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1À peine arrivés dans une ferme d’élevage bovin au bon milieu de la Bretagne, Luc L. et Stéphane D. se dirigent vers l’armoire électrique de l’exploitation. Luc ouvre le capot et nous invite à se baisser avec lui pour apprécier la complexité de l’architecture électrique. Luc et Stéphane sont géobiologues et nous sommes là pour nous former, au même titre que d’autres stagiaires, à la « géobiologie appliquée à l’élevage1 ». Cette discipline relativement récente fait de plus en plus d’adeptes parmi les éleveurs. Ces derniers font généralement appel à des géobiologues pour assainir leurs fermes ou améliorer le bien-être de leurs vaches ou d’autres animaux. Dans ce contexte, la géobiologie2 s’est fait une spécialité de l’examen scrupuleux des installations électriques. L’électricité est dans nos fermes depuis longtemps, mais l’automatisation croissante des tâches par la robotique, de la traite notamment, n’a fait qu’amplifier le phénomène. Lignes à très haute tension (THT), antennes relais et éoliennes saturent nos espaces ruraux. À une époque où les paysans subissent des pressions énormes de productivité et automatisent toujours plus leurs étables, la santé d’un animal passe avant tout par son bien-être électrique. Il faut substituer, à l’image d’un monde paysan converti à des technologies normées et où l’électricité serait sous contrôle, celle d’un monde dominé par l’hybridité des installations, les connexions et les dérivations artisanales. C’est pourquoi une bonne ferme doit veiller à l’assainissement de ses circuits. La première enquête à laquelle se livre un géobiologue dans un élevage consiste à vérifier qu’il n’y ait pas de courants de fuite auxquels les vaches, bien plus réceptives que nous aux champs électromagnétiques, seraient particulièrement sensibles. Tel un devin auscultant les viscères d’un animal sacrificiel, l’expert commence à attraper les fils les uns après les autres en les manipulant du bout des doigts avec beaucoup de délicatesse pour mieux les offrir à son regard et au nôtre.
« L’idée, nous dit Luc, c’est de commencer par déterminer s’il y a des courants parasites, des courants de fuite, avec la pince ampérométrique, voir dans quel réseau ça va passer. On suit le transit du courant, par où ça circule. Courants de fuite. Le sens. Les tensions entre terre et neutre. Si on a un tableau obsolète où tout est mélangé, ce n’est pas la peine d’aller plus loin, il faut dire à l’éleveur de le refaire parce qu’on ne peut pas faire un diagnostic de géobiologie correct. La détection des failles, des cours d’eau souterrains, des réseaux géobiologiques, tout cela, tu vois. Donc maintenant, on va jouer au chat et à la souris. Les courants de fuite, où est-ce qu’ils s’évacuent ? J’injecte du courant et j’essaye de repérer où il passe. Ça m’oblige à ouvrir les tableaux. Et puis il faut voir si on a du courant tout coupé. Est-ce que j’ai toujours une circulation de courant quand je coupe le courant ? J’ai 0,05 milliampère. Ça veut dire qu’on n’en a pas venant de l’extérieur. Si j’ai quelque chose, il faut aller voir si ça passe par le racleur, la salle de traite, et là c’est compliqué, car on ne sait pas d’où ça vient, on peut aussi aller voir les voisins. Là, je vais au séchoir, 0,03 mA, il n’y a rien qui part là-bas.
— Comment tu sais que tu vas au séchoir ? lui demande alors l’un d’entre nous.
— Je me souviens qu’il a un séchoir en grange, répond Luc, c’est aussi du gros câble, et puis je connais la ferme. Ah, là il y a un 1,6 mA qui se promène là-dessus. Là, je ne sais pas ce que c’est, il n’y a rien d’indiqué. Pour vérifier, il faut suivre. Il est là. Machine à traire. Ça veut dire que sur la machine à traire, il y a un défaut sur les moteurs quelque part. Ce n’est pas un défaut, il y a un courant qui part là-bas. J’ai 1,7. J’avance par petits pas, 0,0 ici, il n’y a rien. Là, 0,2, pas grand-chose. Là c’est juste un passage entre l’un et l’autre, rien à voir. Là je n’ai rien. 0,4 ce n’est pas énorme, 0,5. Et là 0,0. On les fait tous pour aller voir. Pour l’instant, le seul gros, c’est celui-là. Rien de flagrant. Là je mets le Catohm, on va envoyer du courant sur le fil de TER. On revérifie. Je suis monté mais pas beaucoup. Le Catohm envoie 14 000 ampères, on en récupère un peu. On sait quand il y a une fuite de courant ou qu’il y en a un peu qui va à la salle de traite. Du coup, on va mettre des filtres ici pour limiter le passage du courant. Il y a des racleurs qui tirent le rabot à la chaîne. C’est métallique, c’est une énorme prise de terre, ça peut être un câble inox ou nylon. Si c’est un câble nylon qui tire, c’est génial, car il n’y a plus de connexion à la terre et dans ces élevages-là on est nickel. Ça, c’est le racleur, je regarde si j’ai du jus qui part sur la prise de terre. Je passe de 0,7 à 2,3, donc j’ai une partie qui part dans le racleur, une partie qui part dans la salle de traite, ça m’indique qu’il y a un souci. Donc c’est les fuites qu’il va falloir corriger. On a des méthodes pour filtrer, ralentir le petit courant, on ne peut pas le couper, c’est interdit.
