1Marsouin a grandi. Depuis sa création en 2002, le groupement d’intérêt scientifique breton accueille et soutient les équipes de recherche en sciences sociales qui travaillent aux carrefours entre les outils numériques, les gens et leurs environnements. Chemin faisant et sans jamais se départir de son caractère interdisciplinaire et inclusif, le groupement est devenu le plus important pôle de recherche français sur les usages et les innovations numériques.

3Parlons travail, d’abord, un thème de recherche cher aux membres de Marsouin depuis plusieurs années et investi une fois encore par une équipe de chercheurs qui ont observé, au plus près, le déploiement d’une organisation du travail dite « agile ». Madeleine Besson, Marie Bia Figueiredo, Jean-Luc Moriceau (Litem, Institut Mines-Télécom Business School) et Géraldine Guérillot (LEGO, IMT Atlantique) décrivent la vie au travail dans des locaux conçus pour faciliter « l’agilité organisationnelle ». Reconfiguration permanente, mouvement perpétuel, déterritorialisation et nomadisme… autant de domaines chers aux méthodes de management « agiles ». Pourtant, la vie que l’on mène dans ce type de lieu est parfois loin des prescriptions managériales, car pour ceux qui y travaillent, les espaces et leur matérialité demeurent synonymes de durabilité, d’appropriation, de stabilité : rien d’« agile » là-dedans et les auteurs soulignent des tentatives de création de lieux personnalisés au sein de ces espaces agiles impersonnels, des « contournements de la contrainte ». Au fond, il est suggéré qu’en matière d’agilité professionnelle, les plus performants seraient ceux qui s’y frottent au quotidien et qui parviendraient, avec agilité, à se recréer des lieux qu’ils estiment plus praticables, en marge des espaces de travail accaparés par « l’ordre agile ».

4Travail encore, quand Pierre Mazet (sociologue et formateur) et François Sorin (CREAD, Université de Rennes 2) se penchent sur les manières grâce auxquelles les agents du travail social parviennent à gérer l’augmentation des demandes d’aide numérique de ceux qu’ils accompagnent. Les deux auteurs partagent le constat d’une dématérialisation croissante dans les services publics, qui a eu pour effet de « mettre en incapacité » certains usagers à effectuer leurs démarches administratives en ligne. Conséquemment, les travailleurs sociaux ont vu affluer tous ces publics, qui se heurtaient à la barrière numérique. « Les professionnels ont dû adapter leurs pratiques », indiquent Pierre Mazet et François Sorin. Ainsi, c’est à une véritable « mise à l’épreuve de leur professionnalité » à laquelle semblent devoir faire face les travailleurs sociaux : peu ou pas formés et peu ou pas cadrés en matière d’accompagnement numérique, ils parviennent tout de même à développer des « pratiques numériques d’accompagnement » pour les usagers qui les sollicitent. L’article décrit finement cet « auto mandat » d’aide numérique que s’octroient les agents du travail social. Dans le même mouvement, et alors que la totalité des démarches administratives devraient être dématérialisées en 2022, les auteurs rappellent la nécessité d’une « professionnalisation du travail social intégrant les enjeux du numérique ».

5Le troisième article du dossier s’écarte du domaine du travail, mais prolonge les questions du lien entre numérique et capacités d’agir, à travers l’étude d’un public particulier, celui des lecteurs. Emmanuelle Guittet (Cerlis, Paris 3) s’est intéressée à ceux qui aiment lire. Certains d’entre eux recommandent des lectures, via des plateformes de vente en ligne, via des blogs dédiés ou via les réseaux socionumériques. L’auteure montre les mille et unes manières dont ces recommandations de lecture sont utilisées par d’autres amateurs de lecture : pour découvrir des auteurs, pour confirmer auprès des autres ce que l’on a aimé ou non, pour confronter ses pratiques littéraires, ses goûts ou même se divertir, à l’instar d’une flânerie en librairie. Tout de même, si les lecteurs « font des usages différenciés et distinctifs » des recommandations en ligne, la grande variété des pratiques demeure cadrée par le capital culturel des lecteurs et aussi (c’est lié) par leurs préférences littéraires. Finalement, le numérique ne semble pas le moyen d’une démocratisation nouvelle du livre.