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Varia

Évolution stratégique de l’organisation ETA (1959-2018)

Réflexions méthodologiques
Caroline Guibet Lafaye

Résumés

Constituée en décembre 1958, Euskadi Ta Askatasuna (ETA) se dissout le 11 mai 2018. Au cours de ces quasi-soixante années d’existence, ETA a connu des phases d’offensive militaire puis de baisse de son activité opérationnelle. Afin de saisir les contours de ces épisodes ainsi que leurs raisons, nous avons constitué une base de données originale répertoriant l’ensemble des actions du groupe armé. Son analyse contribue à mettre en lumière les évolutions stratégiques de l’organisation clandestine et permet de discuter les conclusions établies antérieurement à partir de la recension des victimes mortelles faites par le groupe. Nous envisagerons ainsi les conséquences de choix méthodologiques sur les lectures qui peuvent être proposées de l’histoire d’un collectif clandestin.

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Texte intégral

  • 1 Monzón Telesforo, Lepoan Hartu cité dans le communiqué d’ETA au peuple basque du 7 juillet 2011.

« Lepoan hartu ta segi aurrera » (Relève le camarade qui est tombé et continue à aller de l’avant)1.

Introduction

  • 2 Pour une mise en perspective de l’histoire d’ETA et de ses actions, voir Clark Robert P., The Basqu (...)
  • 3 Zunbeltz K. (de), [José Luis Zabilde], Hacia una estrategia revolucionaria vasca, Hendaye, 1968, p. (...)
  • 4 En 2013 encore, le nombre de victimes attribuées à ETA variait selon les sources (Carmena Manuela, (...)
  • 5 Voir http://www.euskadi.eus/gobierno-vasco/estadistica/

1Euskadi Ta Askatasuna (ETA), organisation armée basque, a signé son acte de naissance le 31 juillet 1959. Elle a été mise sur pied par des étudiants basques œuvrant dans le magazine Ekin, las de la passivité des dirigeants du nationalisme traditionnel incarné par le Parti Nationaliste Basque (PNV). Au terme de 60 années de lutte contre l’État espagnol pour un Pays basque socialiste et indépendant, ETA s’est dissoute le 3 mai 20182. Bien qu’officiellement née en 1959, cinq ans (1964) se sont passés avant qu’ETA n’emploie pour la première fois des explosifs contre des plaques commémoratives de la dictature franquiste3. Au cours de ces six décades, il est commun de rappeler qu’ETA a fait plus de 800 victimes mortelles4. La période a été particulièrement meurtrière puisque le conflit en tant que tel au Pays basque entre 1960 et 2013 a provoqué au total la mort de 1 004 personnes selon les chiffres du gouvernement basque5.

  • 6 Clark Robert P., The Basque Insurgents, op. cit.
  • 7 Domínguez Florencio, ETA, op. cit.
  • 8 De La Calle Luis et Sánchez-Cuenca Ignacio, « La selección de víctimas en ETA », Revista Española d (...)
  • 9 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », Revista Internac (...)
  • 10 Domínguez Florencio, ETA, op. cit., chap. V.
  • 11 Barros Carlos, « An Intervention Analysis of Terrorism: The Spanish ETA Case », Defence and Peace E (...)

2Les actions menées par le groupe clandestin ont fait l’objet de plusieurs études de type quantitatif, presque toutes réalisées par des auteurs espagnols. Une seule exception est donnée par Clark6 qui a recensé les 287 attaques mortelles d’ETA (de 1968 à 1980) et a présenté quelques statistiques descriptives sur la sélectivité des victimes durant cette période. Les travaux ultérieurs sont, pour l’essentiel, lacunaires du fait de l’époque à laquelle ils ont été réalisés. Tel est par exemple le cas des données quantitatives établies par Domínguez7 pour la période 1978-1992. La contribution majeure à la constitution d’une base de données des victimes mortelles d’ETA a été proposée par De La Calle et Sánchez-Cuenca8 puis par Sánchez-Cuenca9. D’un point de vue analytique, les études statistiques sur les actions entreprises par ETA ont été soit descriptives10, en plus de porter sur une période ancienne (1978-1992), soit de type économétrique11, faisant abstraction de considérations sociologiques.

  • 12 Jaime Jiménez Óscar, Policía, terrorismo y cambio político en España, 1976-1996, Valence, Tirant lo (...)
  • 13 Funes María José, La salida del silencio. Movilizaciones por la paz, Madrid, Akal/Foca, 1998.
  • 14 Domínguez Florencio, ETA, op. cit. ; Domínguez Iribarren Florencio, ¿El final de ETA? De la negocia (...)
  • 15 Mata José Manuel, El nacionalismo vasco radical, Bilbao, Service Éditorial de la UPV, 1993 ; Alonso(...)
  • 16 Reinares Fernando, Patriotas de la Muerte, Quiénes han militado en ETA y por qué, Madrid, Taurus, 2 (...)
  • 17 Lacroix Isabelle, « Les femmes dans la lutte armée au Pays basque », Champ pénal/Penal field, vol. (...)
  • 18 Bereciartu Jauregui G., Ideología y estrategia política de ETA (1959-1968), Madrid, Siglo veintiuno (...)

3Plus généralement, ETA et les organisations armées au Pays basque ont suscité l’attention des commentateurs sous plusieurs aspects qu’il s’agisse de l’antiterrorisme12, de la réponse sociale à la violence13, des stratégies des organisations terroristes14, et de leurs discours15, des militants eux-mêmes16 ou des mouvements sociaux qui les portent17. L’histoire d’ETA, de ses scissions et évolutions idéologico-stratégiques a nourri la littérature en particulier hispanophone18.

  • 19 Sur la place des victimes du terrorisme dans le débat public et sur l’évolution des politiques péna (...)
  • 20 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », Revista Internac (...)
  • 21 Dans le contexte de la transition dite démocratique et dans le sillage de la déstabilisation politi (...)

4ETA ayant écrit le dernier chapitre de son histoire, nous avons souhaité, dans un contexte dépassionné, revenir sur sa trajectoire, faite de propositions politiques, de stratégies politico-militaires et d’actions armées. Notre approche se concentre sur ces dernières ainsi que sur leur évolution, conformément à une hypothèse analogue à celle retenue par De La Calle et Sanchez-Cuenca (2004), établissant que la fréquence et le type d’opérations militaires réalisées reflètent les options stratégiques du groupe. Il s’agira en particulier de confronter les conclusions de travaux antérieurs, s’appuyant sur le recensement des victimes, à celles qui peuvent être tirées de l’analyse d’une série statistique des actions menées par l’organisation durant l’ensemble de son histoire. L’attention à ces dernières permet une approche affinée de la stratégie d’ETA que biaise un intérêt exclusivement porté aux victimes19. Non seulement elle contribue à écarter les « erreurs » commises par le groupe, dont certaines ont conduit à un nombre de victimes civiles important mais non volontaire, mais également à faire un pas de côté eu égard à une focalisation très prégnante dans le débat public sur les victimes. Nous verrons également d’une part que la « chute de Bidart », c’est-à-dire l’arrestation de l’exécutif d’ETA en mars 1992, ne peut nullement être considérée comme « amor[çant] le début du déclin des actions et de l’organisation »20, contrairement à des conclusions antérieurement avancées. Nous montrerons, d’autre part, que toute phase d’offensive armée intervient à l’appui de négociations politiques dans une perspective de règlement du conflit au Pays basque. Cette conjonction permet de reconsidérer l’image du groupe, en particulier postérieure à la dissolution d’ETA-politico-militaire (ETA-pm)21. Loin d’être la « bande terroriste » que les médias espagnols se plaisent à dépeindre, ETA s’efforce d’intervenir dans le champ politique comme un acteur à part entière, porteur d’une stratégie politique (politico-militaire), et déploie son action sur les plans politiques, militaires et sociaux quoiqu’avec des moyens d’action illégaux.

5Afin d’étayer ce propos, nous préciserons dans un premier temps les limites des bases de données existantes expliquant que nous ayons privilégié d’autres options méthodologiques. Nous exposerons ensuite les éléments à partir desquels nous avons construit la base que nous exploitons, et présenterons enfin les conclusions que les séries statistiques autorisent à déduire.

Questions de méthode

Analyser les mouvements sociaux

  • 22 McCarthy John D. et Zald Mayer N., « Resource Mobilization and Social Movements: a Partial Theory » (...)
  • 23 Tilly Charles, « Social Movements and National Politics » in Bright Charles et Harding Susan (dir.) (...)
  • 24 Alimi Eitan Y., « Relational Dynamics in Factional Adoption of Terrorist Tactics: A Comparative Per (...)

6Bien qu’inscrite sur la liste des organisations dites terroristes, ETA émane d’un mouvement social que la littérature académique décrit comme « un ensemble d’opinions et de croyances distribué dans une population donnée et dont le but est de promouvoir le changement de certains éléments dans la structure sociale, dans la distribution des biens, ou dans les deux »22. Plus simplement, un mouvement social consiste en structures de préférence dirigées vers le changement social. Cette définition se précise, lorsque l’on considère que les mouvements sociaux sont d’abord des entreprises porteuses d’une confrontation avec les autorités publiques et que c’est par ce biais qu’elles cherchent à obtenir de nouveaux droits23. Prenant en compte cette dimension conflictuelle, ces mouvements consistent en un effort soutenu et coordonné de revendication collective par des agents de la contestation (les organisations de mouvements sociaux), au nom d’intérêts, de valeurs, de croyances et de solidarités partagés, grâce à l’utilisation de stratégies qui incluent notamment des campagnes de protestation et de contestation24. Ces protestations stratégiques visent à favoriser un changement politique dans lequel les autorités peuvent jouer le rôle de cible ou de médiateur.

  • 25 Borum Randy, « Radicalization into Violent Extremism I: A Review of Social Science Theories », Jour (...)
  • 26 Goffman Erving, Frame Analysis: An Essay on the Organization of the Experience, New York, Harper Co (...)

7L’étude récente des mouvements sociaux (SMT) s’est orchestrée, de façon dichotomique, autour, d’une part, de la théorie du nouveau mouvement social (NSM), centrée sur l’examen des processus macrosociaux, structurels, des ressources, et, d’autre part, autour de la théorie de la mobilisation (RM), intéressée aux processus contextuels tels que la dynamique de groupe25. À ces deux orientations, s’ajoute la théorie du cadrage26 qui met en lumière la façon dont les mouvements et les collectifs construisent, produisent et diffusent du sens, de la signification. Dans ce processus récursif, les entrepreneurs de mouvements sociaux formulent des messages susceptibles de résonner au mieux avec les intérêts, les attitudes et les croyances de potentielles recrues. À mesure que les cadres idéologiques de référence du mouvement font sens pour les acteurs, ces derniers s’identifient au collectif.

  • 27 Turner Ralph H. et Killian Lewis M., Collective Behavior, Englewood Cliffs (N.J.), Prentice-Hall, 1 (...)
  • 28 Leites Nathan et Wolf Charles Jr., Rebellion and Authority, Chicago, Markham, 1970.
  • 29 Tilly Charles, Tilly Louise et Tilly Richard, The Rebellious Century: 1830-1930, Harvard, Harvard U (...)
  • 30 McCarthy John D. et Zald Mayer N., The Trend of Social Movements in America: Professionalization an (...)
  • 31 Tarrow Sydney, Power in Movement. Social Movements, Collective Action and Politics, Cambridge, Camb (...)
  • 32 Goffman Erving, Frame Analysis, op. cit.; Goffman Erving, Les cadres de l’expérience, Paris, Minuit (...)
  • 33 Corcuff Philippe, Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan, 1995, p. 12.