— Racleur et machine de traite sont donc reliés ensemble ? continue un stagiaire.
— Oui, dit Stéphane, tout passe par la barre. Il y en a une partie qui part en haut, une autre dans le sol. Si on vient en plein hiver, ça monte ici. Les vaches ne sont pas là cet après-midi, mais quand elles sont là, tout le courant passe là-dedans et forcément il galère. »
2Il suffit donc de se poster devant le tableau électrique pour voir toute la complexité technique des fermes modernes. Mais ce n’est pas le seul intérêt de l’épisode précédent, abscons sans doute pour quiconque n’a pas quelques notions en électricité : il condense à lui seul les principales difficultés auxquelles un géobiologue est confronté lorsqu’il arrive dans un élevage. Jamais l’électricité ne nous apparaît aussi vivante que lorsqu’on tâtonne à l’aveugle pour remonter les sens de circulation d’un courant dont la rationalité nous échappe. Le réseau électrique se met alors à exister de manière très concrète, dans ses ramifications, ses arborescences, ses connexions, ses différences de potentiel. Les géobiologues ont une conception sensible et élargie de l’électricité. Pour eux, une installation électrique est toujours unique, locale. Elle est souvent faite de bric et de broc, reconfigurée selon les fermes au gré des circonstances, customisée en fonction des besoins. Un réseau électrique est par ailleurs rarement complètement contenu dans ses câbles. « Par où ça passe ? Et surtout par où ça fuit ? » doit-on alors se demander. Ouvrir le tableau électrique d’une installation, c’est comme s’adonner à une opération de dissection à ciel ouvert dans un champ de forces où le courant ne passe pas forcément là où l’on croit ni de la façon dont on l’imagine. D’où l’objectif qui sera le nôtre dans les pages qui suivent : renouer avec une conception vivante de l’énergie électrique qu’elle a perdue à force d’être isolée, canalisée et cantonnée dans des câbles.
- 3 Certains vont jusqu’à cartographier ces lignes à autre tension. Le premier à avoir cartographié les (...)
3L’électricité en réalité déborde de partout. Sa circulation réserve bien des surprises. Plus encore, se resensibiliser à l’électricité, comme on le verra, pour un géobiologue, n’est qu’une étape vers la reconnaissance d’autres phénomènes, d’une autre dimension du sensible, l’existence de ce que nous appellerons des lignes à autre tension. Dans le paysage très éclectique des démarches et des écoles de géobiologie qu’il nous a été donné d’explorer durant notre enquête, la géobiologie appliquée à l’élevage propose un chemin singulier menant du tableau électrique à la géologie. On y arpente d’autres types de réseaux imbriqués (dits « cosmo-telluriques »), on y rencontre d’autres types d’informations perturbatrices : tout l’effort de cette forme de diagnostic spécialisé vise, en partant d’une configuration électrique à chaque fois singulière, à l’élargir ou la sublimer, car l’électricité ne concentre pas toutes les influences énergétiques impactant potentiellement le bien-être animal. La démarche, notons-le, est autant sensible que conceptuelle. Il s’agit d’abord de se mettre à la place des animaux, et de développer ensuite les bons outils de perception ou les bonnes techniques permettant d’opérer la synthèse des sensations et des informations qu’ils sont susceptibles de recevoir, mais aussi, comme on le verra, les bons concepts ou les notions susceptibles de nous rendre plus sensibles à ce qui pourrait se passer à des échelles infra-phénoménales3.
Tableau électrique d’une ferme d’Ille-et-Vilaine, 5 octobre 2021
Toute recherche de courants vagabonds commence par l’étude du tableau électrique.
Photo : Auteurs
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4Au xxe siècle, l’électricité s’est imposée non seulement comme modalité technique mais aussi comme paradigme ou univers conceptuel permettant d’envisager tout ce qui transite à l’échelle infra-phénoménale. La géobiologie appliquée à l’élevage, pensons-nous, occupe dans cette histoire une place tout à fait singulière. Non seulement elle a su gagner la confiance des paysans en leur proposant des solutions pour améliorer leurs élevages, mais elle a aussi su faire dialoguer deux domaines jusque-là bien séparés : l’univers des connexions électriques, des phénomènes de conduction, et celui, plus ancestral, des liens magiques de sympathie, conjugués dans une forme d’électricité élargie. Elle est devenue un véritable laboratoire paysan pour une autre conception des circuits et de la transductivité (au sens de Simondon4), impliquant divers degrés de matérialité, d’invisibilité ou de molécularité. Comment les géobiologues ont-ils découvert que les vaches sont (hyper)sensibles à l’électricité et comment s’y sont-ils pris pour « ouvrir » l’électricité à d’autres influences ? C’est ce qu’il nous faut examiner.
