Skip to navigation – Site map

HomeNuméros23-1DossierTourisme, incertitudes politiques...

Dossier

Tourisme, incertitudes politiques et démocratisation

Éléments pour une prospective
Robert Lanquar
p. 58-63

Full text

« Si ceci est le meilleur des mondes », se dit-il, « à quoi pourrait ressembler le reste » (Voltaire, Candide)

« L’avenir a un long passé » (Réflexion biblique et coranique)

1Les communiqués de presse de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) sont optimistes : crises politiques, terrorisme international, spectre de la récession, catastrophes sanitaires et naturelles surviennent de plus en plus fréquemment dans toutes les régions du monde, pourtant le tourisme poursuit cahin-caha son petit bonhomme de chemin. La croissance du tourisme à long terme serait-elle vraiment menacée par les conjonctures politiques récentes et l’instabilité qui en découle ? Quelle réflexion doit-on mener pour une prospective à long terme du tourisme sur ses relations avec la politique et la démocratie ?

2Le 31 octobre 2003, juste après l’Assemblée générale de Beijing (Chine) au cours de laquelle il fut décidé que l’OMT serait transformée en institution spécialisée des Nations unies, on pouvait lire sur le site de l’organisation :

Au cours des quatre premiers mois de l’année, les résultats du secteur ont été influencés par la guerre d’Iraq et, à partir du mois d’avril, par l’épidémie de pneumonie atypique. Alors qu’avec la fin de la guerre, la confiance des voyageurs revenait progressivement, elle a de nouveau été entamée par les attentats terroristes de Riyad, de Casablanca, de Djakarta et de Bombay. Cependant, estime le chef de la section Études de marché et techniques de promotion de l’OMT, Augusto Huéscar, ces attentats ont eu beaucoup moins de répercussions qu’on ne le redoutait car le public semble s’habituer à vivre dans un monde instable.

Exemples et contre-exemples

3Peu d’analyses existent sur les dimensions politiques du tourisme et ses relations avec la démocratie et l’instabilité socio-politique. Toute une série d’exemples démontre que le tourisme a servi les processus de démocratisation. Ils peuvent être utilisés pour une prospective socio-politique; c’est le cas évident de l’Espagne. Il est notable de comparer les cas de la Tunisie et de l’Algérie, qui ont réussi différemment depuis les années 1960.

4La Tunisie, depuis son indépendance en 1956, a laissé les mains libres au secteur touristique. Bourguiba, comme son successeur le général Ben Ali, ont gardé de bonnes relations avec l’Occident et ont intensifié les efforts pour lutter contre le fondamentalisme islamique. On leur a reproché de violer certains droits de l’homme, mais en Tunisie la femme a des droits qu’elle n’a nulle part ailleurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et l’on peut y circuler passablement librement sans crainte pour sa sécurité. La politique de collectivisation avait épargné le secteur touristique. Un décret — datant du 2 septembre 1966 —, visant à renforcer l’initiative privée, a permis une percée spectaculaire des investissements et, dès 1968, 75 % des investissements touristiques étaient privés. La Tunisie a hébergé l’OLP (Organisation de libération de la Palestine). L’attentat terroriste de la Griba à Djerba a eu un désastreux effet temporaire sur le tourisme allemand, essentiellement en raison du manque d’une politique de communication et de transparence de la part des autorités tunisiennes. Une communication de crise plus opérante, une implication plus poussée des autorités au plus haut niveau, auraient certainement limité les dégâts faits sur l’image de la Tunisie.

5La Tunisie reçoit aujourd’hui plus de 5 millions de touristes. C’est le pays le plus avancé dans le processus d’association avec l’Union européenne. Le gouvernement prétend que la démocratisation doit être un processus graduel pour ne pas déstabiliser les processus de libéralisation économique et la consolidation sociale. À l’horizon 2010, la Tunisie pourrait recevoir plus de 10 millions de visiteurs internationaux. Cela pose des problèmes à l’échelle locale : plans d’aménagement et de développement durable, menaces sur l’environnement qui ne pourront être traitées que par une démocratisation réelle avec un renforcement des pouvoirs locaux (King, 2003). La seule libéralisation économique préconisée par des experts de la Banque mondiale pourrait avoir des effets négatifs sur le développement à long terme du tourisme tunisien (Lanquar, 2003 : 2).

