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Sociologies matérialistes des institutions internationales

L’apport de Nicos Poulantzas
Marlène Rosano-Grange

Résumés

Cet article vise à explorer les apports de la sociologie matérialiste de Nicos Poulantzas à l’étude des organisations internationales. Il propose aussi de la comparer, de façon subsidiaire, à la sociologie politique de l’international d’inspiration bourdieusienne et à l’école néo-gramscienne des relations internationales. Nous montrons que ces deux regards matérialistes n’articulent pas suffisamment les sphères économique et politique à l’échelle internationale. Nous soutenons que l’approche néo-poulantzassienne permet de les concilier – à partir de l’étude des origines néolibérales des institutions internationales.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Poulantzas Nicos, L’État, le pouvoir, le socialisme, Paris, Presses universitaires de France, 1978.
  • 2 En général, N. Poulantzas ne mentionne pas les auteurs à qui il s’adresse afin, selon lui, de ne pa (...)
  • 3 Macleod Alex et O’Meara Dan (Éds.), Théories des relations internationales. Contestations et résist (...)

1L’État, le pouvoir, le socialisme1de Nicos Poulantzas marque le débat sur la théorie de l’État moderne. Selon lui, les approches sociologiques et marxistes de son époque n’arrivent pas à articuler dialectiquement les sphères économique et politique2. Il souhaite alors réinscrire l’État dans les rapports de production et la lutte des classes. Dans cet article, nous souhaitons explorer les possibilités d’application de cette théorie aux organisations internationales. Les travaux de N. Poulantzas constituent donc la référence principale. Mais nous aimerions aussi, de façon subsidiaire, les comparer à d’autres lectures qui intègrent une analyse de la sphère économique dans la compréhension de phénomènes institutionnels, approches que nous qualifions de « sociologies matérialistes des institutions ». Pour ce faire, nous avons choisi la sociologie d’inspiration bourdieusienne et l’école néo-gramscienne3. D’une part, ces deux lectures de l’international sont bien connues dans l’espace critique francophone, ce qui permet de bénéficier de nombreuses recherches fouillées et par là même d’un appui solide dans la comparaison ; d’autre part, il nous semble que ces deux perspectives sont, en partie, concernées par certaines remarques de N. Poulantzas à propos des analyses sociologiques et marxistes de son temps, qui n’articuleraient pas suffisamment les sphères économique et politique. Par conséquent, nous montrererons que la perspective du marxiste grec permet de prolonger ces approches. Précisons enfin que l’objectif de cet article n’est pas de comparer l’ensemble des travaux de ces éminents chercheur·es en science politique – la profondeur théorique, la richesse des concepts et la diversité des objets d’études mériteraient un ou plusieurs ouvrages – mais d’esquisser quelques hypothèses générales sur leurs points communs, leurs différences et leurs possibilités d’articulations dans l’analyse de l’international.

  • 4 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit. p. 268.
  • 5 Pour l’espace francophone : Amable Bruno, Guillaud, Elvire et Palombarini Stefano, Économie politiq (...)
  • 6 Panitch Leo et Gindin Sam, The Making of Global Capitalism, London, Verso, 2012 ; Ryner Magnus et C (...)

2Dans l’espace académique francophone et anglophone, la théorie poulantzassienne de l’État n’a été que très peu utilisée pour penser les organisations internationales. En effet, N. Poulantzas lui-même n’accorde que peu d’importance à l’échelon supranational. Pour lui, c’est l’État qui organise la mondialisation de l’économie. L’internationalisation du capital passe essentiellement par son intériorisation à l’échelle nationale ; les organisations internationales sont « la partie apparente de l’iceberg4 ». L’on comprend pourquoi les approches qui s’inspirent, plus ou moins explicitement, de ses travaux analysent peu la coopération multilatérale, comme c’est le cas de l’école de la régulation5. De la même manière, les institutions internationales intéressent moins les auteurs néo-poulantzassiens que l’étude du capitalisme étatsunien qu’elles condensent6. En bref, les héritier·ères de N. Poulantzas restent fidèles à ses analyses en privilégiant l’échelle étatique, au détriment des organisations internationales, pour comprendre la mondialisation de l’économie.

  • 7 Brand Ulrich, Gorg Christoph et Wissen Markus, « Second-Order Condensations of Societal Power Relat (...)

3Au contraire, nous allons montrer ici que la sociologie poulantzassienne permet aussi de penser les institutions à l’échelle internationale. Nous inscrivons ce travail dans la continuité des premiers travaux des sociologues matérialistes allemands. Ces derniers ont constitué un groupe de recherche sur l’approche poulantzassienne, à partir de la crise économique de 2008, en l’appliquant aux institutions européennes et à la politique internationale de lutte contre le réchauffement climatique – résultats que nous présenterons succinctement7. Quant à notre article, nous avons pris l’exemple des origines néolibérales des institutions internationales car elles ont fait l’objet d’enquêtes fouillées par les chercheurs bourdieusiens et néo-gramsciens ; cela nous permettra de comparer brièvement les résultats afin d’envisager une possible articulation.

Sociologies des institutions : penser le terrain international à l’aide de A. Gramsci, P. Bourdieu et N. Poulantzas

4Si l’objet principal de cette contribution est de montrer les apports d’une analyse poulantzassienne des institutions internationales et, dans un second temps, l’articulation possible avec d’autres approches, il semble nécessaire de rappeler brièvement les présupposés théoriques des auteurs et leur conception de l’État moderne (nécessairement simplifiée du fait de la complexité des notions abordées). En effet, ils s’inspirent souvent des travaux sur la sociogenèse de l’État afin d’analyser les organisations internationales.

A. Gramsci et le bloc historique mondial

  • 8 Voir à ce sujet Gramsci Antonio, Guerre de mouvement et guerre de position, Éd. de Razmig Keucheyan(...)

5L’école néo-gramscienne constitue une référence incontournable dans la théorie anglophone des relations internationales, particulièrement chez les auteurs qui s’intéressent à la formation d’une société civile mondiale. En effet, le penseur marxiste A. Gramsci a développé une conception extensive de l’État qui ne se limite pas aux appareils coercitifs mais inclut aussi les médiations culturelles (comme l’Église ou les médias). Ces dernières permettent de susciter le consentement des classes dominées, au fondement de l’hégémonie du Prince. Elles forment, avec les rapports de production d’une période donnée, un « bloc historique8 ».

  • 9 Cox Robert W., Production, Power, and World Order. Social Forces in the Making of History, New York (...)
  • 10 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 11-51.