8Les recherches dans le domaine ont également été appréhendées comme des variantes de deux perspectives englobantes : l’une de type psycho-fonctionnelle, autrement appelée théorie de la convergence27, l’approche « hearts and minds28”, et la théorie de la rupture (breakdown theory)29 ; l’autre décrite comme la perspective de la mobilisation des ressources30. Une lecture dichotomique inscrit l’analyse des mouvements sociaux, qu’elles privilégient le cadre conceptuel de la « structure des opportunités politiques » (SOP)31 ou le modèle goffmanien des cadres de l’expérience32 dans la dualité entre un objectivisme – qui « affirme le primat de l’objectif dans l’analyse des phénomènes sociaux », c’est-à-dire « des régularités, des structures et, implicitement, du collectif et de l’extérieur » – et un subjectivisme, avançant « la supériorité du subjectif », c’est-à-dire « des consciences, des volontés, des individus et, donc, de l’intérieur »33, chacun de ces modèles conceptuels privilégiant soit l’étude des relations entre mouvements sociaux et champ politique, soit celle des conditions de l’engagement contestataire individuel.

  • 34 Klandermans Bert et Oegema Dirk, « Potentials, Networks, Motivations and Barriers: Steps Towards Pa (...)
  • 35 Della Porta Donatella, « Mouvements sociaux et violence politique » in Crettiez Xavier et Mucchiell (...)
  • 36 Alimi Eitan Y., « Relational Dynamics in Factional Adoption of Terrorist Tactics », art. cit., p. 1 (...)
  • 37 Della Porta Donatella, Social Movements, Political Violence and the State, Cambridge, Cambridge Uni (...)
  • 38 Gunning Jeroen, « Social movement theory and the study of terrorism » in Jackson Richard, Breen Smy (...)

9L’ensemble de ces modèles théoriques reconnaît toutefois que la capacité du mouvement social à mobiliser est fondamentale pour autant qu’il vise le maintien de sa propre survie, ainsi que nous le discuterons dans le cas d’ETA. Klandermans et Oegema34 suggèrent que pour survivre et se maintenir, tout mouvement social doit veiller à constituer un potentiel de mobilisation, former et motiver des réseaux de recrutement, susciter la motivation à participer, et enfin supprimer les obstacles à la participation. Plus généralement, il est pertinent de convoquer la SMT et la théorie du cadrage, en particulier, pour comprendre les phénomènes de radicalisation, dans la mesure où elle se concentre sur les processus, plutôt que sur les données sociodémographiques, et met l’accent sur une analyse de niveau intermédiaire. Certes les mouvements sociaux n’induisent pas toujours voire rarement de la violence35. Chaque épisode de conflit politique initié par un mouvement social ne produit pas une radicalisation dite violente36. Néanmoins les instruments forgés pour rendre compte des mouvements sociaux classiques peuvent être utilisés pour aborder les formes d’action radicales37 voire le terrorisme38.

Constitution des bases de données antérieures

  • 39 Abadie Alberto et Gardeazabal Javier, « The Economic Costs of Conflict: A Case Study of the Basque (...)
  • 40 https://www.sipri.org/yearbook. Le SIPRI-Yearbook est consacré à l’armement, au désarmement et à la (...)

10Afin de mieux saisir l’apport de la base de données que nous avons constituée, il convient de préciser la façon dont été élaborées celles qui ont servi aux principaux travaux statistiques sur ETA. Dans son étude sur la période 1968-2000, Barros (2003) a procédé à une collecte de données annuelles en exploitant trois types de sources. Il a recensé les exécutions et les enlèvements réalisés par ETA entre 1968 et 2000, à partir des travaux d’Abadie et Gardeazabal39 qui proposent 33 observations annuelles. Le SIPRI-Yearbook40 du Stockholm International Peace Research Institute a également été utilisé ainsi que la base de données des statistiques du tourisme en Espagne (www.ine.es/inebase/index.html). Dans une étude ultérieure sur la période 1968-2002, Barros et al. (2006) ont exploité la base de données ITERATE (https://library.duke.edu/​data/​sources/​iterate) qui recoupe partiellement celle du Global Terrorism Database (GTD). Barros et Gil-Alana (2006) s’appuient sur la même source.

  • 41 Calleja José María, Contra la barbarie. Un alegato en favor de las víctimas de ETA, Madrid, Temas d (...)
  • 42 Landa Josu (dir.), Euskal Herria y la libertad. Historia de ETA, CD-ROM, Tafalla, Txalaparta, 1995.
  • 43 Voir www.march.es/dtv.

11Une recension plus systématique des victimes, à partir de sources très éclectiques allant de la gauche abertzale (patriote) à lextrême droite, a été opérée par De La Calle et Sanchez-Cuenca (2004). Ces auteurs ont convoqué une pluralité de sources dont la base de données de l’Association des Victimes du Terrorisme (AVT), la liste de victimes d’ETA fournie par Calleja41, le CD-ROM Euskal Herria y la Libertad de Landa42, des informations tirées du quotidien El País à partir de mai 1976, la chronologie publiée par Egin (1982) pour la période 1977-1982, celle publiée par l’Equipo D (1984), rattachée à lextrême droite, pour la période 1973-1983. Cette pluralité de sources permet à De La Calle et Sanchez-Cuenca d’estimer disposer d’une base de données exhaustive des victimes du terrorisme d’ETA (Domestic Terrorist Victims43). Le travail a été complété par Sánchez-Cuenca (2009) qui a ajouté à ces données 160 observations entre le premier trimestre 1968 et le dernier trimestre 2007.

  • 44 Martínez Herrera Enric, « Nationalist Extremism and Outcomes of State Policies in the Basque Countr (...)
  • 45 Martínez Herrera Enric, « Government restructuring and reallocation of resources in the face of eth (...)

12Enfin, Martínez Herrera44 a exploité sur des sources policières pour établir sa base de données. Il n’y prend pas seulement en compte les victimes mortelles mais aussi les blessés. Contrairement à De La Calle et Sanchez-Cuenca, il a utilisé, dans ses deux articles45, des séries annuelles de décès de 1969 à 2001 ce qui conduit à une approche beaucoup moins fine que celle des auteurs précités. Martínez Herrera cherche à identifier l’effet des politiques espagnoles soit antiterroristes soit de résolution du conflit sur les actions menées par ETA, l’incidence étant déduite de la corrélation entre le nombre d’opérations réalisées et des étapes historiques de l’agenda politique. Les deux variables étudiées sont « réponses politiques » (responsive policies) et « politiques répressives » selon qu’elles s’abattent sur l’exécutif du groupe clandestin ou consistent en arrestations de membres dits ordinaires de l’organisation.

Limites des bases de données antérieurement réalisées

13La principale originalité de la base de données que nous avons constituée est de ne pas seulement recenser les victimes faites par ETA mais d’identifier les actions menées par le groupe, ce qui a pour effet mécanique d’augmenter considérablement le nombre d’items susceptibles d’être pris en compte. La base utilisée par De La Calle et Sanchez-Cuenca (2004) puis par Sánchez-Cuenca (2009), « “the Victims of ETA” dataset »46, répertorie 596 actions47 dont la dernière date de 2006, c’est-à-dire douze ans avant la dissolution du groupe. La nôtre comprend 3 132 actions qui se sont déroulées entre 1959 et 2018. Il semble en effet méthodologiquement problématique de réduire à ses 837 victimes une organisation qui a commis plus de 3 000 actions. La stratégie d’un groupe terroriste dépasse de loin, en particulier lorsqu’il pratique, de façon privilégiée, le ciblage des victimes, la seule réalisation de victimes mortelles. Ceci est d’autant plus vrai pour ETA qu’elle a défini son action de façon originelle comme se déployant sur quatre fronts, politique, culturel, militaire et social (Ve assemblée d’ETA, 1972). Dès lors que l’attentat indiscriminé n’est pas l’unique pratique d’un groupe terroriste, on ne peut l’étudier à partir des seules victimes mortelles qu’il a provoquées.

  • 48 À l’occasion de la Ve assemblée, s’opère une scission entre ETA militaire, ETA politico-militaire e (...)

14Au-delà de cette limite temporelle et numérique, la base des victimes présente un autre biais en ce qu’elle agglomère les actions d’ETA-militaire (ETA-m) et ETA-pm48, d’une part, et, d’autre part, celles des Commandos Autonomes Anticapitalistes (CAA), d’ETA-pm VIIIe Assemblée (scission d’ETA-pm), Iraultza et Gatazka (scission des CAA), alors même, comme le reconnaissent les auteurs, que 93 % des assassinats (773 sur 832) sont le fait d’ETA-m. De même, la période 1968-1973 est écartée de l’analyse de la violence politique par Sánchez-Cuenca (2009) dans la mesure où aucune action mortelle n’y est enregistrée. Cette considération conduit également l’auteur a délaissé la période postérieure à 2003 ce qui, d’un point de vue analytique est discutable, dans la mesure où cette option revient à considérer qu’une organisation clandestine qui ne fait pas de mort n’a pas de stratégie politique ce que d’autres groupes illégaux comme Iparretarrak, ayant également œuvré au Pays basque, récusent.

Résultats précédemment mis en évidence

  • 49 Barros Carlos, « An Intervention Analysis of Terrorism », art. cit.
  • 50 Barros Carlos, Passos José et Gil-Alana Luis, « The timing of ETA terrorist attacks », art. cit.
  • 51 La nature de la variable n’est pas précisée par les auteurs.
  • 52 Martínez Herrera Enric, « Nationalist Extremism and Outcomes of State Policies in the Basque Countr (...)

15Quels résultats les travaux évoqués permettent-ils de dégager ? L’analyse des actions menées par ETA sert, dans certains cas, de soubassement à une appréciation des politiques antiterroristes de l’État espagnol de 1968 à 2000, notamment en termes de dissuasion49. L’approche proposée par Barros et ses coauteurs est exogène. Une tentative d’étude endogène est néanmoins proposée à partir d’une comparaison des périodes de cessez-le-feu et des actions armées50 mais les résultats sont pour le moins décevants, la principale conclusion formulée étant que les attaques d’ETA semblent augmenter en été et diminuer, lorsque l’on prend en compte d’autres variables, comme les arrestations, la politique répressive, les phases de négociation avec le gouvernement, les meurtres51. De même, les corrélations proposées par Martínez Herrera52 s’avèrent le plus souvent négatives.

  • 53 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », art. cit., p. 22 (...)
  • 54 L’Express, 17 novembre 2008.

16L’exploitation de la base de données de De La Calle et Sanchez-Cuenca (2004) autorise des conclusions plus pertinentes en matière de comportement stratégique d’ETA, à partir de l’hypothèse que les variations dans les caractéristiques des victimes de l’organisation traduisent des changements stratégiques de cette dernière. Létude des victimes sert de point d’appui pour tester des hypothèses sur la stratégie d’ETA. De même, les séries statistiques autorisent Sánchez-Cuenca (2009) à identifier, pour la période 1973-2003, quatre phases dans l’évolution de la violence du groupe. Chacune de ces périodes correspond à une étape du développement stratégique de ce dernier (Tableau 1 ; Annexe 2). 1. La première coïncide avec le régime franquiste (1959-1975) et repose sur une stratégie de l’action-répression-action. 2. La deuxième période, couvrant les années 1977-1981 et plus exactement 1978-1980, est marquée par une intense offensive contre l’État espagnol et coïncide avec le début d’une guerre d’usure. 3. Au cours de la décennie 1982-1992, le conflit se prolonge et la guerre d’usure se stabilise. 4. Enfin l’arrestation des principaux responsables de l’organisation à Bidart (Pyrénées-Atlantiques) le 29 mars 1992 amorce le début du déclin des actions et de l’organisation53. Ce 29 mars, l’« opération Bidart » menée par le RAID conduit à l’arrestation de 11 personnes dont le collectif Artapalo. Ce dernier associe à Francisco Mugica Garmendia, dit Pakito, José Luis Alvarez Santacristina, dit Txelis, et José Arregui Erostarbe, dit Fiti. Ces trois hommes sont considérés comme la « troïka dirigeante » d’ETA54, l’exécutif d’ETA.

