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Les jeunes migrants isolés dans la presse nationale et aquitaine

Les paradoxes des représentations de la catégorie « MNA »
Étienne Damome, Lydie Déaux, Léa Keller, Isabelle Rigoni et Nadège Soubiale

Résumés

Cet article explore les éléments sémantiques et rhétoriques des discours médiatiques sur les « mineurs non accompagnés ». L’analyse lexico-sémantique d’un corpus de presse montre que l’hégémonie des discours médiatiques s’appuie sur des hétéro-désignations administratives et des portraits méritocratiques ou, à l’inverse, des figures de la délinquance, qui ne rendent pas compte de la complexité et des spécificités des biographies migratoires de ces jeunes migrants isolés. Ces résultats sont discutés à l’aune d’un paradoxe qui traverse le traitement médiatique comme juridique des représentations des « mineurs non accompagnés », perçus alternativement comme « jeunes à protéger » et « migrants à contrôler ».

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Texte intégral

  • 1 Cottle Simon, Ethnic minorities and the Media. Changing Cultural Boundaries, Buckingham, Open Unive (...)
  • 2 Georgiou Myria et Zaborowski Rafal, Couverture médiatique de la « crise des réfugiés » : perspectiv (...)

1Les questions migratoires sous-tendent depuis plusieurs décennies les débats médiatiques et politiques. Dans la lignée des études en information et communication et en sociologie des médias1, le rapport de Georgiou et Zaborowski2 analyse la proximité entre la couverture médiatique des personnes réfugiées et les débats politiques liés à cette population hétérogène. Parmi les personnes en situation de migration, la population des jeunes isolés étrangers fait l’objet d’un intérêt médiatique grandissant. Néanmoins, en dépit de l’augmentation récente des études les concernant, celles relatives aux productions médiatiques n’ont pas encore fait l’objet d’une attention scientifique. Aussi, nous proposons d’explorer un ensemble de productions journalistiques pour interroger comment elles peuvent contribuer à la fabrique sociale des représentations de ce public confronté à l’exil et à l’isolement.

  • 3 Rigoni Isabelle et Ali-Oualla Myriam, « Migration[s] en images. Renouveler le regard », Revue franç (...)
  • 4 Hall Stuart, « La culture, les médias et l’“effet idéologique” », in Glevarec Hervé, Mace Éric et M (...)
  • 5 Damome Étienne et Soubiale Nadège, « Rhétorique de la résilience et stéréotypie du pastoralisme sah (...)
  • 6 Honneth Axel, La lutte pour la reconnaissance, trad. par Pierre Rusch, Paris, Éditions du Cerf, 200 (...)
  • 7 Voirol Olivier, « Les luttes pour la visibilité. Esquisse d’une problématique », Réseaux, no 129-13 (...)

2Nous posons l’hypothèse que le contenu des productions médiatiques s’organise autour de deux temporalités distinctes, potentiellement concomitantes, dans l’histoire récente de la médiatisation des jeunes isolés étrangers. D’une part, le temps de la découverte, avec des contenus d’articles empathiques sur la situation de ces jeunes à protéger – notamment la référence à des événements médiatiques liés à la mobilisation de quelques patrons s’exposant publiquement pour la défense des jeunes qu’ils ont en apprentissage –, ; d’autre part, le temps de l’inquiétude, avec des contenus alarmistes sur les dérives délinquantes de jeunes pris dans des réseaux de drogue et de prostitution et présentés comme des étrangers à contrôler. Nous supposons que ces récits médiatiques utilisent des procédés narratifs différents selon le thème abordé, et qu’ils tendent à fonctionner sur un mode binaire opposant les « mineurs non accompagnés » considérés comme résilients et insérés dans la société à ceux associés aux phénomènes de délinquance. Pour décrypter ces contenus journalistiques et appréhender ce qu’ils sont susceptibles de véhiculer comme représentations de ces jeunes, nous proposons de faire appel aux théories de la communication et de l’influence comme clés de lecture de la communication médiatique3 et à la notion d’effet idéologique des médias4, mais aussi aux problématiques de catégorisation sociale des vulnérables et résilients5, de reconnaissance sociale6 et de visibilité sociale7 des jeunes isolés étrangers catégorisés comme MNA (mineurs non accompagnés).

  • 8 Cette étude, intitulée Communications Médiatiques et Organisationnelles sur l’Immigration et l’Exi (...)
  • 9 Déaux Lydie, « Expériences d’ancrage dans les lieux de passage », Hommes & Migrations, no 1333, 202 (...)

3Cet article vise à explorer les représentations qui sous-tendent la catégorie MNA dans des articles parus entre 2012 et 2021 dans la presse nationale généraliste, la presse régionale aquitaine et la presse spécialisée sur l’actualité sociale et territoriale. Le choix d’approfondir le contenu de la presse en Aquitaine8 s’explique par l’augmentation sensible du nombre de jeunes isolés étrangers arrivant sur ce territoire depuis le milieu des années 2010. La frontière basque est redevenue une porte d’entrée des personnes en situation de migration, en particulier depuis le durcissement des politiques migratoires et de séjour en Italie avec les gouvernements de Matteo Salvini puis de Giorgia Meloni. Nombre de jeunes isolés étrangers empruntent ce passage, ce qui en fait un sujet politique et humanitaire tout le long de la côte basque, de Hendaye à Bayonne9. Si quelques-uns décident de rester dans le département des Pyrénées-Atlantiques, beaucoup continuent leur route, notamment vers l’agglomération bordelaise. À Bordeaux, l’arrivée des jeunes qui demandent une reconnaissance du statut de MNA se double de celle de mineurs errants pris dans des réseaux de trafic des êtres humains. Au point que la première cellule policière sur les mineurs errants délinquants y a été créée en France. L’objectif de cette étude est de vérifier si les contenus journalistiques reproduisent les désignations usuelles de « mineur isolé étranger » (MIE) et/ou « MNA », et s’ils véhiculent des représentations de ces jeunes arrimées à une catégorisation sociale entre « bons » (i.e. résilients) et « mauvais » MNA (i.e. délinquants). Notre travail vise à explorer quels sont précisément les thématiques et le lexique mobilisés dans la presse, et d’interroger en quoi ces éléments participent de la diffusion de ces dichotomies catégorielles.

Production et reproduction des catégories

Hétérodésignation et assignations catégorielles

  • 10 Blanc Julien, Quelle politique d’accueil pour les mineurs isolés étrangers en France ? 1975-2003 : (...)
  • 11 Duvivier Émile, « Quand ils sont devenus visibles… Essai de mise en perspective des logiques de con (...)

4Si le déplacement transnational de personnes étrangères mineures et isolées n’est pas un phénomène nouveau en Europe10, la figure du MNA ou MIE émerge dans les années 1990 en France dans le débat public et les médias, qui s’en saisissent sous l’angle de l’errance juvénile11. La prise en charge de cette population, composée de mineurs en dehors de leur pays d’origine et séparés de leurs parents ou autres représentants de l’autorité parentale, interpelle les pays des Nords notamment, car elle se trouve à l’intersection de deux champs en matière de droit : celui de la protection de l’enfance et celui des étrangers.

5Au-delà de la temporalité médiatique, l’hétérodésignation MNA est la plus usitée dans les contenus médiatiques. Or, l’appropriation par les médias de cette catégorie administrative et juridique contribue à perturber le débat public en déformant le prisme par lequel les différents protagonistes qualifient et considèrent ces jeunes. Elle tend notamment à renforcer l’illusion d’une homogénéité de ces jeunes aux parcours, aux projets, aux expériences et aux situations pourtant très hétérogènes.

6À l’échelle internationale, l’appellation « mineur étranger non accompagné » est partagée par la plupart des États dans le monde pour définir cette population12 : « Un enfant non accompagné est une personne âgée de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable, qui est séparée de ses deux parents et n’est pas prise en charge par un adulte ayant, de par la loi ou la coutume, la responsabilité de le faire13. » Trois éléments permettent ainsi de caractériser cette population : la minorité, l’isolement et l’extranéité. La condition de mineur sans parent ou représentant de l’autorité parentale distingue ces jeunes des adultes en migration, et oblige les États à leur apporter une protection selon les normes internationales et nationales. Il existe des normes internationales au caractère contraignant et protecteur, comme la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), ratifiée notamment par la France en 1990, dont les articles stipulent au sujet de la protection des mineurs en migration14. La législation nationale française en matière de protection des « mineurs non accompagnés » a ainsi intégré dans ses textes les prérogatives internationales : « La protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge15. » En raison de la mention « mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille », leur prise en charge entre dans le droit commun et relève ainsi de la compétence des départements.

  • 16 Marmié Cléo, « Devenir “mineur non accompagné”. Enjeux épistémologiques et effets pratiques d’une c (...)
  • 17 Perrot Adeline, Les mijeurs exilés à l’épreuve du jugement : une ethnographie des frontières d’âge (...)