6L’Algérie n’a pas cru au tourisme international pour son développement économique et social. Elle a les revenus du pétrole. Devenue indépendante en 1962, elle n’a pas voulu mettre en place une véritable politique à long terme du tourisme, comme ses voisins tunisiens et marocains. Après décembre 1991 et le coup militaire contre les fondamentalistes du FIS (Front islamique du salut) et le terrorisme qui a suivi, certains responsables politiques ont cru qu’en développant seulement le Grand Sud saharien, le tourisme algérien pourrait « attendre et voir venir ». Malheureusement, les enlèvements de randonneurs dans le désert par des petits groupes salafistes ont jeté le trouble parmi les tour-opérateurs. Les troubles de Kabylie n’ont rien à voir avec le terrorisme, même si certains s’en inquiètent. Bien au contraire, c’est en Kabylie et dans les Aurès que l’on voit et verra se développer un tourisme alternatif fondé sur des gîtes ruraux, des circuits écotouristiques, mais au départ un tourisme pour les Algériens eux-mêmes (Lanquar, 2003 : 1).

7Comme le soulignait la Banque mondiale en juin 2003, l’Algérie a réussi un remarquable rétablissement depuis 1996 et, malgré un environnement socio-politique difficile, elle a opéré « une ouverture fondamentale du processus politique […] en appliquant des principes démocratiques tels que la liberté de presse et d’association, qui ont conduit à l’émergence d’une société civile dynamique ».

8L’Algérie se trouve dans la phase initiale de sa transition vers une économie de marché. Cette transition est complexe et doit répondre à de multiples défis. L’année 2003 a été propice à l’aboutissement de réformes à caractère économique sur le commerce extérieur et sur la propriété intellectuelle qui vont permettre d’accélérer l’accession de l’Algérie à l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Cette accession renforcerait la confiance des investisseurs internationaux qui tendent à minimiser leurs risques, à ne se rendre que dans des pays au système bancaire stable et à un pouvoir judiciaire « équipé » et équitable en matière commerciale.

9L’Algérie sera-t-elle un jour sur la carte des grandes destinations touristiques ? Rien ne l’assurerait, si l’on n’observait actuellement une transformation rapide des investissements et de la nature du tourisme : un tourisme national qui se renforce grâce aux investisseurs algériens privés et qui, à terme, par sa masse critique, pourrait attirer des investisseurs étrangers en créant les conditions d’un développement durable du tourisme international à l’horizon 2010-2015 (Lanquar, 2003 : 1).

Illustration 1 : Un éléphant dans les rues de Jaipur, Inde

Illustration 1 : Un éléphant dans les rues de Jaipur, Inde

Photo : Organisation mondiale de la Santé (OMS) / P. Virot

Violence et tourisme

10Deux autres exemples européens sont à prendre en compte dans une analyse des relations entre l’instabilité et le développement touristique. Ces deux exemples, corse et basque, montrent que la violence n’arrête pas le développement touristique, car ces deux régions de France et d’Espagne se trouvent dans un environnement politique plus stable avec une certaine autocensure des médias sur les conséquences du terrorisme. On peut alors se demander si la violence (criminalité ou terrorisme) n’a pas été intégrée dans les mœurs et les attitudes des touristes qui vont en Corse ou au Pays basque espagnol ? Les concepts de sécurité changent; cette sécurité serait essentiellement conjoncturelle.

11En Corse, il n’est pas de semaine sans violence nationaliste : édifices publics et maisons de métropolitains français ou d’étrangers que l’on fait exploser, vols pour renflouer les caisses de groupes indépendantistes, meurtres de partisans de groupes opposés, etc. Pourtant le tourisme s’y développe graduellement avec presque 2 millions d’arrivées de touristes en 2003, soit 4 % de plus qu’en 2002. Fait notable, 98 % des touristes sont satisfaits ou très satisfaits de leur séjour en Corse1. La proportion des très satisfaits est plus élevée chez les Français que chez les étrangers. Les nationalistes corses comparent leur île à Malte — quand les Anglais ont donné à cette île méditerranéenne leur autonomie (là aussi après plusieurs vagues de violence) — et désirent « simplement une Corse indépendante, démocratique, républicaine et européenne, qui entretiendra avec tous ses voisins, au premier rang desquels la France, les meilleurs rapports, puisque ce seront des rapports fondés sur la liberté, l’égalité et la fraternité, et non plus sur la dépendance, la sujétion, et le conflit permanent ».