Périodes

Contextes

Types de lutte

1959-1975

Franquisme

Lutte antifranquiste, stratégie de l’action-répression-action

1977-1981

Transition vers la démocratie

Offensive contre l’État espagnol

1982-1992

Gouvernement élu, démocratie stabilisée

Guerre d’usure

Après 1992

Démocratie stabilisée

Déclin des actions d’ETA

Tableau 1 : Périodisation de l’intensité des actions mortelles menées par ETA selon Sánchez-Cuenca (2009)

17Constatant qu’ETA n’a plus jamais affiché des niveaux de violence comparables aux deux phases précédentes (1977-1992), Sánchez-Cuenca estime que l’arrestation du collectif Artapalo affaiblit définitivement l’organisation sur le plan opérationnel, sans considérer les changements stratégiques susceptibles de s’opérer au sein du groupe, y compris après l’arrestation de son exécutif. Nous soulignerons au contraire les évolutions stratégiques opérées par l’organisation, conformément à l’hypothèse que le politique prévaut sur le militaire, quand bien même elle agit de façon illégale.

  • 55 Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit., p. 321.

18De la même façon, le défaut d’attention aux options stratégiques consciemment et explicitement formulées ainsi qu’à la volonté d’ETA de se poser en acteur politique à part entière, induit des flottements dans l’interprétation des cycles de violence des années 2000. Sánchez-Cuenca considère que l’impossibilité de parvenir à un accord avec les nationalistes modérés conduit ETA à mettre un terme au cessez-le-feu en novembre 1999, en omettant l’effet des dispositions stratégico-politiques du gouvernement. En octobre 1999, celui-ci nie avoir reçu une lettre d’ETA évoquant les conditions d’un dialogue après la trêve décrétée le 16 septembre 1999. Le 25 octobre 1999, Belén González Peñalva, dite Carmen, interlocutrice pour ETA dans les discussions avec les représentants du gouvernement en mai 1999 à Zurich, est arrêtée à Pau. Dans le même esprit, le gouvernement révèle aux médias, fin octobre 1999, le rôle de médiation joué par l’évêque de Zamora, Juan María Uriarte qui, à la suite de cette annonce, se retire des négociations55. Ces événements conduisent à un blocage du dialogue et pèsent dans la rupture du cessez-le-feu.

19Ayant recours à un comptage des victimes, Sánchez-Cuenca conclut que le cycle de violence commençant au début des années 2000 est de portée et de durée plus limitées que les précédents, l’offensive s’étant principalement concentrée sur le dernier trimestre 2000 et les deux premiers trimestres 2001. Il estime que depuis 2003, l’intensité de la violence meurtrière a fortement diminué, témoignant de ce qu’ETA serait entrée dans une phase terminale. L’auteur attribue la diminution des actions aux opérations des forces de sécurité espagnoles (FSE) (et à l’absence de stratégie susceptible de remplacer la tactique du « front nationaliste », rassemblant indépendantistes modérés et indépendantistes « radicaux »), sans tenir compte du fait que les attentats du 11-Septembre et du 11 mars 2004 à Atocha obligent ETA à reconsidérer l’usage stratégique de la violence et son interprétation par la population. Ces éléments permettent à Sánchez-Cuenca (2009) de conclure que la violence est surtout concentrée dans les phases (ii) (1977-1981) et (iii) (1982-1992), celles qui correspondent à la guerre d’usure, ce qui revient à penser l’activité d’ETA à partir d’une courbe de Gauss et à amalgamer les périodes sans instituer de nuance entre elles.

  • 56 Évoquons les documents publiés par l’organisation après chacune des six assemblées ; ceux conservés (...)

20D’un point de vue analytique, d’autres éléments semblent discutables. Les aléas qu’impliquent l’activité clandestine sont soit surévalués (cas d’Hipercor) soit sous-évalués s’agissant en particulier de la disponibilité logistique du matériel, de la faisabilité des opérations envisagées, de la maîtrise relative des conséquences des actions menées. Ensuite, Sánchez-Cuenca, comme nombre d’auteurs adoptant une perspective exogène, part du postulat que la dimension opérationnelle/militaire – plutôt que politique – prévaut dans la ligne stratégique de l’organisation. Cette approche analytique fait sienne le postulat interprétatif réducteur selon lequel pour ETA-m l’action militaire prévaut sur l’action politique à rebours de la posture politico-stratégique adoptée par ETA-pm, ce que la littérature produite par ETA tend à récuser56. Enfin, les critères à partir desquels la périodisation proposée est construite sont hétérogènes : les périodes 1959-1975 et 1977-1981 sont définies à partir d’un critère macrosocial et historique (le franquisme, la période du gouvernement de transition), là où Sánchez-Cuenca s’appuie sur les interrelations entre ETA et le gouvernement espagnol et les effets de l’antiterrorisme pour définir les phases de l’évolution d’ETA.

  • 57 Barros Carlos, « An Intervention Analysis of Terrorism », art. cit ; Barros Carlos, Passos José et (...)

21Parallèlement à cette contribution centrale à la littérature académique, d’autres travaux également anciens, réalisés par des auteurs espagnols dans un contexte où ETA n’avait pas déposé les armes, s’intéressent de façon récurrente à l’effet des politiques répressives sur les activités du collectif57. Si Martínez Herrera parvient à des conclusions plus nuancées sur l’effet des politiques répressives et principalement des politiques de résolution de conflit sur les actions du groupe, il semble que tel soit moins le cas s’agissant des conséquences de l’arrestation d’« Artapalo » en 1992, induits par De la Calle et Sanchez-Cuenca (2004). Dès lors, on peut s’interroger sur l’importance pour une perspective hispano-centrée, de la chute de Bidart dans la lecture de l’évolution du groupe et du fait qu’elle puisse marquer une rupture, alors même que l’organisation armée a encore connu 20 ans d’existence.

Constitution de notre base de données

Description des sources utilisées

22La base de données que nous avons réalisée, recensant l’ensemble des actions menées par ETA, s’appuie sur plusieurs types de sources :

  • 58 Nous avons procédé à un travail à la fois de nettoyage et de complément de la base GTD dans la mesu (...)

1. elle s’est en premier lieu nourrie de bases de données existantes, telles celle du Global Terrorism Database (GTD)58.

2. Nous avons également retenu les bases de données répertoriant les victimes du terrorisme basque en reprend soin de ne retenir que les victimes réalisées par ETA (ETA-m et ETA-pm) à l’exclusion de tout autre groupe ;

3. les informations tirées des quotidiens nationaux et régionaux, en castillan, français, anglais et en langue basque (euskara) ;

4. de la presse (en réalisant des extractions à partir de la mention « ETA » et en excluant tous les items non pertinents) ;

5. des sources gouvernementales du ministère de l’Intérieur espagnol ;

  • 59 Les références des sources ayant été utilisées dans la constitution de notre base de données sont d (...)

6. des documents produits par la gauche abertzale et par l’organisation clandestine elle-même59.

  • 60 Elles sont systématiquement répertoriées en Annexe 1 de Guibet Lafaye Caroline et Pierre Brochard, (...)
  • 61 Madariaga Julen, « Así nació ETA », Punto y Hora, 25 Aniversario, 13 juillet 1984, p. 7-9 ; Zunbelt (...)
  • 62 Jon Nicolás, Documentos Y, 1979 cité in Nuñez Astrain Luis C., Euskadi Eta Askatasuna – Euskal Herr (...)
  • 63 Citons pour seul exemple l’adoption du décret 1794/1960 sur la « Rébellion militaire, le banditisme (...)

23Les sources ont été systématiquement croisées pour pallier à l’absence de revendications et à l’attribution fautive au groupe clandestin d’actions non revendiquées60. Nous avons retenu à la fois les actions militaires mais également, en particulier pour les premières décennies d’existence d’ETA, toutes les actions illégales susceptibles d’attirer la répression. Les premières opérations illicites n’ont pas fait de victime et peuvent sembler insignifiantes qu’il soit question de graffiti, d’accrochage du drapeau basque (ikurriña) alors interdit, de distribution de tracts. Pourtant les fondateurs du groupe61 ainsi que les documents officiels rappellent les risques qu’encourraient leurs auteurs62. Ces actions ont été fondatrices du groupe clandestin. Elles ont éveillé la conscience de la population sur la possibilité d’une réponse/résistance à la répression. Du fait de leur illégalité, elles ont déchaîné des vagues de répression63 qui justifient qu’elles figurent dans notre base de données.

Apports méthodologiques et statistiques de cette nouvelle base de données

  • 64 Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit.
  • 65 L’action la plus spectaculaire de cette période réside dans la tentative de faire dérailler un trai (...)
  • 66 Ibid., p. 173.

24Bien que nous ayons visé l’exhaustivité, la constitution d’une base de données à partir de sources secondaires n’est pas sans poser de difficultés méthodologiques. La première concerne la reconstitution des actions menées au cours d’une période difficile à documenter, en l’occurrence les années 1960. Les historiens établissent que le groupe récemment formé réalise, avant 1964, plusieurs actions par semaine64. Quoique peu spectaculaires aux yeux de nos contemporains, le fait de dresser l’ikurriña alors interdite, de faire des graffiti rappelant l’identité basque, de distribuer des tracts sont des actions susceptibles d’être très durement réprimées à l’époque franquiste et dont l’importance, dans ce contexte, ne doit pas être sous-estimée65. Évanescentes, elles sont difficiles à documenter avec précision. Une large part d’entre elles nous a échappé. De même, les opérations menées en soutien ou par des militants exilés d’ETA en Argentine, au Venezuela, au Mexique dans la seconde moitié des années 1960 ne sont pas toujours identifiables avec exactitude quoique bien réelles. Songeons par exemple au lâcher d’ikurriñas par hélicoptère sur l’ambassade espagnole au Mexique. Ce type de difficulté se retrouve y compris dans les années 1970. La littérature secondaire souligne qu’en 1979 ETA-pm est à l’origine d’« actions punitives contre les employeurs et [de] certaines actions contre les FSE. Certaines initiatives ont également été entreprises pour soutenir les luttes sociales et contre les équipements officiels »66 sans plus de détail. Il est non seulement difficile de les identifier dans leur singularité mais plus encore de croiser ces informations avec une autre source afin de les valider définitivement. Une partie d’entre elles a donc été omise.

25L’identification d’actions plutôt que de victimes, dans une visée d’exhaustivité est délicate, dans la mesure où celles-ci sont quasiment toutes répertoriées, alors que tel n’est pas le cas des premières. Les actions spectaculaires laissent des traces dans les quotidiens ce qui n’est pas toujours le cas d’actes de moindre envergure. De même, l’accès aux journaux locaux – plutôt que nationaux – où des opérations de sabotage peuvent être répertoriées est plus difficile.