7Le terme MIE était une spécificité française jusqu’en 2016, date à laquelle l’appellation MNA l’a remplacé dans le souci de mettre davantage l’accent sur l’isolement et non pas l’extranéité selon le ministère de la Justice16. La catégorie MNA désigne ainsi celles et ceux pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Les jeunes dont la minorité n’a pas été reconnue par l’ASE et qui sont souvent en procédure de recours sont parfois qualifiés de « mijeurs », évoquant la situation d’entre-deux statutaire dans laquelle ils se trouvent17.

  • 18 Rigoni Isabelle et Crenn Chantal, « Les mineurs isolés étrangers originaires d’Afrique sub-saharien (...)

8Les jeunes migrants seuls ne constituent ainsi pas un groupe homogène, tant en matière de profils sociologiques, que de raisons de départ ou de parcours migratoire et de protection18. À ce titre, nous emploierons dans cet article le terme « jeunes migrants isolés » afin de nous émanciper de la catégorie administrative de MNA et de porter un regard sociologique qui englobe la diversité des parcours, pratiques et profils de ces jeunes – ce qui permet aussi de dépasser une catégorisation fondée sur l’âge ou le parcours juridico-administratif.

  • 19 D. Senovilla Hernandez, « 
  • 20 D’Halluin Estelle, « Le nouveau paradigme des “populations vulnérables” dans les politiques europée (...)
  • 21 Frigoli Gilles et Immele Cécile, « Les protéger et s’en protéger : les mineurs isolés étrangers en (...)
  • 22 Bricaud Julien, Accueillir les jeunes migrants. Les mineurs isolés étrangers à l’épreuve du soupçon(...)
  • 23 Agier Michel, « L’encampement du monde », Plein droit, no 90/3, 2011, p. 21-24.
  • 24 Kobelinsky Carolina, « Les situations de retour. Restituer sa recherche à ses enquêtés », in Bensa (...)
  • 25 Rigoni Isabelle, « Logiques institutionnelles et répertoires d’action après Calais. Hétérogénéité d (...)

9Si d’un point de vue juridique, le statut et la prise en charge de ces mineurs semblent clairement légiférés, de nombreuses études ont montré les biais, aujourd’hui encore, en matière d’accès à une protection19. La condition d’étranger vient troubler les cadres de représentations de cette jeunesse, qui oscillent entre un souci de protection – car considérés comme mineurs en danger en raison de leur vulnérabilité20 – et un sentiment de défiance, dans la mesure où leur extranéité renvoie à l’image des étrangers en situation irrégulière qu’il faut expulser afin de s’en protéger21. Cette binarité des représentations induit un « soupçon généralisé et permanent22 » sur cette population, d’autant qu’elle s’inscrit dans un contexte politique tendu sur le sujet des migrations. La période d’augmentation modérée puis d’accélération des arrivées des jeunes migrants isolés en France, au cours de la décennie 2010, coïncide avec un durcissement général des conditions d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire national23, puis avec l’avènement d’un paradigme sécuritaire qui s’oriente vers un accroissement des contrôles policiers24 et une stratégie de harcèlement des populations migrantes sans-abri25, en particulier dans les zones migratoires en tension.

  • 26 Przybyl Sarah, « Qui veut encore protéger les mineurs non accompagnés en France ? De l’accueil inco (...)
  • 27 Anesm (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et (...)
  • 28 Anesm (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et (...)
  • 29 La loi du 10 septembre 2018 « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une inté (...)
  • 30 Le berre Rozenn, De rêves et de papiers. 547 jours avec les mineurs isolés étrangers, Paris, La Déc (...)
  • 31 L. Carayon et al., « “Soyez cohérent jeune homme !” », art. cit. ; N. Paté, L’accès – ou le non-acc (...)
  • 32 Haut Conseil de la santé publique (HCSP), Avis du Haut Conseil de la santé publique relatif à l’e (...)
  • 33 Lendaro Analisa, « Mineur jusqu’aux os ? La juge des enfants et l’âge du jeune étranger au prisme d (...)
  • 34 Ministère de la Justice, ministère des Affaires sociales, ministère de l’Intérieur et Assemblée des (...)

10Dans ce contexte, les jeunes migrants isolés « représentent un groupe spécifique que les autorités cherchent à appréhender non seulement pour mieux les accompagner, mais aussi pour mieux les contrôler avant qu’ils n’intègrent les dispositifs de protection de l’enfance26 ». Considérés tantôt comme des mineurs à protéger2728 tantôt comme des migrants à contrôler29, les jeunes migrants isolés sont emblématiques de ces points de crispation entre le champ socio-éducatif et les orientations des politiques publiques. La suspicion de l’âge devient alors l’un des motifs prédominants du refus du statut de MNA, loin devant la suspicion de l’isolement. La passation des entretiens individuels auprès des jeunes a été documentée par des travailleurs sociaux formés à l’accompagnement des étrangers et qui ont vu leur travail évoluer vers des missions de contrôle et de vérification de l’âge30. La minorité ou majorité des jeunes s’apprécie en fonction de leur « maturité » supposée, de la « cohérence » de leurs discours, ou encore sur leur apparence physique31. Des tests osseux, censés permettre de déterminer leur âge, peuvent également être ordonnés. Ils font l’objet d’une importante controverse de la part tant du corps médical32 que des observateurs de la prise en charge de ces jeunes33. Que ce soit avec les entretiens individuels ou les tests osseux, l’évaluation de l’âge s’appuie ainsi, de l’aveu même des pouvoirs publics, sur un « faisceau d’indices34 » qui confèrent de facto un caractère éminemment subjectif à la procédure.

  • 35 CESEDA, art. L.611-6-1.
  • 36 Décret no 2019-57 du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d’évaluation des personnes se déclarant (...)
  • 37 Plusieurs associations (Unicef France, Médecins sans Frontières, Médecins du Monde, Secours catholi (...)
  • 38 Défenseur des droits, « Le Défenseur des droits demande l’abandon du projet de décret relatif à la (...)

11Par ailleurs, les contraintes réglementaires liées à la procédure d’évaluation ont donné lieu ces dernières années à une porosité encore plus grande entre la nécessité sociale de protéger ces jeunes migrants isolés et les injonctions politiques à les contrôler. Ainsi, le rôle de l’État, par le truchement des autorités préfectorales dans la procédure d’évaluation, s’est affirmé à travers la loi du 10 septembre 2018 « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », ouvrant la possibilité de créer un « fichier d’appui à l’évaluation de la minorité »35 (fichier AEM), mis en place par un décret du 30 janvier 201936. Ce texte permet aux conseils départementaux de s’appuyer, en plus des entretiens individuels et des tests osseux, sur le concours du préfet. Lorsqu’un jeune se présente pour demander une mise à l’abri, le département est fortement incité à l’envoyer en préfecture afin que son identité soit enregistrée et comparée avec les données du fichier AEM. Le ministère de l’intérieur, à qui la charge de la mise en œuvre du fichier échoit, est ainsi autorisé à prélever et enregistrer les empreintes digitales des jeunes et les images numérisées de leur visage, ainsi que les données à caractère personnel (état civil, nationalité, coordonnées, langues parlées, filiation, données transmises par les autorités départementales). Si un jeune est déclaré majeur à la suite de son évaluation, les données sont immédiatement versées dans le fichier AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers) et il est alors procédé à « un examen de sa situation et, le cas échéant, une mesure d’éloignement ». Ce fichier a fait l’objet de nombreuses critiques émanant d’associations,37 mais aussi du Défenseur des droits38, parmi lesquelles le fait que la prise en charge serait envisagée en premier lieu comme un enjeu migratoire et non plus de protection de l’enfance.

  • 39 Ritaine Évelyne, « Dramaturgie de l’intrusion migratoire. Teatro all’italiana », in denis-constant (...)

12Comme toutes les personnes en situation de migration, les jeunes migrants isolés n’échappent pas aux représentations médiatiques à leur encontre. La profusion des images et des discours médiatiques qui les mettent en scène perturbe le débat sociopolitique en déformant le prisme par lequel les différents protagonistes (notamment politiques, institutionnels et professionnels) appréhendent le sujet, mais aussi en orientant l’imaginaire collectif de l’ensemble de la population à l’égard de ces jeunes. Les représentations produites et diffusées par les médias débordent d’une dramaturgie migratoire39 qui tend à créer des distorsions de la réalité en mettant à l’agenda des événements marquants, mais souvent ponctuels, qui ne sont pas nécessairement représentatifs de la situation de ces jeunes, ou en opérant des cadrages qui les présentent sous un jour plus ou moins (dé)favorable. Parce que les médias ont le pouvoir de dire ce qui fait l’actualité et de mettre celle-ci en images, par exemple le phénomène des « MNA délinquants », cet énoncé devient une réalité qui se mue en préoccupation sociopolitique majeure.

