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Règlement européen sur l’intelligence artificielle, le jour d’après

De prouesses techniques en logiques de préemption, quelles anticipations pour les systèmes génératifs ?
Dominique DESBOIS

Texte intégral

1Entré en vigueur à compter du 1er août 2024, le Règlement européen sur l’intelligence artificielle entend favoriser le développement de l’intelligence artificielle (IA) et son déploiement responsable au sein de l’Union européenne (UE), conjointement aux autres législations promulguées par la précédente mandature de la Commission européenne encadrant le secteur du numérique (Data Act, Data Governance Act, Digital Services Act, Digital Market Act et RGPD).

L’Europe en recherche de gains de productivité

  • 1 Ancien président du Conseil italien des ministres d’avril 2013 à février 2014 (gouvernement centris (...)

2En avril 2024, Enrico Letta1, président de l’Institut Jacques Delors, présente au Conseil européen les conclusions de son rapport intitulé « Plus qu’un marché ». Ses conclusions mettent en avant la nécessité d’un cadre réglementaire plus efficace pour l’adaptation aux transitions écologique et numérique. Pour répondre à cette « nécessité », le Conseil européen demande la suppression d’obligations de conformité conduisant de manière excessive à l’établissement de rapports jugés « inutiles ». Outre l’identification des obstacles à la croissance des entreprises, notamment des PME, le rapport Letta préconise l’application d’options simplificatrices dans de futures réglementations telles que le choix du « numérique par défaut ».

  • 2 Ancien président de la Banque centrale européenne de 2011 à 2019, Mario Draghi a été président du C (...)

3Boussole de la nouvelle Commission von der Leyen (II), le rapport intitulé « Le futur de la compétitivité européenne » alerte sur l’écart de richesse entre Europe et USA : en 2002, le produit intérieur brut (PIB) européen était inférieur de 17 % à celui des États-Unis ; en 2023, il lui est inférieur de 30 %. Selon son auteur, Mario Draghi2, ce différentiel s’explique en partie par un taux de productivité américain plus élevé, attribuable au déploiement plus systématique d’innovations numériques au cœur de l’économie états-unienne. Parmi ses propositions, le rapport Draghi appelle au développement de l’IA dans les secteurs stratégiques pour l’UE comme l’automobile, l’énergie ou la santé, ainsi que la création d’une agence européenne pour l’innovation de rupture en doublant le budget du futur programme-cadre de recherche et d’innovation pour le porter à 200 milliards d'euros sur sept ans.

4En déclenchant la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance pour desserrer la contrainte des 3 % de déficit budgétaire, la Commission von der Leyen II tente de mobiliser les États de l’UE contre le « décrochage économique européen ». Cet écart à l’ordo-libéralisme doit financer une part significative de son plan à 800 milliards d’euros, notamment pour les dépenses de défense, y compris les équipements à double usage – civil et militaire – comme les infrastructures de lutte contre les cyberattaques.

Un second souffle pour les investissements en intelligence artificielle

5Lors du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle à Paris en février 2025, Ursula von der Leyen a lancé InvestAI, initiative visant à investir en Europe 200 milliards d’euros dans l’IA.

6Si l’investissement privé dans l’IA diminue pour la deuxième année consécutive au niveau mondial, l’investissement dans l’IA générative (IAg), lui, grimpe en flèche. Cette croissance s’alimente principalement d’annonces vantant les prouesses technologiques des modèles étendus de langage (Large Langage Model - LLM). Dans un contexte international en pleine mutation stratégique, un certain nombre d’États tentent de mobiliser des financements publics pour chaperonner leurs industries nationales, espérant tirer les dividendes politiques et économiques de ces instruments de puissance. Cependant, ces dynamiques d’investissement semblent minorer les coûts croissants d’apprentissage de ces nouveaux golems, en particulier au niveau environnemental. Même si les perspectives de profits semblent alléchantes dans des secteurs comme la finance ou l’édition, des inquiétudes stratégiques se font jour quant aux conséquences sociétales d’investissements aussi massifs, sans que des mécanismes ne viennent encadrer ce processus par un débat démocratique sur les priorités.

7Selon une analyse bibliométrique récente (Yuan et alii, 2024), si l’IA joue un rôle significatif dans l’amélioration de la productivité, la promotion de l’innovation et la stimulation de la croissance économique, elle suscite également des défis éthiques considérables, notamment en matière de délocalisation de certaines catégories d’emplois et de protection de la vie privée.

