1L’émergence du concept et de l’outil « Mobility as a Service » (MaaS) s’inscrit dans un contexte dans lequel le secteur des transports est confronté à des transformations importantes. Un moteur d’évolution est le développement des technologies d’information et de communication (TIC) qui entraîne un changement dans la forme et la manière dont l’utilisateur planifie, paie et effectue ses déplacements (Hensher et al., 2020). La digitalisation, le développement et la diffusion des TIC (notamment des téléphones intelligents) créent de nouveaux services de renseignements et d’information. L’accès aux données ouvertes facilite ce développement en mettant à disposition des emplois du temps, des localisations en temps réel et des informations générées par des utilisateurs pour une mobilité urbaine plus flexible et personnalisée (Eckhardt et al., 2018 ; Polydoropoulou, Pagoni, et Tsirimpa, 2018 ; Smith, Sochor, et Karlsson, 2018 ; Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015). Les nouveaux modes et services de transport proposent des déplacements en voiture de transport avec chauffeur (VTC), en trottinette, ou encore en vélo et voiture partagés (Hensher et al., 2020). De surcroît, plusieurs études indiquent un changement dans le comportement de transport, des préférences et des styles de vie de la génération du millénaire (personnes âgées entre 23 et 39 ans en 2020) qui se distinguent des précédentes par une utilisation plus forte des transports en commun et des modes partagés, et une réduction de l’utilisation et de la possession des véhicules particuliers (Circella et al., 2017 ; Delbosc et Currie, 2014 ; Matyas et Kamargianni, 2019 ; Polydoropoulou, Pagoni, et Tsirimpa, 2018). Un autre moteur de transformation est lié à la demande d’une réforme du système de transport actuellement organisé autour de l’utilisation des véhicules privés (Mulley, 2017). Cette demande s’articule autour des impacts nocifs du transport à carburant fossile et promeut une mobilité plus écologique et inclusive (Mulley, 2017). Une transformation du secteur des transports vers une mobilité plus écologique ne pourrait pas s’appuyer sur un mode unique, mais plutôt sur un ensemble de modes et de services proposés (Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015). Le développement des TIC, l’émergence des mobilités partagées et flexibles, le changement des préférences des utilisateurs ainsi que la demande pour une mobilité plus écologique caractérisent l’environnement dans lequel le MaaS émerge.
2Dans le cadre de cet article, le MaaS peut être défini comme un service destiné aux usagers, proposé au moyen d’une application ou un site internet, qui combine l’offre de plusieurs modes de transport pour lesquels il offre des fonctionnalités de calcul d’itinéraire, d’estimation tarifaire et de paiement ou de réservation.
3Dans une revue de la littérature récente sur le sujet de MaaS, Butler, Yigitcanlar, et Paz (2021) identifient la collaboration entre des acteurs privés et publics comme l’une des barrières les plus souvent citées contre le développement des MaaS. Les questions de gouvernance sont ainsi au centre des discussions parce qu’elles constituent le cadre d’interaction entre les acteurs (Razaghi et Finger, 2012) et expliquent en partie la rapidité avec laquelle sont menés les projets de MaaS. Les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) à l’échelle d’une ville, d’une métropole ou encore d’une région se voient donc confrontées à l’émergence de nouveaux modes de transport et cherchent des approches adaptées pour les réguler et les intégrer dans une démarche vers une mobilité inclusive et durable. Le comportement des autorités publiques et la collaboration public-privé sont ainsi au cœur des enjeux politiques du développement du MaaS.
4Cet article a pour objectif de contribuer à éclairer la manière dont les autorités publiques se positionnent face au développement du MaaS. Quelles approches de gouvernance adoptent-elles ? Traditionnellement organisatrices des transports en commun, elles doivent se positionner face aux nouveaux fournisseurs de services de mobilité et aux opérateurs de plateformes.
5Une riche littérature grise, à savoir des rapports publiés par des opérateurs de transport, des cabinets de conseil et des associations d’autorités publiques, analyse le développement du MaaS et sa gouvernance. Cependant, ces analyses représentent la perspective et les intérêts de ces acteurs. Pour assurer une certaine neutralité et rigueur d’analyse, cette étude se concentre donc sur des articles scientifiques. Elle s’appuie sur une revue de la littérature académique et scientifique qui inclut un corpus de 66 articles scientifiques. Après avoir consulté les 50 premiers papiers issus d’une recherche par mot clé sur le site ScienceDirect (en utilisant les mots clés « mobility as a service »), nous avons sélectionné les articles portant sur la gouvernance du MaaS. Des articles supplémentaires ont été ajoutés au corpus initial à partir des références scientifiques fournies dans les articles sélectionnés. L’analyse de prise de position de différents acteurs évoqués dans ces articles permet d’identifier les arguments en faveur et contre un engagement de la puissance publique en tant qu’opérateur de MaaS.