6Appliqué aux relations internationales, ce concept met en évidence l’émergence, à partir des années 1970, d’une classe capitaliste transnationale, socialisée au sein de clubs élitaires transnationaux (comme la Trilatérale ou encore le forum de Davos) et agissant principalement à travers les organisations internationales9. Si nous aurons l’occasion de revenir plus précisément sur leur analyse de l’époque néolibérale, nous pouvons d’ores et déjà souligner le raisonnement économiciste dont semble faire preuve cette école, biais mentionné par N. Poulantzas à propos de certains travaux marxistes10. Selon lui, les institutions politiques, nationales ou internationales, ne sont pas le reflet mécanique des rapports de production ; elles ont une autonomie, certes relative, par rapport aux dynamiques économiques. Néanmoins, cet écueil n’enlève en rien tout l’intérêt de la conception extensive de l’État de A. Gramsci, en particulier la dimension idéologique, comme le reconnaît N. Poulantzas. Il en est de même à l’échelle internationale, notamment à propos des médiations culturelles ; elle permet notamment d’ouvrir un dialogue fructueux avec la sociologie politique, comme nous allons le voir.

P. Bourdieu et la sociologie agonistique des organisations internationales

  • 11 Bourdieu Pierre, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, Paris, Raison d’agir, 2012.
  • 12 Bourdieu Pierre, La noblesse d’État. Grands écoles et esprit de corps, Paris, Minuit, 1989. Voir au (...)
  • 13 Gayon Vincent et Lecler Romain, « Ce que l’international fait à l’économie (et réciproquement). Pou (...)
  • 14 Les « tranchées » désignent dans la pensée de A. Gramsci les différentes médiations idéologiques (l (...)
  • 15 À ce propos, Michel Foucault est aussi mentionné comme source d’inspiration (V. Gayon et R. Lecler, (...)

7Les travaux de P. Bourdieu constituent une référence décisive dans la science politique francophone de l’international. Dans son ouvrage Sur l’État11, le sociologue insiste sur le rôle central des légistes du 16e siècle et, par là même, du droit dans la construction de l’État moderne français. Dans La noblesse d’État12, il montre qu’il y a une filiation directe entre la noblesse de l’Ancien régime et les grands corps administratifs contemporains. Ce sont ces différentes dimensions de l’analyse bourdieusienne de l’État qui vont inspirer les sociologues du politique, et plus spécifiquement ceux de l’ordre économique international13. Ils enquêtent alors sur la socialisation, les « capitaux » (dans l’acceptation bourdieusienne), la praxis (agonistique) des bureaucrates qui structurent les champs décisionnels internationaux. Autrement dit, ils sociologisent les « tranchées » du bloc historique mondial dégagées par l’école néo-gramscienne14. Par là même, ils insistent sur l’autonomie de la sphère politique, elle aussi « relative » par rapport à l’économie – qui est l’objet d’enquêtes empiriques et non pas d’une déduction théorique (à la différence de N. Poulantzas). En outre, ils engagent une réflexivité critique sur les savoirs (notamment académiques) construits par les organisations internationales, perspective essentielle qui fait souvent défaut aux autres approches de l’international15.

  • 16 Artous Antoine, « Retour sur quelques difficultés et discussions », in Artous Antoine et al. (Éds.)(...)
  • 17 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 76-80.
  • 18 Notamment dans P. Bourdieu, « De la maison du roi à la raison d’État », art. cit.

8Si de nombreux ponts peuvent être déployés entre la la pensée de N. Poulantzas et la sociologie agonistique d’inspiration bourdieusienne, il semblerait que cette dernière s’en éloigne par sa conception du rapport entre politique et économie. Plusieurs marxistes ont déjà souligné que P. Bourdieu n’articulait pas suffisamment l’histoire du capitalisme à la sociogenèse de l’État moderne16. Selon eux, celle-ci n’est pas à rechercher dans l’État absolutiste français qui n’était pas composé de fonctionnaires, mais d’une administration dynastique. À cette époque, la séparation entre « propriété publique » et « privée » de l’agent de l’État n’existait pas ; en France, elle apparaît seulement avec la Révolution de 1789, rupture qui marque le début du capitalisme et de l’État moderne selon ces marxistes. N. Poulantzas émet les mêmes remarques à propos des approches de son temps qui voient dans l’entité absolutiste les origines de l’État capitaliste17. Remarquons que cette critique des marxistes ne fait pas l’unanimité. Certains sociologues insistent au contraire sur le processus de dépatrimonialisation de l’État, mis en évidence par P. Bourdieu18, et sur la complexité historique de la sociogenèse de l’État. Au-delà de l’historicisation de l’État moderne, N. Poulantzas interroge le fondement des rapports de forces dans les champs bureaucratique et du pouvoir qui ne peuvent se résumer à la position sociale occupée par les acteurs,ni à leurs origines sociales. Il invite à faire le lien entre celle-ci et les fractions de classes dans l’économie.

9Finalement, la perspective poulantzassienne permet d’émettre le même type de réserve à l’égard des travaux internationalistes qui s’inspirent de A. Gramsci que ceux qui s’inscrivent dans la sociologie de P. Bourdieu : les sphères politique et économique ne sont pas suffisamment articulées. Ces remarques n’enlèvent rien à l’intérêt de ces recherches fondamentales en science politique ; elles ne font que pointer la possibilité d’un dialogue renouvelé avec la sociologie de N. Poulantzas.

N. Poulantzas et la sélectivité des institutions à plusieurs échelles

  • 19 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 141-146.
  • 20 Ibid., p. 141.
  • 21 Entre autres pratiques : doublage d’appareils par d’autres, disponibilité inégale de l’information, (...)

10N. Poulantzas a élaboré une conception relationnelle de l’État moderne19, car bien que l’État s’inscrive dans la division sociale du travail, notamment en classes, il demeure relativement séparé des rapports de production capitaliste. Cela signifie que la reproduction de l’État dépend des luttes sociales, notamment entre classes dominantes et dominées, mais aussi qu’il façonne, en retour, leurs rapports de force – processus que N. Poulantzas qualifie de « condensation ». Ainsi, l’entité étatique est « une condensation matérielle d’un rapport de force entre les classes et fractions de classe20 », sous l’hégémonie de l’une d’entre elles. Cette hégémonie se concrétise à travers la « sélectivité structurelle21 » des institutions, soit un ensemble de pratiques qui filtre les résultats possibles d’une décision à la faveur de la tendance dominante.

  • 22 Les rapports de production, c’est-à-dire la division de la société en classes sociales, n’ont pas l (...)

11À ce propos, la pensée de N. Poulantzas rejoint la sociologie agonistique de P. Bourdieu. Mais, à la différence du sociologue français, le marxiste souligne que le rapport de force entre fractions bureaucratiques se joue aussi dans les rapports de production22. L’étude de la socialisation et de la trajectoire des bureaucrates – par exemple, les allers-retours entre le public et le privé – permet alors de saisir le symptôme de transformations institutionnelles plus profondes qu’il s’agit d’examiner, en l’occurrence :

  • 23 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 250.