  • 67 Hipercor n’a pas été évacué. ETA diffuse ses excuses pour les conséquences de l’explosion (voir Com (...)

26Une deuxième difficulté concerne a contrario certaines actions ayant eu un retentissement spectaculaire, alors qu’elles n’avaient pas pour objectif principal de réaliser de victime. L’attentat d’Hipercor en est emblématique. L’explosion d’une voiture piégée dans le parking du centre commercial Hipercor à Barcelone le 19 juin 1987 a fait 21 morts et 45 blessés, alors que la police et l’entreprise avaient été prévenues de l’existence de la bombe67. Au-delà des dommages humains engendrés, l’événement prend un poids politique considérable. Pourtant ces victimes ne sont pas volontaires. Le codage consistant à accorder le même poids à chaque événement permet de limiter cet effet.

  • 68 Ibid., p. 199.
  • 69 Ibid., p. 296.

27Une troisième difficulté est inhérente aux sources, poreuses aux effets de propagande gouvernementale ou anti-gouvernementale. Le cas de la lutte contre la construction de la centrale nucléaire de Lemoiz en est emblématique. En août 1981, l’entreprise Iberduero, impliquée au premier chef dans ce projet, affirme avoir subi 250 attentats depuis le début de l’année (El País, 15/07/1981), auxquels il faudrait en ajouter près d’une centaine d’autres dans les mois suivants68. Pourtant il n’a été possible de documenter que 82 actions contre l’entreprise entre janvier et août 1981. De même, d’autres sources font mention de 1 000 actions de sabotage69 dont le rythme s’accélère en 1997. Nous en avons validé moins d’une vingtaine pour l’année 1997.

  • 70 Ce qui signifie que nous avons épuré les listes proposées par des sites comme Mapa del terror, Mapa (...)
  • 71 Luis De La Calle et Ignacio Sánchez-Cuenca (De La Calle Luis et Sánchez-Cuenca Ignacio, « La selecc (...)

28Face à ces difficultés, nous avons privilégié plusieurs options méthodologiques. En premier lieu, nous avons retenu toutes les actions d’ETA confirmées par deux sources indépendantes, ce qui permet de pondérer l’effet « victimes » et de tenir compte de façon plus homogène de l’ensemble de la période d’activité du groupe. En second lieu, s’il existe un risque de sous-évaluer le nombre d’actions de l’organisation durant ses vingt premières années d’existence, en revanche les victimes non volontaires tendent à accroître le nombre d’item indépendamment des objectifs stratégiques revendiqués. Pour cette raison, la base de données ne retient que des actions à proprement parler et non les situations où un policier ou un garde civil est tué, dans un échange de tirs, ni celles où un artificier qui tente de désamorcer une bombe, dont l’emplacement a été indiqué par l’organisation, est tué70. Dans la mesure où nous tentons de saisir la stratégie de l’organisation, la référence à l’intentionnalité des actions intervient comme un critère discriminant pour les retenir ou les exclure de la base de données. Ces choix méthodologiques permettent d’éviter de distinguer entre victimes intentionnelles et victimes accidentelles ou collatérales71, actions intentionnelles et « erreurs » de l’organisation ayant conduit à la mort, actions ciblées et opérations aveugles.

  • 72 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », art. cit..
  • 73 Barros Carlos, « An Intervention Analysis of Terrorism », art. cit. ; Barros Carlos, Passos José et (...)

29L’originalité de l’analyse que nous proposons repose donc sur plusieurs axes. D’une part, elle s’appuie sur des données qui tiennent compte de l’ensemble de la période où ETA a été active, de sa création à son autodissolution alors que la base de données la plus complète des victimes s’étend de 1973 à 200372. D’autre part, notre ambition est de ne pas seulement prendre en considération les meurtres mais bien toutes les actions du groupe ce qui permet de saisir de façon plus fine les options stratégiques d’ETA et de ne pas survaloriser des actions meurtrières, surtout lorsqu’elles consistent en erreur. La stratégie de l’organisation est reflétée par l’ensemble des opérations réalisées plutôt qu’uniquement par les exécutions ou les meurtres, chacune ayant vocation à avoir une incidence sur les parties prenantes du conflit et la position prise au sein du jeu politique. Enfin, l’une des originalités de ce travail est d’associer la lecture des sciences sociales et l’analyse statistique ce qui n’a pas toujours été le cas dans la littérature existante73.

Résultats empiriques : les phases d’offensive politico-militaire

  • 74 Comme nous l’avons souligné, une continuité pourrait fort bien exister entre 1977 et 1985 car l’ann (...)

30Les données collectées mettent en évidence deux séries caractérisant les actions militaires d’ETA comme le montrent la Figure 1(Annexe 1) et le Tableau 2. La première distingue les années 1977-1986 et 1988-1991 où l’activité militaire est inégalée dans l’histoire du groupe avec un nombre d’actions annuelles supérieur à 10074.

Années

Nombre d’actions

Périodes

Nombre d’actions

1977

104

1er semestre

77

2nd semestre

27

1978

152

1er semestre

71

2nd semestre

81

1979

174

1er semestre

108

2nd semestre

66

1980

153

1er semestre

70

2nd semestre

83

1981

144

1er semestre

94

2nd semestre

50

1982

229

1er semestre

91

2nd semestre

138

1983

142

1er semestre

44

2nd semestre

98

1984

176

1er semestre

89

2nd semestre

87

1985

146

1er semestre

104

2nd semestre

42

1986

139

1er semestre

63

2nd semestre

76

1988

103

1er semestre

42

2nd semestre

61

1989

133

1er semestre

63

2nd semestre

70

1990

143

1er semestre

64

2nd semestre

79

1991

166

1er semestre

86

2nd semestre

80

Tableau 2 : Pics de l’offensive armée d’ETA

31Ces moments forts de l’activité armée permettent de saisir la stratégie militaire d’ETA, de comprendre comment le groupe intervient dans la vie politique du Pays basque et espagnole. Ils témoignent également de ce que l’action militaire est absolument subordonnée à la stratégie du groupe, y compris après la dissolution d’ETA-pm en 1982 et à l’encontre des interprétations réductrices à la fois des actions de l’organisation et plus généralement du terrorisme.

1977-1981 : la lutte pour le Statut d’Autonomie

  • 75 Il s’agit de l’amnistie de tous les prisonniers politiques basques en Espagne ; de la légalisation (...)
  • 76 L’article 2 de la Constitution stipule : « La Constitución se fundamenta en la indisoluble unidad d (...)

32L’intensité des opérations menées en 1977-1979 s’explique par plusieurs facteurs le principal étant la campagne pour le referendum sur la Constitution et celle pour le Statut d’Autonomie. La gauche abertzale récuse les termes dans lesquels est rédigée la Constitution et redéfinit dès janvier 1978 une nouvelle version de l’alternative KAS (Coordination abertzale socialiste) autour de cinq points75. Appuyée par ETA, KAS s’oppose à plusieurs propositions constitutionnelles comme la réforme de la monarchie, l’adoption du système capitaliste, l’absence de liberté d’expression et d’opinion, la persistance des structures du franquisme après la mort de Franco, le refus de connaître et d’accorder le droit à l’auto-détermination des nations, la loi antiterroriste, la division du Pays basque, le caractère obligatoire de l’apprentissage du castillan, le processus de disparition de la langue basque, l’absence de liberté. Non seulement la nouvelle Constitution dénie les droits des minorités et confère à l’armée une fonction de défense de l’unité nationale (article 8)76 mais elle est en outre fondée sur « l’unité indissoluble de la nation espagnole (article 2) ce qui la rend inacceptable aux yeux de bien des Basques.

33La Constitution est pourtant approuvée par referendum le 6 décembre 1978 quoiqu’avec un taux de participation de 38,74 % au Pays basque et un record de « non » dans cette région de 33,66 % (l’abstention est de 29,22 % en Navarre)77. Ces résultats traduisent la position d’une large part des habitants du Pays basque à l’égard des évolutions constitutionnelles espagnoles. Pour ces raisons, la lutte y persiste avec pour horizon le Statut d’Autonomie du Pays basque. Un avant-projet de ce Statut – dont sont écartées les revendications relatives à la langue, à la territorialité et aux forces de l’ordre formulées par KAS et HB78 – est présenté au gouvernement de Madrid le 29 décembre 1978. Durant cette période, l’action militaire d’ETA (conjointement ETA-m et ETA-pm) ne fléchit pas. ETA-m explicite sa position dans un Communiqué d’ETA au Peuple Basque du 30 juillet 1979 dans lequel le groupe dénonce l’accord passé entre le PNV et le gouvernement central sous la formule d’« El abrazo de la Moncloa ». Dans un entretien ultérieur, ETA explicite sa position contre le Statut d’autonomie en soulignant le refus du droit à l’autodétermination, l’exclusion de la Navarre, l’absence de parité entre les langues basque et castillane, la permanence au Pays basque des FSE et des structures de domination économique, dont la nature est contraire aux intérêts de la classe ouvrière. La stratégie militaire adoptée par le groupe consiste en une forme de harcèlement systématique des FSE et une multiplication d’actions symboliques contre des cibles matérielles incarnant ce dernier (voir Tableau 3).

  • 79 Guibet Lafaye Caroline, « Victimes ou actions : itinéraires occultés d’ETA », Papeles del CEIC. Int (...)
  • 80 Les actions s’inscrivant dans cette dynamique n’ont pas un poids numérique décisif dans la mesure o (...)
  • 81 Guibet Lafaye Caroline, « Succès et limites de l’antiterrorisme espagnol », art. cit.
  • 82 Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit., p. 188.

34Le Statut d’Autonomie du Pays basque (dit statut de Guernica) est néanmoins adopté par referendum le 25 octobre 1979 et approuvé avec 53,1 % des voix. Le front politique n’est pas le seul sur lequel se porte ETA puisque ces années sont également celles durant lesquelles le groupe décide de venir en soutien à la mobilisation contre la centrale nucléaire de Lemoiz79. L’entreprise Iberduero est particulièrement visée puisqu’entre 1980 et 1981 celle-ci essuie au moins une centaine d’actions de sabotage. L’année 1980 est en outre marquée par une évolution stratégique du groupe qui mène sa première action contre le trafic de drogue80. Celui-là ouvre ainsi le « front de la drogue », les stupéfiants étant considérés par ETA comme utilisés pour fragiliser la jeunesse et la détourner des luttes socio-politiques : ETA estime que la drogue sert « darme complémentaire aux différents appareils de répression ». Par ces deux volets, l’action du collectif prétend se placer, non seulement dans le champ politique, mais également dans l’espace social. Cette évolution stratégique s’illustre également, sur le plan politico-économique, dans les « campagnes d’été » visant à déstabiliser le tourisme en Espagne et donc l’économie espagnole. Toutefois ETA doit surtout faire face à la politique antiterroriste et aux actions répétées des groupes paramilitaires soutenus par l’État espagnol contre la population basque et la gauche abertzale81. Parallèlement s’amorcent à partir d’octobre 1980 des discussions sur le désarmement d’ETA-pm82.

1982-1986 : répondre à la « guerre sale »

  • 83 À partir de janvier 1980, des groupes paramilitaires tels les Groupes Anti-Terroristes Espagnols (G (...)
  • 84 Une partie des militants d’ETA-pm a rejoint ETA-m après la scission, en l’occurrence « ETA-pm VIIIe (...)
  • 85 Le 23 février 1981, le lieutenant-colonel Antonio Tejero, appuyé par une troupe de gardes civils, p (...)
  • 86 Il s’agit par exemple de la création des deux commandements : MULA (Mando Unificado de la Lucha Ant (...)