6Nous avons ensuite retenu (cf. section 2, section 3), les articles de cette revue de la littérature satisfaisant les trois critères suivants :
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Reposant sur une expérimentation de pilote MaaS ou sur une application commerciale de MaaS,
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Précisant la prise de position des pouvoirs publics dans le développement du MaaS (aspect de gouvernance),
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Couvrant un périmètre géographique diversifié.
7L’intérêt de cette sélection est d’analyser les enjeux de gouvernance basés sur le retour d’expérience et les contraintes réelles liées à l’élaboration d’une offre MaaS et, ainsi, d’éviter des prises de position hypothétiques de la part des acteurs. Celles-ci peuvent diverger des décisions d’investissement et des comportements des acteurs en situation réelle. Peu d’articles scientifiques mettent en avant des analyses et évaluations basées sur des applications réelles du MaaS (Hensher et al., 2020). Les articles portant sur d’autres aspects que la gouvernance comme les contraintes techniques ou les effets sur le comportement de transport sont exclus de cette analyse. En plus, les cas d’études sélectionnés se situent dans des contextes politiques différents (plus libéral anglo-saxon, État fédéral autrichien, État unitaire décentralisé aux Pays-Bas, en Finlande ou État centralisé suédois). Cette variété s’exprime également à travers des systèmes de transports en commun (TC) divers. Quatre références qui satisfont les critères de sélection ont été retenues. Cette sélection regroupe les plateformes de MaaS les plus avancées à ce jour, comme l’application Whim (Finlande) ou UbiGo (Suède). L’analyse de ces quatre articles visent à qualifier le système d’acteurs sollicité lors du développement du MaaS. Cette approche de sociologie des organisations permet de caractériser la perception du rôle du pouvoir public par les différents acteurs et de révéler le rapport de force entre ces acteurs et l’échelle administrative de la puissance publique. Plus concrètement, l’analyse du positionnement des pouvoirs publics dans les cas d’étude (cf. S) s’appuie sur la catégorisation proposée par Bulkeley et Kern (2006) et Etzkowitz (2008). Cette catégorisation de gouvernance des autorités publiques est utilisée comme cadre théorique pour caractériser le comportement de ces dernières dans le développement du MaaS.
Tableau 1. Références thématisant la gouvernance du MaaS et basées sur des pilotes et applications commerciales
8Dans un premier temps, cette analyse propose un modèle générique pour discuter des rôles de différents acteurs dans le développement du MaaS (2.1.) et examine plus spécifiquement la question de l’acteur, public ou privé, à qui incombe le rôle d’opérateur du MaaS (2.2.). La question des modalités de conception du MaaS renvoie à celles des objectifs associés au MaaS et du rôle des autorités publiques dans leur atteinte (2.3.). Dans un second temps (section 3), une catégorisation des approches gouvernementales permet d’étudier les prises de position des gouvernements national et local, et des AOM pour différentes applications ou pilotes de MaaS.
9Smith, Sochor, et Karlsson (2018) proposent un modèle générique pour le développement de MaaS à partir duquel ils élaborent les rôles et responsabilités des acteurs principaux tels que mentionnés dans la Figure 1. Les fournisseurs de services échangent des données (sur l’offre et la demande) avec l’intermédiaire qui est responsable de l’intégration technique et financière des opérations de MaaS (point 1). L’opérateur de MaaS conclut des contrats avec les fournisseurs de service précisant les conditions de rémunération, de livraison et de qualité de service (point 2). L’opérateur de MaaS maintient le contact direct avec l’usager en lui proposant des services orientés autour de ses préférences (point 3). Les autorités publiques peuvent faciliter ou empêcher le développement du MaaS par différents canaux, comme le financement ou la législation. Elles établissent le cadre réglementaire variable en constituant l’environnement juridique général jusqu’à une politique de transport (par exemple à travers une tarification dynamique ou géographique).