La création, hautement ritualisée, de foyers d’expression directe des grands intérêts économiques au sein de l’administration. Des pans entiers de l’appareil administratif, des ministères comme celui de l’Industrie ou des directions entières du ministère des Finances en France, le Commissariat au Plan, etc., sont structurellement organisés comme réseaux de présence spécifique des intérêts hégémoniques au sein de l’État23.

  • 24 N. Poulantzas prend l’exemple du rôle décisif de certaines chambres constitutionnelles réactionnair (...)

12D’un point de vue normatif, cela implique que l’accession des classes populaires et de leurs organisations politiques à des postes à responsabilité dans l’administration ne suffit pas à transformer structurellement le rapport entre l’État et les classes populaires. Car, comme le montre le penseur marxiste, la bourgeoisie a la faculté de « permuter le rôle dominant d’un appareil à un autre24 ». C’est ce réseau décisionnel informel, qui évolue en fonction des rapports de classes à l’échelle nationale et internationale, que la perspective poulantzassienne propose d’étudier, comme nous le verrons à partir de l’exemple du projet néolibéral.

  • 25  Marx Karl, Le Capital : critique de l’économie politique. Le procès de la circulation du capital, (...)
  • 26 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 146.
  • 27 Poulantzas Nicos, « L’internationalisation des rapports capitalistes et l’État-nation », Les Temps (...)

13Enfin, si la différence entre approches sociologique et marxiste se situe dans l’articulation entre politique et économie, il reste à préciser comment N. Poulantzas définit les classes sociales en lutte dans le processus de condensation de l’État. S’inspirant du Capital de Karl Marx25, il les a conceptualisées selon les formes que prend le capital à différents moments du circuit de reproduction de l’économie (capital commercial, monétaire et productif) et qui se concrétisent en fractions du patronat (bancaire, industriel, commercial, etc.) qui n’ont pas les mêmes intérêts à court terme26. Parmi ces fractions de classe, s’exprime aussi le capital étranger, ce qui n’est pas sans conséquence sur la marge de manœuvre d’un État dans les relations internationales, comme nous allons le montrer27.

  • 28 U. Brand, C. Gorg et M. Wissen, « Second-Order Condensations of Societal Power Relations », art. ci (...)

14Transposée à l’échelle internationale, la sociologie poulantzassienne propose de penser les organisations multilatérales comme des « condensations secondaires28 » de rapports sociaux (de classe, parmi d’autres). Elle part du constat que les luttes économiques et sociales se condensent de plus en plus à l’échelle supranationale. Cela signifie que les institutions internationales créent un nouvel espace d’expression et de canalisation des conflits ; en retour, elles sont investies comme telles et reproduites par les acteurs sociaux en lutte. Cette condensation est qualifiée de « secondaire » dans la mesure où elle résulte de l’expression d’intérêts nationaux, qui sont eux-mêmes la condensation « primaire » de rapports de forces internes aux États, considérés comme des acteurs centraux des relations internationales. Mais elle traduit aussi les intérêts d’acteurs transnationaux non-étatiques, ceux analysés notamment par l’école néo-gramscienne, comme les entreprises multinationales, les ONG, les think tanks, les mouvements sociaux transnationaux, etc.

  • 29 Hirsch Joachim et Kannankulam John, « The Spaces of Capital: The Political Form of Capitalism and t (...)
  • 30 U. Brand, C. Gorg et M. Wissen, « Second-Order Condensations of Societal Power Relations », art. ci (...)
  • 31 V. Gayon et R. Lecler, « Ce que l’international fait à l’économie (et réciproquement) », art. cit., (...)
  • 32 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 147 & 151.
  • 33 Par exemple, en sociologie de l’Union européenne : Georgakakis Didier et De Lassalle Marine, « Genè (...)
  • 34 Pour une analyse détaillée des indicateurs empiriques définis par N. Poulantzas, voir T. Auvray et (...)

15Plus concrètement, cette théorisation abstraite se traduit sur le terrain des organisations internationales par plusieurs pistes de recherche. Les observations empiriques peuvent viser les intentions sélectives des acteurs impliqués dans la construction d’échelles de régulation. Par exemple, un acteur peut changer d’échelle (« scale shifting29 ») ou migrer d’une institution supranationale à une autre pour faire valoir ses intérêts. Le sociologue néo-poulantzassien Ulrich Brand montre comment les États-Unis d’Amérique pratiquent des sauts d’échelles, passant de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) bloquée par les pays émergents à l’organisation internationale pour la protection des droits de propriété intellectuelle, pour faire valoir leurs intérêts commerciaux contre la Chine30. Ensuite, le discours des acteurs est situé, c’est-à-dire qu’il est rapporté à la position occupée dans l’organisation et aux structures de pouvoir informelles qui exercent un « contrôle des frontières de l’expertise31 » ou, en des termes poulantzassiens, une « sélectivité structurelle32 ». Par exemple, Brand décrit la sélectivité inégale entre les entreprises multinationales et les groupes locaux indigènes qui n’ont pas les mêmes chances de faire entendre leur voix lors des négociations environnementales. Enfin, pour articuler ces structures institutionnelles aux fractions de classes précisément définies par N. Poulantzas, le chercheur peut avoir recours à tout un ensemble d’indicateurs, bien connu de la sociologie économique, comme les rencontres ou soutiens, notamment financiers, entre fractions précises du patronat/syndicats et élites politiques/bureaucratiques ou encore les discours politiques des acteurs économiques (dans les médias), repris ensuite par les dirigeants. Parmi ces différentes bourgeoisies en lutte (financière, industrielle), le sociologue pourra tenter d’identifier la (trans-)nationalité des intérêts en jeu et, par là même, matérialiser la (trans-)nationalité du champ saisie, en sociologie politique, à travers les trajectoires et les pratiques des acteurs33. Pour déterminer empiriquement la fraction de la bourgeoisie en question, plusieurs indicateurs sont nécessaires : les IDE (environnement de développement « intégré »), les flux commerciaux, la nationalité des actionnaires et des conseils d’administration des entreprises34.

Penser l’articulation des sociologies matérialistes : l’apport de N. Poulantzas dans l’analyse des origines néolibérales des organisations supranationales

16Dans cette section, nous comparons, d’un point de vue généraliste, les différentes interprétations matérialistes des origines néolibérales des institutions internationales, à partir du milieu des années 1970. Si elles mériteraient nécessairement un développement plus précis, nous nous contentons ici d’en esquisser les traits principaux afin de centrer l’analyse sur la sociologie de N. Poulantzas. Il est soutenu que celle-ci permet d’articuler les analyses néo-gramsciennes – focalisées sur les dynamiques économiques de la société civile transnationale – avec les enquêtes d’inspiration bourdieusienne – qui documentent les luttes bureaucratiques internes aux organisations internationales.

L’analyse néo-gramscienne : l’émergence d’une classe capitaliste transnationale à l’origine du néolibéralisme

  • 35 W. Robinson et J. Harris, « Towards a Global Ruling Class? », art. cit. p. 24 ; Sklair Leslie, The (...)