12La plupart des organisations nationalistes veulent développer une politique du tourisme. Il s’agit donc d’accepter que le tourisme se développe tout en limitant les actions violentes, soit pour montrer l’exemple contre ceux qui manifestent trop leurs sentiments anti-nationalistes, soit contre des spéculateurs qui dérangent. La Gauche nationale corse a adopté par exemple, lors de son Congrès du 13 avril 2003, huit mesures, dont :

  • une véritable gestion du flux touristique avec un quota d’entrés des autos;

  • l’augmentation des taxes de port et d’aéroport pour les populations non-résidentes et un contrôle du reversement des taxes aux collectivités publiques, ce qui est loin d’être le cas actuel;

  • la suppression de toutes les taxes de transport pour la population insulaire;

  • un contrôle renforcé des conditions de travail et de logement des employés saisonniers (en particulier pour les non — Corses;

  • un contrôle des bénéfices induits par les locations saisonnières et une importante incitation fiscale à louer à l’année, par l’application d’une taxe sur les locations saisonnières2.

  • 3 Source : Eustat, Nexotur no 372, novembre 2003.

13Au Pays basque espagnol, malgré le terrorisme d’ETA (Euzkadi Ta Azkatasuma), la croissance du nombre d’arrivées de touristes a été de plus de 7 % et les nuitées de plus de 8 % durant l’été 20033 avec des nuances : -6 % d’étrangers, mais plus de 11 % de touristes venant de Madrid, +21 % de la Communauté valencienne et +13,7 % de Catalogne). Les promoteurs touristiques espagnols et étrangers y restent prudents. Le succès de Bilbao et de son Musée Guggenheim est en train de faire long feu. On voit se développer un tourisme de petites et moyennes entreprises, souvent en milieu rural, par des nationalistes basques modérés qui visent la création de produits et services innovants basés sur l’utilisation des ressources locales — écotourisme, tourisme à la ferme, gîtes ruraux, activités sportives et de loisirs —, avec une forte participation des collectivités de base et des populations basques. Pour eux, le terrorisme est maintenant contre-productif. Ils savent qu’ils ont tout à gagner d’une image positive de paix et de sécurité.

Le terrorisme dans une destination ne ferait peur aux touristes que de manière conjoncturelle

14Dans un article écrit voilà dix ans, Lanquar (1994) soulignait que, depuis quelques années, le terrorisme prend de nouveaux visages : « Finis, le terrorisme publicitaire et les pirates de l’air. Le terrorisme, en particulier en Méditerranée, cherche à nuire délibérément à l’activité touristique ». Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment les pays méditerranéens les plus exposés ont-ils réagi aux menaces terroristes ? Comment les touristes ont-ils intégré ces menaces ? Si le terrorisme n’est pas dirigé directement contre les intérêts touristiques, il pourrait, dans une destination, ne faire peu que de manière conjoncturelle.

15Certes, les effets conjoncturels sont évidents. Le jour même (20 novembre 2003) des deux attentats qui ont ensanglanté Istanbul et qui ont touché le Consulat britannique et la banque internationale HSBC, de nombreux gouvernements de pays émetteurs de touristes ont averti leurs nationaux qu’il serait préférable de ne pas voyager en Turquie. Les compagnies aériennes et les tour-opérateurs ont alors enregistré des chutes allant jusqu’à plus de 25 % de leurs réservations, avec des annulations de voyages en groupes, de réunions et de conférences.

16La Turquie musulmane est une démocratie laïque. Elle l’est restée après la victoire électorale du Parti islamique modéré du premier ministre Recep Tayip Erdogan en novembre 2002. Celui-ci veut montrer que la Turquie pourrait jouer un rôle important dans une quatrième vague de démocratisation qui changerait le monde islamique. Selon l’éditorial du Monde du 21 novembre 2003, « Tout se passe comme si certains sympathisants de Ben Laden avaient compris que le succès de la démocratisation en cours en Turquie serait pour l’islamisme radical une défaite autrement plus conséquente que la chute du régime de Saddam Hussein. C’est pour cela aussi que cette expérience doit continuer ».

  • 4 Parti indépendantiste du Kurdistan / Party Karkaren Kurdistan.