Figure 1. Modèle de développement du MaaS (traduit de Smith, Sochor, et Karlsson, 2018)
10Le modèle générique de développement du MaaS présenté dans la Figure 1 varie selon le contexte juridique et réglementaire, le modèle d’affaire et la nature de l’opérateur de MaaS, qui peut être une AOM, un opérateur de transport traditionnel, une entreprise privée ou publique ou encore d’autres formes de collaboration mixte entre acteurs privés et publics. Dans d’autres modèles de MaaS, l’opérateur de MaaS et l’intermédiaire constituent un seul et même acteur. La question de l’acteur, public ou privé, à qui doit incomber le rôle d’opérateur du MaaS a suscité beaucoup de débat dans le milieu professionnel ainsi que scientifique.
11De nombreux chercheurs s’interrogent sur la nature de l’opérateur de MaaS (Butler, Yigitcanlar, et Paz, 2021), engendrant une discussion qui se retrouve également dans la littérature grise (ERTICO – ITS Europe, 2019), ou encore dans les webinaires et échanges industriels (par exemple Autonomy Digital 2.0). Les acteurs en faveur d’un opérateur de MaaS public mettent en avant la disposition stratégique et la position régulatrice des acteurs publics qui seront favorables au développement du MaaS, tandis qu’ils soulignent également qu’ils seront confrontés à un manque de ressources adéquates relatives aux connaissances et aux processus nécessaires au développement d’un MaaS (Butler, Yigitcanlar, et Paz, 2021 ; Polydoropoulou et al., 2020). Par exemple, les opérateurs de plateformes commerciales disposent de plus de personnel qualifié dans la gestion de données et de plateformes que les AOM. D’autres acteurs soutiennent le modèle d’un opérateur privé de MaaS soulignant qu’ils sont plus aptes à développer des modèles d’affaires profitables et des services innovateurs bien qu’ayant moins d’incitation à poursuivre des objectifs sociaux (Narupiti, 2019.) Sur la base d’entretiens, de groupes cibles et d’observations participantes menées en Suède et Finlande, Karlsson et al. (2020) montrent que les acteurs privés et publics soutenaient une régie publique du MaaS au motif que seul un acteur public assurerait une stabilité financière et pourrait promouvoir des objectifs sociaux. À l’inverse, certaines parties prenantes privées soulignaient pendant ces échanges le manque de leadership et les processus de décisions lents des acteurs publics (Karlsson et al., 2020). Lors de cette étude, les opérateurs de transports en commun (TC) en Suède ont montré que leur statut, défini par la loi, restreint leur activité aux services des TC traditionnels et les empêcherait d’exercer le rôle d’opérateur de MaaS (Karlsson et al., 2020). Sur la base de 118 entretiens menés à Budapest, dans le Grand Manchester et la ville de Luxembourg, Polydoropoulou et al. (2020) constatent que les autorités publiques sont largement plébiscitées pour prendre le rôle d’opérateur de MaaS tandis que les opérateurs privés de transports sont écartés. Toutefois, les autorités publiques de transport dans ces trois régions n’ont pas manifesté la volonté de créer un MaaS et d’en assurer la gestion, notamment en raison d’un manque de ressources. Crozet, Santos, et Coldefy (2019) se prononcent en faveur d’un rôle fort de l’AOM qui devrait développer son propre MaaS en valorisant les données à sa disposition et à sa marque. Selon ces auteurs, l’AOM, profitant de la position privilégiée que lui donne sa capacité de financement, devrait proposer des services complémentaires aux transports en commun, notamment des services de transport à la demande dans des zones périurbaines (par exemple, des services de taxi subventionnés). Par contre, ils admettent que, pour y parvenir, l’AOM devrait développer ses compétences en gestion de données et de services de plateforme. La discussion autour de la nature de l’opérateur de MaaS révèle une disparité entre les attentes de certains acteurs envers les autorités publiques et le positionnement parfois en retrait adopté par celles-ci. Enfin, la question de la désignation de l’acteur à qui doit incomber le rôle d’opérateur de MaaS soulève aussi celles des rapports de force entre les acteurs et de l’opposition entre les différentes conceptions du MaaS.