8De par leurs performances et leurs champs d’application, les technologies d’IAg apparaissent comme les instruments futurs de politiques de puissance, qu’elles soient militaires ou civiles alors même que, dans bien des cas, elles n’ont pas encore atteint leur pleine maturité. En témoigne un rapport de recherche d’Apple (Mirzadeh et alii, 2024) montrant que les modèles étendus de langage sont sujets aux « hallucinations » provoquées par des corrélations « fallacieuses », illusions statistiques mis en évidence par le mathématicien Karl Pearson dès la fin du XIXsiècle. Ces « hallucinations » d’IA ou confabulations pourraient constituer un talon d’Achille de ces systèmes, qualifiés par certains professionnels de « perroquets stochastiques », face aux cyberattaques.

9Se pose alors la question de la pertinence et de l’efficience des régulations européennes sur le numérique au regard de l’ensemble des défis contemporains : la recherche d’autonomie stratégique ne saurait s’effectuer au détriment des objectifs de soutenabilité. Quel sera le coût de cette accélération technologique ? Qui en paiera le prix dans un monde en pleine recomposition géoéconomique ?

Une régulation à dimension européenne sur l’intelligence artificielle

10La mise en œuvre du Règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA) est supervisée par un Comité européen de l’Intelligence artificielle (Comité de l’IA) rassemblant des représentants de haut niveau de chacun des États membres, mais aussi des observateurs sans droits de vote comme le Contrôleur européen de la protection des données et le bureau de l’Intelligence artificielle (Bureau de l’IA). Le RIA institue également deux autres instances chargées d’éclairer le Comité de l’IA lors de ses délibérations : un forum consultatif multi-acteurs pour conseiller le Comité de l’IA ainsi que la Commission européenne ; un groupe d’experts scientifiques indépendants appuyant le Bureau de l’IA dans sa mission de supervision des modèles d’intelligence artificielle (modèles d’IA) à usage général, une compétence partagée avec les autorités nationales de surveillance du marché pour les systèmes d’IA à haut risque. Chaque État membre est tenu d’organiser la mise en application au niveau national du RIA, en particulier de désigner la ou les autorités compétentes pour assumer le rôle d’autorité nationale de surveillance du marché, les autorités nationales de protection des données mentionnées pour la surveillance de systèmes d’IA à haut risque (au titre de l’article 74), les systèmes d’IA à haut risque déjà soumis à une réglementation sectorielle restant régulée par leurs anciennes autorités de contrôle comme c’est le cas actuellement pour l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé pour les dispositifs médicaux.

11Pour permettre aux acteurs concernés de s’adapter aux nouvelles exigences réglementaires, la mise en œuvre du RIA se déroule en plusieurs étapes : les interdictions relatives aux systèmes d’IA présentant des risques inacceptables s’appliquent déjà depuis le 1er février 2025 ; les dispositions du RIA concernant les modèles d’IA à usage général, leur régulation en particulier la désignation des autorités nationales compétentes, la confidentialité et les sanctions entrent en vigueur au 2 août 2025 pour les organismes notifiés ; à l’exception des systèmes d’IA jugés à haut risque comme ceux susceptibles de porter atteinte à la santé, la sécurité des personnes ou à leurs droits fondamentaux (article 6, paragraphe 1), les autres disposition du RIA seront applicables au 2 août 2026 ; enfin, les obligations afférentes au paragraphe 1 de l’article 6 entreront en vigueur le 2 août 2027 pour l’ensemble des systèmes d’IA.

12Les amendes pour non-respect des dispositions du RIA sont fixées en fonction du chiffre d’affaires annuel mondial : 7 % pour les violations relatives aux applications d’IA interdites ; 3 % pour manquement aux autres obligations prévues ; enfin, 1,5 % pour communication d’informations inexactes.

  • 3Safe, Secure, and Trustworthy Development and Use of Artificial Intelligence”, Executive Order 141 (...)

13Cependant, la logique du RIA a été récemment contestée par le vice-président des USA, James David Vance, lors du sommet de l’IA à Paris : « On ne gagnera pas dans l’IA de demain si on se fait des nœuds au cerveau avec la sécurité ». Donald Trump, le nouveau président américain, a annulé un décret de son prédécesseur Joe Biden imposant en octobre 2023 aux entreprises du secteur de communiquer leurs données lorsque leurs IA pouvaient faire courir des « risques sérieux »3.