17La réaction des autorités turques a été rapide, leur expérience de la crise kurde et les actions terroristes du PKK/KADEK4 dans les années 1980 et 1990 leur ayant permis de concentrer leurs efforts sur deux points : on renforçait la sécurité dans tout le pays et on donnait la priorité à la promotion touristique avec des baisses de prix sensibles sur les principales destinations. Les touristes ont donc repris le chemin d’Istanbul et de la Turquie à partir de Noël 2003, même si la Turquie était perçue en première ligne sur le front du terrorisme.

Courage politique et développement touristique

18Deux attentats terroristes très graves de la Gamaat Islamiya ont frappé l’Égypte dans les années 1990, l’un en avril 1996 où 17 touristes grecs et un guide égyptien trouvèrent la mort parce qu’on les aurait pris pour des Israéliens, l’autre en novembre 1997, à Louxor, quand furent assassinés 58 touristes, principalement européens, et 4 Égyptiens. En 2002, l’Égypte a reçu 4,9 millions de touristes internationaux et est devenue la destination la plus appréciée des résidents du Moyen-Orient et de Turquie5.

19L’Égypte est une république politiquement stable, certes avec un système démocratique limité. Elle est présidée par un militaire, Hosni Moubarak, qui a été réélu pour un quatrième mandat de six ans en septembre 1999. Le terrorisme islamique n’a pas touché seulement le tourisme; plus de 1 200 personnes ont été assassinées par des groupes militants de 1992 à 1999. Après l’attentat de Louxor, le président Moubarak a eu le courage politique de personnellement prendre en main la stratégie de communication–promotion et de sécurité pour le tourisme. En cela, les responsables égyptiens ont compris que le tourisme est avant tout une affaire de marketing. Les campagnes sur CNN ont porté fruit. Si le Président Moubarak traite lui-même le dossier du tourisme, c’est qu’il sait que plus de 20 % de sa population en vit, directement ou indirectement.

20La démocratie progresse en Égypte. Si le multipartisme décolle lentement, c’est à l’échelle locale que la vie politique est la plus soutenue. La shari’a islamique est officiellement la principale source de législation, mais le code Napoléon y est en réalité plus important. Ces dernières années, l’Égypte a amélioré ses performances macro-économiques grâce à sa politique de réformes fiscale, monétaire et structurelle. Elle a réussi à attirer des investisseurs étrangers. Cependant, la pression monétaire y a augmenté depuis le 11 septembre 2001 et la livre a été dévaluée plusieurs fois. À court terme, des tensions régionales continueront d’affecter le tourisme et ralentiront les perspectives d’expansion économique.

21Quand, au début de 2002 à la veille des opérations iraquiennes, le Secrétaire général de l’OMT annonçait que, malgré la crise, le tourisme international se portait bien et qu’a priori les résultats étaient étonnants, sa meilleure phrase fut : « À l’instar du feu et de l’eau, guerre et tourisme sont tout à fait incompatibles, il ne peut y avoir de développement du tourisme sans stabilité et sans confiance ». En même temps, le Secrétaire général de l’OMT soulignait la thèse selon laquelle la situation de l’économie mondiale pèserait beaucoup plus fort sur les arrivées de touristes internationaux que la crainte du terrorisme.

22S’est-on habitué au terrorisme ? En août 1994, trois hommes masqués sont entrés dans le hall de l’hôtel Atlas Asni de Marrakech et ont abattu deux touristes espagnols : Salvador Torràs et Antonia Garcia. Ces terroristes étaient des jeunes hommes venus de France pour déstabiliser le régime d’Hassan II. Cet attentat a créé une énorme psychose et obscurci durablement les relations entre l’Espagne et le Maroc. Longtemps, le Maroc a été délaissé par ses voisins espagnols qui ne voulaient plus le visiter. Or, après les attentats suicides à la bombe de Casablanca le 17 mai 2003 fauchant plus de 40 personnes, dont le plus terrible fut celui de la Casa de España, les touristes espagnols auraient été aussi nombreux en 2003 malgré les avertissements répétés sur la menace du terrorisme international dans des secteurs urbanisés, comme Fez, Marrakech ou Casablanca. À titre d’exemple, le 20 novembre 2003, le gouvernement marocain et le promoteur espagnol, Globalia, propriétaire d’une des plus importantes compagnies aériennes ibériques, Air Europa, signaient un accord de partenariat, lors d’une cérémonie présidée par le premier ministre marocain, Driss Jetou. La campagne promotionnelle de Globalia en faveur du Maroc s’étendra à toute l’Europe.