12La revue des quatre références sur les applications pilotes et commerciales de MaaS (Audouin, 2019 ; Hirschhorn et al., 2019 ; Karlsson et al., 2020 ; Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015) révèle plusieurs points de divergence entre acteurs dans la conception du MaaS. Un premier sujet concerne la revente des tickets des transports en commun (TC). Dans tous les cas étudiés, l’opérateur de MaaS vise à intégrer les TC et à revendre des tickets des TC sur sa plateforme, avec un intérêt particulier pour les abonnements puisqu’ils lui permettent de vendre des services de TC illimités et ceux-ci sont souvent subventionnés. Par contre, l’opérateur des TC se montre peu disposé à ouvrir la vente des tickets de TC à des parties tierces, particulièrement les abonnements, par crainte d’une perte de contact direct avec le client, d’une position dominante d’un autre opérateur de transport ou encore d’une réduction d’usage des TC (Audouin, 2019 ; Hirschhorn et al., 2019 ; Karlsson et al., 2020 ; Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015).
13Les auteurs de ces quatre articles constatent que la sélection des services de mobilité dans les applications de MaaS suscite également des positions divergentes entre acteurs participants. Un opérateur de MaaS s’appuyant sur un modèle commercial visant à générer des profits a intérêt à inclure des services de mobilité à but lucratif, ce qui couvre les services comme l’autopartage ou encore la location de voiture (Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015). Les autorités publiques ayant pour objectif de réduire l’utilisation de la voiture individuelle favoriseront davantage les modes actifs comme le vélopartage, la location de vélo, les services proposés pour soutenir la marche et l’usage du vélo personnel (Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015), et pencheront vers un MaaS incluant ces modes. Un opérateur privé de MaaS inclurait les services non rémunérateurs à la condition qu’ils soient essentiels pour attirer et fidéliser les usagers de la plateforme.
14Un autre sujet de débat scientifique et professionnel s’articule autour de la couverture géographique des services de mobilités inclus dans le MaaS. Les évaluations du pilote MaaS UbiGo en Suède ont pu démontrer que les participants n’étaient pas satisfaits de la couverture géographique, notamment des services d’autopartage et de vélopartage (Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015). Les participants du pilote critiquaient le fait que la couverture était assurée en centre urbain, mais que ces services n’étaient pas proposés dans des zones suburbaines et périurbaines. En général, comme la revue de plus de 66 articles scientifiques le démontre, la littérature scientifique sur le MaaS reste vague concernant la zone géographique dans laquelle l’offre de MaaS est proposée. Quelques auteurs précisent que le MaaS est une offre urbaine (Kamargianni et al., 2016), d’autres estiment un potentiel en périphérie de la ville (Eckhardt et al., 2018). Quelques auteurs thématisent le MaaS dans des zones rurales (Eckhardt et al., 2018). Cependant, la plupart des articles n’évoquent pas cette question pourtant pertinente pour répondre aux objectifs généralement associés au développement du MaaS, à savoir la réduction de l’utilisation, voire de la possession de la voiture personnelle. Ainsi, la couverture géographique des services soulève une problématique fondamentale du MaaS : le caractère non-rentable des services d’autopartage et de vélopartage dans des zones à faible densité de population. L’offre de transport à la demande dans ces zones joue un rôle important pour assurer la connexion pour le dernier kilomètre d’un déplacement. L’offre privée insuffisante de services de transport à la demande dans ces zones pourrait inciter les autorités publiques à proposer des MaaS publics dans ces zones. Par ailleurs, les auteurs soulignent l’importance du rôle du gouvernement national pour la mise en place des MaaS. Andouin et Finger (2018) et Karlsson et al., (2020) avancent des arguments en faveur d’une approche de gouvernance de haut en bas qui faciliterait la diffusion des plateformes MaaS. Ainsi, une vision forte du MaaS, une législation adaptée et des subventions favorisent le développement des plateformes MaaS. Toutefois, Karlsson et al., (2020) reconnaissent que la volonté et l’engagement de l’administration à l’échelle nationale ne seront pas suffisants. À ce sujet, ils évoquent la longue mise en place d’un MaaS à Helsinki en Finlande en dépit d’un gouvernement national très favorable à cet outil. Un positionnement dominant du gouvernement national pourrait également nuire aux efforts locaux de développement du MaaS. Il semble que le positionnement affirmé du gouvernement néerlandais, en imposant des définitions restrictives pour les MaaS pilotes, a créé des tensions avec l’administration locale d’Amsterdam favorable à un modèle plus flexible adaptable à ses besoins territoriaux (Hirschhorn et al., 2019).