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5Tandis que l’électricité est devenue dominante et notre milieu toujours plus électrifié, nous continuons à nous en penser isolés. Or les êtres vivants sont tous chargés d’un potentiel électrique5. En cherchant à se mettre à la place des vaches, les géobiologues se sont rendu compte que les circuits électriques ne sont pas toujours ce que l’on croit et que de nombreux facteurs peuvent venir les perturber ou les parasiter. Les dispositifs de protection des installations électriques, essentiellement les terres, conçues pour éviter les risques d’électrocution, ne permettent pas de se prémunir complètement des fuites de courant de faible intensité et de leurs effets. Ce qui est vrai pour les animaux l’est aussi pour les humains, même s’il existe une hiérarchie des intensités. Certains animaux, comme les vaches et les cochons, se caractérisent par une plus faible résistivité que celle des humains, qui sert habituellement de repère pour définir les normes de résistance des terres électriques. La plus grande propension des quadrupèdes à faire circuit, couplée à des milieux humides extrêmement conducteurs, explique pour beaucoup de géobiologues tous les troubles de leur physiologie et de leur comportement lorsqu’ils sont exposés de manière quotidienne à des perturbations électromagnétiques dues à des installations électriques mal calibrées, mal isolées6. Ces affections sont diverses : refus de bouger, de manger, de boire ou de se soumettre à la traite ; ralentissement de la croissance, baisse de la fertilité, augmentation de la mortalité infantile, hausse du taux de leucocytes dans le lait par conséquent de moins bonne qualité et vendu moins cher ; agressivité interspécifique, cannibalisme, etc.
Robot de traite d’une ferme d’Ille-et-Vilaine, 5 octobre 2021
La salle de traite est un, sinon le, lieu le plus sensible où sécuriser les liaisons équipotentielles entre les structures métalliques.
Photo : Auteurs
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- 8 Même si tout le monde ne s’entend pas sur ce qu’ils sont, sur leur importance ni sur les manières d (...)
6Cela étant dit, inventorier les nuisances technologiques ne suffit pas. Lignes à Haute et Très Haute Tension, installations électriques en général, transformateurs, machines agricoles électriques, éoliennes, antennes relais, prises de terre défaillantes sont certes des sources de champs électromagnétiques incontrôlées, des vecteurs de ce que les géobiologues appellent des courants vagabonds. Mais il faut aussi prendre en compte les effets à intensité variable du champ électromagnétique terrestre dus à la présence de réseaux telluriques ou géomagnétiques, de failles et de cours d’eau souterrains, et enfin l’influence des rayonnements cosmiques, émanant du soleil notamment. La géobiologie s’est retrouvée très vite à devoir intégrer à son expertise l’idée que les champs électromagnétiques qui émergent du tréfonds de la Terre n’ont pas une incidence égale en tous points de la surface du globe sur les êtres vivants. L’histoire de la géobiologie7 n’est en fait qu’une longue lutte pour intégrer au diagnostic vital tout un ensemble de réseaux énergétiques ignorés dits « cosmo-telluriques8 », de forces perturbatrices, de circuits bizarres d’influence, de canaux de conduction non répertoriés, venant déranger le confort ordinaire. Sachant manier aussi bien la langue des agriculteurs que celle des écologistes, et aujourd’hui de mieux en mieux celle des scientifiques, la géobiologie s’est ainsi retrouvée, d’une position marginale, « occulte », propulsée aux avant-postes des savoirs qui comptent en pleine crise écologique.
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7C’est ainsi qu’une commission parlementaire organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), sous la présidence du mathématicien Cédric Villani, alors élu de l’Essonne9, lui fit bonne place lors d’une audition publique le 18 février 2021 qui avait pour objectif de dresser un bilan des connaissances scientifiques concernant l’impact des champs électromagnétiques, notamment ceux de basse fréquence, sur la santé des animaux d’élevage. Suite à de premiers travaux d’investigation sous l’égide de l’ANSES10 dont les recommandations étaient restées lettre morte, le rapport confirma la réalité de ces impacts sur la santé des animaux et sur les performances zootechniques des fermes concernées. La commission appela à renforcer les études, en nombre et en rigueur méthodologique, soulignant qu’elle avait entendu les témoignages des éleveurs. Ces derniers s’appuyaient sur tout un arsenal d’expertises produites par des géobiologues, représentés le jour de l’audition par le conseiller viande et géobiologue Agricultures & Territoires de la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire. Villani reconnut sur la base de ces témoignages qu’on avait affaire à des phénomènes complexes, dont les effets conjugués les rendaient difficiles à isoler et identifier : ils nécessitaient une approche coordonnée impliquant l’agronomie, la physique et la géologie. La géobiologie, à la fois parce qu’elle est proche du terrain et par l’obligation dans laquelle elle est d’opérer une synthèse des connaissances disponibles, était peut-être en mesure d’éclairer les effets cocktail des rayonnements électromagnétiques naturels et artificiels. Située à la croisée des champs, du cosmique et du tellurique, elle occupait un angle mort de la science. Pour se convaincre de la réalité d’une influence à l’âge des sciences modernes, il faut constituer du circuit tordu, avec des rats de laboratoires, des « modèles animaux » (Fauvel 2016), des cochons d’élevage ou des vaches comme ici, qui constituent de meilleurs alliés que des humains. Alors qu’elle avait eu jusqu’à maintenant tant de mal à imposer ses vues quant aux effets des champs électromagnétiques sur les humains, la géobiologie se retrouvait pour la première fois prise au sérieux, grâce aux animaux.