23Grâce aux mesures prises immédiatement par les autorités gouvernementales, l’image du Maroc a été moins affectée que celle de la Tunisie après l’attentat de la Griba. Au-delà de sa stabilité politique grâce à la royauté alaouite, le Maroc s’est aussi lancé dans un processus de démocratisation, avec liberté de la presse (sauf quelques cas) et émancipation de la femme. Les collectivités locales jouent un rôle de plus en plus important dans le développement du tourisme, ce qui permet la création de produits gérés par des petites et moyennes entreprises en milieux rural et urbain.

24Si la stabilité politique est insuffisante pour expliquer le développement à long terme du tourisme, il y a bien le rapport entre ce développement et celui de la démocratie. Une certaine stabilité politique dans un pays autoritaire peut avoir un effet positif pour un décollage du tourisme. Cela est-il vrai à long terme ?

Illustration 2 : Une rue insalubre de Mumbai, Inde

Illustration 2 : Une rue insalubre de Mumbai, Inde

Photo : Organisation mondiale de la Santé (OMS) / P. Virot

Démocratie et tourisme

25On a souvent analysé les rapports entre le progrès économique et les changements politiques, particulièrement en ce qui concerne la diffusion d’institutions démocratiques dans le monde entier. L’histoire du tourisme depuis le dix-huitième siècle est liée aux trois vagues de démocratisation que les politologues ont décelées depuis un peu plus de deux cents ans.

26Samuel Huntington (1997) soutient que le monde a observé « une troisième vague de démocratisation » au milieu des années 1970, avec un premier résultat, la fin de la dictature au Portugal et la Révolution des œillets. Les deux premières vagues seraient survenues au début du dix-neuvième siècle et juste après la Seconde Guerre mondiale. L’écroulement de l’Union soviétique a mené beaucoup des États la composant et de ses satellites à une démocratie entière ou partielle (sauf en Asie centrale). Quant aux pays d’Amérique latine, ce ne sont plus des dictatures, avec l’exception notable de Cuba où le tourisme commence à s’effriter alors que des voix s’élèvent de plus en plus contre la dictature de Fidel Castro.

27Selon le rapport Freedom in the world6 publié par une organisation non gouvernementale nord-américaine, en juillet 2003, les deux tiers de la population mondiale vivraient maintenant sous un régime démocratique (65 % en 2002 contre 53 % en 1972), tandis que 11 pays auraient subi une altération des droits politiques ou des libertés civiques en 2002, 28 autres ont connu des améliorations. Quoique le Moyen-Orient soit une des régions où les droits de l’homme ne sont pas toujours respectés, des milliards de personnes, dans d’autres régions du monde, voient leurs aspirations démocratiques ignorées ou écrasées : Viêt Nam, Myanmar, Chine.

28Il y a 2,2 milliards de personnes qui vivent dans des pays non démocratiques et plus de la moitié sont en Chine. La région administrative spéciale de Hong Kong connaît un peu plus de liberté et les autorités chinoises ont été forcées de reporter une loi sur la sécurité interne après que 500 000 personnes aient manifesté contre le projet de loi. Ce n’est pas le manque de démocratie qui actuellement pose un voile sur le tourisme chinois et ses zones spéciales de Hong Kong et de Macao : c’est la peur du SRAS — syndrome respiratoire aigu sévère ou Severe Acute Respiratory Syndrome (SARS) —, maladie respiratoire virale provoquée par un coronavirus, signalée pour la première fois en Asie, en février 2003.

29Le tourisme en Iran se développe lentement. Les séjours et les circuits sont généralement contrôlés par l’administration nationale. Le tourisme individuel est très surveillé. Les visas sont difficiles à obtenir, ce qui explique aussi le non-décollage du tourisme iranien. Pourtant, l’Iran aurait pu développer une ample panoplie de produits et services touristiques. Ses potentialités sont énormes aussi bien pour le tourisme culturel ou l’écotourisme que pour le tourisme balnéaire (l’île de Kish, paradis pour milliardaires, est devenue une zone franche très prisée par les Iraniens eux-mêmes qui vont y faire leurs emplettes libres d’impôt).