35Une intensification de l’activité militaire du groupe s’opère, dans la continuité de la période précédente, entre 1982-1986. Ces années témoignent de l’une de ses phases d’offensive la plus remarquable de l’histoire d’ETA. Elles coïncident avec des moments politiques forts de l’histoire espagnole. La période se caractérise par une moyenne de 166,4 actions annuelles. La multiplication des opérations du début des années 1980 s’inscrit dans le contexte des élections générales à venir et vise, une nouvelle fois, à peser sur leur cours en attaquant, de façon privilégiée, des cibles militaires. Les élections ont lieu en octobre 1982. Elles voient l’avènement d’un gouvernement socialiste. Les actions menées par ETA n’ont pas seulement une visée politique mais également militaire, dans la mesure où s’intensifie parallèlement la lutte antiterroriste qui prend, dans certains cas, l’aspect d’une guerre civile tant la répression étatique se déploie sous des formes illégales83. Alors qu’en 1978-1979, ETA-m et ETA-pm agissent de concert, à partir de 1982, ETA-m est seule à opérer (voir supra note 21) mais maintient un niveau élevé d’opérations militaires dans une logique de rapport de force avec l’État espagnol84. Après le coup d’État du 23-F85, les Poli-milis d’ETA font le choix de la stabilité politique et de la démocratie constitutionnelle, alors que les Milis privilégient l’option de la confrontation avec l’État espagnol qui, pour sa part, multiplie les plans et stratégies d’actions antiterroristes86.

  • 87 Guittet Emmanuel-Pierre, Raison et déraison d’État : les GAL (Grupos Antiterroristas de Liberacion) (...)
  • 88 Nuñez Astrain Luis C. (dir.), Euskadi eta Askatasuna, tome VII, La ofensiva institucional. 1984-198 (...)
  • 89 S’y affirme la volonté de « trabajar coordinadamente, desde las exigencias de un Estado de derecho, (...)
  • 90 Le Monde, 11 juillet 1985.

36La virulence de l’action d’ETA en 1983-1986 coïncide avec une intensification de la lutte antiterroriste, en l’occurrence avec la « guerre sale »87 menée des deux côtés de la frontière. Au cours de l’année 1985, le PNV s’associe aux politiques antiterroristes proposées par le gouvernement socialiste et le PSOE. Le 30 janvier 1985, un accord de coopération anti-terroriste est signé entre José María Txiki Benegas et le lehendakari (président du gouvernement basque) José Antonio Ardanza, à la suite des élections dans la région autonome. L’accord s’inspire des termes employés par le PSOE durant sa campagne électorale88. Le PSOE et le PNV demandent le respect de la loi et s’accordent dans une lutte contre le terrorisme et la violence89. L’accord en sept points propose un article 2 sur la violence, le terrorisme et le vivre ensemble (convivencia) démocratique qui suppose un changement dans la politique suivie jusqu’alors par le PNV. Celui-ci reconnaît qu’aucun type de violence n’est justifiable, que – contrairement à ses options antérieures – les mesures de réinsertion sociale demandent à être développées, que le conflit basque ne peut être résolu que par des forces politiques ayant une représentation parlementaire. Cette coopération antiterroriste s’approfondit à la fois au Pays basque, puisque le PSOE remet au PNV, le 30 mai 1985, un plan en huit points relatifs à la lutte antiterrorisme, mais aussi entre l’Espagne et la France ainsi qu’avec l’Europe. En juin 1985, l’Espagne participe pour la première fois à la réunion sur la « Sécurité Européenne » du groupe de TREVI et en juillet 1985, la coopération anti-terroriste avec la France est confirmée lors d’une visite à Paris du roi Juan Carlos I et du ministre des Affaires étrangères Francisco Fernández Ordóñez, ancien haut fonctionnaire du ministère de l’économie à l’époque de Franco90. Dans ce contexte, les Groupes Antiterroristes de Libération (GAL) multiplient leurs actions.

  • 91 Zuzen, nº 41, janvier 1985. Voir aussi la déclaration d’ETA dans le Zutabe, n° 41, mai 1985. Elle y (...)
  • 92 Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit., p. 223.

37Face à cette prise de position du PNV, ETA déclare explicitement maintenir ses objectifs et sa stratégie d’attaque contre les FSE et leurs collaborateurs, les trafiquants de drogue, les intérêts économiques français et espagnols, le prélèvement de l’impôt révolutionnaire auprès de ce qu’elle désigne comme l’oligarchie espagnole ou basque (Tableau 3)91. Au cours de l’année 1985, la stratégie d’ETA évolue. Elle réalise sa première explosion d’une voiture piégée à Madrid le 25 avril 1985, amorce fin avril les campagnes contre le tourisme dans la région méditerranéenne de l’Espagne92 et privilégie les dispositifs de voitures piégées dans ses attaques contre les forces de sécurité. Les actions menées n’ont pas seulement une vertu réactive mais participent de l’affirmation de la force de l’organisation, dans un contexte où celle-ci continue de formuler des appels à la négociation. En octobre 1985, ETA envisage néanmoins, dans un message à ses militants, la possibilité de la paix fondée sur l’alternative KAS (Zutabe, nº 42, octobre 1985).

1988-1991 : les « discussions d’Alger »

  • 93 Ibid., p. 246. Voir aussi la marche dite Bidez Bide, pour la revendication du droit à l’autodétermi (...)
  • 94 Angel Alcalde, député HB au Congrès, annonce lors d’une conférence de presse à Bruxelles, le 13 déc (...)
  • 95 Zuzen, n° 49, juillet 1990.
  • 96 En 1992, l’Espagne s’apprête à accueillir l’Exposition universelle de Séville, le cinquième centena (...)
  • 97 Elorza Antonio (dir.), ETA, une histoire, Paris, Denoël, 2002 [2000], p. 365.

38La volonté de se positionner comme un acteur politique dans le rapport de force avec l’État espagnol, qui s’est affirmée à la fin des années 1970, se retrouve dans la période 1988-1991 où ETA reproduit une moyenne de 136 actions annuelles. L’année 1989 témoigne d’une effervescence politique importante, qu’il s’agisse de la déclaration de cessez-le-feu bilatéral en début d’année puis des « discussions d’Alger » ou de la campagne de revendication du droit à l’autodétermination menée par la gauche abertzale à partir de février 198993. Dès la rupture de la trêve, ETA s’engage dans une offensive au cours du second trimestre 1989, en l’occurrence à partir du 7 avril 1989. Il s’agit d’affirmer une position de force parallèlement aux gestes d’ouverture en faveur d’une négociation qui se sont exprimés aussi bien en avril (Egin, 13 avril 1989) qu’en décembre 198994. La reprise de l’offensive fait l’objet d’une explicitation tout comme l’élargissement des cibles aux fonctionnaires de prison, instrument de la répression aux yeux d’ETA95. À la suite de l’échec des négociations d’Alger et de la rupture du cessez-le-feu, ETA réaffirme sa place et sa présence sur la scène politique dans une confrontation assumée avec l’État espagnol et se saisit, en 1991, de la perspective de l’année 1992, exceptionnelle pour l’Espagne96, afin d’agir et de se donner une assise dans d’éventuelles négociations avec le gouvernement. On dénombre, en 1991, 166 actions menées par le groupe. L’Espagne étant promise, à travers ces événements, à un rayonnement international, ETA dirige une partie de ses actions sur des cibles étrangères afin de faire également figure d’acteur sur la scène internationale. C’est au cours de cette période que l’on recense le plus grand nombre d’opérations réalisées hors du Pays basque et de l’Espagne. Sont visés des sièges de banques, des centres culturels, des représentations diplomatiques, en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Turquie97.

2000-2001, 2005 : réaffirmer son existence

39Une illustration de ce type de stratégie se retrouve dans l’ultime période de forte intensité opérationnelle du groupe. Après les années 1990, la principale offensive d’ETA, dans une logique où le groupe évite de faire des victimes (Annexe 2), intervient en 2000-2001 puis en 2005. À cette période, la stratégie visant à peser dans des négociations avec l’État espagnol se voit à nouveau mobilisée. Le contexte national est alors comparable puisque s’y annoncent également des élections générales en mars. La trêve commencée le 18 septembre 1998 est rompue le 3 décembre 1999, ce qui a pour effet de pousser ETA vers une reprise militaire dans une logique d’affirmation de soi face à son interlocuteur politique. Comme en 1989, l’année 1999 se caractérise par une intense activité politique entre ETA et le gouvernement (avec des tentatives de négociations dans le cadre de la trêve), entre ETA et les institutions de la société civile ainsi qu’au sein de cette dernière. Au début des années 2000, l’attaque contre la gauche abertzale prend la forme d’interdictions légales de partis (Herri Batasuna), d’associations (Jarrai/Haika, Segi, Xaki, Gestoras Pro Amnistía), de l’assemblée des maires et des conseilleurs municipaux (Udalbiltza), de syndicats (Langile Abertzaleen Batzordeak - LAB), de journaux (Egin, Gara, Ardi beltza, Euskaldunon Egunkaria) plutôt qu’elle ne s’appuie sur des moyens paramilitaires. Elle s’incarne également dans l’« Accord pour les libertés et contre le terrorisme » signé entre le Parti populaire et le Parti socialiste le 12 décembre 2000 à Madrid. Enfin l’offensive antiterroriste du gouvernement espagnol met à profit les attentats du 11-Septembre pour mobiliser en sa faveur l’Union européenne. La presse participe de cette offensive ce qui a pour effet d’accroître le nombre de journalistes mais aussi d’hommes et de femmes politiques visés par ETA (Tableau 3).

  • 98 Guibet Lafaye Caroline, Conflit au pays basque, op. cit.
  • 99 Comme le résume synthétiquement Etan, « ça a été de plus en plus difficile à partir de 2001 d’établ (...)
  • 100 Le 11 mars 2004, plusieurs bombes explosent en gare d’Atocha tuant 191 personnes. Bien que le gouve (...)
  • 101 Ultérieurement, en particulier au cours des années 2005-2006, des divergences au sein de l’organisa (...)

40Néanmoins, au cours de l’enquête que nous avons menée au Pays basque entre 2017 et 2020, et qui nous a permis de rencontrer 70 ex-militant.e.s clandestin.e.s98, il a plusieurs fois été souligné qu’après les attaques indiscriminées du 11-Septembre 2001, il n’était plus possible de conduire ce combat illégal de la même façon99. Si ETA continue de maintenir une activité armée non négligeable dans l’après 11-Septembre puis après le 11-M100, le mode opératoire en revanche s’est substantiellement modifié : les explosifs sont d’une intensité bien plus faible, des appels sont systématiquement passés à la DYA locale (centre de secours) et à la presse pour avertir de leur existence ainsi que de leur localisation ; ils sont fréquemment signalés par des pancartes. Très peu de victimes sont à déplorer lors de chaque opération. Si l’intensité numérique des actions a diminué pour des raisons qui peuvent être internes à l’organisation mais également après 2001 et 2004, du fait de facteurs macrosociaux, la logique de leur émergence demeure comparable à celle qui motivait l’action armée des précédentes périodes101.