15Des entretiens avec des acteurs qui ont participé au pilote MaaS à Vienne (Smile) ont révélé la difficulté de convaincre d’autres opérateurs de transport de participer à ce projet (Cerema, 2019). En effet, la valeur ajoutée d’une plateforme MaaS n’est pas claire pour tous les acteurs. Dans le cadre du pilote MaaS UbiGo en Suède, chaque type de service de mobilité était représenté par seulement un opérateur de transport. Les opérateurs de transport préféraient ce modèle parce qu’ils attendaient un élargissement de leur base de clients, une augmentation de leur revenu marginal ainsi qu’une meilleure utilisation de leurs ressources (Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015). Par contraste, les usagers d’UbiGo souhaitaient avoir une plus grande diversité d’opérateurs (Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015). La conception du MaaS dépendra donc des opérateurs de MaaS, du cadre réglementaire et du modèle d’affaires.
16Bulkeley et Kern (2006) proposent une catégorisation des approches de gouvernance pour analyser le positionnement des autorités publiques dans la protection climatique. Ils distinguent entre autres la gouvernance par l’autorité (governing by authority), la gouvernance par la facilitation (governing through enabling) et la gouvernance par l’action (governing by provision). L’approche traditionnelle de gouvernance (par l’autorité) fait référence au rôle des autorités publiques qui exercent leur compétence en matière de planification et de régulation des systèmes de transport. Les autorités publiques peuvent également prendre le rôle du facilitateur en encourageant des collaborations, des réseaux et des échanges avec d’autres acteurs (publics, privés, associatifs). Les autorités publiques visent ainsi à influencer et à orienter les stratégies et objectifs d’autres acteurs en s’appuyant sur des échanges plus ou moins formalisés, la diffusion des connaissances et des bonnes pratiques ainsi que l’octroi de subventions. La gouvernance par l’action dans le secteur du transport prévoit que les autorités publiques régionales et locales donnent un bon exemple en proposant un MaaS à leurs salariés. Andouin (2019, 179) s’appuie sur ces catégorisations de la gouvernance pour décrire le rôle des autorités publiques dans l’intégration des TIC dans des systèmes de transport et ajoute la catégorie laisser-faire proposée par Etzkowitz (2008). Cette approche de gouvernance décrit une position dans laquelle l’autorité publique observe et n’intervient pas. Cette catégorisation de gouvernance des autorités publiques est utilisée comme cadre théorique pour caractériser le comportement des autorités publiques dans le développement du MaaS.
17Selon le retour d’expériences des MaaS pilotes et commerciaux, les auteurs indiquent qu’il ne s’est pas encore établi une position commune quant au rôle des autorités publiques. Les analyses de gouvernance démontrent que les acteurs publics (gouvernement national, gouvernement local, AOM) ne partagent pas les mêmes visions et perceptions de leurs rôles respectifs dans le développement du MaaS (Andouin, 2019 ; Polydoropoulou et al., 2020 ; Hirschhorn et al., 2019 ; Karlsson et al., 2020). De plus, il apparaît que les réserves manifestées par certains acteurs publics à s’engager dans le développement du MaaS pourraient s’expliquer par l’impact inconnu du MaaS sur le système de transport et la crainte générale de perdre des usagers des transports en commun (TC) (Andouin, 2019). L’incertitude sur le rôle et le positionnement des acteurs publics a été identifiée comme une barrière importante pour le développement du MaaS (Karlsson et al., 2020). Les sections suivantes mettent en lumière les approches de gouvernance dans le développement du MaaS en Finlande, Suède, Royaume-Uni ou en Autriche.
18Andouin (2019) suggère que le gouvernement au Royaume-Uni occupe une position de facilitateur en promouvant une vision favorable quant à un système de paiement intégré pour les services de mobilité, tout en préférant une forte inclusion du secteur privé. À l’égard du développement du MaaS à Birmingham, le gouvernement britannique a adopté une approche de laisser-faire et a préféré collecter des informations et suivre le développement du MaaS sans intervenir (Hirschhorn et al., 2019). En Autriche, le gouvernement national ne s’est pas impliqué dans le développement du MaaS, mais l’a facilité en finançant des projets pilotes par l’agence nationale de recherche (Andouin, 2019). Andouin (2019) suggère que la constitution fédérale du système politique de l’Autriche pourrait en partie expliquer la position distante du gouvernement national. Le gouvernement finlandais a contribué à l’avancement du concept MaaS en le clarifiant grâce à des documents stratégiques et politiques sur les thématiques importantes pour le développement du MaaS (carte à puce, système d’information multimodal) (Andouin, 2019 ; Karlsson et al., 2020). De plus, il a mis en avant un écosystème favorable pour le développement du MaaS en organisant des groupes de travail, la fondation de « laboratoires d’idées », et des consultations entre acteurs privés et publics. Le financement des MaaS commerciaux, comme l’application Whim de l’entreprise MaaS Global, par l’agence nationale de recherche contribue à cette position favorable au développement du MaaS. Parallèlement à cette approche de facilitation, le gouvernement a aussi exercé son autorité pour promouvoir l’avancement du MaaS en Finlande. Par exemple, le « National Transport Act » de 2017 prévoit une ouverture des données de plages horaires et de tarification et autorise la revente des tickets de TC par des parties tierces (Hirschhorn et al., 2019).