30Il y a eu quelques enlèvements de touristes près des frontières afghanes et turques, fait d’une grande criminalité liée au trafic de drogue. Des manifestations de rue se déroulent souvent dans diverses régions en raison d’un climat politique parfois volatil et des revendications estudiantines de plus en plus fréquentes. Le « State Department » déconseille aux citoyens américains de voyager en Iran et, surtout, d’éviter les circuits qui passent près des frontières de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Iraq. L’Iran est en train de changer et la rue demande une démocratie accrue. On y a élu Muhammad Khatami, moderniste prudent, comme président; l’establishment clérical conservateur, mené par l’Ayatollah Ali Khamenei, contrôle toujours le pays. Des milliers d’Iraniens ont accueilli triomphalement Mme Shirin Ebadi, avocate militante de droits de l’homme, prix Nobel de la Paix 2003, lors de son retour en Iran au début de novembre 2003.

31La monarchie absolue wahhabite promet des élections municipales libres en 2004 en Arabie saoudite. On a beaucoup critiqué ce pays, fermé au tourisme international parce que l’on pouvait trouver des informations comme celles-ci sur le site [www.Arabie- Saoudite.com] :

  • L’Arabie saoudite ne délivre pas de visas touristiques, et applique une très grande retenue sur les visas pour les visites à caractère privé (besoin d’un « parrain » saoudien).

  • L’entrée dans le pays est interdite aux personnes de confession juive ou tout simplement sans confession.

  • Les détenteurs de passeport portant un visa valable (ou non valable) pour Israël n’ont pas non plus autorisation d’entrée.

  • Les villes de La Mecque et Médine sont interdites aux non-musulmans sous peine d’emprisonnement ou de mort.

  • Les « délits de mœurs » (adultère, relations hors mariage, homosexualité…) sont très sévèrement punis (peine de mort possible).

  • Les femmes doivent impérativement être accompagnées de leur époux ou d’un parent masculin. Si ce n’est pas le cas, son [sic] parrain doit venir la récupérer à l’aéroport. Mais là encore, il y a des restrictions sur le fait qu’un homme et une femme, sans liens de parenté, voyagent dans le même véhicule.

32L’Arabie saoudite est devenue membre de l’Organisation mondiale du tourisme. Depuis les événements terroristes de septembre 2001, des changements se font sentir dans la politique du pays. D’une part, il faut retenir les Saoudiens qui partent en masse en vacances à l’étranger alors que le pays traverse une crise économique sévère et, d’autre part, se construit une infrastructure touristique qui pourrait et devrait être utilisée pour d’autres clientèles, outre celles des pèlerinages et du tourisme d’affaires.

33La liberté et la démocratie recommencent à briller en Afrique subsaharienne, aux mains de tyrans locaux depuis la fin du colonialisme. Le Lesotho et le Sénégal ont été re-classifiés comme pays démocratiques après la tenue d’élections considérées sans irrégularités et le Kenya a été déclaré pays démocratique après qu’un candidat réformiste eut gagné la présidence. Par contre, dans certains pays, les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme se plaignent des atteintes à la liberté et à la démocratie. L’homme fort du Togo, le Général Gnassingbé Eyadéma, a récemment été réélu président (qu’il a été depuis 1967) dans un vote entaché d’irrégularités. Le tourisme n’arrive pas à y décoller, les promoteurs hôteliers et les tour-opérateurs se plaignent de la corruption et d’une jurisprudence commerciale qui ne leur est pas favorable.

34Le Rwanda est un des pays les plus densément peuplés d’Afrique avec plus de 300 habitants par kilomètre carré.. Il est surtout connu pour son parc national des Volcans qui abrite la plus grande population de gorilles de montagne au monde. Le génocide de 1994 y a laissé des marques indélébiles que les nouvelles générations devront effacer. Le tourisme est en crise depuis ces événements, alors qu’il représentait le troisième poste de recettes d’exportation du pays. Il est devenu priorité pour cette république multi-partisane à la tête de laquelle se trouve le Président Major Général Paul Kagamé du FPR (Front patriotique rwandais). Lors de l’intervention de l’OMT (2002) pour la préparation d’un plan d’actions stratégiques visant le développement durable du tourisme, il a d’abord fallu rechercher le consensus entre tous les acteurs locaux pour élaborer une politique à long terme afin de redonner confiance aux investisseurs nationaux et internationaux. L’accent a été mis sur le développement durable, la participation des autorités locales au processus de développement du tourisme et une plus grande décentralisation des politiques du tourisme.