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8Il faut regarder de manière pragmatique comment les expertises géobiologiques se font sur tel ou tel élevage, où la pression de démontrer la légitimité scientifique de son savoir est moins forte. Le géobiologue, libre d’opérer des connexions, ne se prive d’aucun des outils à sa disposition, parmi lesquels sa propre (bio-)sensibilité11, pour fournir un diagnostic énergétique. De quoi les réseaux géobiologiques sont-ils constitués et comment interagissent-ils avec les circuits électriques ? Que doit-on entendre exactement sous le vocable « énergétique » ou « cosmo-tellurique » ? Quiconque fait appel à un géobiologue pour diagnostiquer une ferme, un terrain ou un habitat doit se préparer à voir surgir une multitude de réseaux d’influence dont il ne soupçonne pas l’existence. À partir de n’importe quel point, l’expert progresse, arpente l’espace, parfois avec de simples baguettes de sourcier, mais souvent aussi avec d’autres outils, par cabotage comme les premiers navigateurs, multipliant les dérivations – pour filer la métaphore électrique12. Si les réseaux géobiologiques sont d’ordre « énergétique ou informationnel » avant tout, les vaches en raison de leur hypersensibilité à l’électricité se sont révélées de merveilleuses alliées pour saisir tout ce qui circule d’autre, dans l’air, sous terre ou dans le champ informationnel. On verra sur le terrain les géobiologues manier le paradigme électrique avec beaucoup d’agilité mais aussi l’élargir pour y faire entrer tout un tas d’influences du dehors, allant du registre électrique à l’informationnel en passant par l’énergétique, une combinaison détonante qui vise à « épuiser13 » le phénoménal dans toutes ses dimensions. S’ouvrant à autre chose, à d’autres types de résonances, d’harmonies ou de dissonances, les circuits électriques deviennent des circuits faibles14, perméables à toutes sortes de facteurs externes, géologiques, cosmiques, et pourquoi pas psychiques. Un type de circuits jamais pris en compte dans l’histoire conventionnelle de l’électricité15. Lorsque les lignes à haute tension s’ouvrent à d’autres dimensions, à la nature du sous-sol, au champ magnétique terrestre, émergent des lignes à autre tension qui augmentent considérablement les possibilités de conduction entre les choses.
9Dans le diagnostic, il convient de mener de concert une enquête purement électrique et une expertise géobiologique afin de déterminer les interactions des deux types de phénomènes, mais les dispositions de correction doivent prioriser le circuit électrique, nous explique Luc.
« C’est toujours mieux de commencer par le physique, l’électricité, parce que tu peux prendre de l’arnica si tu as une écharde, mais le mieux c’est d’enlever l’aiguille. Tu peux travailler ensuite sur la faille ou le réseau avec des outils de géobiologie que tu connais, mais tu sais qu’elle est plus saine, elle sera moins stimulée, moins excitée, plus légère et là, tu auras de bons résultats. L’architecture du sol aussi, on la voit mieux quand il n’y a plus toute la pollution électrique. Des fois il y a tellement d’injections de courants parasites dans le sol que même la lecture du terrain est compromise. »
10Les fuites d’électricité dans les installations des élevages amplifient donc les effets potentiellement néfastes des perturbations géobiologiques (la présence d’une faille ou d’un cours d’eau souterrain par exemple) et, parce que l’électricité « ne fonctionne pas comme dans les livres », elle « échappe plus que de raison aux réseaux de fils dans lesquels on essaie de la contenir » (Luc). Dans ce contexte, le géobiologue fait deux constats. D’abord celui d’une fuite quasi universelle des circuits électriques. Les circuits que l’on croyait fermés sont en fait ouverts et perméables. Par induction magnétique, nous dit-il, les électrons peuvent sauter d’une ligne à haute tension à une structure métallique. L’installation d’une ferme peut être défectueuse du fait de connexions desserrées dans le tableau électrique, d’un animal mort ou d’une fourmilière qui crée une connexion non désirée, d’un fil dénudé en contact avec l’architecture de traite ou encore d’une mise à la terre inefficace. L’autre constat concerne la logique de circulation : quelle que soit la voie par laquelle il s’échappe, le courant revient toujours à son origine et va circuler là où il y a le moins de résistance.
« Un courant parasite va toujours circuler vers le potentiel le plus bas, nous dit Stéphane. Dans une salle de traite où la masse métallique a une valeur de 10 ohms par exemple, et où la prise de terre est de 30 ohms, les courants vont avoir du mal à rentrer à cause de la résistance bien plus basse. Quand un courant arrive, vous pensez qu’il va passer là pour aller à la prise de terre, mais pas du tout, il va passer ici pour rejoindre le sol en passant par la salle de traite. Le courant est très fainéant, il part toujours au moins résistant. »
11Le risque pour les animaux, c’est de s’offrir comme cible au courant parasite qui va chercher à retourner plus rapidement à son origine, c’est-à-dire à la terre de neutre du transformateur le plus proche de la ferme. Le phénomène concerne plus fortement les gros quadrupèdes, les vaches et les cochons. Non seulement leurs sabots ne les isolent pas du sol, mais pour peu que ce dernier soit humide, leur faible résistance peut les transformer en véritables prises de terre alternatives. Il en est ainsi des « tensions de contact » provoquées par des différences de potentiel électrique entre les structures métalliques (abreuvoirs, cornadis, logettes, stalle, etc.) et les animaux. Les courants parasites s’échappent vers le sol par les pattes au lieu de s’évacuer par la prise de terre. Les vaches et les cochons sont moins résistants que les humains, donc sensibles à des intensités inférieures.