17Malgré certaines différences, les auteurs néo-gramsciens s’accordent sur la formation d’une classe capitaliste mondiale (correspondant au capital financier) à partir des années 1970, laquelle construit progressivement un projet politique, le néolibéralisme. Cela se traduit par la prise du pouvoir de cette fraction au sein des États : elle occupe alors les postes clefs, comme dans les banques centrales, les ministères de l’Économie ou encore des Affaires étrangères. Ces élites agissent ensuite à travers plusieurs « tranchées » (ou médiations) du bloc historique mondial : les organisations internationales et régionales qui promeuvent le libre-échange (surtout des capitaux) et le financement de la dette sur le marché des capitaux (par exemple, lors du consensus de Washington) ; les espaces de socialisation informelle (les universités sélectives, les think tanks néolibéraux, le Forum économique de Davos, etc.) ; les médias qui diffusent une culture du consumérisme, entre autres35.

  • 36 D’un point de vue sociologique voir V. Gayon et R. Lecler, « Ce que l’international fait à l’économ (...)
  • 37 À propos de quelques exemples : définition floue de la firme multinationale, localisation nationale (...)
  • 38 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit. p. 254.

18 Cette thèse a fait l’objet de critiques provenant de différents regards théoriques36. Sans trop nous attarder sur le détail de ces remarques, on peut déjà souligner que la définition de la classe capitaliste mondiale pose problème d’un point de vue empirique37. Surtout, la lunette poulantzassienne attire le regard sur la division de la classe bourgeoise en fractions selon la nature du capital qu’elles représentent. Les conflits entre la classe hégémonique (le capital financier dans les pays du Nord) et celles qui sont dominées (les grands propriétaires terriens des pays du Sud ; la fraction industrielle du capital national des pays du Nord ; les classes populaires, etc.) ne disparaissent pas à l’époque néolibérale et continuent de se condenser à l’échelle de l’État et donc dans les organisations internationales38. Tel est l’apport majeur de la lunette poulantzassienne mais aussi de l’approche bourdieusienne : il importe d’enquêter aussi sur les groupes sociaux non-hégémoniques qui s’expriment dans les organisations internationales.

La lecture bureaucratique du terrain néolibéral à l’échelle internationale

  • 39 Gayon Vincent, « Souvenirs d’un apparatchik sans avenir. Un charisme de fonction au cœur du “libéra (...)
  • 40 Pour une description de ce programme de recherche et les auteur·rices qui s’y inscrivent voir V. Ga (...)

19À la différence de l’interprétation macroéconomique néo-gramscienne, les sociologues du politique insistent sur la contingence du projet néolibéral, considéré comme une possibilité parmi d’autres. Ils scrutent les rapports de pouvoir entre agents – attribués à des capitaux sociaux, par exemple « universitaires, relationnels et informationnels » – qui agissent dans la sélection du savoir légitime dans les organisations internationales. Surtout, ils enquêtent sur les pratiques des acteurs en situation (par exemple, celle de l’écriture de rapports d’expertise), en insistant sur les luttes bureaucratiques – notamment entre un pôle « social-démocrate » porté par des agents français et suédois et un pôle « conservateur » étatsunien – dont le résultat n’est pas connu d’avance39. D’autres facteurs sont également pris en considération pour analyser la prise de décision : alternance politique, mouvements sociaux, lobbying des patronats40.

  • 41 Georgakakis Didier, « Pour une sociologie historique et politique de l’intégration européenne », Po (...)

20Si la sociologie internationaliste de N. Poulantzas rejoint généralement cette grille de lecture agonistique, elle s’en éloigne doublement, en sous-estimant d’une part le résultat effectivement non-prévisible des luttes bureaucratiques, que les enquêtes sociologiques documentent très précisément et en privilégiant d’autre part l’analyse des rapports de forces dans l’économie pour caractériser, voire déduire, les rapports de pouvoir entre projets bureaucratiques. Et, pour le penseur marxiste, cela implique d’aller au-delà de la prise en compte du PIB d’un pays ou encore de l’action de lobbying des patronats41. Nous avons vu qu’une analyse précise en termes de fractions de classe (issue d’un capital bancaire, industriel, ou commercial – autochtone ou étranger) est nécessaire pour saisir la structuration du champ bureaucratique. Les transformations dans les modes d’accumulation, dans la structure du patronat (comme la crise de l’industrie lourde, l’accroissement des intermédiaires privés de la finance, les délocalisations), et donc dans les intérêts des classes sociales hégémoniques au sein des pays produisent des effets sur le contenu des politiques publiques.

21Bien qu’il soit nécessaire de prendre en compte l’économie dans l’analyse des rapports de forces bureaucratiques comme le souligne N. Poulantzas, l’on ne saurait les confondre avec les résultats des luttes bureaucratiques qui sont contingents et au fondement de l’autonomie relative du politique, comme le montre la sociologie d’inspiration bourdieusienne. Ainsi, l’analyse économique de N. Poulantzas, bien que nécessaire, mériterait d’être enrichie par les enquêtes de terrains menées en sociologie politique de l’international.

  • 42 Slobodian Quinn, Globalists: The end of empire and the birth of neoliberalism, Cambridge, Harvard U (...)
  • 43 G. Sacriste et A. Vauchez, « L’euro-isation de l’Europe », art. cit., p. 7.
  • 44 Pour une analyse à l’échelle européenne, voir D. Georgakakis et M. De Lassalle, « Genèse et structu (...)

22À propos de l’idéologie néolibérale, il importe de compléter, à partir des analyses de N. Poulantzas, les enquêtes qui mettent l’accent sur le résultat contingent de la victoire de cette option, en faisant le lien avec la fraction du capital qu’elle représente. En effet, il s’agit principalement, pour le projet néolibéral, de valoriser le capital financier qui avait été bridé au sortir de la seconde guerre mondiale dans les accords de Bretton Woods lors de la période fordiste. En outre, la libéralisation des capitaux qu’il prône à l’échelle mondiale et, avec elle, l’internationalisation de l’accumulation constituent une dimension fondamentale de sa définition42. Dès lors, l’analyse poulantzassienne des institutions – en termes de fraction de classe, nationale ou étrangère – permettrait de prolonger certaines découvertes en sociologie politique de l’international, comme l’identification d’un « capital » institutionnel transnational (au sens bourdieusien) ou encore celle d’un « pôle décisionnaire financier43 » « hors les murs », « tout à la fois national et européen »44. Par exemple, l’on pourrait se demander si les intérêts économiques promus par les fractions bureaucratiques transnationales sont eux aussi proprement transnationaux ou s’ils correspondent aux intérêts d’un État dominant dans la division internationale du travail. Dans une optique normative, qui est celle de la sociologie marxiste, cette question n’est pas anodine dans la mesure où elle détermine le choix de l’échelle de l’action militante, entre le niveau national et supranational.