Périodes

Moyenne annuelle des actions

Contextes

Modus operandi dominant

Cibles privilégiées

1959-1976

12

Franquisme

Incendies, explosifs de faible intensité, armes de poing

Bâtiments publics, actions symboliques, vols

1977-1981

146

Transition démocratique

Armes de poing, armes automatiques, explosifs

FSE (gardes civils), bâtiments publics, lutte anti-nucléaire

2nd semestre 1982-1986

165

Monarchie constitutionnelle, gouvernement socialiste, guerre sale

Armes de poing, voitures piégées

Banques, intérêts français, FSE et paramilitaires, cibles touristiques (« campagne d’été »)

1987-1988

98

Trêve, recherche d’un dialogue avec le gouvernement socialiste

Explosifs, voitures piégées

Intérêts français, FSE

2nd semestre 1988 - 1er semestre 1992

128

Gouvernement socialiste

Lettres piégées, voitures piégées, explosifs

FSE, intérêts français, projet d’autoroute à Leizarán

2nd semestre 1992-1er semestre 2000

35

Gouvernement socialiste puis PP après 1996

Explosifs, voitures piégées

FSE y compris basques et militaires, personnel politique et journalistique, « campagne d’été »

2nd semestre 2000-2001

80

Gouvernement PP

Explosifs, voitures piégées

Cibles gouvernementales (bâtiments publics), FSE, personnel politique

2002-2009

29

Gouvernement PP jusqu’en 2004 puis socialiste

Explosifs de faible intensité

Cibles civiles matérielles (entreprises en lien avec l’« impôt révolutionnaire »), gouvernementales (bâtiments publics), FSE, cibles touristiques, actions symboliques

2010-2018

moins d’1

Gouvernement socialiste jusqu’en 2011 puis PP jusqu’en 2018

Explosifs de faible intensité

  • 102 Le Tableau 3met en évidence les différences émanant d’une périodisation fondée sur la chronologie e (...)

Tableau 3 : Périodisation des opérations d’ETA102

Conclusion

41La constitution d’une base de données originale concernant l’organisation clandestine ETA a permis d’établir des résultats, s’agissant des phases de son histoire et de ses options stratégiques, qui n’avaient pu jusqu’à présent être mis en évidence du fait d’orientations méthodologiques divergentes. Sur le plan méthodologique et s’agissant d’une organisation clandestine pour laquelle l’accès aux sources est complexe, le présent article souligne les écarts interprétatifs que peuvent susciter certains choix épistémologiques. Comme nous l’avons rappelé, analyser l’évolution stratégique d’un groupe comme ETA, en s’appuyant sur le recensement des victimes mortelles plutôt qu’en exploitant la série statistique de ses actions, induit des divergences de lecture remarquables. Dès lors qu’une organisation clandestine recourt à l’explosif – plutôt qu’à des exécutions à l’arme de poing – le résultat de ses actions présente une dimension aléatoire, en dépit des précautions prises par les auteurs, lorsque ceux-ci n’ont pas pour intention de produire le plus grand nombre de victimes possibles. L’intention de tuer ou d’épargner des cibles fait partie de la stratégie d’un groupe politique illégal mais le nombre de ceux qui sont touchés ne peut être planifié.

  • 103 Indépendamment des contraintes logistiques qu’affronte l’organisation mais qu’il est difficile de p (...)
  • 104 Indépendamment, encore une fois, de sa capacité à renouveler ses membres. L’autodissolution est le (...)

42L’intensité des phases d’activité du groupe échappe en revanche à l’aléatoire pour se comprendre à partir de ses évolutions stratégiques103. Les périodes de mobilisation armée soutenue sont associées à des moments politiques forts pour le Pays basque telle la transition vers la démocratie où se joue le statut politique de la région ou les phases de négociation avec le gouvernement du début des années 1990. Elles sont également liées à une dynamique de réaffirmation d’une présence sur la scène politique (cas des années 2000) après l’échec d’une résolution du conflit, passant par un moindre usage des armes et par la mobilisation de la société civile durant une large part des années 1990. Du début à la fin de son histoire, ETA s’est efforcée, par ses actions militaires et ses propositions politiques, de se placer sur la scène publique comme un acteur politique, soit en accroissant l’intensité des actions après les ruptures de trêve ou avant des négociations, pour s’affirmer dans le dialogue avec le gouvernement, soit lors d’élections aussi bien à l’initiale de la mise en place des structures démocratiques en Espagne, c’est-à-dire dans les années 1970, que jusqu’au début des années 2000, soit au moment de négociations politiques, menées par la société civile, en vue de peser dans la recherche d’une issue au conflit. Il s’est agi, pour l’organisation armée, d’instituer un rapport de force avec le gouvernement, dans une logique politique, afin de parvenir à une négociation, dont l’objet a évolué avec le temps qu’il ait été question d’un statut politique pour le Pays basque, de l’amnistie des prisonniers, de leur rapprochement du Pays basque voire de leur libération. Lorsqu’ETA se place dans un contexte de négociation avec l’État espagnol, elle multiplie les actions à l’étranger afin d’attirer le regard d’autres pays sur le processus en cours. L’ensemble des possibilités de négociations – que ce soit avec l’État, par une implication forte de la société civile, par une offensive militaire intense ou via des cessez-le-feu – étant épuisé et le contexte international ayant également évolué du fait de l’émergence de l’islam politique violent, il était inéluctable que l’organisation en vienne à prononcer sa dissolution104.

  • 105 Voir celui de 1993 (Elorza Antonio (dir.), ETA, une histoire, op. cit., p. 392.

43La multiplication des arrestations entre 1992 et 1994, puis en 1996, participe des raisons méso-sociales, susceptibles d’expliquer la réduction des activités de l’organisation. Toutefois les choix politiques opérés autour des années 1994-1996 impliquant un abandon d’une logique exclusive de résistance en faveur d’une dynamique de construction nationale expliquent également la baisse de l’activité militaire. En ce sens, l’arrestation de Bidart est loin de constituer à elle seule l’unique clef explicative de l’évolution opérationnelle d’ETA après 1992. La stratégie politique plutôt que les seules raisons opérationnelles est mieux à même de rendre compte des évolutions de l’action militaire du groupe comme le confirment certains des communiqués publiés par ETA105.

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Annexe

Figure 1 : Illustration des actions menées chaque semestre par ETA à partir de la base réalisée par les auteurs

Évolution du nombre des victimes par Ignacio Sánchez-Cuenca106
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Notes

1 Monzón Telesforo, Lepoan Hartu cité dans le communiqué d’ETA au peuple basque du 7 juillet 2011.

2 Pour une mise en perspective de l’histoire d’ETA et de ses actions, voir Clark Robert P., The Basque Insurgents: ETA, 1952-1980, Madison, University of Wisconsin Press, 1984 ; Sullivan John, ETA and Basque Nationalism: The Fight for Euskadi, 1890-1986, Londres, Routledge, 1988 ; Zulaika Joseba, Basque violence, metaphor and sacrament, Reno, University of Nevada Press, 1988 ; Domínguez Iribarren Florencio, ETA: estrategia organizativa y actuaciones 1978-1992, Bilbao, Universidad del País Vasco, 1998.

3 Zunbeltz K. (de), [José Luis Zabilde], Hacia una estrategia revolucionaria vasca, Hendaye, 1968, p. 105.

4 En 2013 encore, le nombre de victimes attribuées à ETA variait selon les sources (Carmena Manuela, Mirena Landa Jon, Múgica Ramón et Uriarte Juan M ª, « Informe-base de vulneraciones de derechos humanos en el caso vasco (1960-2013) », Secretaría General de Paz y Convivencia, Vitoria-Gasteiz, juin 2013, p. 14). Dans les chiffres du gouvernement basque fournis pour la période 1960-2013, les auteurs d’actions ayant fait treize victimes demeurent non identifiés.

5 Voir http://www.euskadi.eus/gobierno-vasco/estadistica/

6 Clark Robert P., The Basque Insurgents, op. cit.

7 Domínguez Florencio, ETA, op. cit.

8 De La Calle Luis et Sánchez-Cuenca Ignacio, « La selección de víctimas en ETA », Revista Española de Ciencia Política, n° 10, 2004, p. 53-79.

9 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », Revista Internacional de Sociología, vol. 67, n° 3, 2009, p. 609-629.

10 Domínguez Florencio, ETA, op. cit., chap. V.

11 Barros Carlos, « An Intervention Analysis of Terrorism: The Spanish ETA Case », Defence and Peace Economics, vol. 14, n° 6, 2003, p. 401-412 ; Barros Carlos et Gil-Alana Luis, « ETA: A Persistent Phenomenon », Defence and Peace Economics, vol. 17, n° 2, 2006, p. 95-116 ; Barros Carlos, Passos José et Gil-Alana Luis, « The timing of ETA terrorist attacks », Journal of Policy Modeling, vol. 28, 2006, p. 335-346.

12 Jaime Jiménez Óscar, Policía, terrorismo y cambio político en España, 1976-1996, Valence, Tirant lo Blanch, 1998.

13 Funes María José, La salida del silencio. Movilizaciones por la paz, Madrid, Akal/Foca, 1998.

14 Domínguez Florencio, ETA, op. cit. ; Domínguez Iribarren Florencio, ¿El final de ETA? De la negociación a la tregua, Madrid, Taurus, 1998b ; Ibarra Güell Pedro, Evolución estratégica de ETA: de la “Guerra revolucionaria” (1963) a la negociación (1987), San Sébastian, Kriselu, 1987 ; Sánchez-Cuenca Ignacio, ETA contra el Estado: las estrategias del terrorismo, Barcelone, Tusquets, 2001.

15 Mata José Manuel, El nacionalismo vasco radical, Bilbao, Service Éditorial de la UPV, 1993 ; Alonso Martín et Fernando Molina, « Historical narratives, violence and nation. Reconsidering ‘The Basque conflict’ » in Leonisio Rafael, Molina Fernando et Muro Diego (dir.), ETA’s Terrorist Campaign. From Violence to Politics, 1968-2015, Londres, Routledge, 2017, p. 163-183.

16 Reinares Fernando, Patriotas de la Muerte, Quiénes han militado en ETA y por qué, Madrid, Taurus, 2001 ; Guibet Lafaye Caroline, Conflit au pays basque : regards des militants illégaux, Bruxelles, Peter Lang, 2020 ; Guibet Lafaye Caroline, « Militantes clandestines dans le conflit armé basque », Champ pénal/Penal field, vol. 19, 2020, [En ligne].

17 Lacroix Isabelle, « Les femmes dans la lutte armée au Pays basque », Champ pénal/Penal field, vol. VIII, 2011, [En ligne] ; Leonisio Rafael, Fernando Molina et Muro Diego (dir.), ETA’s Terrorist Campaign. From Violence to Politics, 1968-2015, Londres, Routledge, 2017.

18 Bereciartu Jauregui G., Ideología y estrategia política de ETA (1959-1968), Madrid, Siglo veintiuno, 1981 ; Bruni Luigi, ETA. Historia política de una lucha armada, Tafalla, Txalaparta, 2001 ; Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008. Medio siglo de historia, Tafalla, Txalaparta, 2007. Faute de pouvoir entrer ici dans le détail des soixante ans d’histoire du groupe, nous renvoyons également à la littérature francophone (Elorza Antonio (dir.), ETA, une histoire, Paris, Denoël, 2002 [2000] ; Chalvidant Jean, ETA. L’enquête, Le Coudray-Macouard, Éditions Cheminements, 2003 ; Massey Jacques, ETA histoire secrète d’une guerre de cent ans, Paris, Flammarion, 2010) et anglophone (Clark Robert P., The Basque Insurgents, op. cit.; Leonisio Rafael, Fernando Molina et Muro Diego (dir.), ETA’s Terrorist Campaign, op. cit.; Sullivan John, ETA and Basque Nationalism: The Fight for Euskadi, 1890-1986, Londres, Routledge, 1988).