Conclusion

35Comment se définit la démocratie ? Selon Cazorla et Montabes (1994 : 235), on peut qualifier un régime de démocratique quand :

  • Le régime en question donne une réponse appropriée à tous les citoyens de manière à ce qu’ils puissent s’exprimer quelles que soient leurs préférences sur leurs institutions et leur gouvernement, de manière individuelle et/ou collective, et qu’ils puissent aussi chercher à ce que leurs préférences soient considérées et prises en compte de manière équitable, sans discrimination quant à leur contenu et leur origine.

  • Pour y arriver, huit garanties sont imprescriptibles : liberté d’association et d’organisation, liberté de pensée et d’expression, droit au suffrage universel, droit des leaders politiques et des partis à concourir pour obtenir des appuis politiques, sources alternatives d’information, possibilité d’être élu à des responsabilités politiques, élections libres régulières, existence d’institutions qui font dépendre les politiques des votations et des autres expressions de la volonté populaire.

36La croissance économique entraîne des processus de démocratisation. Le développement du tourisme y participe. Les trois premières vagues de démocratisation ont amplement bénéficié au tourisme et vice versa. Le tourisme pourrait même jouer un rôle clé dans la quatrième vague de démocratisation qui toucherait le Moyen-Orient et l’Afrique.

37La globalisation demande un tourisme sûr et bien contrôlé quant à sa qualité et à son contenu. Les entreprises transnationales ont besoin de démocratie pour fonctionner sans trop de heurts dans les coins les plus reculés du monde. Dans la vision du tourisme par l’altermondialisme, la démocratie et le développement durable sont les passe-partout de son acceptation par la société civile.

38L’altermondialisme prolonge les mouvements d’émancipation qui sont nés en Occident, dans un univers culturel fortement marqué par le christianisme et cependant hétérogène. Ils ont réussi à produire un certain nombre de valeurs — l’égalité de principe des êtres humains et le rôle des femmes dans le développement, la démocratie, la place de la justice et de la responsabilité sociale, le droit des peuples à disposer d’eux — mêmes, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, etc. — qui visaient à transcender cette hétérogénéité. Les altermondialistes étaient présents à Québec lors du Sommet mondial de l’écotourisme du 19 au 22 mai 2002.

39L’interpellation par Tariq Ramadan7 des altermondialistes qui seraient, selon lui, incapables « d’une prise en compte sérieuse de la diversité culturelle et religieuse — leur discours sur le plan culturel reste nourri par de vieux schémas coloniaux » —, doit être prise au sérieux. Le mouvement altermondialiste doit-il promouvoir des valeurs universelles qui transcendent les identités culturelles et religieuses, bases de tout développement touristique ?

40Si la violence ne fait plus peur après une certaine période, si l’instabilité politique est aussi considérée de manière conjoncturelle, comment expliquer à long terme les relations entre le développement du tourisme et l’existence ou le manque de démocratie ? La prospective du tourisme doit intégrer les rapports entre le tourisme, son développement durable et la démocratie. Il ne s’agit pas seulement de parler de développement du tourisme dans un pays où les élections sont libres et non entachées d’irrégularité, il faut savoir si les autorités et les populations locales ont des pouvoirs plus étendus pour décider de leur avenir et de la gestion de leur territoire et partent avec plus de chances que celles qui n’en ont pas. Il est alors important d’analyser le développement tout court et le développement du tourisme. Amartya Sen (1999), prix Nobel d’économie, a exploré les rapports entre la liberté et le développement, la liberté constituant plus une base constitutive du développement en soi qu’un instrument permettant d’accéder à des niveaux plus élevés de la démocratie. Sans cette liberté, il n’y a pas de tourisme au sens moderne.

41Des pays non démocratiques ont pu faire décoller des industries touristiques basées sur une hôtellerie, en général internationale, et une compagnie aérienne. Les investisseurs nationaux et internationaux n’interviennent dans le tourisme que lorsqu’ils savent que les capitaux qu’ils ont placés ne risqueront pas les conséquences de mauvaises politiques économiques, sociales et environnementales.