La matérialisation du néolibéralisme dans les institutions internationales

23Précisons d’emblée que l’objectif de cette section n’est pas de proposer une lecture poulantzassienne complète des origines néolibérales de l’ordre international ; ambition qui dépasserait largement le cadre de cet article. Nous aimerions plutôt explorer les terrains de l’international que permet de découvrir l’approche poulantzassienne au regard des approches présentées ci-dessus – raison pour laquelle les exemples sont tirés de sources de seconde main.

  • 45 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 168.
  • 46 C’est la raison pour laquelle nous reprenons ici les données de l’école néo-gramscienne.
  • 47 Les membres fondateurs de la Commission trilatérale proviennent principalement de General Motors, S (...)

24Nous proposons de partir du cas de la Commission trilatérale, désignée par Poulantzas comme un foyer potentiel des intérêts néolibéraux à l’échelle transnationale, mais sans le développer45. Remarquons que cet objet a aussi intéressé l’école néo-gramscienne qui a alors fourni des enquêtes documentées pour objectiver la fraction du capital représentée par cet acteur46. Il s’agit d’un think tank fondé par David Rockefeller en 1973 afin de regrouper les dirigeants politiques et les patrons de multinationales sur une ligne transatlantique néolibérale, c’est-à-dire prônant la libéralisation des capitaux et la protection de la libre concurrence à l’échelle internationale47.

  • 48 Cooper Richard et al., « Toward a Renovated International System », The Trilateral Commission, 1977 (...)
  • 49 Ce paragraphe s’appuie sur Garavini Giuliano, « The Battle for the Participation of the Community i (...)
  • 50 Pour une analyse détaillée des arènes de négociation de ces acteurs et de leurs réseaux, voir Fergu (...)

25De prime abord, la sociologie de N. Poulantzas oriente la lunette du·e la chercheur·e sur le choix stratégique d’une échelle d’action précise. On constate que la Trilatérale décrit la politique mondiale comme largement défavorable aux idées néolibérales, dans plusieurs rapports publiés au milieu des années 1970. Les gouvernements sociaux-démocrates européens apparaissent comme des alliés de l’URSS dans le cadre de la détente ou encore comme un appui aux pays du Tiers-monde dans l’adoption de la déclaration pour un Nouvel ordre économique international à l’Assemblée générale des Nations unies ; l’administration étatsunienne est présentée comme un acteur divisé, incapable d’impulser un tournant48. Dans ce contexte jugé périlleux pour l’agenda néolibéral, le recours à la coercition est exclu ; au contraire, pour la Trilatérale, il importe de construire de nouvelles échelles de coopération, tenant à l’écart, dans un premier temps, ces forces d’opposition49. En conséquence, plusieurs espaces sont investis discrètement, comme la chambre de commerce internationale ou encore la bibliothèque de la Maison blanche réunissant les ministres des Finances (étatsuniens, français, allemand et britannique, parfois japonais)50. De même, des forums ad hoc sont créés en dehors du cadre multilatéral onusien comme le G6/G7. Enfin, les secrétariats des institutions financières internationales constituent des foyers d’organisation des positions néolibérales, en l’absence de mécanisme démocratique. La sociologie de N. Poulantzas met donc en évidence la construction d’une échelle internationale, permettant de contourner les organisations représentants des intérêts opposés.

  • 51 Par exemple, à travers la fin d’une gestion publique des contrats (bilatéraux) de matières première (...)
  • 52 Ibid., p. 217-218.
  • 53 Ibid., p. 197-200 & 221.

26En outre, elle attire le regard du·e la chercheur·e sur la construction d’échelles de régulation peu efficaces, voire symboliques. On peut citer l’exemple de la conférence sur la coopération économique internationale de 1975, plus communément appelée « Dialogue Nord-Sud ». Elle est organisée à l’initiative du président français Valéry Giscard d’Estaing et présentée, par ce dernier, comme l’équivalent institutionnel du G7 mais permettant l’expression des intérêt dominés, en l’occurrence des pays du Sud. Sont impliquées les fractions de la bourgeoisie européenne, surtout françaises et italiennes (par exemple, Ente Nazionale Idrocarburi), qui ont développé des intérêts avec les pays producteurs de pétrole et qui se retrouvent lésées par les orientations du G751. Les syndicats participent au « Dialogue Nord-Sud », notamment pour exprimer leur refus des baisses de salaires prévues dans le cadre du contrôle de l’inflation (évoqué aux différentes réunions du G7) et leur souhait d’une négociation du prix des matières premières avec les pays du Sud. Enfin, les fractions des appareils d’État européens – qualifiées de « tendance méditerranéenne » ou « sociales-démocrates » dans la littérature, représentées dans les directions géographiques des Affaires étrangères et dans les secteurs sociaux et industriels des ministères (de façon différenciée en fonction des États membres) – ainsi que le commissaire européen au Développement Claude Cheysson soutiennent cette initiative52. À l’opposé, les ministères des Finances occidentaux (en particulier le Trésor étatsunien) ainsi que les entreprises multinationales étasuniennes, néerlandaises et allemandes (surtout pétrolières) considèrent que les thèmes mis à l’agenda par les pays du G7 (moratoire sur la dette, fonds de péréquation, réformes des organisations internationales) contreviennent directement à leurs intérêts. Mais en réalité leur opposition reste faible, car cette arène ne leur semble pas menaçante. Elle est décrite par certains de ces acteurs (notamment par les membres de la Trilatérale comme le ministre des Finances et le Président de la France) comme un moyen de construire un rapport de force dans un contexte défavorable, en donnant la parole aux pays du Sud tout en sachant que les décisions prises auront un effet symbolique et non-contraignant, notamment par rapport aux mesures de libéralisation prises dans le cadre du G753.

27Plus généralement, à la différence des analyses néo-gramsciennes, la sociologie poulantzassienne insiste sur la construction agonistique de l’échelle internationale, qui n’est pas le simple reflet de la classe financière mondiale. Au contraire, elle résulte du clivage entre fractions sociales différenciées (dominantes et dominées, du Nord et du Sud) lequel débouche sur une pluralité de niveaux de régulation : l’Assemblée générale des Nations unies ou encore le dialogue Nord-Sud est relativement plus favorable à l’expression d’intérêts dominés tandis que les institutions financières internationales ou le G7 semblent plus perméables aux positions néolibérales. Plus fondamentalement, il apparaît une hiérarchie (des secondes par rapport aux premières) dans la prise de décision en fonction des classes sociales qui investissent ces organisations. Ce résultat rejoint les enquêtes de sociologie politique qui apportent, quant à elles, une lecture, empiriquement fondée, en termes de pratiques en situation et montrent la contingence du résultat des luttes bureaucratiques entre et au sein de plusieurs organisations internationales.