  • 40 Macé Éric, « Des “minorités visibles” aux néostéréotypes. Les enjeux des régimes de monstration tél (...)
  • 41 Flipo Aurore, « Entre misérabilisme et injonction à la mobilité. Dominocentrisme et dominomorphisme (...)

13Dans un contexte de surmédiatisation des questions migratoires et de monstration tantôt stéréotypée, voire stigmatisante40, tantôt misérabiliste41 des personnes en situation de migration, nous souhaitons interroger les images et les discours produits et véhiculés sur les jeunes migrants isolés, et souligner les principaux enjeux qu’ils suscitent. Notre objectif est ainsi de mettre en lumière les formes discursives et les répertoires lexicaux utilisés pour traiter de la question des jeunes migrants isolés, comme une réalité construite selon des langages idéologiques prédéterminés. Pour mieux cerner les effets des représentations médiatiques et avant de présenter nos résultats, faisons un détour par les théories de la communication et de l’influence, appliquées à la communication médiatique.

La fabrique médiatique des représentations

  • 42 Guimelli Christian, La pensée sociale, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 63.
  • 43 Germes Mélina et Scavo Roxane, « Comment habitent les sujets marginalisés ? Émotions des usagers et (...)
  • 44 Damome Étienne, « Religions et médias au Ghana et au Togo », Revue française des sciences de l’info (...)

14Nous posons l’hypothèse selon laquelle les médias jouent un rôle clé dans la fabrique des représentations, c’est-à-dire des croyances, des interprétations idéologiques et « connaissances de sens commun42 » sur les thématiques migratoires, en exacerbant les dichotomies qui traversent les politiques dites de régulation : les jeunes migrants isolés sont soit jugés vulnérables, donc à protéger, soit indésirables, donc à contrôler – ce qui est aussi valable au sujet d’autres publics précaires43. L’analyse lexicale et sémantique de cette production médiatique nous renseigne davantage sur la position occupée par les médias dans un espace social, une temporalité et une culture données, qui influencent les choix et traitements des sujets abordés44.

  • 45 S. Hall, « La culture, les médias et l’“effet idéologique” », art. cit.

15Ainsi, les discours médiatiques en disent plus long sur les systèmes de valeurs à l’œuvre dans certains groupes sociaux, le plus souvent occupant une place centrale dans la société, que sur les faits qu’ils prétendent observer de façon neutre et distanciée. Un ensemble de parti pris, de contraintes matérielles, de biais d’ordre sociologique, sémantique, mais aussi technique, empêche le champ journalistique d’accéder à certaines réalités pour le sujet qui nous occupe. À l’intersection entre des fonctions symboliques et politiques45, les médias participent tout de même à la création de nouvelles formes discursives (comme les récits de vie dans la presse nationale) qui permettent de saisir des phénomènes sociaux tout à fait contemporains, des processus d’identification, et de relayer des mouvements de la société civile au plus près du local, des préoccupations situées et incarnées, des revendications fondées sur des intérêts non particuliers (comme les mouvements de solidarité dans la presse régionale).

  • 46 Condominas Georges, « Clifford Geertz, The Religion of Java », L’Homme, no 4/2, 1964, p. 135.
  • 47 S. Hall, « La culture, les médias et l’“effet idéologique” », art. cit.

16Au cours du XXe siècle, l’essor du capitalisme a intensifié le contrôle des médias sur de nombreuses ressources économiques, sociales, techniques et culturelles – l’ensemble de ces moyens ayant permis de développer un réseau d’échanges et d’intercommunications, et de consommation du « savoir social » ainsi produit. C’est ici la première fonction des médias modernes selon Hall : la construction sélective d’un savoir, d’une image sociale, permettant de recevoir le monde, de le rendre intelligible. Ce monde, cette société moderne de plus en plus complexe, offre l’opportunité pour les médias de mettre en œuvre leur deuxième fonction : fournir un inventaire constamment réactualisé de ces registres de réalités en fonction des « cartes » préférées de la « réalité sociale problématique46 ». La troisième et dernière fonction est dès lors de rassembler ce qui a été préalablement sélectionné puis classé. Ce nouvel ordre reconnu, composé d’unités du réel (de classe, de pouvoir, d’exploitation et d’intérêt) est maintenu à distance à travers la cohérence plus neutre et intégrative des « représentations » : « À partir de ce travail de négociation difficile et délicat, les domaines problématiques du consensus et du consentement commencent à émerger47. »

  • 48 Ibid.
  • 49 É. Damome et N. Soubiale, « Rhétorique de la résilience et stéréotypie du pastoralisme sahélien », (...)

17Cet effet idéologique48 des médias vise donc, à travers l’élaboration de discours complexes, la production de biens symboliques, rendus intelligibles pour le public par l’encodage, c’est-à-dire la création de langages. L’encodage consiste à traduire des événements réels en forme symbolique, à les placer dans un contexte référentiel qui leur attribue un sens. C’est là qu’intervient la préférence des médias pour les répertoires des idéologies dominantes. Le travail journalistique est donc un construit socioculturel qui véhicule les représentations dominantes d’une époque et d’une société données, et qui, de fait, en reproduit également les stéréotypes sociaux49.

  • 50 Lamizet Bernard et Silem Ahmed (éds.), Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et (...)
  • 51 Cefaï Daniel, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes pu (...)
  • 52 Moliner Pascal, Vidal Julien et Payet Joëlle, « Stéréotypage médiatique et objectivation de la repr (...)
  • 53 Moscovici Serge, La psychanalyse, son image et son public, Presses Universitaires de France, 1976.
  • 54 Damome Étienne, « Religions et médias au Ghana et au Togo », art. cit., paragr. 5.
  • 55 Charaudeau Patrick, « La construction de la nouvelle : un monde filtré », in Charaudeau Patrick (éd (...)
  • 56 Dalibert Marion, Lamy Aurélia et Quemener Nelly, « Introduction », Études de communication, no 47/2 (...)

18En sciences de l’information et de la communication, les représentations sont définies comme ce qui rend intelligible un fait ou une situation dans l’espace de la communication et de la sociabilité50. Et les faits ne sont accessibles qu’à l’aune des représentations que l’on s’en fait51. En ce sens, les médias jouent un rôle important dans la construction sociale de la réalité par des représentations sociales qu’ils contribuent à façonner52. Moscovici montrait ainsi comment la représentation sociale de la psychanalyse s’est formée, propagée et imposée dans la société par la presse politique et culturelle53. Peterson et Schramm indiquaient quant à eux dès les années 1950 que la presse prend toujours la forme et la coloration des structures sociales et politiques au sein desquelles elle opère. En d’autres termes, « les médias sont toujours sociodéterminés et culturellement formatés. Ils incarnent une certaine conception de la société et une certaine représentation des valeurs, des références et des conceptions que véhicule la société54. » Ainsi, les discours médiatiques « témoignent des systèmes de valeurs, qui caractérisent les groupes sociaux55 ». Ces discours s’inscrivent enfin dans des espaces de débats publics conflictuels appelant des discours « contre-hégémoniques56 ». Notre analyse des représentations médiatiques des jeunes migrants isolés se situe dans cette double perspective, et à l’aune des résultats que nous avons obtenus à partir d’une méthode d’analyse lexicale et sémantique d’un corpus de presse, nous nous efforçons d’identifier quelles représentations sociales ces contenus journalistiques véhiculent, entre jeunes à protéger et migrants à contrôler.

Les MNA dans la presse : entre renforcement de la catégorie et tentatives de contre narration

Le corpus et la méthode d’analyse lexicale et sémantique

  • 57 Factiva et Europresse.
  • 58 Par exemple « jeunes migrants isolés », « jeunes migrants » ou enxore « jeunes étrangers », puis no (...)
  • 59 Nous avons aussi pris soin de sélectionner les articles sur un critère quantitatif : tous comporten (...)
  • 60 Le corpus des articles de presse a été clos au mois d’août 2021, pour nous permettre ensuite de réa (...)
  • 61 « Décision relative à la situation des mineurs isolés étrangers en errance sur le territoire nation (...)
  • 62 Dont 29 articles du Monde (35,3 %), 12 articles du Figaro (14,6 %), 11 articles de Libération (13,4 (...)
  • 63 Cette décision est inhérente aux objectifs de cette recherche qui a débouché sur le dépôt d’une sou (...)
  • 64 Dont 6 articles de Actualités Sociales Hebdomadaires, 4 articles de La Gazette des Communes, 3 arti (...)