19En Suède, le gouvernement national a soutenu le développement du pilote MaaS UbiGo à travers son financement au moyen de son agence de l’innovation Vinnova. Cependant, celui-ci s’est montré réservé à l’idée d’adapter la législation restrictive vis-à-vis des opérateurs des TC qui sont limités dans leurs activités aux services de TC traditionnels et ne peuvent donc pas endosser le rôle de l’opérateur de MaaS (Karlsson et al., 2020 ; Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015). Ainsi l’approche du gouvernement peut être caractérisée comme un hybride de gouvernance par la facilitation et de laisser-faire.
20Le gouvernement national néerlandais a publié en 2016 une feuille de route pour le MaaS, et a ensuite financé plusieurs pilotes MaaS. De plus, il a négocié le développement d’une API (Application Programming Interface) standardisée pour faciliter l’échange de données entre différents opérateurs d’autopartage et de vélopartage. Il adopte ainsi un rôle de facilitateur. Parallèlement, le gouvernement est partenaire de plusieurs pilotes MaaS et impose des critères restrictifs aux projets quant à la définition du MaaS et des services à inclure dans les pilotes (Hirschhorn et al., 2019).
21La mairie de Londres a adopté une approche de facilitateur avec la mise en place d’un environnement favorable et en définissant en parallèle les objectifs de l’intégration de paiement pour l’AOM (Andouin, 2019). A Helsinki, la mairie facilitait le développement du MaaS en proposant des rencontres et collaborations entre des acteurs privés et publics et essayait de convaincre l’AOM métropolitaine de collaborer avec les opérateurs privés de MaaS (Andouin, 2019).
22En tant que partenaire du projet pilote UbiGo, le gouvernement local de Göteborg en Suède a participé au développement du MaaS dans sa région notamment avec l’objectif de développer un instrument politique pour réduire la possession et l’utilisation des véhicules personnels (Sochor, Strömberg, et Karlsson, 2015). Néanmoins, ni le gouvernement local ni le gouvernement national n’étaient favorables à financer une commercialisation du MaaS (Karlsson, Sochor, et Strömberg, 2016). Karlsson, Sochor, et Strömberg (2016) avancent que cette position s’expliquerait par des barrières législatives et régulatrices qui empêcheraient, par exemple, les opérateurs des TC en tant que fournisseurs de services de mobilité subventionnés de participer aux plateformes à but lucratif.