  • 54 Il s’agit là du débat entre N. Poulantzas et le trotskiste belge Ernest Mandel, ce dernier voyant d (...)
  • 55 Voir l’étude détaillée à l’échelle européenne et la réflexion plus générale menée sur les indicateu (...)
  • 56 G. Sacriste et A. Vauchez, « L’euro-isation de l’Europe », art. cit.
  • 57 D. Georgakakis et M. De Lassalle, « Genèse et structure d’un capital institutionnel européen », art (...)
  • 58 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit. p. 268.

28Pour aller plus loin, la sociologie de N. Poulantzas propose aussi d’examiner la (trans-)nationalité des intérêts économiques qui se réfractent dans les politiques publiques internationales, permettant par là même de compléter les observations en termes de socialisation et de pratiques supranationales des acteurs. Cette question est posée par N. Poulantzas dans le contexte de l’internationalisation croissante du capital à partir de la crise du fordisme de la fin des années 1960, plus spécifiquement à l’échelle de l’intégration européenne54. Si à cette époque la circulation des capitaux (et surtout du capital financier) était encore bridée, le penseur marxiste a eu une intuition décisive pour comprendre la période néolibérale une décennie plus tard. N. Poulantzas, ainsi que les dernières recherches en économie politique, réfute la thèse d’un capital économique proprement européen (ou de « champions européens ») suscité par l’organisation régionale en réaction aux IDE étatsuniens. Au contraire, les politiques européennes de libéralisation des capitaux sont allées dans le sens d’une accumulation transatlantique, particulièrement autour du capital allemand, dans l’espace régional55. Cette donnée, à savoir la prise en compte des acteurs économiques étrangers qui agissent sur le territoire national (ou européen), permet alors de préciser quels sont les intérêts économiques défendus par une bureaucratie « hors les murs56 » ou « proprement européenne57 », telle que documentées par les travaux en sociologie politique de l’international. Parce que, souligne N. Poulantzas, les modifications des États liées à l’internationalisation du capital « ne sont pas directement dues à des facteurs externes (aux « pressions » des autres États sur chaque État national). Ces facteurs n’agissent sur chaque État national qu’intériorisés en son propre sein58 ». Dès lors, il importe, pour le chercheur comme pour le militant, d’identifier la nationalité des intérêts économiques en jeu dans la fabrication des politiques publiques internationales afin de relocaliser la pouvoir décisionnaire et par là même l’échelle de l’action sociale.

Conclusion

  • 59 Ibid., p. 146.

29Dans cet article, nous avons souhaité introduire la sociologie institutionnelle de N. Poulantzas afin d’explorer les possibilités d’application aux terrains de l’international qu’elle offre. La théorisation du penseur marxiste est particulièrement riche en ce qu’elle propose une articulation entre le politique et l’économie. L’État n’est ni au service d’une classe bourgeoise unifiée ni complètement séparé des rapports de production ; il est une « condensation matérielle d’un rapport de force » entre classes sociales, dont les luttes internes sont constitutives de son autonomie relative (par rapport à la sphère économique)59. Transposée au niveau international, cette perspective propose d’analyser les institutions supranationales comme des « condensations secondaires de rapports de forces » à plusieurs échelles.

30Afin de montrer l’apport de cette lecture à la science politique, nous l’avons comparée succinctement à la sociologie politique d’inspiration bourdieusienne et à l’école néo-gramscienne des relations internationales – deux approches critiques de l’international, bien connue dans l’espace académique francophone – en prenant l’exemple des origines néolibérales de l’ordre international. D’une part, la sociologie politique insiste sur la contingence du projet néolibéral, considéré comme une option parmi d’autres, dont la concrétisation résulte des luttes entre fractions bureaucratiques. Si cette perspective apporte une description fine des espaces de socialisation, des trajectoires et des pratiques des agents en situation, elle ne semble pas prendre en considération les changements dans la structure du patronat, notamment de l’émergence d’une bourgeoisie financière transnationale dont les intérêts sont mis à l’honneur dans le dogme néolibéral. A l’inverse, l’école néo-gramscienne propose une lecture partiellement économiciste du rôle de cette classe dans la construction de l’ordre international néolibéral. Dans ce papier, nous avons soutenu que la sociologie de N. Poulantzas permet de faire le lien entre l’émergence de la fraction économique transnationale documentée par les théoriciens néo-gramsciens et les conflits entre fractions bureaucratiques qui proviennent de la régulation de ces intérêts et de leur place dans l’accumulation en général.

31Nous avons alors montré comment certains acteurs néolibéraux, regroupés par exemple dans la Commission trilatérale, ont investi des échelles de régulation spécifiques, comme le G7 ou encore les secrétariats des institutions financières internationales, pour contourner la prise de décision démocratique au sein des États et des organisations internationales (comme l’Assemblée générale des Nations unies) dans un contexte mondial largement défavorable à leurs intérêts. Il se dessine alors une prise de décision éclatée entre plusieurs organisations internationales en fonction de la sélectivité des institutions et hiérarchisée en fonction de la fraction de classe qui y exprime ses intérêts.

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Notes

1 Poulantzas Nicos, L’État, le pouvoir, le socialisme, Paris, Presses universitaires de France, 1978.

2 En général, N. Poulantzas ne mentionne pas les auteurs à qui il s’adresse afin, selon lui, de ne pas alourdir le texte (Ibid., p. 15), mais parfois il en nomme certains sur des aspects précis de la théorie de l’État, que ce soit en sociologie – Max Weber, Pierre Bourdieu ou Robert Castel –, ou chez les marxistes – Antonio Gramsci, Claude Lefort ou Cornelius Castoriadis, entre autres.

3 Macleod Alex et O’Meara Dan (Éds.), Théories des relations internationales. Contestations et résistances, Outremont, Athéna éditions, 2010.

4 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit. p. 268.

5 Pour l’espace francophone : Amable Bruno, Guillaud, Elvire et Palombarini Stefano, Économie politique du néolibéralisme. Le cas de la France et de l’Italie, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2012 ; pour l’espace anglophone : Jessop Bob, State Theory: Putting Capitalist States in their Place, Cambridge, Polity Press, 1990 ; pour l’espace germanophone : Hirsch Joachim, Materialistische Staatstheorie: Transformationsprozesse des kapitalistischen Staatensystems, Hambourg, VSA, 2005.

6 Panitch Leo et Gindin Sam, The Making of Global Capitalism, London, Verso, 2012 ; Ryner Magnus et Cafruny Alan, The European Union and global capitalism: Origins, development, crisis, Londres, Palgrave Macmillan, 2017 ; Auvray Tristan et Durand Cédric, « Un capitalisme européen ? Retour sur le débat Mandel-Poulantzas », in Ducange Jean-Numa et Keucheyan Razmig (Éds.), La fin de l’État démocratique : Nicos Poulantzas, un marxisme pour le XXIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2016. p. 142-161 ou l’article de Benjamin Bürbaumer dans le présent numéro. Nous qualifions ces auteurs de « néo-poulantzassiens », car ils ont cherché à vérifier et à actualiser la thèse poulantzassienne de l’existence d’une classe bourgeoise européenne spécifiquement liée aux intérêts capitalistes étatsuniens (la « bourgeoisie intérieure ») et qu’ils se revendiquent tous de l’héritage théorique du penseur grec.