19Notre corpus a été constitué sur la base d’une recherche sur des plateformes journalistiques en ligne57 à partir des mots-clés correspondant aux principales désignations usuelles officielles : « Mineurs non accompagnés » et « Mineurs isolés étrangers », et aussi d’autres termes associés58 ; 141 articles ont ainsi pu être sélectionnés59 de décembre 2012 à août 202160. Nous avons pris la décision de fixer la date de début du corpus journalistique à décembre 2012, car elle correspond à un temps fort dans l’histoire du traitement des MIE en France, où le Défenseur des droits propose de renforcer, dans le cadre des engagements de la France eu égard à la Convention internationale des droits de l’enfant, les mesures d’accueil et de prise en charge de ces jeunes sur le territoire national61. Ce corpus comprend 82 articles de presse nationale généraliste, soit 58,1 % de l’ensemble62, 43 articles de presse régionale aquitaine (30,5 %)63 et 16 articles de presse spécialisée sur l’actualité sociale ou territoriale (11,4 %)64 traitant de problématiques sociales, juridiques ou encore sanitaires.

  • 65 Le logiciel Alceste, créé par Max Reinert (laboratoire de Jean-Paul Benzécri, CNRS, Paris) en 1979, (...)
  • 66 Foucault Michel, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 53.

20L’ensemble de ces articles a fait l’objet d’une analyse lexicale et sémantique de discours, grâce à deux logiciels de statistique textuelle65 qui permettent d’établir des classes lexicales formant des univers sémantiques. Un postulat propre à ces logiciels retient du discours une définition qu’on pourrait emprunter à Foucault : « [C’est] un système de dispersion, dans le cas où entre les objets, les types d’énonciation, les concepts, les choix thématiques, on pourrait définir une régularité (un ordre, des corrélations, des fonctionnements, des transformations)66. »

21Ces logiciels de lexicométrie permettent de repérer dans un premier temps les co-occurrences et la proximité des mots dans un même voisinage dans des parties d’un discours, et le chercheur identifie ensuite à quoi correspondent les contenus des classes. Ils permettent également d’ajouter des variables au corpus textuel pour traiter par exemple de la question de l’évolution d’un thème (en tenant compte des dates de parution), du type de contexte d’énonciation (e.g. la caractérisation nationale ou régionale, généraliste ou spécialisée de la presse) ou de l’énonciateur (le statut, le profil et/ou l’appartenance du journaliste).

  • 67 Indice Khi2 ou Chi2 : plus il est élevé, plus il correspond à une forte probabilité d’association d (...)

22Ces outils lexico-métriques permettent donc d’identifier d’où proviennent les mots les plus représentatifs des classes sémantiques, en l’occurrence les extraits d’articles de presse où ils apparaissent de façon significative. Ce procédé contribue à l’interprétation définitive des classes et des contenus de représentations. On peut ainsi extraire des verbatims les plus caractéristiques de l’univers de représentations de la classe. Ces logiciels permettent également de caractériser et d’indexer chaque article selon sa date de parution, le titre et la nature du journal (presse régionale aquitaine vs nationale). Chaque classe lexicale correspond ainsi à une liste de formes ou lexies fortement représentées. Un indice d’association67 des mots à la classe permet de préciser leur pertinence et leur poids d’occurrence dans la classe lexicale ainsi formée. Le logiciel répète ce calcul d’association des formes (mots) à chacune des classes, jusqu’à l’impossibilité de construire de nouvelles classes. Les classes correspondent ainsi à des univers sémantiques spécifiques qu’il est donc possible d’identifier en référence aux contextes de production des discours – contexte diachronique (évolution dans le temps) et/ou synchronique (ici, type de presse et acteurs impliqués dans la prise en charge ou la défense des jeunes migrants isolés). Les classes lexicales obtenues forment donc des univers sémantiques renvoyant à des représentations spécifiques de jeunes migrants isolés.

Des classes sémantiques polarisées

  • 68 Avec le logiciel IRaMuTeQ.

23L’analyse lexicale68 du corpus de presse nationale et néo-aquitaine de 2012 à 2021 a abouti à 5 classes sémantiques. D’une part, 65,8 % des contenus (trois classes) renvoient aux problématiques de prise en charge administrative, économique et éducative de jeunes migrants isolés. Une première classe (25,6 % du corpus analysé) renvoie aux questions de répartition territoriale et de coût pour les départements. Une seconde classe (24,6 %) porte sur la procédure de reconnaissance de la minorité. Les discours sur les dispositifs d’accueil et d’accompagnement comme garants de l’accès aux droits (éducatifs, sanitaires, etc.) des jeunes migrants isolés ne représentent plus que 15,6 % d’une troisième classe. En dépit de leur caractère plus minoritaire, ces discours relèvent d’analyses systématiques des liens entre prise en charge précoce et suivi dans la durée en vue d’une intégration sociale et professionnelle à long terme de ces jeunes, même une fois leur majorité atteinte.

24D’autre part, 34,2 % des contenus (deux classes) relèvent de témoignages retraçant l’histoire migratoire et les conditions de vie des jeunes migrants isolés. Une classe représentant 17,9 % du corpus analysé porte sur les parcours migratoires de ces jeunes, avec des contenus qui dénoncent les trafics associés aux migrations des jeunes migrants isolés, et d’autres qui rapportent les conditions dramatiques de leur parcours d’exil. Enfin, une dernière classe (16,3 %) concentre des co-occurrences lexicales relatant les conditions de vie très précaires de ces jeunes une fois arrivés en France (situations de rupture familiale, d’isolement et de violence auxquelles ils sont confrontés, aléas des dispositifs de mise à l’abri qui parfois les condamnent à vivre la rue, etc.), mais mettant aussi à l’honneur les dispositifs de solidarité et l’hébergement dans la région Nouvelle-Aquitaine.

Des discours médiatiques qui oscillent entre empathie envers des « jeunes à protéger », inquiétude voire hostilité face à des « étrangers à contrôler », et admiration des plus « résilients »

  • 69 Adjectif « vulnérable·s » dans la 1ère classe : Khi2 de 7,38 pour une probabilité p = 0.00660.
  • 70 Verbe « protéger » dans la 1ère classe : Khi2 de 21,87 pour une probabilité p < 0.0001.

25L’adjectif « vulnérable » (14 occurrences) est significativement associé à d’autres lexèmes de la classe la plus importante69, de même que le verbe « protéger »70 (26 occurrences). L’environnement sémantique de la vulnérabilité renvoie à l’augmentation des flux, aux dangers du parcours migratoire et aux difficultés des politiques de protection de l’enfance dans ce contexte :

  • 71 Lazarova Rouja, « MNA : 85 % de jeunes en plus pris en charge par les départements », La Gazette de (...)

En 2017, 14908 jeunes ont ainsi été déclarés MNA, soit une augmentation de 85 % par rapport à 2016. […] La MMNA souligne leur vulnérabilité qui en fait des proies faciles […], et met en garde contre le fait que les réseaux criminels peuvent faire obstacle à leur prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE)71.

26D’autres contenus associent ouvertement les jeunes migrants isolés à des délinquants. S’ils ne constituent pas une tendance générale, le vocabulaire utilisé y est néanmoins très stigmatisant (« délinquants » : 42 occurrences concentrées dans une dizaine d’articles surtout du Figaro - délinquance souvent associée à la nécessité du contrôle des flux migratoires ; mais aussi dans des articles de faits-divers de Sud-Ouest).

Des titres et/ou des commentaires évocateurs de ces désignations stigmatisantes :

  • 72 Cette lexie associant les termes « délinquance des MNA » et « fléau » est réapparue très récemment (...)

Mineurs étrangers délinquants, le casse-tête des parquets. La justice peine à maîtriser ce phénomène qui se déplace d’une ville à l’autre. Un fléau72. (Le Figaro, 15 juin 2018)

Bordeaux : La police cible la violence des mineurs isolés. (Sud-Ouest, 25 octobre 2019)

Le phénomène MNA empoisonne la justice et la police bordelaises depuis plus de trois ans. (Sud-Ouest, 21 février 2020)

27Enfin, certains discours louent une vision consensuelle des jeunes migrants isolés parmi les politiques et les militants, vantant leur volonté d’intégration et leur capacité de résilience par la réussite scolaire et professionnelle :

Car il y a une chose qui met politiques et militants d’accord : quand on leur donne une chance, ils donnent tout. On a des résultats scolaires inouïs. Certains font des bacs pros et même Sciences Po. Parmi les enfants de l’ASE, ce sont eux qui réussissent le mieux, affirme Dominique Versini. » (Libération, 5 octobre 2020)

28Ces registres discursifs rendent difficilement compte de la diversité et de la complexité des parcours migratoires de ces jeunes. Ce point sera ultérieurement traité à l’aune des problématiques d’hégémonie des médias et des biais de stéréotypie liés aux discours de vulnérabilité et de résilience.

Appropriation et renforcement de l’hétérodéfinition MNA comme catégorie prescriptive d’identification

29Notre étude de la presse montre également que les médias s’approprient la catégorie administrative et juridique de MNA, le plus souvent sans l’interroger, contribuant ainsi à la diffusion et au renforcement d’une vision homogénéisante de jeunes aux parcours et aux situations diverses.