42Le tourisme se nourrit de démocratie et nourrit la démocratie. Il ne pourra se développer à long terme que dans une stabilité démocratique qui fera évoluer harmonieusement ses piliers économique, socioculturel et environnemental, les mêmes que ceux du développement durable.

Top of page

Bibliography

« Fanning the Flames of Liberty », 13 novembre 2003, The Economist Global Agenda, London.

Ferguson, Niall (2001), Cash Nexus, Money and Power in the Modern World, 1700-2000, Allen Lane, The Penguin Press.

Fukuyama, Francis (1992), « Capitalism and Democracy: The Missing Link », Journal of Democracy, 3, p. 100-10.

Helalat, Mahmout (2004), Tourisme et Politique, MTM dissertation, EAMS – EuroArab Management School Case Studies, Grenade, avril.

Huntington, Samuel P. (1997), Le choc des civilisations, Éditions Odile Jacob, Paris.

Kepel, Gilles (2000), Jihad : expansion et déclin de l’islamisme. Paris, Gallimard.

King, Stephen J. (2003), Liberalization against Democracy: The Local Politics of Economic Reform in Tunisia (Middle East Studies), Indiana University Press.

Lanquar, Robert (1994), « Les visages du terrorisme », Revue Espaces, no 127, mai.

Lanquar, Robert (2003), Algérie: quel décollage pour le tourisme ?, Dialogo Mediterraneo, n31, Madrid, octobre.

Lanquar, Robert (2003), Peut-on se passer d’État ? Le développement futur du tourisme en Tunisie vu par la Banque mondiale, Dialogo Mediterraneo, no 31, Madrid, octobre.

Moniquet, Claude (2002), La guerre sans visage, de Waddi Haddad à Oussama Ben Laden : les réseaux de la peur (1970-2002), Paris, Michel Lafon.

Organisation mondiale du tourisme (2002), Plan d’actions prioritaires pour la relance du tourisme au Rwanda, Madrid.

Pérez, Cazorla, et Montabes Pereira (1994),

« Presupuestos políticos de las transiciones a la democracia: las tentativas del Magreb », dans B. Lopez Garcia et J. Montabes Pereira (dir.), El Magreb tras la crisis del golfo: transformaciones políticas y orden internacional, Universidad de Granada.

Sen, Amartya (1999), Development as Freedom, London, Oxford University Press.

Top of page

Notes

1 Source : Office du tourisme corse [www.visit-corsica.com].

2 Voir « Statuts » et « Motion Tourisme adoptée au congrès du 13/04/2003 » [www.manca-naziunale.org/].

3 Source : Eustat, Nexotur no 372, novembre 2003.

4 Parti indépendantiste du Kurdistan / Party Karkaren Kurdistan.

5 Source [www.arabicnews.com], 18 novembre 2003.

6 Voir [www.freedomhouse.org/research/] The Annual Survey of Political Rights and Civil Liberties, 2003.

7 Voir [www.politis.fr/] no 756.

Top of page

List of illustrations

Title Illustration 1 : Un éléphant dans les rues de Jaipur, Inde
Credits Photo : Organisation mondiale de la Santé (OMS) / P. Virot
URL http://journals.openedition.org/teoros/docannexe/image/3130/img-1.jpg
File image/jpeg, 876k
Title Illustration 2 : Une rue insalubre de Mumbai, Inde
Credits Photo : Organisation mondiale de la Santé (OMS) / P. Virot
URL http://journals.openedition.org/teoros/docannexe/image/3130/img-2.jpg
File image/jpeg, 1.2M
Top of page

References

Bibliographical reference

Robert Lanquar, Tourisme, incertitudes politiques et démocratisationTéoros, 23-1 | 2004, 58-63.

Electronic reference

Robert Lanquar, Tourisme, incertitudes politiques et démocratisationTéoros [Online], 23-1 | 2004, Online since 20 November 2017, connection on 20 May 2025. URL: http://journals.openedition.org/teoros/3130

Top of page

About the author

Robert Lanquar

Ph.D. directeur de Tourisme et Environnement à l’EAMS — EroArab Management School. Grenade, EspagneTerrorisme, démocratie, risque, incertudeFr

Top of page

Copyright

CC-BY-NC-ND-4.0

The text only may be used under licence CC BY-NC-ND 4.0. All other elements (illustrations, imported files) may be subject to specific use terms.

Top of page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search