7 Brand Ulrich, Gorg Christoph et Wissen Markus, « Second-Order Condensations of Societal Power Relations: Environmental Politics and the Internationalization of the State from a Neo-Poulantzian Perspective », Antipode, no 43/1, 2011, p. 149-175 ; Stutzle Ingo, Austerität als politisches Projekt: Von der monetären Integration Europas zur Eurokrise, Münster, Westfälisches Dampfboot, 2014 ; Buckel Sonja, « Managing Migration – Eine intersektionale Kapitalismusanalyse am Beispiel der Europäischen Migrationspolitik », Berliner Journal für Soziologie, no 22/1, 2012, p. 79-100.

8 Voir à ce sujet Gramsci Antonio, Guerre de mouvement et guerre de position, Éd. de Razmig Keucheyan, Paris, La Fabrique, 2011, p. 168-268.

9 Cox Robert W., Production, Power, and World Order. Social Forces in the Making of History, New York, Columbia University Press, 1987 ; Gill Stephen, « A Neo-Gramscian Approach to European Integration », in Cafruny Alan et Ryner Magnus (Éds.), A Ruined Fortress? Neoliberal Hegemony and Transformation in Europe, Lanham, Rowman and Littlefield, 2003. p. 47-70 ; Robinson William et Harris Jerry, « Towards a Global Ruling Class? Globalization and the Transnational Capitalist Class », Science & society, no 64/1, 2000, p. 7-8 ; Hardt Michael et Negri Toni, Empire, Cambridge, Harvard University Press, 2000. Pour une description détaillée de cette école, voir Bürbaumer Benjamin, Le souverain et le marché : théories contemporaines de l’impérialisme, Paris, Amsterdam, 2020, p. 91-119.

10 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 11-51.

11 Bourdieu Pierre, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, Paris, Raison d’agir, 2012.

12 Bourdieu Pierre, La noblesse d’État. Grands écoles et esprit de corps, Paris, Minuit, 1989. Voir aussi Bourdieu Pierre, « De la maison du roi à la raison d’État », Actes de la recherche en sciences sociales, no 118, 1997, p. 61.

13 Gayon Vincent et Lecler Romain, « Ce que l’international fait à l’économie (et réciproquement). Pour une sociologie des politiques économiques internationales », Revue française de science politique, no 72/1, 2022, p. 9-31 ; Gayon Vincent, Épistémocratie : enquête sur le gouvernement international du capitalisme, Paris, Raisons d’Agir, 2022 ; Dezalay Yves et Garth Bryant G., La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique Latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », trad. par Laurence Devillairs et Sara Dezalay, Paris, Seuil, 2002 ; Laurens Sylvain, Les courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, Marseille, Agone, 2015 ; Vauchez Antoine, L’Union par le droit. L’invention d’un programme institutionnel pour l’Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.

14 Les « tranchées » désignent dans la pensée de A. Gramsci les différentes médiations idéologiques (les services de l’État, l’Église, les médias, les associations d’intellectuels, etc.) qui protègent les rapports de production.

15 À ce propos, Michel Foucault est aussi mentionné comme source d’inspiration (V. Gayon et R. Lecler, « Ce que l’international fait à l’économie (et réciproquement) », art. cit. p. 23).

16 Artous Antoine, « Retour sur quelques difficultés et discussions », in Artous Antoine et al. (Éds.), Nature et forme de l’État capitaliste, Paris, Syllepse, 2015, p. 31.

17 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 76-80.

18 Notamment dans P. Bourdieu, « De la maison du roi à la raison d’État », art. cit.

19 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 141-146.

20 Ibid., p. 141.

21 Entre autres pratiques : doublage d’appareils par d’autres, disponibilité inégale de l’information, temporalité retardée ou accélérée, fichiers égarés, règles non suivies, arrêts de procédure, mutation d’agents (Ibid., p. 147 & 151).

22 Les rapports de production, c’est-à-dire la division de la société en classes sociales, n’ont pas la même signification chez P. Bourdieu et N. Poulantzas. Si pour le premier, ils sont déterminés par des différentiels de ressources ou de capitaux dans le champ économique (par exemple dans ses analyses sur le marché de la maison individuelle), pour le second, ils correspondent à la fonction du capital dans l’accumulation en général (capital commercial, monétaire et productif), voir le développement à la page suivante.

23 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 250.

24 N. Poulantzas prend l’exemple du rôle décisif de certaines chambres constitutionnelles réactionnaires, réactivées lorsque la gauche prend le pouvoir (comme au Chili en 1970) (Ibid., p. 152 & 173)

25  Marx Karl, Le Capital : critique de l’économie politique. Le procès de la circulation du capital, III/II, trad. par Gilbert Badia, Erna Cogniot et Catherine Cohen-Solal, Paris, Éditions sociales, 1968 [1885] ; Marx Karl, Le Capital : critique de l’économie politique. Le Procès d’ensemble de la production capitaliste, III/III, trad. par Gilbert Badia et Catherine Cohen-Solal, Paris, Éditions sociales, 1974 [1894].

26 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 146.

27 Poulantzas Nicos, « L’internationalisation des rapports capitalistes et l’État-nation », Les Temps modernes, no 319, 1973, p. 1491-1519.

28 U. Brand, C. Gorg et M. Wissen, « Second-Order Condensations of Societal Power Relations », art. cit. p. 161-162.

29 Hirsch Joachim et Kannankulam John, « The Spaces of Capital: The Political Form of Capitalism and the Internationalization of the State », Antipode, no 43/1, 2011, p. 29 & 31.

30 U. Brand, C. Gorg et M. Wissen, « Second-Order Condensations of Societal Power Relations », art. cit.

31 V. Gayon et R. Lecler, « Ce que l’international fait à l’économie (et réciproquement) », art. cit., p. 23

32 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 147 & 151.

33 Par exemple, en sociologie de l’Union européenne : Georgakakis Didier et De Lassalle Marine, « Genèse et structure d’un capital institutionnel européen », Actes de la recherche en sciences sociales, no 166-167/1, 2007, p. 38-53 ; Sacriste Guillaume et Vauchez Antoine, « L’euro-isation de l’Europe. Trajectoire historique d’une politique “hors les murs” et nouvelle question démocratique », Revue de l’OFCE, no 164, 2019, p. 5-46.

34 Pour une analyse détaillée des indicateurs empiriques définis par N. Poulantzas, voir T. Auvray et C. Durand, « Un capitalisme européen ? », art. cit..