La dynamique d’accélération des investissements en intelligence artificielle générative

14En 2022, l’investissement privé dans le secteur de l’IA s’élevait à 91,9 milliards de dollars au niveau mondial, soit une baisse de 26,7 % depuis 2021 bien que ce montant soit dix-huit fois plus élevé qu’en 2013. Le nombre total de transactions liées à l’IA ainsi que le nombre d’entreprises d’IA nouvellement financées ont également diminué. Cependant, l’investissement dans l’IA suit une tendance croissante au cours de la dernière décennie.

15Dans ce contexte, l’IAg constitue un facteur de renouvellement de cette dynamique d’investissement. Selon la cartographie de l’Office mondial de la propriété intellectuelle plus de 54 000 dépôts de brevets ont été effectués entre 2014 et 2023 sur l’IAg. Sur ces dix dernières années, plus de 38 000 brevets liés à l’IAg ont été déposés en Chine, soit six fois plus qu’aux États-Unis, situés en deuxième position avec plus de 6 000 brevets. En 2024, 200 milliards de dollars ont été investis par les Gafam dans l’IAg : une entreprise comme OpenAI a levé environ 6 milliards de dollars, principalement axés sur le développement d’infrastructures et la mise au point de modèles, ciblant des applications dans la finance, l’éducation et la cybersécurité. Des rumeurs font état d’investissements de Nvidia dans la firme d’Elon Musk, xAI spécialisée dans l’IAg, la valorisant à hauteur de 75 milliards de dollars. Globalement, on enregistre une accélération de plus de 45 % par rapport à 2023, qui établissait déjà un record.

  • 4 Créée par le gouvernement émirati à Abou Dhabi en 2024, MGX se présente comme un « véhicule d’inves (...)
  • 5 Brookfield Asset Management Inc. est un gestionnaire canadien d’actifs gérant un portefeuille globa (...)

16Dans une interview sur France 2 le 9 février 2025, le président de la République, Emmanuel Macron, a dévoilé un plan d’investissements privés français et étrangers de 109 milliards d’euros pour développer les infrastructures nécessaires à l’IA, auquel contribueront les Émirats Arabes Unis via le fonds d’investissement MGX4 pour la construction d’une infrastructure dédiée. Bien que cinq fois inférieure, cette enveloppe se situe dans l’échelle des investissements annoncés par le projet « Stargate » du gouvernement Trump, à hauteur de 500 milliards de dollars. Ainsi, trente-cinq sites ont été identifiés en France, prêts à accueillir des centres de données destinés à l’entraînement des modèles étendus d’IA. L’un d’entre eux d’une puissance d’un gigawatt, financé par le fonds canadien Brookfield5 prévoyant d’investir 20 milliards d’euros en France, devrait voir le jour d’ici cinq ans à Cambrai, ville du Nord au taux de chômage important.

17Chaque année, environ 300 milliards d’euros sont investis en dehors de l’UE, principalement aux États-Unis, en raison notamment de la fragmentation des marchés financiers européens. Ainsi, les pays européens disposent d’un matelas d’épargne privée qu’ils pourraient mobiliser pour ne pas se laisser distancer dans cette course aux investissements. Lors du sommet sur l’IA organisé à Paris les 10 et 11 février 2025, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a renchéri en annonçant l’initiative InvestAI pour mobiliser 200 milliards d’euros d’investissements dans l’IA, y compris un fonds européen de 20 milliards d’euros pour la constitution de gigacentres dédiés à l’apprentissage des IA génératives.

Retour sur investissements et logique de financement

18Selon un rapport d’IBM6, 85 % des décideurs informatiques interrogés au niveau mondial (77 % en France) font état de progrès dans l’actuelle stratégie IA de leur entreprise et 47 % des dirigeants constatent un retour sur investissement positif lors d’expérimentations s’appuyant sur l’intelligence artificielle au niveau mondial (29 % en France). Le domaine financier est particulièrement prisé puisqu’au niveau mondial, près de la moitié des entreprises interrogées envisagent de recourir à l’IA en source ouvert pour optimiser leurs investissements en 2025 (41 % en France). Cependant, selon une étude concurrente de Kyndryl7, si la plupart des entreprises investissent dans l’IA, seules 42 % d’entre elles enregistrent un retour sur investissement positif dans ce type de technologie.