23La ville d’Amsterdam soutient la diffusion de l’outil MaaS sur son territoire et participe activement au pilote de MaaS dans l’arrondissement d’affaire Zuidas. Son rôle peut ainsi être qualifié de facilitateur et de gouvernance par l’action. Hirschhorn et al. (2019) soulignent des différences entre le gouvernement national néerlandais qui établit des prescriptions nettes pour les pilotes de MaaS financés par le gouvernement national et la mairie d’Amsterdam qui souhaite adapter le pilote de MaaS aux besoins territoriaux (Hirschhorn et al., 2019)
24L’AOM de Londres a adopté une approche de gouvernance par l’autorité en sous-traitant l’opération de l’intégration de paiement pour les services de mobilité à une entreprise privée (Andouin, 2019). Vienne est une ville-État, ce qui signifie que la ville possède les compétences d’une ville et d’un état fédéré, et d’une AOM locale. Elle gère Wiener Linien, l’opérateur des TC à Vienne. L’AOM a financé le pilote MaaS Smile (entre autres financiers nationaux et européens) et l’application commerciale WienMobil de l’opérateur des TC (Neue Urbane Mobilität Wien GmbH, 2015). La ville de Vienne a ainsi pris une position de facilitateur. L’opérateur des TC a adopté une approche particulière puisqu’il a acheté la solution technique de la plateforme MaaS issue du pilote, la solution « back-end », par l’entreprise privée Fluidtime et a fondé l’entreprise Upstream Mobility, qui vend cette solution à d’autres entreprises publiques et privées. Wiener Linien détient 51 % d’Upstream Mobility. L’approche de gouvernance peut être caractérisée comme hybride (facilitation et action), ouverte envers des collaborations privé-publics et, de l’autre côté, Wiener Linien ainsi que l’AOM souhaitent garder une indépendance technique de leur produit MaaS et un contrôle de la gestion des données dans le développement du MaaS à Vienne (Cerema, 2019). L’AOM d’Helsinki (HSL) regroupe des compétences importantes en matière de mobilité avec la gestion tarifaire, la gestion de l’entreprise communale pour les tramways et les métros à Helsinki et la sous-traitance des lignes de bus (Hirschhorn et al., 2019). HSL a changé son approche de collaboration au fil du temps en ouvrant d’abord sa vente de tickets à l’unité à MaaS Global, l’entreprise qui propose l’application Whim (un MaaS privé) depuis 2016 à Helsinki. Cependant, elle a refusé l’ouverture de revente de ses abonnements à des parties tierces, ouverture pourtant demandée par MaaS Global pour qui les abonnements subventionnés de TC constituent une partie importante de l’offre (Andouin, 2019 ; Hirschhorn et al., 2019). Ensuite, l’AOM a décidé de développer sa propre plateforme MaaS en 2017 (Hirschhorn et al., 2019). En 2018, l’AOM a embauché du personnel supplémentaire et a développé une plateforme ouverte de MaaS qui permet également la revente des tickets à l’unité et des abonnements par des parties tierces (Hirschhorn et al., 2019). L’AOM a mis fin à son rôle de blocage en prenant le rôle d’un opérateur de MaaS pour enfin faciliter l’accès à la revente des tickets de TC par des tiers (approche de gouvernance par la facilitation).
25L’AOM métropolitaine d’Amsterdam exige des opérateurs de transport sous-contractés d’inclure la multimodalité dans la conception de leurs services et d’optimiser leur offre en considérant les autres offres de transport (Hirschhorn et al., 2019). Elle fait ainsi usage de son autorité à travers des délégations de services pour l’offre des transports publics. En outre, elle facilite la diffusion du MaaS puisqu’elle soutient l’implantation d’autres plateformes MaaS sur son territoire et s’engage dans des réseaux d’échange entre différents acteurs. Par contre, elle participe plutôt passivement au pilote de MaaS dans l’arrondissement d’affaires Zuidas (Hirschhorn et al., 2019).
26L’AOM de Birmingham au Royaume-Uni gère des TC, des investissements dans l’infrastructure et un système de carte à puce. Toutefois, ses compétences en matière de mobilité sont limitées suite à une libéralisation du marché (Hirschhorn et al., 2019). Ainsi, elle n’influence pas la tarification des TC et poursuit en général une approche de collaboration (facilitation) avec les différents acteurs de la mobilité (Hirschhorn et al., 2019). Dans le cadre du développement de MaaS, elle ne dispose pas de fonds propres, mais essaie de faciliter le développement, notamment en tenant à jour un mémorandum détaillé – entre l’entreprise MaaS Global et d’autres partenaires – portant sur le partage des données et le respect des objectifs publics dans le développement de MaaS sur son territoire (Hirschhorn et al., 2019). Dans le contexte d’un budget décroissant pour les TC, elle vise à augmenter le nombre d’utilisateurs des TC avec l’outil MaaS (Hirschhorn et al., 2019).
27Le tableau 2, inspiré par Andouin (2019), résume les différentes approches de gouvernance adoptées par les autorités publiques dans le développement du MaaS en Finlande, en Suède, au Royaume-Uni ou en Autriche. Les autorités publiques adoptent soit une approche de gouvernance par l’autorité (régulation du système de transport), par la facilitation (encouragement et la collaboration), par l’action (en donnant un bon exemple) ou encore de laisser-faire (observation passive).