Une dramaturgie médiatique centrée sur les catégories institutionnelles

  • 73 Ministère de la Justice, Comité de suivi des mineurs non accompagnés du 7 mars 2016 (http://www.jus (...)

30Le corpus analysé suit les évolutions sémantiques institutionnelles relatives aux jeunes isolés étrangers. En 2016, le ministère de la Justice préconise un changement de désignation et d’acronyme, délaissant l’appellation MIE au profit de celle de MNA. Il s’agissait alors d’harmoniser le lexique utilisé dans les pays européens, tout en rappelant que ces jeunes « relèvent du dispositif de protection de l’enfance » et que leur « origine géographique importe peu » dès lors qu’il s’agit de mineurs en « errance »73. Les associations de soutien aux personnes migrantes dénoncent cette nouvelle orientation et continuent généralement d’utiliser l’appellation MIE pour signifier la problématique spécifique des jeunes de nationalité étrangère, soumis au droit au séjour au moins au terme de leur minorité. Les articles étudiés prennent majoritairement le virage institutionnel et font, depuis 2016, un usage extensif de la terminologie hétérodésignée MNA. L’usage de l’expression « mineurs étrangers isolés » décroît en effet à partir de juin 2016, au profit de l’appellation MNA.

31Au-delà de l’utilisation d’un vocable hétérodésigné et de la reproduction de catégories institutionnelles, que nous apprennent la rhétorique et la mise en scène médiatiques sur ces jeunes ? En reprenant à son compte les désignations institutionnelles sans les interroger et en suivant leur évolution, le discours médiatique contribue à renforcer l’illusion d’une homogénéité de ces jeunes aux parcours, aux projets, aux expériences et aux situations pourtant très hétérogènes. D’autre part, le renforcement de l’imposition d’une catégorie prescriptive d’identification – MIE puis MNA – contribue à assigner sur un mode identitaire ces jeunes à un statut et à façonner les représentations sociales à leur sujet. Les théories de la communication et de l’influence constituent un appui précieux dans la compréhension de ces phénomènes.

Le pouvoir de désignation performative du discours médiatique

  • 74 McCombs Maxwell and Shaw Donald, « The agenda-setting function of mass media », Public Opinion Quar (...)
  • 75 Derville Grégory, Le pouvoir des médias. Mythes ou réalités, Grenoble, Presses Universitaires de Gr (...)
  • 76 Iyengar Shanto and Kinder Donald, News That Matter: Television and American opinion, Chicago, Unive (...)

32De nombreux travaux ont en effet mis en lumière les mécanismes persuasifs de l’information médiatique dont les modes opératoires sont essentiellement de trois ordres. Premièrement, la « fonction d’agenda74 » permet de mettre en lumière un événement ou une question particulière, contribuant ainsi à orienter ou à renforcer les préoccupations des publics : l’augmentation du nombre et de la fréquence des articles sur les « MNA délinquants » inscrit cette problématique à l’agenda, légitimant de ce fait son traitement politique. Deuxièmement, l’« effet de cadrage » (framing), que l’on peut définir comme le choix d’une mise en scène sémantique et/ou visuelle plus ou moins favorable, contribue à façonner le cadre de référence au sein duquel le débat peut se situer75 : on a pu observer dans une partie de notre corpus de presse, en particulier pour l’année 2021, et surtout dans Le Figaro, que la rhétorique journalistique liée aux problématiques de prise en charge institutionnelle et de reconnaissance de la minorité pouvait être associée à des thématiques plus sécuritaires, comme celles relatives à l’afflux de migrants et à la délinquance des MNA, ou alors aux défauts de moyens en général – dans des articles du Monde et de La Croix ; à l’inverse apparaît un autre type d’environnement lexical et sémantique, émanant davantage d’articles de Libération, L’Humanité, La Croix et Le Monde, Sud-Ouest ou encore d’Actualités sociales hebdomadaires, où se côtoient et se font écho les problématiques d’accueil et d’accompagnement de ces jeunes d’une part et les références aux droits et impératifs de protection de l’enfance d’autre part. Troisièmement, l’« effet d’amorçage » (priming) signifie que plus un fait social est médiatisé, plus il aura de l’influence sur les publics récepteurs ainsi que sur les choix politiques ultérieurs76 : en tant que prescripteurs de l’actualité et auteurs de sa mise en mots et en images, les médias utilisent des énoncés dont la propension à se muer en préoccupation sociopolitique est d’autant plus importante que le sujet y est déjà sensible, et que le nombre de jeunes migrants isolés augmente en France à partir de 2012.

« Espaces publics de conflictualité » et « hégémonie » des médias

  • 77 Zougbede Émeline, « De qui suis-je le délinquant ? Comprendre la stigmatisation des jeunes étranger (...)

33Ces réflexions sur les représentations et catégorisations institutionnelles, administratives, politiques et médiatiques des jeunes migrants isolés ravivent des questions infocommunicationnelles, notamment lorsqu’on arrime ces questions à celle des espaces publics de reconnaissance sociale de groupes invisibilisés et/ou stigmatisés, en l’occurrence en raison de leur origine ethnique et de leur situation migratoire. Si la requalification administrative et institutionnelle des MIE en MNA n’a en effet pas vraiment permis de mieux inscrire ces jeunes du côté des dispositifs de l’ASE plutôt que de celui de l’étranger à contrôler, c’est précisément parce qu’ils sont « pris […] dans deux litanies qui semblent éclairantes : l’une sur la jeunesse d’origine étrangère en France, l’autre sur l’immigration77 ».

  • 78 A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, op. cit.

34Même si des discours racialistes de (dis)qualification de ces jeunes migrants isolés sont présents dans notre corpus de presse avant et après 2016, ils n’excluent pas, tant s’en faut, d’autres espaces discursifs médiatiques de désignation et de catégorisation de ces jeunes. Mais si ces autres contenus des discours médiatiques n’empruntent pas à des registres ostensiblement péjoratifs comme ceux qui assimilent ces jeunes à des étrangers à contrôler, voire à des délinquants, nous avançons qu’ils ne favorisent pas pour autant une meilleure reconnaissance sociale (au sens que Honneth78 donne à ce terme) de ces jeunes, pas plus qu’ils n’incitent à une approche critique des hétérodésignations dont ils font l’objet.

  • 79 M. Dalibert, A. Lamy et N. Quemener, « Introduction », art. cit., p. 14.
  • 80 Ibid., p. 13.

35Quels processus infocommunicationnels peuvent affaiblir la distanciation critique des discours médiatiques à l’endroit des catégorisations officielles administratives des jeunes migrants isolés ? Cette question peut être rapportée aux débats et controverses politiques, institutionnels et citoyens inscrits dans des « espaces publics de conflictualité » – « l’effet idéologique des médias » étant précisément, sur le plan discursif, « à chercher du côté de l’unité du discours et de la cohérence des représentations qui donnent sens aux débats publics et aux choses du monde social79 ». Or, quels sont les espaces publics de conflictualité à propos des jeunes migrants isolés ? Cette conflictualité s’exprime-t-elle, et si oui de quelle manière, dans des contenus médiatiques comme ceux de la presse ? Ou ces derniers présentent-ils au contraire une « unité de discours » qui peine à rendre compte d’un paradoxe saillant du traitement institutionnel, administratif et politique de ces jeunes : un droit à la protection de l’enfance pris dans les rets des politiques de régulation des flux migratoires ? C’est probablement là que se joue le nœud de conflictualité – organisé autour d’un jeu de balancier lexico-sémantique désignant ces jeunes, tour à tour, voire simultanément, comme catégorie vulnérable à protéger, mais résiliente, et parfois potentiellement dangereuse (sa « délinquance »). Ces tensions traversent l’ensemble des espaces publics d’expression à propos des jeunes migrants isolés, notamment médiatiques. De ce fait, ces représentations, ces discours, semblent former un tout hégémonique, mais là encore, au sens que Hall donne au terme « hégémonie » : soit jamais définitivement acquise, ou, autrement dit, pouvant appeler au développement d’« éléments contre-hégémoniques80 ».

Les MIE et/ou MNA comme catégories de jeunes « vulnérables et résilients »

  • 81 É. Damome et N. Soubiale, « Rhétorique de la résilience et stéréotypie du pastoralisme sahélien », (...)
  • 82 A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, op. cit.
  • 83 O. Voirol, « Les luttes pour la visibilité », art. cit.