19Parmi les secteurs où ces promesses d’investissement semblent se concrétiser par d’importants dividendes, figurent au premier rang les fonds d’investissement ! En effet, de récents travaux (Chen et Ren, 2022) montrent que les fonds d’investissement gérés par IA offrent de meilleurs rendements que ceux administrés par des gestionnaires humains, même si leurs performances ne s’avèrent pas meilleures en moyenne que celles de l’ensemble du marché de titres financiers.

20Cependant aux États-Unis, des voix s’élèvent déjà pour mettre en garde envers la logique du financement privé de l’IA : le projet Stargate, supposé asseoir une suprématie américaine dans le secteur de l’IAg, suscite déjà une controverse entre magnats du secteur (Davis, 2025). Compte tenu des tendances oligopolistiques, voire monopolistiques, de marchés globalisés, cette logique opportuniste de préemption risque d’être un facteur supplémentaire de déstabilisation internationale, sans compter son éventuel impact environnemental et l’accaparement de ressources financières critiques pour d’autres secteurs du développement socioéconomique.

Des avancées techniques à l’apprentissage de plus en plus coûteux

21En 2023, les avancées techniques se sont multipliées : les nouveaux systèmes d’IAg comme GPT-4 ou Gemini sont multimodaux (ils peuvent générer des textes fluides dans des dizaines de langues, traiter le son, voire commenter des « mèmes »). Le rapport 2024 de l’AI Index8 indique que le nombre de nouveaux modèles étendus de langage publiés dans le monde en 2023 a doublé par rapport à l’année précédente. Les deux tiers sont en source ouverte, mais les modèles les plus performants proviennent d’acteurs de l’industrie avec des systèmes fermés. Gemini Ultra est ainsi le premier modèle étendu de langage (Large Language ModelLLM) à atteindre des niveaux humains de performance sur l’étalon Massive Multitask Language Understanding (MMLU). GPT-4 obtient le meilleur score sur l’étalon Holistic Evaluation of Language Models (HELM)9, incluant MMLU entre autres composantes évaluatives.

  • 10 Fondée en 2023 par Lien WengFeng, DeepSeek est une joint-venture dédiée à l’intelligence artificiel (...)

22Selon les estimations d’AI Index, les coûts d’apprentissage des modèles d’IAg à la pointe de la technologie atteignent des sommets inégalés : par exemple, le GPT-4 d’OpenAI a consommé 78 millions de dollars en calculs pour s’entraîner, tandis que le Gemini Ultra de Google a coûté 191 millions de dollars, loin devant les 5,6 millions de dollars investis par la firme chinoise DeepSeek 10pour la mise au point de son modèle V3 d’IAg à partir de puces non soumises à l’embargo technologique états-unien, moins onéreuses que celles spécifiques de Nvidia. Contrecoup boursier, le 27 janvier dernier pour le Nasdaq : l’indice des valeurs technologiques recule de 3 %, avec des baisses de 13 à 17 % pour les valeurs concernées, soit près de 600 milliards de dollars US à la clôture pour Nvidia. Ce qui tendrait à démontrer que la performance technologique et la puissance financière ne sont pas l’alpha et l’omega du succès en la matière.

De légitimes inquiétudes concernant les développements et usages de l’IA générative

23Rappelons qu’en septembre 2021, le moratoire du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) appelait la communauté internationale à suspendre la vente et l’utilisation de certains systèmes d’IA comme la reconnaissance faciale, afin de «mettre en place un dispositif pour protéger les droits humains» quant à leur utilisation.

24Depuis la publication de ChatGPT par OpenAI en décembre 2022, l’IAg, considérée comme une avancée technologique significative, a provoqué un engouement marqué par une accélération des développements et des usages. Cette accélération génère cependant des inquiétudes légitimes : par exemple, l’enquête de l’association des éditeurs de presse (WAN-IFRA, 2022) indique que 49 % utilisent ChatGPT ; cependant, 85 % craignent l’inadéquation des contenus produits et 67 % des problèmes de propriété intellectuelles.