Tableau 2. Approche de gouvernance des pilotes et plateformes commerciales de MaaS
28Annotation :
* Il ne s’agit pas d’un MaaS mais d’un système d’intégration de paiement avancé par l’AOM du Grand Londres.
a : opérateur de MaaS
b : autorité organisatrice de la mobilité
c : gouvernement national
d : gouvernement local
e : zone géographique
29Absentes du panel, il semble que les compagnies ferroviaires soient réservées à s’engager dans des plateformes MaaS, ou poursuivent des ambitions à développer leurs propres solutions en tant qu’opérateur de MaaS. En effet, la compagnie ferroviaire nationale de l’Autriche (ÖBB) a participé au pilote MaaS (Smile) de l’opérateur des TC à Vienne en Autriche (Wiener Linien), mais préférait développer sa propre solution MaaS commerciale et ne plus participer à l’offre commerciale de MaaS de Wiener Linien (Cerema, 2019. Audouin (2019) ce point de vue en avançant l’exemple de la compagnie ferroviaire finlandaise et son aspiration à développer sa propre solution MaaS.
30Cet article vise à mettre en lumière le rôle des autorités publiques dans le développement des plateformes MaaS (Mobility as a Service) à partir d’une revue de la littérature scientifique. Portant tout d’abord sur la thématique large des acteurs du MaaS, il se concentre ensuite sur la thématique de la gouvernance dans les projets pilotes ou les applications commerciales de MaaS. Les principales découvertes de cette analyse s’articulent autour :
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De la divergence dans la conception du MaaS entre les différents acteurs,
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De L’importance des AOM, et
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Du rôle ambigu des gouvernements nationaux et locaux dans le développement du MaaS.
31Même dans un contexte législatif favorable, une autorité publique locale peut bloquer le développement d’un MaaS privé par crainte d’une réduction d’usage de ses propres services et pour d’abord développer son propre MaaS. Les cas d’études révèlent que le positionnement des autorités publiques et les rapports de force entre acteurs dépendent des compétences des autorités publiques à chaque échelle administrative, du contexte juridique et de la présence des autres opérateurs de MaaS et fournisseurs de transport.
32On peut constater que les opérateurs de transport se comportent différemment dans les pilotes MaaS et dans les projets de plateformes commerciales de MaaS. Par exemple, plusieurs opérateurs de transport (ferroviaire, d’autopartage) ont participé au pilote du MaaS Smile à Vienne (Autriche), mais préféraient développer leur propre plateforme MaaS ou ne plus participer à la plateforme commerciale (WienMobil) de l’opérateur des TC (Cerema, 2019).
33À présent, à l’exception de Horth (2020) qui explore l’émergence du concept MaaS en France, il n’existe pas de publications scientifiques portant sur la gouvernance du MaaS en France et qui soient basées sur des retours d’expérience des pilotes ou applications commerciales de MaaS. Cependant, les autorités publiques adoptent des approches de gouvernance différentes quant au développement de MaaS en France. Les AOM s’engagent pour développer des plateformes au moyen de collaborations privé-public en faisant référence à la plateforme Moovizy à Saint-Etienne. De plus, elles publient des appels à projets par l’intermédiaire des marchés publics comme illustré par la Métropole d’Aix-Marseille-Provence. En outre, elles s’appuient sur des délégations de service (l’exemple de la Métropole de Bordeaux), créent des MaaS en régie propre comme dans le cas d’Île-de-France Mobilités ou en collaboration entre AOM régionale et locale. Il convient de souligner l’importance de la loi d’orientation des mobilités (LOM) promulguée en 2019 pour la diffusion et la gouvernance de développement des plateformes MaaS. Celle-ci, par exemple, oblige un opérateur de MaaS, dès qu’il inclut un service de mobilité aménagé par l’autorité organisatrice, à inclure toute l’offre de services de mobilité de cette catégorie présente dans le territoire concerné. Ainsi, la prise d’avantage concurrentiel d’un opérateur d’un tel service de mobilité, comme c’était le cas dans le pilote UbiGo en Suède, ne sera pas autorisée en France.
34Quant à la motivation de l’engagement des acteurs publics, Hirschhorn et al. (2019) avancent que l’engagement des acteurs publics dans le développement des plateformes s’expliquerait plutôt par un souhait d’augmenter la part modale et les revenus des TC que par des objectifs environnementaux. La littérature sur la gouvernance utilisant des retours d’expérience des plateformes MaaS étudiée dans cet article se limite au rôle des acteurs publics. Il semble intéressant d’explorer le positionnement et les stratégies des acteurs privés qui collaborent aux plateformes MaaS et de comprendre leurs préférences en matière de modèles d’affaires et leurs motivations pour collaborer avec des acteurs publics.