« Il suffit parfois de 10 milliampères pour les perturber tandis que nous ressentons une gêne à partir de 30 mA seulement, dit Luc. Les disjoncteurs des installations électriques, réglés sur 30 mA, ont été calculés en fonction de la résistance du corps humain. Si on voulait vraiment des systèmes de protection calés sur les animaux dans les élevages, il faudrait des systèmes bien plus sensibles qui vont jusqu’à 10 mA. Autant dire qu’ils disjoncteraient tout le temps, au moindre déchet de courant. »
12Quiconque cherche à remonter à la source des pollutions électriques doit donc mener une véritable chasse aux fuites et aux courants parasites, ouvrir les tableaux, injecter du courant pour voir par où il passe (racleur, salle de traite, etc.). Identifier un courant vagabond peut conduire loin, jusqu’au village voisin, à travers la campagne comme ici où « on est sur du rocher, il passe par du bâtiment, il rentre dans le racleur du bout, il arrive au moteur du racleur, il passe par là pour repartir à la prise de terre. On peut le suivre mais est-ce qu’on peut le régler, ce n’est pas sûr. » (Luc)
13Nos experts suivent les recommandations usuelles en électricité qui incitent à restaurer les liaisons équipotentielles entre tous les éléments métalliques des installations et ils préconisent de faire une architecture équipotentielle sur les trois grands blocs de masse d’une exploitation. L’idée est d’empêcher que certaines de ces structures, par une résistance plus faible que la mise à la terre principale de l’installation, ne viennent s’y substituer pour évacuer les courants parasites. Or cette situation est fréquente. « Si on faisait une moyenne, c’est une fois sur dix que le courant de fuite passe par la prise de terre, mais neuf fois sur dix il passe ailleurs. » (Stéphane)
14Souvent les valeurs des courants induits ainsi sont si faibles qu’on peine à les repérer par des mesures. Le géobiologue travaille alors « au ressenti, au moins dans un premier temps, pour dégrossir le problème et ensuite déplacer les outils au bon endroit pour affiner le diagnostic », l’utilisation des moyens radiesthésistes permettant, de son aveu, d’économiser du temps. Une fois que le problème repéré est réglé, si la situation de l’élevage ne s’améliore pas, il faut aller plus loin que les recommandations officielles et vérifier que la mise à la terre principale ne soit pas en position de « couplage capacitif » avec d’autres terres trop proches, notamment celle du réseau public ou celle d’exploitations limitrophes. Pour peu que la terre de la ferme soit de résistance moindre que celle de sa voisine et que les deux soient situées à proximité, ou qu’elles soient « shuntées » ensemble par un cours d’eau, une faille humide ou un réseau géomagnétique, l’installation électrique de l’exploitation peut être polluée par des courants vagabonds ne lui appartenant pas en propre, issus de terres d’autres installations parfois situées à plusieurs kilomètres.
15Face à un courant vagabond, le géobiologue a une première question à se poser : « par où ça passe ? » Entrent alors dans un circuit que l’on croyait fermé ou isolé d’autres éléments du paysage : un cours d’eau ou un réseau géomagnétique, des transformateurs et autres poteaux du réseau Enedis, la pompe électrique du forage d’un voisin, une antenne relais ou encore un ensemble d’éoliennes dont la terre serait reliée de manière impromptue à celle de la ferme via une faille souterraine. Le réseau électrique ainsi élargi au gré de connexions sauvages fait, comme nous allons le voir maintenant, circuler d’autres choses que le courant électrique.
16L’idée qu’un circuit électrique est, via les fuites et les courants parasites, un circuit ouvert à d’autres influences s’est trouvée renforcée par la popularité de certaines théories de l’information. Les circuits réels qu’il est donné au géobiologue de traquer, à partir du moment où ils incluent aussi les installations du champ d’àcôté, les vaches du voisin, la roche de la montagne, les failles souterraines, sont forcément plus inclusifs et supposent d’élargir l’investigation à l’ensemble des éléments entrant en conduction. Non seulement les courants vagabonds vont stimuler les phénomènes géobiologiques et augmenter leurs effets, mais ils sont aussi porteurs d’autres choses.
« La base de l’électricité, c’est l’électron, et l’électron, c’est un porteur de charge, un sherpa qui porte dans son sac à dos une information, l’information électrique, mais elle porte bien d’autres choses dans sa besace [..], elle peut transporter une information chimique, vibratoire, bref tout le panel de plein de choses. » (Stéphane)
17Des couplages variables s’opèrent ici, entre l’électricité et le monde environnant, dans une forme de magie informationnelle devrions-nous dire, où chaque praticien expérimente ses propres recettes pour assainir une installation avec des substances, des cailloux ou des gris-gris censés porter une information. Voyons comment Luc formule le problème :
« Lorsqu’un géobiologue intervient dans une installation agricole, il peut injecter dans le circuit une information, un effet secondaire plus subtil, ce qu’on appelle un champ de torsion, un champ informationnel qui peut passer par ce câble […], traiter le problème, par l’information, par une onde de forme, par tous les outils, les gadgets qu’on peut avoir. […] Dans la terre de neutre, il y a du courant qui peut se mesurer avec la pince ampèremétrique, mais aussi de l’information, donc on reste sur les deux niveaux. Plus on va sur un niveau physique, plus la réponse est efficace. Le plus efficace c’est le physique, quand on peut. Quand on ne peut pas, on va travailler à un niveau informationnel, vibratoire. »
Schéma des phénomènes associés au couplage ionosphère-magnétosphère d’après Jacques Ravatin, 1985
Source : Ravatin (dans Vladimir Rosgnlik, 1985 : 485).