36Les discours institutionnels ou politiques de résilience de personnes ou populations vulnérables entretiennent des processus catégoriels spécifiques. Ainsi, dans le champ de l’aide publique au développement (APD), les discours onusiens sur la résilience de populations d’Afrique subsaharienne bénéficiaires de l’APD s’appuient sur une rhétorique propice à des représentations figées ou stéréotypées de ces mêmes populations81. Une partie de notre corpus de presse s’appuie également sur une sorte d’imagerie des MIE ou MNA les dépeignant parfois comme à la fois « vulnérables » et « résilients » – ceux dont le parcours est exemplaire et qui font notamment l’objet d’une attention soutenue dans certains articles. Ces descriptions sélectives et laudatives relèvent d’un registre méritocratique de représentation des jeunes migrants isolés. Si d’un côté, il permet certainement d’offrir au grand public une perception plus positive de ces jeunes, battant en brèche les représentations les plus stigmatisantes – les « jeunes étrangers délinquants », « fraudeurs » (à la minorité…) –, d’un autre côté, ne risque-t-il pas – en survisibilisant et surqualifiant une partie d’entre eux comme éligible à des formes de reconnaissance sociale82 – d’invisibiliser, voire de disqualifier, en les rejetant dans le contraire de la reconnaissance, l’ignorance, voire le mépris, d’autres jeunes dont la biographie ne leur permet pas de concourir dans ces « luttes pour la visibilité83 » ? On peut interroger les effets plausibles de ces formes de contenus hégémoniques dans la presse. Notamment, ces récits de cas exemplaires, couplés à une reprise de l’hétérodésignation administrative, ne risquent-ils pas de « dépolitiser » plus encore le débat sur la situation des jeunes migrants isolés dans les espaces publics où il s’élabore ?

Conclusion

37La fusion, dans certains récits journalistiques, de l’hétérodésignation » MNA » et de faits de délinquance constitue un acte discursif symbolique qui tend à naturaliser l’analogie entre ces deux éléments. Instillée sur le mode de la répétition, cette association favorise des schémas de pensée causale « jeunes-étrangers-délinquants » difficiles à déconstruire, car ils confortent la doxa migratoire des « migrants à contrôler ».

  • 84 É. Zougbede, « De qui suis-je le délinquant ? », art. cit., p. 15.

38D’autres contenus journalistiques prennent néanmoins le contre-pied de ces discours disqualifiants maniant statistiques et « paniques morales84 » autour de faits de délinquance attribués à de jeunes migrants isolés. Ils usent alors au contraire de la particularisation, de l’exemplification par l’exposé laudatif des réussites scolaires et professionnelles des plus méritants. Mais ces récits méritocratiques mettant en scène des jeunes « vulnérables et résilients » comportent un autre piège discursif, qui cette fois-ci risque d’évincer du débat public la question des conditions de vie réelles de ces jeunes, où la reconnaissance du statut de mineur, et donc l’accès aux droits à l’éducation, à la santé, relèvent moins de leur exemplarité personnelle que de décisions politiques et administratives.

39L’imagerie méritocratique du jeune migrant « vulnérable » et « résilient » ne risque-t-elle pas de reléguer une nouvelle fois au second plan la question du primat des droits de l’enfant en matière d’accueil et d’accompagnement des jeunes migrants isolés ?

40Les décalages entre les représentations de la presse d’une part et la lecture sociologique de ces jeunes d’autre part confirment la nécessité de continuer les investigations scientifiques sur le terrain de la migration, et toujours à propos des questions qui lui sont relatives, à savoir celles de l’accueil, de l’hospitalité, de la défense des droits humains et du citoyen, et enfin de celle spécifique des droits de l’enfant. La recherche « Communication et construction de l’opinion sur les jeunes migrants isolés » (COJEMI) nouvellement engagée en Nouvelle-Aquitaine permettra d’élargir les terrains d’enquête et les corpus médiatiques, et ainsi d’apporter de nouveaux éléments de comparaison entre approches sociologiques et médiatiques. La parole est donnée à de jeunes mineurs isolés dans le cadre de cette nouvelle étape de recherche, notamment grâce à la réalisation d’un film co-construit avec eux.

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Notes

1 Cottle Simon, Ethnic minorities and the Media. Changing Cultural Boundaries, Buckingham, Open University Press, 2000; Georgiou Myria, Media and the City, London, Polity Press, 2013; Gillepsie Marie, Television, Ethnicity, and Cultural Change, London, Routledge, 1995; Mattelart Tristan, Médias et migrations dans l’espace euro-méditerranéen, Paris, Mare & Martin, 2014; Rigoni Isabelle, Qui a peur de la télévision en couleurs? La diversité culturelle dans les médias, Montreuil, Aux Lieux d’Être, 2007 ; Rigoni Isabelle et Saitta Eugénie (éds.), Mediating cultural diversity in a globalized public space, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012.

2 Georgiou Myria et Zaborowski Rafal, Couverture médiatique de la « crise des réfugiés » : perspective européenne, Strasbourg, Rapport du Conseil de l’Europe DG1, 2017.

3 Rigoni Isabelle et Ali-Oualla Myriam, « Migration[s] en images. Renouveler le regard », Revue française des méthodes visuelles, no 4, 2020 [En ligne].

4 Hall Stuart, « La culture, les médias et l’“effet idéologique” », in Glevarec Hervé, Mace Éric et Maigret Éric. (éds.), Cultural Studies. Anthologie présentée et commentée, trad. par Christophe Jaquet, Paris, Armand Colin, 2008 [1977], p. 41-60.

5 Damome Étienne et Soubiale Nadège, « Rhétorique de la résilience et stéréotypie du pastoralisme sahélien : des discours onusiens aux contenus journalistiques », Hermès, no 83/1, 2019, p. 186-190 ; Soubiale Nadège et damome Étienne, « Résilience du pastoralisme sahélien : discours d’évidence institutionnels et journalistiques », Communiquer, no 26, 2019, p. 89-104.

6 Honneth Axel, La lutte pour la reconnaissance, trad. par Pierre Rusch, Paris, Éditions du Cerf, 2000 [1992].

7 Voirol Olivier, « Les luttes pour la visibilité. Esquisse d’une problématique », Réseaux, no 129-130, 2005, p. 89-121.

8 Cette étude, intitulée Communications Médiatiques et Organisationnelles sur l’Immigration et l’Exil (CMOIE), a bénéficié du financement de l’Université Bordeaux Montaigne en 2021. Elle est prolongée par le programme de recherche Communication et construction de l’opinion sur les jeunes migrants isolés (COJEMI), financé par la Région Nouvelle-Aquitaine sur la période 2022-2025.

9 Déaux Lydie, « Expériences d’ancrage dans les lieux de passage », Hommes & Migrations, no 1333, 2021, p. 63-69.

10 Blanc Julien, Quelle politique d’accueil pour les mineurs isolés étrangers en France ? 1975-2003 : rôles et places des collectivités locales dans la définition d’une politique publique, Mémoire de DESS en Administration des collectivités territoriales sous la direction de François Gautier et Bernard Poujade, Université de Paris V, Paris, 2003 ; Long Julien, « Identifier les jeunes isolés étrangers depuis 1945 », Plein droit, no 133, 2022, p. 11-14.

11 Duvivier Émile, « Quand ils sont devenus visibles… Essai de mise en perspective des logiques de construction de la catégorie de “mineur étranger isolé” », Pensée plurielle, no 21, 2009, p. 65-79.

12 Senovilla Hernandez Daniel, « 

13 Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, Notes sur les politiques et procédures à appliquer dans le cas des enfants non accompagnés en quête d’asile, Genève, Nations unies, 1997.

14 Tel que le principe de non-discrimination (Article 2), le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant (Article 3) ou le principe de droit à une protection (Article 20).

15 Article L112-3 du CASF (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045136781).

16 Marmié Cléo, « Devenir “mineur non accompagné”. Enjeux épistémologiques et effets pratiques d’une catégorie de l’intervention publique », Migrations Société, no 189, 2022, p. 41-57.

17 Perrot Adeline, Les mijeurs exilés à l’épreuve du jugement : une ethnographie des frontières d’âge et de statuts, Thèse de doctorat en Sociologie sous la direction de Léonore Le Caisne, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2017.

18 Rigoni Isabelle et Crenn Chantal, « Les mineurs isolés étrangers originaires d’Afrique sub-saharienne en Gironde. Protection de l’enfance, accès à l’éducation et à l’alimentation », Études de la Chaire Diasporas Africaines, no 1, 2020, p. 1-82 ; Duvivier Émile, Entre protection et surveillance : parcours et logiques de mobilité de jeunes migrants isolés, Thèse de doctorat en Sociologie sous la direction de Licia Valladares, Université de Lille 1, Lille, 2012 ; Etiemble Angeline et Zanna Omar, Des typologies pour faire connaissance avec les mineurs isolés étrangers et mieux les accompagner, Synthèse de Topik/Mission de Recherche Droit et Justice, 2013 ; Przybyl Sarah, Territoires de la migration, territoires de la protection. Parcours et expériences des mineurs isolés étrangers accueillis en France, Thèse de doctorat en Géographie sous la direction de William Berthomière et de Daniel Senovilla Hernandez, Université de Poitiers, Poitiers, 2016 ; Senovilla Hernandez Daniel et Marmié Cléo (éds.), « Paroles de jeunes », Jeunes et mineurs en mobilité, no 5, 2020, p. 1-67.