19 Sur la place des victimes du terrorisme dans le débat public et sur l’évolution des politiques pénales en Espagne, voir Truc Gérôme, « Aux victimes du terrorisme, l’Europe reconnaissante ? Portée et limites de la Journée européenne en mémoire des victimes du terrorisme », Politique européenne, vol. 2, n° 37, 2012, p. 132-154.

20 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », Revista Internacional de Sociología, vol. 67, n° 3, 2009, p. 22.

21 Dans le contexte de la transition dite démocratique et dans le sillage de la déstabilisation politique, produite par la tentative de coup d’État du 23 février 1981 (« 23-F »), une partie du groupe des Poli-milis opte pour le désarmement, après des négociations avec le gouvernement. Le 30 septembre 1982, la branche politico-militaire d’ETA annonce sa dissolution lors d’un programme de la télévision nationale espagnole et déclare choisir l’action politique. Dès juillet 1982, une partie d’ETA-pm (les Zazpikis) a commencé à bénéficier du processus de réinsertion négocié avec le gouvernement. Une autre partie d’ETA-pm renforce les rangs d’ETA-m.

22 McCarthy John D. et Zald Mayer N., « Resource Mobilization and Social Movements: a Partial Theory », American Journal of Sociology, vol. 82, n° 7, 1977, p. 1212-1241.

23 Tilly Charles, « Social Movements and National Politics » in Bright Charles et Harding Susan (dir.), Statemaking and Social Movements. Essays in History and Theory, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1984, p. 297-317.

24 Alimi Eitan Y., « Relational Dynamics in Factional Adoption of Terrorist Tactics: A Comparative Perspective », Theory and Society, vol. 40, n° 1, 2011, p. 98-99.

25 Borum Randy, « Radicalization into Violent Extremism I: A Review of Social Science Theories », Journal of Strategic Security, vol. 4, n° 4, 2011, p. 18.

26 Goffman Erving, Frame Analysis: An Essay on the Organization of the Experience, New York, Harper Colophon, 1974 ; Benford Robert D. et Snow David A., « Framing Processes and Social Movements: An Overview and Assessment », Annual Review of Sociology, vol. 26, 2000, p. 611-639 ; Benford Robert D. et Snow David A., « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », Politix, vol. 3, n° 99, 2012, p. 217-255.

27 Turner Ralph H. et Killian Lewis M., Collective Behavior, Englewood Cliffs (N.J.), Prentice-Hall, 1957 [1972].

28 Leites Nathan et Wolf Charles Jr., Rebellion and Authority, Chicago, Markham, 1970.

29 Tilly Charles, Tilly Louise et Tilly Richard, The Rebellious Century: 1830-1930, Harvard, Harvard University Press et De Gruyter, 1975.

30 McCarthy John D. et Zald Mayer N., The Trend of Social Movements in America: Professionalization and Resource Mobilization, Morristown, General Learning Press, 1973 ; McCarthy John D. et Zald Mayer N., « Resource Mobilization and Social Movements: a Partial Theory », American Journal of Sociology, vol. 82, n° 7, 1977, p. 1212-1241 ; Oberschall Anthony, Social Conflict and Social movements, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1973 ; Tilly Charles, From Mobilization to Revolution, Londres, Addison-Wesley Publishing Company, 1978.

31 Tarrow Sydney, Power in Movement. Social Movements, Collective Action and Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 ; Gamson W. et Meyer D., « Framing Political Opportunity » in McAdam David, McCarthy John et Zald Mayer (dir.), Comparative Perspectives on Social Movements: Political Opportunities, Mobilizing Structures, and Cultural Framings, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 275-290 ; McAdam D., McCarthy John D. et Zald Mayer N. (dir.), Comparative Perspectives on Social Movements Opportunities, Mobilizing Structures, and Framing, Cambridge, Cambridge University Press, 1996. La notion de SOP a d’abord été caractérisée à partir de quatre éléments : le degré d’ouverture ou de fermeture des institutions politiques, la stabilité ou l’instabilité des alignements politiques, la présence ou l’absence d’alliés influents apportant leur soutien au mouvement considéré, l’existence de conflits et de divisions entre les élites (Tarrow Sydney, Power in Movement, op. cit., p. 85-89) et plus récemment à partir de six facteurs : la multiplicité des centres de pouvoir indépendants au sein du régime considéré, son ouverture à de nouveaux acteurs, l’instabilité des alignements politiques, la disponibilité d’alliés influents pour les contestataires, la propension du régime à faciliter ou à réprimer l’expression collective de revendications, et des changements décisifs à l’intérieur des cinq éléments précédents (Tilly Charles et Tarrow Sidney, Politiques du conflit. De la grève à la révolution, Paris, Presses de Sciences Po, 2008).

32 Goffman Erving, Frame Analysis, op. cit.; Goffman Erving, Les cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991.

33 Corcuff Philippe, Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan, 1995, p. 12.

34 Klandermans Bert et Oegema Dirk, « Potentials, Networks, Motivations and Barriers: Steps Towards Participation in Social Movements », American Sociological Review, vol. 52, 1987, p. 519-531.

35 Della Porta Donatella, « Mouvements sociaux et violence politique » in Crettiez Xavier et Mucchielli Laurent (dir.), Les violences politiques en Europe. Un état des lieux, Paris, La Découverte, 2010, p. 273.

36 Alimi Eitan Y., « Relational Dynamics in Factional Adoption of Terrorist Tactics », art. cit., p. 115.

37 Della Porta Donatella, Social Movements, Political Violence and the State, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Fillieule Olivier, Stratégies de la rue. Les manifestations en France, Paris, Presses de Sciences Po, 1997 ; Goodwin Jeff, « A Theory of Categorical Terrorism », Social Forces, vol. 84, n° 4, 2006, p. 2027-2046 ; Becker Howard, « Notes sur le concept d’engagement », Tracés, vol. 11, 2006, [En ligne].

38 Gunning Jeroen, « Social movement theory and the study of terrorism » in Jackson Richard, Breen Smyth Marie et Gunning Jeroen (dir.), Critical Terrorism Studies. A new research agenda, Londres et New York, Routledge, 2009, p. 156-177.

39 Abadie Alberto et Gardeazabal Javier, « The Economic Costs of Conflict: A Case Study of the Basque Country », American Economic Review, vol. 93, n° 1, 2003, p. 113-132.

40 https://www.sipri.org/yearbook. Le SIPRI-Yearbook est consacré à l’armement, au désarmement et à la sécurité internationale.

41 Calleja José María, Contra la barbarie. Un alegato en favor de las víctimas de ETA, Madrid, Temas de Hoy, 1997.

42 Landa Josu (dir.), Euskal Herria y la libertad. Historia de ETA, CD-ROM, Tafalla, Txalaparta, 1995.

43 Voir www.march.es/dtv.

44 Martínez Herrera Enric, « Nationalist Extremism and Outcomes of State Policies in the Basque Country, 1979-2001 », International Journal on Multicultural Studies, vol. 4, n° 1, 2002, p. 16-41.

45 Martínez Herrera Enric, « Government restructuring and reallocation of resources in the face of ethno-nationalist insurgency in the Basque Country (1979-2005) » in Öberg Magnus et Strøm Kaare (dir.) Resources, Governance Structures and Civil Conflict, Londres, Routledge, 2007, p. 101-124.

46 http://recursos.march.es/web/ceacs/proyectos/dtv/datasets/the%20Victims%20of%20ETA%20-DATASET.sav

47 https://ic3jm.es/investigacion/proyectos/explaining-terrorist-and-insurgent-behavior/

48 À l’occasion de la Ve assemblée, s’opère une scission entre ETA militaire, ETA politico-militaire et Frente Obrero (Front ouvrier, qui deviendra LAIA).

49 Barros Carlos, « An Intervention Analysis of Terrorism », art. cit.

50 Barros Carlos, Passos José et Gil-Alana Luis, « The timing of ETA terrorist attacks », art. cit.

51 La nature de la variable n’est pas précisée par les auteurs.

52 Martínez Herrera Enric, « Nationalist Extremism and Outcomes of State Policies in the Basque Country, 1979-2001 », art. cit. ; Martínez Herrera Enric, « Government restructuring and reallocation of resources in the face of ethno-nationalist insurgency in the Basque Country (1979-2005) », art. cit.

53 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », art. cit., p. 22.

54 L’Express, 17 novembre 2008.

55 Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit., p. 321.

56 Évoquons les documents publiés par l’organisation après chacune des six assemblées ; ceux conservés à la Fondation des Bénédictins de Lazkao puis à la Fondation Mario Onaindia ; les 18 volumes des Documentos Y, dans lesquels a été compliquée une large part de la propagande, des documents internes et des bulletins publiés par ETA des origines jusqu’à 1977 ; les communiqués de l’organisation dans les journaux Zutik (1960-1978), Cuadernos d’ETA (1962-1964), Branka (1966-1973), Barne Buletina (Bulletin interne d’ETA), Kemen (1969-1982), Hautsi (1971-1980), Beriak (1970-1973), Saoiak (1970-1971), Zutabe (1980-avril 2018), Zuzen (1980-2004), Gara (1999-aujourd’hui) et Berria (2003-aujourd’hui).

57 Barros Carlos, « An Intervention Analysis of Terrorism », art. cit ; Barros Carlos, Passos José et Gil-Alana Luis, « The timing of ETA terrorist attacks », art. cit. ; Martínez Herrera Enric, « Nationalist Extremism and Outcomes of State Policies in the Basque Country, 1979-2001 », art. cit. ; Martínez Herrera Enric, « Government restructuring and reallocation of resources in the face of ethno-nationalist insurgency in the Basque Country (1979-2005) », art. cit.

58 Nous avons procédé à un travail à la fois de nettoyage et de complément de la base GTD dans la mesure où, d’une part, aucune donnée n’a été collectée pour l’année 1993 et, d’autre part comme nous l’avons souligné, elle compile au moins 79 actions qui ne sont pas le fait d’ETA (qu’elles soient imputables à IK, Iraultza, Gatazka, la kale borroka (i.e. à la guérilla urbaine des années 1990-2000) voire associe aux actions d’ETA celles des groupes paramilitaires d’extrême droite (ex : attentats du 29 mai 1994 à Muskiz et Artxanda) qui conduisent à la mort de membres d’ETA. Dans cette base, 321 actions ne peuvent, de façon certaine, être imputées à ETA.

59 Les références des sources ayant été utilisées dans la constitution de notre base de données sont disponibles sur demande.

60 Elles sont systématiquement répertoriées en Annexe 1 de Guibet Lafaye Caroline et Pierre Brochard, « Conséquences de choix méthodologiques sur l’analyse de l’évolution de l’organisation clandestine ETA », Studia Europa, vol. 2, 2020, p. 219-264.

61 Madariaga Julen, « Así nació ETA », Punto y Hora, 25 Aniversario, 13 juillet 1984, p. 7-9 ; Zunbeltz [José Luis Zabilde], Hacia una estrategia revolucionaria vasca, op. cit., p. 106-107.