18Champ de torsion, champ informationnel, onde de forme, information vibratoire, voilà toute une galerie de notions passées dans le langage courant de la géobiologie. Retenons qu’elles sont largement débattues, qu’elles n’ont pas le même contenu selon les écoles et surtout que l’inventivité conceptuelle est une caractéristique du domaine depuis qu’il existe. Mises ensemble, il n’en reste pas moins que ces notions dessinent une sorte de physique alternative, qui semble prospérer au premier abord sur le fond d’une dualité, entre le physique d’un côté, l’immatériel de l’autre, le visible et l’invisible, le monde phénoménal et le postulat d’un arrière-monde.
Résistances corporelles (en kΩ) des espèces animales de rente mesurées entre le mufle ou le bec et les membres au moyen d’électrodes (bovins) ou en conditions d’élevage (porcins, ovins, poules et dindes) (1 kΩ= 1000 Ω)
Source : K Rigalma et al., « Les courants électriques parasites en élevage », INRA Productions Animales, vol. 22, no 4, 2009, p. 293.
- 16 Ravatin a notamment écrit deux volumes sur sa théorie des champs de forme sous le pseudonyme de Vla (...)
19L’un de ceux qui ont poussé le plus loin la réflexion dans ce domaine, associant paradigmes énergétique et informationnel, est un ancien physicien, Jacques Ravatin16. S’inscrivant lui-même dans une longue lignée d’originaux (Enel, De Bélizal, De Rochas, Chaumery, Morel, etc.) qui, depuis la fin du xixe siècle, explorent le magnétisme, les frontières de la science, fouillent dans les systèmes occultes de l’antiquité, l’alchimie, ou s’intéressent aux phénomènes dits parapsychiques, Ravatin développe à partir des années quatre-vingt l’idée subversive mais aujourd’hui largement acceptée que les phénomènes énergétiques qui occupent les géobiologues n’ont rien à voir avec l’électro-magnétisme. Fondateur du Groupe de recherche ARK’ALL, il va jusqu’à développer son propre concept, l’« alphysique », avec tout un vocabulaire spécifique et notamment la notion de champ de forme. À chaque forme, c’est-à-dire tout être vivant, objet, phénomène physique, mot, idée, institution, collectif, etc., correspond un champ de forme, c’est-à-dire un champ d’émission, conçu comme « un espace immatériel dans lequel s’expriment les informations directement liées à l’existence de la forme et qui est le siège d’incessants échanges d’informations » (Olifirenko 2021). Les champs de forme connectés entre eux sont accessibles à quiconque est doué de (ou sait exercer sa) « bio-sensibilité », elle-même conçue comme fonction de notre « biochamp », nom donné au champ informationnel (ou champ de forme) d’un être vivant. Un bon radiesthésiste pourrait ainsi repérer et identifier tous les phénomènes les plus subtils en accédant à une sorte de réalité augmentée (ou d’arrière-monde) porteuse d’informations supplémentaires sur le milieu, non fournies par les sens communs : fantômes, réseaux énergétiques, vortex, mais aussi cours d’eau souterrains, trésors archéologiques cachés, niveaux de radioactivité émanant du sous-sol, courants électriques vagabonds, etc. Dans cette conception, il serait possible au géobiologue, véritable « homme antenne », de détecter toutes ces choses sans passer par le biais des sens ou d’appareils de mesure, mais grâce à une mise en relation de son propre « champ informationnel » avec celui de la forme recherchée et étudiée.
20Le plus intéressant chez Ravatin ne se trouve pas dans le repositionnement qu’il impose à l’instrumentarium des radiesthésistes, mais dans la façon dont il s’approprie la physique quantique. Il marque le début d’une nouvelle époque, qui se détache peu à peu de la prédominance du magnétisme pour envisager tous les transferts de force qui se dérouleraient à l’échelle infraphénoménale. Grâce à la notion d’information, on change d’ère, et dans le passage de l’ère magnétique à l’ère informationnelle, les circuits s’ouvrent radicalement. Non seulement ils vont accepter les dérivations et bifurcations, toute matière devenant conductrice, mais une foule d’informations potentielles venues d’ailleurs ou d’autres niveaux de réalité vont faire ici leur entrée. C’est sur celles-ci qu’il faut nous pencher.
21Le mot « ondes » étant trop attaché à l’électromagnétisme, Ravatin proposa d’appeler « émissions induites par les formes » (Émergence Influence Formes ou EIFs) les informations qui viennent s’ajouter aux ondes électromagnétiques provoquées par les charges électriques et aux ondes gravitationnelles dues aux masses. Ces émissions qui peuvent être ressenties par un géobiologue expérimenté n’appartiendraient pas totalement à notre monde physique (que Ravatin appelle le Local), où les repères sont stables. Elles procèdent d’une sorte d’arrière-fond quantique (que Ravatin nomme le Global) où les repères sont, au mieux, instables ou au pire disparaissent. On ne peut y localiser un objet. Distance, vitesse, temps, force, etc., n’y existent pas. Les émissions dues aux formes créent un champ autour de celles-ci et peuvent se propager sans énergie bien plus loin que leur localisation dans le monde physique et que le temps linéaire le laisseraient supposer. Enfin, les liens de causalité y sont abscons. « Perte de repères », nous dit-il. Mais aussi possibilité d’accueillir des phénomènes émergents (qu’il appelle des ternaires) inaccessibles à la mesure et aux sens ordinaires. Il s’agit dans ce contexte non plus de couper/supprimer/dériver un circuit, mais de modifier la nature de ce qui passe à travers lui, d’agir moins sur la circulation en tant que telle que d’injecter de l’information ou de modifier celle qui y transite.