25En mars 2023, un millier d’experts du domaine réclamaient dans une lettre ouverte « la mise en pause pour au moins six mois du développement de systèmes d’apprentissage plus puissant que GPT-4 », proposition de moratoire effectuée sous l’égide du Future of Life Institute11. À l’instar de la charte des « principes d’Asilomar » prétendant encadrer le développement de l’IA par des recommandations non contraignantes, ce moratoire a été considéré comme inadapté au plan mondial par Bill Gates 12.

26Conjointement à une sous-représentation des femmes dans les emplois du secteur (JFD, 2025), les systèmes de surveillance fondés sur l’IA suscitent des préoccupations fondées quant aux biais d’apprentissage qui peuvent en fausser les résultats – les biais de genre (Unesco, 2024), ou de stéréotypes racistes et xénophobes (Ashwini, 2024). L’instrumentation de l’IAg dans la création et la diffusion de fausses nouvelles a fait l’objet d’auditions par la commission d’enquête du Sénat français montrant qu’elle est utilisée pour générer une désinformation délétère pour les sociétés démocratiques (Hobulowicz et Huchon, 2024).

27Redessinant les frontières du processus créatif, l’IAg révèle l’antagonisme des intérêts quant à la protection internationale des droits d’auteur. Le RIA entérine l’exception pour fouilles de données à des fins d’entraînement d’une IAg, permettant à leurs fournisseurs de s’affranchir de toute autorisation, sous réserve que l’auteur ne se soit pas opposé à l’utilisation de ses œuvres dans ce cadre par activation de l’opt-out. Néanmoins, ce 12 mars dernier, les associations professionnelles françaises, d’une part de l’édition (Syndicat national de l’édition - SNE), d’autre part de défense des ayant-droits (Société des gens de lettres - SGDL, et Syndicat national des auteurs et des compositeurs - SNAC), assignent en justice, pour violation du droit d’auteur devant le tribunal judiciaire de Paris, Meta (ex-Facebook) le Gafam américain fondé par Mark Zuckerberg. Pour éviter la multiplication de ce type de contentieux, une étude de la Commission européenne (CE, 2022) préconise l’adoption soit de droits voisins pour les utilisateurs d’IAg, soit d’un régime sui generis similaire à celui spécifique aux bases de données pour les systèmes génératifs. A contrario, la cour d’appel fédérale de Washington a confirmé ce 18 mars dernier qu’une œuvre d’art générée par une IA sans intervention humaine ne saurait être protégée par le droit d’auteur en vertu de la législation américaine, décision qui s’aligne de facto sur la jurisprudence européenne en la matière.

28Enfin, selon le dernier rapport d’Europol (2025), le recours à l’IA contribuerait à remodeler le paysage de la criminalité organisée, compliquant davantage le travail des forces de police. Exploitant les fonctionnalités de l’IA, certaines organisations étendent considérablement leurs activités en matière de cybercriminalité et d’usurpation d’identité, de trafic de drogue et d’êtres humains et de blanchiment via des crypto-actifs. L’IAg est désormais utilisée par ces organisations criminelles pour générer des images pédopornographiques et harceler leurs victimes dans leur langue d’usage ou de travail.

29À l’agenda du Parlement européen, approuvés par les présidents des groupes politiques, viennent d’être introduits deux rapports d’initiative sur l’impact de l’intelligence artificielle : le premier sur le secteur financier, relatif à la stabilité des marchés et à la protection du consommateur ; le second, sur les opportunités et défis de l’IA générative pour les droits d’auteur.

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Bibliographie

Ashwini, K.P. (2024). Formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Conseil des droits de l’homme, Nations Unies (A/HRC/56/68), 22 p.

CE (2022). Study on copyright and new technologies – Copyright data management and artificial intelligence, Commission européenne, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg, https://data.europa.eu/doi/10.2759/570559

Chen, R., Ren, J. (2022). « Do AI-powered mutual funds perform better ? » Finance Research Letters, vol. 47, partie A, juin, https://doi.org/10.1016/j.frl.2021.10261

Davis, S. (2025). « AI leaders clash over safety and $100bn Stargate project », Financial Times, 26 janvier.

Europol (2025). European Union Serious and Organised Crime Threat Assessment - The changing DNA of serious and organised crime, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg, 98 p.

