1Dans ce début du XXIème siècle, au moment où notre monde vit des tensions et des craintes multiples, le cyberespace est perçu comme la face obscure de nos problèmes. Cette image est plus que contrastée par rapport aux espoirs que nos sociétés avaient porté sur une civilisation numérique. Le mythe est-il aujourd’hui dépassé d’une société de l’égalité d’accès, de la démocratisation de la connaissance ou bien sommes-nous au sens de Virilio devant « l’accident originel » que notre monde numérique provoque ? Face au terrorisme, à la haine, à la peur, aux mensonges, à la discrimination, à la violence, nos sociétés réagissent souvent par une démarche sécuritaire et le Net est devenu le dernier dragon à abattre. D’autres perçoivent dans ce « côté obscur » de la force numérique comme un envers du progrès (Hannah Arendt) qui doit nous pousser à réagir pour mieux nous comprendre. D’autres encore voient dans ces violences numériques une émergence du social et du politique qui fait de notre cyberespace le premier espace de confrontation d’idées, d’actes, et de pouvoir.

2Les jeunes sont les premiers habitants du cybermonde. Ils vivent en continu des relations virtuelles et sont les premiers aventuriers de cet espace national et international. Ils sont donc les premiers à pouvoir agir contre le développement sur le Net des discours xénophobes, racistes, haineux. La cyberviolence, le cyberharcèlement, qui sont aujourd’hui de véritables dangers, peuvent être combattus par le développement d’espaces numériques de médiation. Rien n’est plus efficace que la relation de « jeunes à jeunes » pour réduire l’impact de ces violences. Le déploiement sur le réseau des modes de communication directs et horizontaux a fait naître à la fois des formes de cyber-journalistes, de veilleurs citoyens, des médias en pure player, et l’émergence de journalistes citoyens.

3Pour aborder ces dangers et examiner de façon scientifique comment la science appréhende ces faits nous avons construit un numéro que nous vous présentons. Il s’agit pour nous à la fois de décrire les réalités de terrain, d’examiner les pratiques numériques des jeunes mais aussi de porter un regard pluridisciplinaire sur ces phénomènes. Le cyberespace est un espace social ou les violences de genre sont présentes depuis longtemps. Pap Niang et Rasha Nagem dans une démarche qualitative d’enquête auprès de jeunes vont explorer ces faits. Il s’agit pour eux dans la cadre d’une recherche européenne de comprendre qu’elles sont les perceptions de ce phénomène pour de jeunes hommes et jeunes femmes mais aussi voir en quoi cette population conçoit une remédiation technique et surtout humaine des cyberviolences. Ces violences numériques Sophie Jehel les appréhendent aussi à travers la circulation des images sur le Net ; A partir d’une enquête qualitative auprès de 200 adolescents la chercheure explore les compétences mise en actes par les jeunes pour gérer cette violence numérique. La montée de la violence en ligne et dans les réseaux sociaux est un défi au travail émotionnel et à la constitution par les jeunes de nouvelles compétences dans un monde violent.

4Le Darkweb est pour beaucoup cet espace sans loi ni frontières qui serait l’eldorado des « mauvaise pratiques ». Jean Paul Pinte après avoir tracé une histoire du Darkweb explore les actions des jeunes dans cet univers. Achats spécifiques, échanges d’informations militants, actions collectives d’hacking nous découvrons que les adolescents sont dans ce domaine bien informés et que nous devons renforcer une médication numérique globale pour que le Darkweb ne soit pas le premier pas vers des actes délinquants. Fréderic Pugniere-Saavedra approfondit ces processus qui conduisent les jeunes du côté « obscur » en examinant le cas d’adolescents détenteurs et des diffuseurs de vidéos pédopornographiques sur internet. Pour ce chercheur montre à partir d’un corpus d’entretiens que les jeunes n’ont pas tous consciences de leurs actes ou qu’ils développent des logiques argumentatives qui minimisent la gravité des actes des auteurs en invoquant la distance qu’il y a entre les outils technologiques et ce à quoi renvoient les images, c’est-à-dire à l’enfant. Cette distorsion du prisme du réel propre au Cyberespace est alors un facilitateur de passage à l’acte délinquant.

5Le cas des cyber radicalisation développé par Séraphin Alava montre la aussi que le numérique est un espace à part et que sa capacité à séduire le sujet, à l’enchaîner dans des logiques algorithmiques, de fragiliser la perception du réel chez les jeunes est un des vecteurs de cette cyber-radicalisation.

6Le Net n’est pas devenu une jungle, il n’est pas non plus le paradis. L’ensemble des chercheurs montrent que nous devons décontextualiser nos procédures sociales, émotionnelles, morales, interpersonnelles dans un espace numérique aujourd’hui habité qui est un espace de vie et donc un espace d’expérimentation positive ou négative. Il n’y a pas de haine ni de violence numérique en soi et la technologie n’a pas de potentiel d’action positif ou négatif. Les usages violents ou haineux sur le Net, les pratiques déviantes des jeunes doivent donc être examinés au cœur d’un regard pluridisciplinaire visant à comprendre en quoi les actes virtuels et numériques sont une nouvelle facette de l’agir humain.