22Les géobiologues recourent ainsi à la pose de dispositifs correcteurs dont la liste et l’histoire fort longues apparaissent rétroactivement justifiées par leur nature informationnelle : dans les pratiques magiques, il s’agissait aussi d’injecter de l’information (ou de l’intention, les deux sont souvent ici synonymes) et d’agir sur elle pour atteindre les phénomènes. Les outils qui permettent de travailler sur les ondes électromagnétiques comme les aimants (Lakhovsky 1933) sont désormais passés de mode. Les géobiologues utilisent maintenant des procédés « créateurs d’information » pour rééquilibrer énergétiquement un lieu. Examinons par exemple comment Bernard Olifirenko, qui a joué un rôle majeur dans l’institutionnalisation de la géobiologie en France, utilise les colonnes de taofel (tours de briques placées en quinconce), les pierres levées (à l’instar du menhir), les barres de métal et le feu, selon un principe de mise en tension. La première étape consiste à trouver un « point d’émergence géodynamique » capable de modifier la qualité du « Rapport Global d’Ambiance », c’est-à-dire l’équilibre entre les influences telluriques et cosmiques, en utilisant les informations propres au lieu. En plantant ici et là un bâton à tâtons, en testant au ressenti différentes positions, en se mouvant le long des cours d’eau souterrains et des réseaux géomagnétiques, les géobiologues d’aujourd’hui vont chercher parfois loin leurs sources d’inspiration, y compris dans la science « géo-astronomique » supposée des constructeurs de mégalithes (Grimaud & Rennesson à paraître). Dans le langage de Ravatin, un « point positif » sera stimulé par une pierre qui, via sa forme, sa masse, sa hauteur et son degré de cristallisation, émet des EIFs, de la même façon que les propriétés physico-chimiques sont à l’origine de l’effet piézoélectrique. Si les matériaux qui ont une structure de réseau cristallin produisent un déséquilibre de charge électrique à leur surface lorsqu’une contrainte mécanique est appliquée, il suffit de « disposer une pierre d’un certain poids, a fortiori si l’on prend soin de placer de petits cristaux de quartz ou de tourmaline au fond du trou qui va recevoir cette dernière, pour que la différence de potentiel électrique entre le haut de la pierre et sa base apparaisse dopée », dit Olifirenko. La mise en tension n’étant pas réductible à de l’électrique, nous dit-on – elle est « informationnelle » et s’évalue au ressenti, avec les mains ou avec des baguettes –, il convient d’agir ensuite sur elle en déterminant le sens dans lequel la pierre doit être posée, son orientation, permettant ainsi au « point positif » d’étendre son influence et de réharmoniser un lieu, de le rendre plus compatible avec le vivant en modifiant les informations qui y circulent potentiellement. Ainsi la mise en tension apparaît probablement comme l’un des concepts les plus pratiques proposés par la géobiologie pour inclure l’invisible dans toutes ses dimensions et produire de la résonance (au sens de Simondon), combinant les trois registres abordés dans cet article : l’électrique, l’énergétique et l’informationnel.
- 17 Nos experts s’y sont plusieurs fois référés dans leur diagnostic de la ferme. Les géobiologues invo (...)
23Les supports dits « informés » constituent un second type de dispositifs. Des entreprises du bâtiment converties à la géobiologie « informent » par exemple du béton, matière inerte, avec des matières porteuses d’émissions plus respectueuses du vivant. Poudre de shungite (pierre issue de la fossilisation de bactéries) ou de basalte, poudre ferromagnétique qu’on trouve dans les roches volcaniques, et bien d’autres extraits végétaux et minéraux dont la formule appartient à leur concepteur sont ainsi ajoutés comme composants de matériaux de construction ou bien permettent d’informer de petits dispositifs en plastique ou en résine. On dit qu’ils agissent par la projection de photons qui corrigent les informations délétères. Ces dispositifs sont de plus en plus utilisés à mesure que d’autres notions font leur chemin dans le monde de la géobiologie, notamment celle de champ de torsion17. En forme de spirale, ces champs sont dits transmettre « de l’information sans énergie ». D’autres préfèrent parler de « champs scalaires », se référant à la notion utilisée en physique d’un espace composé de points dotés d’une magnitude (température, pression) mais pas de vitesse, ni de direction, ni de sens comme pour les champs vectoriels (vent, champs électriques, etc.).
24On voit bien comment les inventions de dispositifs, les expérimentations conceptuelles et la quête essentialiste de la nature de la réalité se développent ici de concert et s’inscrivent dans la continuité des spéculations antérieures sur les champs de forme. Générés soit par la forme de l’objet, champ statique, soit par un spin des particules élémentaires, champ dynamique, causé par la coprésence d’un champ électromagnétique (quand une machine est mise en marche par exemple), les champs de torsion dit-on peuvent tourner soit vers la droite, soit vers la gauche, et dans ce second cas seulement sont nuisibles à la vie.