62 Jon Nicolás, Documentos Y, 1979 cité in Nuñez Astrain Luis C., Euskadi Eta Askatasuna – Euskal Herria y la Libertad. De Ekin a ETA. 1952-1965, Tafalla, Txalaparta, 1993, vol. I, p. 60

63 Citons pour seul exemple l’adoption du décret 1794/1960 sur la « Rébellion militaire, le banditisme et le terrorisme » (Rebelion Militar, Bandidaje y Terrorismo) du 21 septembre 1960. Il accroît les compétences militaires en matière d’ordre public et interdit toute forme de manifestation, de réunion et de grève. Il intervient après les premières actions réalisées à l’aide d’explosifs par ETA en décembre 1959, en l’occurrence trois bombes artisanales (Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit., p. 17 ; Guibet Lafaye Caroline, « Succès et limites de l’antiterrorisme espagnol : le cas d’ETA », SociologieS, à paraître).

64 Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit.

65 L’action la plus spectaculaire de cette période réside dans la tentative de faire dérailler un train à Usurbil (Guipúzcoa) transportant des partisans de Franco vers San Sébastian, le 18 juillet 1961, pour la célébration des 25 ans de la victoire du dictateur durant la guerre civile.

66 Ibid., p. 173.

67 Hipercor n’a pas été évacué. ETA diffuse ses excuses pour les conséquences de l’explosion (voir Communiqué d’ETA au Peuple Basque, 21 mai 1987). La Chambre administrative contentieuse de la Cour suprême a établi la responsabilité de l’administration de l’État « pour la passivité ou l’omission des forces de sécurité et de police dans ces événements » (Ibid., p. 237).

68 Ibid., p. 199.

69 Ibid., p. 296.

70 Ce qui signifie que nous avons épuré les listes proposées par des sites comme Mapa del terror, Mapa del Olvido, ceux consacrés aux victimes de l’Ertzaintza (police autonome basque) ou réalisés par l’extrême droite (tels Nacional Socialismo sin censura). 64 actions, ayant donné lieu à 43 morts, ont été ainsi exclues de la base GTD.

71 Luis De La Calle et Ignacio Sánchez-Cuenca (De La Calle Luis et Sánchez-Cuenca Ignacio, « La selección de víctimas en ETA », art. cit.), privilégient une autre option méthodologique.

72 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », art. cit..

73 Barros Carlos, « An Intervention Analysis of Terrorism », art. cit. ; Barros Carlos, Passos José et Gil-Alana Luis, « The timing of ETA terrorist attacks », art. cit.

74 Comme nous l’avons souligné, une continuité pourrait fort bien exister entre 1977 et 1985 car l’année 1981 avec la lutte contre la centrale de Lemoiz pourrait compter bien plus d’actions que le tableau n’en fait figurer.

75 Il s’agit de l’amnistie de tous les prisonniers politiques basques en Espagne ; de la légalisation de tous les partis politiques y compris indépendantistes ; de l’expulsion du Pays basque des forces policières et militaires de l’État espagnol ; de l’amélioration des conditions de vie et de travail des classes populaires ainsi que de la satisfaction immédiate des revendications en matière socio-économique exprimées par leurs organismes représentatifs ; d’un Statut d’Autonomie accru, impliquant la reconnaissance de la souveraineté nationale d’Euskadi, son droit à l’autodétermination incluant le droit à la création d’un État basque indépendant ; la reconnaissance de l’euskara comme langue officielle et prioritaire en Euskadi ; la création d’unités civiles de défense, remplaçant les forces répressives, ces unités étant créées par le Gouvernement basque et dépendant uniquement de lui ; la reconnaissance de droits économiques, sociaux, politiques permettant le bien-être et le progrès du peuple basque (communiqué ETAk Euskal Herriari, ETA-m, janvier 1978).

76 L’article 2 de la Constitution stipule : « La Constitución se fundamenta en la indisoluble unidad de la Nación Española… », et l’article 8 : « Las fuerzas armadas… tienen como misión garantizar la soberanía e independencia de España, defender su integridad territorial y el ordenamiento constitucional ». Sur le rôle de défense de l’ordre constitutionnel et de l’intégrité territoriale de l’Espagne conféré à l’armée, voir Preston Paul, « La peur de la liberté : l’armée espagnole de l’après-franquisme », Lignes, vol. 4, n° 3, 1988, p. 216.

77 https://constitution-europeenne.info/special/espagne_ref.pdf

78 Voir communiqué d’ETA au peuple basque, 30 novembre 1979.

79 Guibet Lafaye Caroline, « Victimes ou actions : itinéraires occultés d’ETA », Papeles del CEIC. International Journal on Collective Identity Research, vol. 1, 2021, p. 1-22.

80 Les actions s’inscrivant dans cette dynamique n’ont pas un poids numérique décisif dans la mesure où il s’agit d’opérations très ciblées visant des individus singuliers.

81 Guibet Lafaye Caroline, « Succès et limites de l’antiterrorisme espagnol », art. cit.

82 Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit., p. 188.

83 À partir de janvier 1980, des groupes paramilitaires tels les Groupes Anti-Terroristes Espagnols (GAE) et le Bataillon Basque Espagnol (BVE), multiplient leurs actions contre des civils.

84 Une partie des militants d’ETA-pm a rejoint ETA-m après la scission, en l’occurrence « ETA-pm VIIIe Assemblée pro-KAS » (les milikis).

85 Le 23 février 1981, le lieutenant-colonel Antonio Tejero, appuyé par une troupe de gardes civils, pénètre dans le Congrès des députés au moment du vote pour la présidence du gouvernement espagnol.

86 Il s’agit par exemple de la création des deux commandements : MULA (Mando Unificado de la Lucha Antiterrorista) et MULC (Mando Único para la Lucha Contraterrorista) à la suite d’un accord entre le roi Juan Carlos I et le chef de l’armée espagnole. L’état d’urgence est approuvé par le Congrès. À partir de mars 1981, l’armée reçoit la mission d’intervenir au Pays basque pour la surveillance des frontières (Ibid., p. 192). En février 1983, le plan ZEN (Zona Especial Norte) est mis en place.

87 Guittet Emmanuel-Pierre, Raison et déraison d’État : les GAL (Grupos Antiterroristas de Liberacion), 1983-1987, Mémoire de DEA en sociologie politique et politique comparée sous la direction de Bigo Didier, Université Paris X, Nanterre, 2000.

88 Nuñez Astrain Luis C. (dir.), Euskadi eta Askatasuna, tome VII, La ofensiva institucional. 1984-1988, Tafalla, Txalaparta, 1993, p. 12-13 ; Deia, 20 janvier 1985.

89 S’y affirme la volonté de « trabajar coordinadamente, desde las exigencias de un Estado de derecho, en la lucha contra la violencia y el terrorismo ».

90 Le Monde, 11 juillet 1985.

91 Zuzen, nº 41, janvier 1985. Voir aussi la déclaration d’ETA dans le Zutabe, n° 41, mai 1985. Elle y rappelle que l’« ennemi direct » est bien le gouvernement espagnol et le PNV seulement l’« adversaire politique ».

92 Casanova Alonso Iker, ETA 1958-2008, op. cit., p. 223.

93 Ibid., p. 246. Voir aussi la marche dite Bidez Bide, pour la revendication du droit à l’autodétermination, comprenant plusieurs colonnes à travers tout le Pays basque, qui commence le 17 mars 1989 et converge vers Pampelune le jour de l’Aberri Eguna (Ibid., p. 247).

94 Angel Alcalde, député HB au Congrès, annonce lors d’une conférence de presse à Bruxelles, le 13 décembre 1989, qu’ETA serait prête à déclarer une trêve de trois mois si le gouvernement acceptait de reprendre le dialogue au point où il était resté en Algérie (Ibid., p. 254).

95 Zuzen, n° 49, juillet 1990.

96 En 1992, l’Espagne s’apprête à accueillir l’Exposition universelle de Séville, le cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique, les Jeux olympiques de Barcelone et la célébration de Madrid comme capitale culturelle. À cette époque, le pays est également engagé dans un processus d’entrée dans la Communauté européenne et dans l’OTAN.

97 Elorza Antonio (dir.), ETA, une histoire, Paris, Denoël, 2002 [2000], p. 365.

98 Guibet Lafaye Caroline, Conflit au pays basque, op. cit.

99 Comme le résume synthétiquement Etan, « ça a été de plus en plus difficile à partir de 2001 d’établir une lisibilité ». « Les attentats du 11-Septembre 2001 ont été la bascule. Ils ont changé la grille de lecture. »

100 Le 11 mars 2004, plusieurs bombes explosent en gare d’Atocha tuant 191 personnes. Bien que le gouvernement Aznar accuse ETA d’être à l’origine de l’opération, celle-ci a été revendiquée par Al-Qaïda.

101 Ultérieurement, en particulier au cours des années 2005-2006, des divergences au sein de l’organisation ont conduit à des approches stratégiques dissonantes mais qui ne se traduisent pas significativement sur le plan statistique. Il s’agit de façon emblématique de l’explosion à la voiture piégée dans le Terminal 4 de l’aéroport madrilène de Barajas, le 30 décembre 2006, dans laquelle sont tués deux citoyens équatoriens et à une période où l’organisation et le gouvernement socialiste de Felipe González sont engagés dans des discussions à Oslo. Cette action a été désavouée par Julen Madariaga, membre fondateur d’ETA, qui a vu dans cette action « un signal musclé qui a dépassé les limites tolérées » (cité par l’AFP, 4/01/2007). Elle a également suscité des critiques en interne. Pour une interprétation de son rôle stratégique, voir Guibet Lafaye Caroline et Pierre Brochard, « Conséquences de choix méthodologiques sur l’analyse de l’évolution de l’organisation clandestine ETA », art. cit.

102 Le Tableau 3met en évidence les différences émanant d’une périodisation fondée sur la chronologie espagnole et nourrie par une base statistique constituée à partir des actions menées par l’organisation (Tableau 1).

103 Indépendamment des contraintes logistiques qu’affronte l’organisation mais qu’il est difficile de percer du fait de sa clandestinité.

104 Indépendamment, encore une fois, de sa capacité à renouveler ses membres. L’autodissolution est le fruit d’un processus qui s’est déployé sur plusieurs années. Si une frange minoritaire du mouvement était défavorable au dépôt des armes, la majorité des personnes consultées, concernées par la lutte armée, incarcérées ou non, s’est prononcée en faveur de l’abandon de cette stratégie.

105 Voir celui de 1993 (Elorza Antonio (dir.), ETA, une histoire, op. cit., p. 392.

106 Sánchez-Cuenca Ignacio, « Explaining temporal variation in the lethality of ETA », art. cit.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Caroline Guibet Lafaye, « Évolution stratégique de l’organisation ETA (1959-2018)  »Terrains/Théories [En ligne], 15 | 2022, mis en ligne le 04 juillet 2022, consulté le 07 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/teth/4755 ; DOI : https://doi.org/10.4000/teth.4755

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Auteur

Caroline Guibet Lafaye

Caroline Guibet Lafaye est Directrice de recherche au CNRS et rattaché au LISST (UMR 5193 – Université Jean Jaurès, Toulouse). Agrégée et docteur en philosophie de l’Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne, elle est habilitée à diriger des recherches en sociologie depuis 2011 (Université de Paris-IV Sorbonne). Elle consacre ses recherches en sociologie et en philosophie politique aux processus d’engagement dans la violence politique clandestine. Elle a publié en 2019, Armes et principes. Éthique de l’engagement politique armé (éd. du Croquant) et en 2020 Le conflit au pays basque : regards des militants illégaux (Peter Lang).

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