand même relativement respecté. »
45Davantage valorisée socialement dans la hiérarchie des métiers de services touristiques, Julie, 18 ans, animatrice, citée plus haut, éprouve quant à elle une réelle satisfaction à « donner du bonheur » :
Ce qui m’intéresse dans l’animation c’est de donner du bonheur aux gens, d’amuser les gens. Ça m’a toujours plu, toujours attirée et je dirais que c’est principalement ça rendre les gens heureux à travers différents moyens. Rassembler des personnes différentes au camping sur des activités communes et de voir que grâce à nous ils sont contents, c’est quand même valorisant !
46Si tous les saisonniers enquêtés déclarent travailler l’été dans un but d’en profiter économiquement, les raisons ne s’expriment pas uniquement à travers la dimension instrumentale et utilitariste du travail. Celles-ci sont plurielles (relations sociales, expériences professionnelles, profits symboliques, etc.) et permettent de « tenir » dans ces métiers au point d’envisager d’y rester sur un long terme.
47Des saisonniers déclarent s’engager sur le mode de la « passion », d’autres le font davantage par nécessité. Loin d’un isolement supposé qui caractériserait ce type d’emploi, les amitiés retrouvées chaque été sont aussi justificatives : des saisonniers déclarent en effet penser leur cercle professionnel telle une communauté où l’entre-soi prévaut. Les métiers de service, par le fait de travailler à contre-temps dans des lieux jugés « sympathiques » et « agréables », peuvent être perçus comme symboliquement profitables. Pour autant, avec l’avancée en âge et la volonté de se stabiliser familialement, puis avec les profits économiques et symboliques relatifs au statut d’un contrat de travail en CDI, des saisonniers déclarent vouloir mettre un terme à l’alternance des saisons marquées par l’emploi et le non-emploi. La « réalisation de soi », à l’appui des divers profits escomptés grâce à l’exercice de l’occupation de saisonnier, rarement permanente, est donc sporadique et discontinue. D’autres raisons peuvent justifier le fait de continuer ou de cesser le travail saisonnier. Les effets de l’accumulation de contrats à durée déterminée sur les droits à la retraite, le poids du prix du foncier sur les mobilités géographiques, l’usure physique et les blessures, les stratégies liées au travail non déclaré, etc. sont autant de thématiques supplémentaires nécessitant la poursuite de cette recherche. Les procédures d’accompagnement des saisonniers assurées par divers organismes et associations constituent un autre champ de recherche complémentaire. Sur le littoral vendéen, au-delà des agences locales de Pôle Emploi, des groupements d’employeurs cherchent ainsi à faire « traverser la saison tout en restant sur le territoire », tel qu’indiqué par un responsable local de l’association Profession Sport en faveur des moniteurs sportifs participant à l’économie littorale estivale.
48Finalement, la multitude de situations évoquées tout au long de l’article atteste du fait que le terme « saisonnier » renvoie à des conditions d’exercice des métiers très variées, d’une part, et des profils sociaux également très divers, d’autre part. Les profits escomptés sont différemment appréhendés selon le profil, expliquant en partie les raisons pour lesquelles certains reviendront l’été suivant, et d’autres non. Le groupe éminemment composite des saisonniers sur le littoral se caractérise en conséquence par des « processus évolutifs, instables et ouverts » (Demazière et Gadéa, 2009). D’année en année, tenir les saisons touristiques participe finalement d’un « desserrement normatif » du salariat au sein duquel s’affirment de nouveaux styles relationnels et liens sociaux. Il en résulte que malgré les conditions de travail, le « bonheur » (Baudelot et Gollac, 2003) qui fait tenir les saisonniers de l’économie touristique balnéaire ne se situe pas dans les critères sociaux classiques (niveau de rémunération, statut d’emploi, temps de travail), mais dans des perceptions et des sens davantage subjectifs (sociabilité, reconnaissance et utilité, brouillage des frontières entre passion et travail, etc.).