Hobulowicz, G., Huchon, T. (2024). « Intelligence artificielle et fake news, un cocktail qui fait trembler nos démocraties », audition 9 avril, Commission d’enquête du Sénat sur les politiques publiques face aux opérations d’influence étrangère, Sénat, République française, Paris.

JFD (2025). « Baromètre européen de l’IA », Études annuelles, Join Forces & Dare - EY Fabernovel – OpinionWay, février, https://www.joinjfd.com/etude/

Mirzadeh, I., Alizadeh, I., Shahrokhi, H., Tuzel, O., Bengio, S. et Farajtabar M. (2024). GSM-Symbolic: Understanding the Limitations of Mathematical Reasoning in Large Language Models, Apple, 7 octobre, arXiv:2410.05229v1

Unesco (2024). Challenging Systematic Prejudices. An Investigation into Gender Bias in Large Language Models, Unesco, IRCAI, 22 p.

WAN-IFRA (2022). Gauging Generative AI’s impact on newsrooms. Survey: Newsroom executives share their experience so far, WAN-IFRA Report, 21 P.

Yuan, C., Tang, J., Cao, Y., Wei T., Shen W. (2024) « The Impact of Artificial Intelligence on Economic Development: A Systematic Review ». International Theory and Practice in Humanities and Social Sciences, Vol.1 (1): 130-143, doi.org/10.70693/itphss.v1i1.57.

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Notes

1 Ancien président du Conseil italien des ministres d’avril 2013 à février 2014 (gouvernement centriste de « grande coalizione »), il a été en 2006 le bras droit de Romano Prodi comme secrétaire d’État à la présidence du Conseil des ministres.

2 Ancien président de la Banque centrale européenne de 2011 à 2019, Mario Draghi a été président du Conseil des ministres d’Italie de février 2021 à octobre 2022.

3Safe, Secure, and Trustworthy Development and Use of Artificial Intelligence”, Executive Order 14110, octobre 2023.

4 Créée par le gouvernement émirati à Abou Dhabi en 2024, MGX se présente comme un « véhicule d’investissements » axé sur l’IA, avec pour objectif la gestion d’un portefeuille d’actifs de 100 milliards de dollars US.

5 Brookfield Asset Management Inc. est un gestionnaire canadien d’actifs gérant un portefeuille global de près de 511 milliards de dollars. Les actifs de la firme se concentrent dans les secteurs de l’énergie renouvelable et des infrastructures. Sa capitalisation fait partie de l’indice S&P/TSX 60, référence du marché boursier canadien.

6 https://fr.newsroom.ibm.com/Etude-IBM-De-plus-en-plus-dentreprises-se-tournent-vers-des-outils-dIA-open-source-pour-obtenir-un-retour-sur-investissement

7 https://www.kyndryl.com/content/dam/kyndrylprogram/doc/en/2025/ai-readiness-report.pdf

8 https://hai-production.s3.amazonaws.com/files/hai_ai-index-report-2024-smaller2.pdf

9 L'évaluation holistique des modèles de langage est une approche multicritère d'étalonnage pour les grands modèles de langage développée par le Center for Research on Foundation Models (CRFM) de l'Université Stanford (https://crfm.stanford.edu/helm/lite/latest/)

10 Fondée en 2023 par Lien WengFeng, DeepSeek est une joint-venture dédiée à l’intelligence artificielle, basée à Hangzhou dans la province chinoise du Zhejiang, et financée par le fonds d’investissement High-Flyer.

11 https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/

12 https://www.reuters.com/technology/bill-gates-says-calls-pause-ai-wont-solve-challenges-2023-04-04/

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominique DESBOIS, « Règlement européen sur l’intelligence artificielle, le jour d’après »Terminal [En ligne], 140 | 2025, mis en ligne le 01 avril 2025, consulté le 18 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/terminal/10781 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13vhs

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Auteur

Dominique DESBOIS

Dominique Desbois est le représentant français au comité TC9 (Information Communication Technology & Society) de l’International Federation for Information Processing (IFIP); docteur en économie de l’Université Paris-Saclay et ingénieur honoraire de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, il est membre du comité de rédaction de la revue Terminal et du Conseil d’administration de l’association CREIS-Terminal. Depuis 1996, il collabore à la revue Cadres sur l’innovation, explorant notamment l’impact du numérique sur le travail (cf. dossier Pour qui sonne l'IA? | Revue Cadres).

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