35 W. Robinson et J. Harris, « Towards a Global Ruling Class? », art. cit. p. 24 ; Sklair Leslie, The Transnational Capitalist Class, Oxford, Blackwell, 2000.

36 D’un point de vue sociologique voir V. Gayon et R. Lecler, « Ce que l’international fait à l’économie (et réciproquement) », art. cit., p. 15-16 ; d’un point de vue marxiste voir B. Bürbaumer, Le souverain et le marché, op. cit., p. 115-118.

37 À propos de quelques exemples : définition floue de la firme multinationale, localisation nationale de l’emploi ou concentration des investissements dans les pays de la Triade, voir Ibid., p. 115-118.

38 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit. p. 254.

39 Gayon Vincent, « Souvenirs d’un apparatchik sans avenir. Un charisme de fonction au cœur du “libéralisme encastré” et de son délitement », Revue française de science politique, no 1/72, 2022, p. 55-79.

40 Pour une description de ce programme de recherche et les auteur·rices qui s’y inscrivent voir V. Gayon et R. Lecler, « Ce que l’international fait à l’économie (et réciproquement) », art. cit.

41 Georgakakis Didier, « Pour une sociologie historique et politique de l’intégration européenne », Politika, 2021 [En ligne].

42 Slobodian Quinn, Globalists: The end of empire and the birth of neoliberalism, Cambridge, Harvard University Press, 2018, p. 13 & 23 ; Duménil Gérard et Lévy Dominique, « Neo-Liberal dynamics—Towards a new phase? » in Pijl Kees van der, Assassi Libby et Wigan Duncan (Éds.), Global Regulation. Managing Crises After the Imperial Turn, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004, p. 45 ; Ryner Magnus, « US power and the crisis of social democracy in Europe’s second project of integration », Capital & Class, 2007, no 31/3, p. 14 ; Hay Colin, « The normalizing role of rationalist assumptions in the institutional embedding of neoliberalism », Economy and society, 2004, no 33/4, p. 500-527 ; B. Amable, E. Guillaud et S. Palombarini, Économie politique du néolibéralisme. op. cit., p. 24 ; Boyer Robert, Théorie de la régulation. Les fondamentaux, Paris, La Découverte, 2004, p. 58-59 & 68 ; N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 226-227.

43 G. Sacriste et A. Vauchez, « L’euro-isation de l’Europe », art. cit., p. 7.

44 Pour une analyse à l’échelle européenne, voir D. Georgakakis et M. De Lassalle, « Genèse et structure d’un capital institutionnel européen », art. cit.

45 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 168.

46 C’est la raison pour laquelle nous reprenons ici les données de l’école néo-gramscienne.

47 Les membres fondateurs de la Commission trilatérale proviennent principalement de General Motors, Sears, Roebuck, Caterpillar, Deere, Exxon, Texas Instruments, Coca Cola, Time et la Wells Fargo Bank. Si elles ont fait l’objet d’analyses néo-gramsciennes (Sklar Holly, Trilateralism, Boston, South End Press, 1980, p. 86 ou S. Gill, American Hegemony and the Trilateral Commission, op. cit., p. 202), une étude plus précise menée dans le cadre de notre thèse de doctorat à partir des indicateurs de N. Poulantzas montre qu’il s’agit surtout de firmes étatsuniennes ou européennes qui ont développé des filiales à l’échelle transatlantiqu, et qui restent attachées à leur État d’origine. Plus généralement, sur la Commission trilatérale, les références utilisées dans ce travail sont les suivantes : Cesari Laurent, « Que disait la Trilatérale ? », Revue d’Histoire diplomatique, no 114/1, 2000, p. 69-88 et Garavini Giuliano, After Empires. European Integration, Decolonization, and the Challenge from the Global South 1957–1986, Oxford, Oxford University Press, 2012.

48 Cooper Richard et al., « Toward a Renovated International System », The Trilateral Commission, 1977 [En ligne] ; H. Sklar, Trilateralism, op. cit., p. 25.

49 Ce paragraphe s’appuie sur Garavini Giuliano, « The Battle for the Participation of the Community in the G7 (1975–1977) », Journal of European Integration History, no 12/1, 2006, p. 141 et G. Garavini, After Empires, op. cit., p. 203 & 209 & 216. Le Canada rejoint le G6 composé des États-Unis d’Amérique, de la RFA, du Japon, du Royaume-Uni, de la France et de l’Italie en 1976 au sommet de Porto Rico.

50 Pour une analyse détaillée des arènes de négociation de ces acteurs et de leurs réseaux, voir Ferguson Thomas et Rogers Joel, Right Turn, New York, Hill & Wang, 1986, p. 86-88 ; H. Sklar, Trilateralism, op. cit., p. 86.

51 Par exemple, à travers la fin d’une gestion publique des contrats (bilatéraux) de matières premières au profit d’une régulation privée, surtout par les multinationales d’origine étatsunienne, anglaise et néerlandaise (G. Garavini, After Empires, op. cit., p. 187).

52 Ibid., p. 217-218.

53 Ibid., p. 197-200 & 221.

54 Il s’agit là du débat entre N. Poulantzas et le trotskiste belge Ernest Mandel, ce dernier voyant dans l’intégration européenne les prémisses institutionnelles d’un capitalisme à l’échelle européenne (Poulantzas Nicos, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui, Paris, Seuil, 1974, p. 44 & 48 & 56 et N. Poulantzas, « L’internationalisation des rapports capitalistes et l’Etat-nation », art. cit. ; pour un développement plus approfondi sur ce débat, voir B. Bürbaumer Le souverain et le marché, op. cit., p. 73-87.

55 Voir l’étude détaillée à l’échelle européenne et la réflexion plus générale menée sur les indicateurs permettant de mesurer la nationalité du capital dans T. Auvray et C. Durand, « Un capitalisme européen ? », art. cit.

56 G. Sacriste et A. Vauchez, « L’euro-isation de l’Europe », art. cit.

57 D. Georgakakis et M. De Lassalle, « Genèse et structure d’un capital institutionnel européen », art. cit.

58 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit. p. 268.

59 Ibid., p. 146.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marlène Rosano-Grange, « Sociologies matérialistes des institutions internationales »Terrains/Théories [En ligne], 18 | 2024, mis en ligne le 13 mars 2024, consulté le 21 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/teth/5742 ; DOI : https://doi.org/10.4000/teth.5742

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Auteur

Marlène Rosano-Grange

Marlène Rosano-Grange vient de soutenir sa thèse en science politique, mention relations internationales, portant sur une sociologie historique mondiale de l’intégration européenne, à Sciences Po Paris. Chercheure associée au CERI (UMR – 7050) et en post-doctorat à l’Université d’Oxford à partir de septembre 2023, elle s’intéresse à l’économie politique internationale, à l’intégration européenne et à l’évolution de la conflictualité.

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