19 D. Senovilla Hernandez, « 

20 D’Halluin Estelle, « Le nouveau paradigme des “populations vulnérables” dans les politiques européennes d’asile », Savoir/Agir, no 36/2, 2016/2, p. 21-26.

21 Frigoli Gilles et Immele Cécile, « Les protéger et s’en protéger : les mineurs isolés étrangers en débat au Parlement français », Migrations Société, no 129-130/3-4, 2010, p. 129-145.

22 Bricaud Julien, Accueillir les jeunes migrants. Les mineurs isolés étrangers à l’épreuve du soupçon, Lyon, Chronique Sociale, 2012, p. 43.

23 Agier Michel, « L’encampement du monde », Plein droit, no 90/3, 2011, p. 21-24.

24 Kobelinsky Carolina, « Les situations de retour. Restituer sa recherche à ses enquêtés », in Bensa Alban (éd.), Les politiques de l’enquête. Paris, La Découverte, 2008, p. 185-204 ; Le Courant Stefan, Vivre sous la menace. Les sans-papiers et l’État, Paris, Seuil, 2022 ; Spire Alexis, « La politique des guichets au service de la police des étrangers », Savoir/Agir, no 36, 2016, p. 27-31.

25 Rigoni Isabelle, « Logiques institutionnelles et répertoires d’action après Calais. Hétérogénéité des pratiques des acteurs sociaux et politiques depuis le démantèlement du bidonville de Calais », Sciences et actions sociales, no 9, 2018 [En ligne].

26 Przybyl Sarah, « Qui veut encore protéger les mineurs non accompagnés en France ? De l’accueil inconditionnel d’enfants en danger à la sous-traitance du contrôle d’étrangers indésirables », Lien social et Politiques, no 83, 2019, p. 63.

27 Anesm (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux), L’accompagnement des mineurs non accompagnés dits « mineurs isolés étrangers ». Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, Saint-Denis-La-Plaine, Anesm, 2017 ; Bailleul Corentin et Senovilla Hernandez Daniel, Dans l’intérêt supérieur de qui ? : Enquête sur l’interprétation et l’application de l’article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant dans les mesures prises à l’égard des mineurs isolés étrangers en France, Poitiers, MIGRINTER, 2016 ; S. Przybyl, « Qui veut encore protéger les mineurs non accompagnés en France ? », art. cit. ; Senovilla Hernandez Daniel, « 

28 Anesm (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux), L’accompagnement des mineurs non accompagnés dits « mineurs isolés étrangers ». Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, Saint-Denis-La-Plaine, Anesm, 2017 ; Bailleul Corentin et Senovilla Hernandez Daniel, Dans l’intérêt supérieur de qui ? : Enquête sur l’interprétation et l’application de l’article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant dans les mesures prises à l’égard des mineurs isolés étrangers en France, Poitiers, MIGRINTER, 2016 ; S. Przybyl, « Qui veut encore protéger les mineurs non accompagnés en France ? », art. cit. ; Senovilla Hernandez Daniel, « 

29 La loi du 10 septembre 2018 « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » est dénoncée par de nombreuses organisations de la société civile pour sa suspicion et son durcissement généralisés envers les MNA, avec la création d’un fichier biométrique des enfants (à l’image du fichier Eurodac pour les majeurs) et la désignation d’un seul département responsable de la demande de protection (à l’instar de la procédure Dublin).

30 Le berre Rozenn, De rêves et de papiers. 547 jours avec les mineurs isolés étrangers, Paris, La Découverte, 2017.

31 L. Carayon et al., « “Soyez cohérent jeune homme !” », art. cit. ; N. Paté, L’accès – ou le non-accès – à la protection des mineur.e.s isolé.e.s en situation de migration, op. cit.

32 Haut Conseil de la santé publique (HCSP), Avis du Haut Conseil de la santé publique relatif à l’évaluation d’un jeune isolé étranger, 2014 (https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine ?clefr =412).

33 Lendaro Analisa, « Mineur jusqu’aux os ? La juge des enfants et l’âge du jeune étranger au prisme des tests osseux », Ethnologie française, no 178/2, 2020, p. 377-389 ; Ronge Jean-Luc, « L’expertise de détermination de l’âge : la vérité tombe toujours sur un os », Journal du droit des jeunes, no 285/5, 2009, p. 33-44 ; Souffron Valérie, « La mal-mesure de l’âge. Estimation médicale de l’âge des mineurs isolés étrangers », Socio-anthropologie, no 40, 2019, p. 77-95.

34 Ministère de la Justice, ministère des Affaires sociales, ministère de l’Intérieur et Assemblée des départements de France, Dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers. Protocole entre l’État et les départements, 2013, p. 4.

35 CESEDA, art. L.611-6-1.

36 Décret no 2019-57 du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes. Les éléments présentés dans ce paragraphe s’appuient sur la synthèse réalisée par Forum Réfugiés-Cosi, L’asile en France et en Europe. État des lieux 2019, 2019 (https://forumrefugies.org/images/s-informer/publications/rapports/rapport-annuel-asile/Forum_refugiees-Cosi_Etat_des_lieux_de_l_asile_en_France_et_en_Europe-Edition_2019.pdf).

37 Plusieurs associations (Unicef France, Médecins sans Frontières, Médecins du Monde, Secours catholique, Cimade, Gisti, Ligue des Droits de l’Homme, Uniopss, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France…) ainsi que le Conseil national des barreaux ont introduit en 2019 un recours en excès de pouvoir contre le décret du 30 janvier 2019.

38 Défenseur des droits, « Le Défenseur des droits demande l’abandon du projet de décret relatif à la mise en œuvre du fichier national biométrique des mineurs non accompagnés », 2018 (https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2018/12/le-defenseur-des-droits-demande-labandon-du-projet-de-decret-relatif-a).

39 Ritaine Évelyne, « Dramaturgie de l’intrusion migratoire. Teatro all’italiana », in denis-constant Martin (éd.), L’identité en jeux. Pouvoirs, identifications, mobilisations, Paris, Karthala, 2010, p. 201-221.

40 Macé Éric, « Des “minorités visibles” aux néostéréotypes. Les enjeux des régimes de monstration télévisuelle des différences ethnoraciales », Journal des anthropologues, hors-série 2007, p. 69-87.

41 Flipo Aurore, « Entre misérabilisme et injonction à la mobilité. Dominocentrisme et dominomorphisme dans l’étude des migrations internationales », in Oktar Nathalie, Salzbrunn Monika et Stock Mathis (éds.), Migrations, circulations, mobilités. Nouveaux enjeux épistémologiques et conceptuels à l’épreuve du terrain, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2017, p. 45-57.

42 Guimelli Christian, La pensée sociale, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 63.

43 Germes Mélina et Scavo Roxane, « Comment habitent les sujets marginalisés ? Émotions des usagers et usagères de drogue », EspacesTemps.net, 2021 [En ligne].

44 Damome Étienne, « Religions et médias au Ghana et au Togo », Revue française des sciences de l’information et de la communication, no 13, 2018.

45 S. Hall, « La culture, les médias et l’“effet idéologique” », art. cit.

46 Condominas Georges, « Clifford Geertz, The Religion of Java », L’Homme, no 4/2, 1964, p. 135.

47 S. Hall, « La culture, les médias et l’“effet idéologique” », art. cit.

48 Ibid.

49 É. Damome et N. Soubiale, « Rhétorique de la résilience et stéréotypie du pastoralisme sahélien », art. cit.

50 Lamizet Bernard et Silem Ahmed (éds.), Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Ellipses, 1997, p. 474.

51 Cefaï Daniel, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, no 14/75, 1996, p. 43-66. 

52 Moliner Pascal, Vidal Julien et Payet Joëlle, « Stéréotypage médiatique et objectivation de la représentation sociale des migrants », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, no 117-118/1, 2018, p. 5-23.

53 Moscovici Serge, La psychanalyse, son image et son public, Presses Universitaires de France, 1976.

54 Damome Étienne, « Religions et médias au Ghana et au Togo », art. cit., paragr. 5.

55 Charaudeau Patrick, « La construction de la nouvelle : un monde filtré », in Charaudeau Patrick (éd.), Les médias et l’information. L’impossible transparence du discours, Bruxelles, De Boeck, 2011, p. 108.

56 Dalibert Marion, Lamy Aurélia et Quemener Nelly, « Introduction », Études de communication, no 47/2, 2016, p. 13.

57 Factiva et Europresse.

58 Par exemple « jeunes migrants isolés », « jeunes migrants » ou enxore « jeunes étrangers », puis nous avons pris soin de vérifier que le contenu des articles ainsi référencés par ces titres portait bien sur les problématiques de MNA et/ou de MIE.