25Malheureusement, tous les champs de torsion émis par les champs électromagnétiques artificiels tourneraient vers la gauche. Les pierres mais encore (et surtout) les poudres et les dispositifs « informés » ont donc vocation à compenser ce signal négatif par l’émission d’un « champ dextrogyre positif favorable au vivant » (selon l’expression d’Alexandre Rusanov, géologue et géobiologue). Les géobiologues placeront ainsi des dispositifs là où ils ne peuvent pas intervenir sur la matérialité de l’installation électrique, sur un transformateur ou une éolienne par exemple, dont on ne peut déplacer la prise de terre, et dont le champ de torsion gauche contaminerait une exploitation via une faille humide ou un réseau géomagnétique. Certains préfèrent travailler préventivement et passer sur les chantiers d’éoliennes pour verser de leurs « produits informés » au moment du coulage du béton. Ils admettent que lorsqu’ils doivent revenir sur une exploitation après une intervention vécue dans un premier temps par l’éleveur comme réussie, c’est surtout pour assurer la maintenance de ces « dispositifs informationnels ». L’effet correcteur d’une technique qu’ils associent eux-mêmes à une sorte d’homéopathie peut ne durer qu’un temps, surtout lorsque les « conditions techniques d’exploitation de l’élément perturbateur18 » changent (nouveau fil sur un poteau électrique, nouvelle antenne relais sur un pylône, etc.), lorsque l’humidité du sous-sol varie selon la saison, ou lorsqu’un nouvel équipement électrique à la ferme vient perturber l’équilibre.
- 19 Stéphane Cardinaux est sans doute celui qui a poussé le plus loin l’expérimentation en la matière. (...)
26Les techniques des géobiologues mériteraient une enquête à part entière, tant l’hétérogénéité du champ, des méthodes, des solutions proposées ainsi que la diversité des écoles sont réelles. Il y a ceux qui ne jurent que par un seul outil (baguettes de radiesthésie, antenne de Lecher), d’autres par la « bio-sensibilité », d’autres encore qui inventent leurs propres protocoles, mènent des recherches expérimentales en groupe, bien loin des laboratoires. Certains conçoivent à partir de leur propre sensibilité de puissantes machines de codage pour faire sens des résonances qui peuvent s’établir entre les choses, les êtres, les milieux, les humeurs, en combinant parfois les apports des médecines orientales, de la physique quantique et de la théorie de l’information19. Ceux qui, sur le tas, très pragmatiquement, interviennent comme consultants sur des installations et qui, à force de tentatives de réaménagement des lieux, d’expérimentations et de petites découvertes, mettent au point leurs dispositifs correcteurs, ne font qu’élargir toujours plus l’histoire des circuits faibles, comme si les conceptions conventionnelles ne suffisaient pas, ou n’avaient jamais suffi pour rendre compte du foisonnement des connexions et des résonances.
« Un éleveur, raconte un géobiologue, avait mis deux pierres levées comme deux petits menhirs car il trouvait cela joli. Lors de mon intervention, je me suis aperçu que c’étaient elles qui perturbaient tout autour. C’est la forme, ici la pierre, qui amplifiait l’information du sol. Ici, il y avait un forage de 87 m et là un câble de clôture électrique de 20 000 volts. C’est cet ensemble qui mettait le bazar. On a couché les pierres et la fosse à lisier s’est transformée. Il y avait une croûte, la fosse ne bougeait pas mais dès qu’on a couché les pierres on a vu des bulles apparaître et la fosse s’est remise à vivre. Les vétérinaires, les biologistes ne savent pas expliquer pourquoi les bactéries se remettent à travailler d’un coup comme cela. J’ai aussi eu un autre cas de fosse à lisier, où dès que je coupais le contact d’une clôture électrique à proximité les bulles revenaient. Dès que je le remettais, les bulles n’apparaissaient plus. »
- 20 Pour une très bonne introduction à la philosophie des liens de Bruno, voir Berns 2020.
27Aux franges du phénoménal ainsi conçu, il faut être prêt à tout, à voir les fermiers transmettre leurs humeurs à leur troupeau (Despret & Porcher 2007), les troupeaux fonctionner comme de véritables creusets d’émotions (Kolher 2012) et les fosses à lisier, ces endroits où les paysans laissent fermenter les déjections animales, urines et bouses, débris alimentaires, paillages souillés et dilués par les eaux de pluie et de nettoyage, se raviver suite au repositionnement d’une pierre à proximité. Mystères et surprises de la mise en tension entre des réseaux que la raison ignore, mais qui viennent enrichir le champ du liable (au sens de Giordano Bruno20).
28Pour former un lien, il faut un minimum de « compréhension de l’ensemble de l’univers », disait Bruno ([1591] 2001 : 1). Confrontée à l’excès de résonance du monde et de ses composantes, la géobiologie est probablement aujourd’hui l’un des laboratoires privilégiés où il est donné une chance à la technique elle-même de se réinventer au contact de ce qui lui échappe, par petits ajustements, microdéplacements, essais et erreurs. Voilà qui n’est pas sans faire écho à un problème soulevé par Gilbert Simondon (1959) au moment d’aborder les limites du progrès humain. Le philosophe des techniques nomme résonance les liens de causalité réciproques qui s’établissent entre les humains et leurs productions, formant ensemble « un système complet d’activité et d’existence » (1959 : 370), et il distingue trois stades – le langage, la religion et la technique –, ou trois grandes modalités par lesquelles les humains ont cherché à constituer de la résonance universelle. La réduction de l’énergétique et du vivant à l’informationnel dépasse le cadre de cet article, néanmoins une chose est sûre : dans l’informationnel, en passe de s’imposer comme un nouveau régime universalisant à l’échelle du sensible, s’invente une nouvelle pensée des réseaux et de la résonance, en même temps que se conserve la mémoire des stades antérieurs du langage, de la magie et de la technique.
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