59 Nous avons aussi pris soin de sélectionner les articles sur un critère quantitatif : tous comportent un minimum de 15 lignes d’écriture.

60 Le corpus des articles de presse a été clos au mois d’août 2021, pour nous permettre ensuite de réaliser des entretiens auprès de journalistes ainsi que de bénévoles et de militants associatifs en septembre 2021.

61 « Décision relative à la situation des mineurs isolés étrangers en errance sur le territoire national. Le 21 décembre 2012, le Défenseur des Droits, Monsieur Dominique Baudis, adressait un courrier à Madame la Garde des Sceaux, Christine Taubira, l’informant de l’adoption d’une décision (no MDE-2012-179) s’agissant de la situation des mineurs isolés étrangers, dont la protection en France, est selon son constat, non conforme aux engagements de la France eu égard à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Cette décision comporte 15 recommandations portant respectivement sur le premier accueil des MIE, leur accès au dispositif de protection de l’enfance, les spécificités attachées au contenu de leur prise en charge et les modalités de leur accompagnement au moment de leur majorité. » (https://www.infomie.net/spip.php ?article2904)

62 Dont 29 articles du Monde (35,3 %), 12 articles du Figaro (14,6 %), 11 articles de Libération (13,4 %), 11 articles de La Croix (13,4 %), 6 articles de l’Humanité, 4 articles de Mediapart, 2 articles du journal Le Point, 1 article du Nouvel Obs, 1 article de La Vie, 1 article de l’Express, 1 article de La Tribune, 1 article de Valeurs Actuelles, 1 article du journal Les Échos et 1 article de Marianne.

63 Cette décision est inhérente aux objectifs de cette recherche qui a débouché sur le dépôt d’une soumission de projet à la Région Nouvelle-Aquitaine. Ce corpus comprend 35 articles du journal Sud-Ouest (81,4 %) et 8 articles de Rue89 Bordeaux (18,6 %).

64 Dont 6 articles de Actualités Sociales Hebdomadaires, 4 articles de La Gazette des Communes, 3 articles de La Gazette Santé Social, 1 article du Bulletin Quotidien, 1 article du Quotidien des Médecins et 1 du Journal du Développement.

65 Le logiciel Alceste, créé par Max Reinert (laboratoire de Jean-Paul Benzécri, CNRS, Paris) en 1979, l’acronyme signifiant « Analyse des lexèmes cooccurrents dans un ensemble de segmentations du texte étudié » ; et le logiciel IRaMuTeQ, l’équivalent gratuit d’Alceste en logiciel libre, IRaMuTeQ, l’acronyme signifiant « Interface de R pour les analyses multidimensionnelles de textes et de questionnaires ».

66 Foucault Michel, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 53.

67 Indice Khi2 ou Chi2 : plus il est élevé, plus il correspond à une forte probabilité d’association du mot (substantif, adjectif, verbe…) à la classe.

68 Avec le logiciel IRaMuTeQ.

69 Adjectif « vulnérable·s » dans la 1ère classe : Khi2 de 7,38 pour une probabilité p = 0.00660.

70 Verbe « protéger » dans la 1ère classe : Khi2 de 21,87 pour une probabilité p < 0.0001.

71 Lazarova Rouja, « MNA : 85 % de jeunes en plus pris en charge par les départements », La Gazette des Communes, 17 avril 2018 (https://www.lagazettedescommunes.com/560097/mna-85-de-jeunes-en-plus-pris-en-charge-par-les-departements/) [souligné par les auteur·rices, ainsi que dans les extraits suivants].

72 Cette lexie associant les termes « délinquance des MNA » et « fléau » est réapparue très récemment dans la presse régionale, avec un article du journal sud-ouest, paru le 22 mai 2022 à l’occasion de la visite de G. Darmanin et E. Dupont-Moretti « venus parler de la gestion bordelaise des jeunes délinquants se disant mineurs », déclare le quotidien régional, et dans lequel on peut lire également ceci : « MNA, pour mineurs non accompagnés. Un sigle vite devenu synonyme de phénomène de société et de fléau social ». Le département de la Gironde, par la voix de son président, Jean-Luc Gleyze, a publié dès le lendemain un communiqué de presse sur son site dénonçant un « amalgame entretenu entre mineurs délinquants et mineurs non accompagnés » (https://www.gironde.fr/espace-presse/suite-la-visite-ministerielle-du-22-mai-jean-luc-gleyze-denonce-lamalgame-entre).

73 Ministère de la Justice, Comité de suivi des mineurs non accompagnés du 7 mars 2016 (http://www.justice.gouv.fr/justice-des-mineurs-10042/mineurs-non-accompagnes-12824/comite-de-suivi-des-mineurs-non-accompagnes-du-7-mars-2016-29232.html).

74 McCombs Maxwell and Shaw Donald, « The agenda-setting function of mass media », Public Opinion Quarterly, no 36/2, 1972, p. 176-187.

75 Derville Grégory, Le pouvoir des médias. Mythes ou réalités, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2005.

76 Iyengar Shanto and Kinder Donald, News That Matter: Television and American opinion, Chicago, University of Chicago Press, 1987.

77 Zougbede Émeline, « De qui suis-je le délinquant ? Comprendre la stigmatisation des jeunes étrangers », Mémoires, no 82/1, 2022, p. 14-15.

78 A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, op. cit.

79 M. Dalibert, A. Lamy et N. Quemener, « Introduction », art. cit., p. 14.

80 Ibid., p. 13.

81 É. Damome et N. Soubiale, « Rhétorique de la résilience et stéréotypie du pastoralisme sahélien », art. cit.

82 A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, op. cit.

83 O. Voirol, « Les luttes pour la visibilité », art. cit.

84 É. Zougbede, « De qui suis-je le délinquant ? », art. cit., p. 15.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Étienne Damome, Lydie Déaux, Léa Keller, Isabelle Rigoni et Nadège Soubiale, « Les jeunes migrants isolés dans la presse nationale et aquitaine »Terrains/Théories [En ligne], 17 | 2023, mis en ligne le 22 juin 2023, consulté le 13 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/teth/5253 ; DOI : https://doi.org/10.4000/teth.5253

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Auteurs

Étienne Damome

Étienne Damome est professeur en sciences de l’information-communication à l’Université Bordeaux Montaigne. Chercheur au laboratoire MICA (Médiations, Information, Communication et Arts, UR 4426), il dirige l’axe « Médias, sociétés et cultures ». Il a consacré sa thèse de doctorat aux processus informationnels, communicationnels et de prosélytisme religieux en Afrique de l’Ouest. Son habilitation à diriger des recherches porte sur la compréhension des processus de construction communautaire autour des médias (exemple des communautés radiophoniques en Afrique subsaharienne). Ses travaux s’inscrivent principalement dans les domaines représentations médiatiques, des pratiques médiatiques et des dynamiques post-réception, notamment en Afrique subsaharienne.

Lydie Déaux

Lydie Déaux est doctorante en sociologie à l’Université de Poitiers. Chercheure au laboratoire Migrinter, UMR 7301, sa thèse porte sur les trajectoires de jeunes migrants non accompagnés en quête de protection dans le Pays basque français. Ses travaux s’intéressent principalement aux problématiques d’ancrage territorial des jeunes migrants.

Léa Keller

Léa Keller est doctorante en anthropologie à l’Université Bordeaux Montaigne. Chercheure au laboratoire Passages (UMR 5319), elle consacre sa thèse à une étude anthropologique des pratiques professionnelles de la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) en Gironde. Ses travaux portent d’une part sur l’expertise dans le champ éducatif et scolaire, et d’autre part sur les mineurs non accompagnés.

Isabelle Rigoni

Isabelle Rigoni est maîtresse de conférences en sociologie à l’INSEI, chercheure au Grhapes (UR 7287) et associée aux laboratoires MICA (Médiations, Information, Communication et Arts, UR 4426) et Migrinter (UMR 7301). Elle travaille depuis plus de vingt ans sur les migrations et ses travaux actuels portent plus particulièrement sur les mineurs migrants, accompagnés ou non. Elle est lauréate de plusieurs bourses et d’un projet de recherche européen sur les médias ethniques et a co-dirigé plusieurs programmes de recherche nationaux. Elle est experte auprès de la Commission européenne pour les projets de recherche relatifs aux questions migratoires.

Nadège Soubiale

Nadège Soubiale est maître de conférences en sciences de l’information-communication à l’Université Bordeaux Montaigne. Elle est membre du laboratoire MICA (Médiations, Information, Communication et Arts, UR 4426). Sa thèse en psychologie sociale portait sur les processus de catégorisation et d’identité sociales chez des jeunes dans le cadre de la construction européenne. Ses travaux actuels en information-communication portent sur les discours institutionnels de vulnérabilités et de résiliences individuelles et organisationnelles, et sur l’éducation à la sobriété (numérique notamment).

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