Introduction

1Nous sommes à une époque où les citoyens sont de plus en plus surveillés grâce à l'utilisation généralisée de caméras de vidéosurveillance, de drones, de leurs empreintes numériques laissées en ligne, des appareils connectés et d'une multitude d'outils de collecte de données personnelles. En ce sens, la surveillance semble être généralisée et institutionnalisée, car elle apparaît comme une technique clé de la gouvernance des pouvoirs publics, des entreprises et des particuliers (Friedwald et al., 2017). Dans ce cadre, nous nous intéressons au « regard », compris comme un élément essentiel depuis la théorisation foucaldienne de la surveillance. Pour reprendre les mots d’Olivier Aïm, c’est bien Foucault qui « a ouvert la voie à un schéma particulièrement clairvoyant » en ce qui concerne « l’économie de la visibilité » : « le pouvoir est corrélé à une capacité de voir, de faire voir et de dominer du regard » (Aïm, 2020, p. 14). D’après Foucault (1975), « le regard panoptique » constitue un élément indispensable pour assurer le fonctionnement automatique du pouvoir. Nous souhaitons examiner la place du regard dans un contexte de surveillance numérique, car nous estimons que, même si le « regard surveillant » (Foucault, 1975) était presque inaperçu, masqué ou invisibilisé, il a toujours une matérialité. En partant de ce postulat, nous allons aborder le terrain artistique, qui nous semble être un espace privilégié pour observer comment ce problème public devient visible et crée des formes d’action telles que le contournement, l’obfuscation et la dénonciation. L’art, tel que le souligne Fourmentraux (2021), en plus d’une expression, c'est l’instauration des formes politiques qui cherchent à contrecarrer ce phénomène de surveillance généralisée. Ainsi, les artistes proposent des formes alternatives comme le camouflage, la discrétion, la désobéissance et le contournement et trouvent davantage de points de fissure au cœur d’un regard panoptique, qui prétendent tout voir.

2Nous allons présenter tout d’abord des travaux fondateurs de Foucault afin de montrer en quoi la place du regard panoptique est toujours d’actualité dans un contexte de surveillance en régime numérique. Nous allons aussi retracer les apports des études sur l’art surveillance afin d’aborder ce que cela apporte à la discussion du phénomène de surveillance généralisée tout en offrant des pistes esthétiques, mais aussi politiques. Ensuite, inspirés des recherches autour des formes de contournement, notamment des travaux de Gary T. Marx, et de Helen Niessenbaum et Finn Brunton, nous allons proposer une analyse adaptée aux diverses formes d’expressions artistiques qui traitent de la surveillance et dont le regard est au cœur de l'expérience. Enfin, nous allons présenter les principales conclusions de cette étude.

1. Interroger la surveillance par le regard panoptique

3Présenté par Michel Foucault dans Surveiller et Punir (Foucault, 1975), le panoptique est un concept indéniablement dominant dans les travaux sur la surveillance. Inspiré du panoptique de Bentham, dont l’objectif est de réduire les coûts de surveillance dans une prison, en offrant aux gardiens une vision d’ensemble, le mécanisme fonctionne par le placement du surveillant dans une tour centrale où les surveillés sont constamment observés, autrement dit « chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et constamment visible » (Foucault, 1975, p. 233). Le panoptique donne forme à la figure architecturale d’une prison où l’une de caractéristiques essentielles est que le prisonnier ignore quand il est surveillé, « il est vu, mais il ne voit pas; objet d’une information, jamais sujet dans une communication » (Foucault, 1975, p. 234). Pour Foucault, ceci instaure une expérience de vigilance constante qui, conséquemment, permettrait d’assurer « le fonctionnement automatique du pouvoir » (Foucault, 1975, p. 234), dont l’essentiel c’est que le surveillé se sache surveillé.

4Dans des études plus récentes liées à la surveillance en régime numérique, nous constatons que, sur Internet, il n’y a pas l’ombre du surveillant, comme dans le cas de l’architecture du panoptique, qui rendrait visible l’état de vigilance permanent. Pour cette raison, la surveillance a pu se disperser et se décentraliser (Lyon, 2008). Nous parlons désormais d’une « culture de la surveillance » (Lyon, 2018 ; Marx, 2016) et d’une surveillance « liquide » (Lyon et Bauman, 2013), voire gazeuse (Tesquet, 2020). En suivant les travaux d’Olivier Aïm (2020), la « pragmatique de la visibilité » offerte par les nouvelles technologies est complexe, multiforme, « partagée » et « multilatérale » (Aïm, 2020). Elle génère tant d’« images de pouvoir » que d’ « images du pouvoir » (Taïeb et Devars, 2023), c'est-à-dire des images qui incarnent leur propre force, encourageant ainsi l'autonomisation de ceux qui les réalisent et de ceux qui les observent. Il s’agirait donc d’une « pragmatique de la visibilité » qui inclut des modalités de « contre-surveillance », notamment, en désignant « une logique alternative », voire « antagonique » à la surveillance étatique (Aïm, 2023). Cela dit, la visibilité reste toujours au cœur des pratiques de surveillance et « l’intérêt heuristique du modèle foucaldien consiste à avoir bien mis en évidence la question de la visibilité » (Aïm, 2023, p. 12). Autrement dit, la complexification, multiplication et décentralisation des pratiques surveillancielles n'impliquent donc pas la disparition de la place centrale du regard.

5Pour Ivan Manokha, dans « Surveillance, Panopticism, and Self-Discipline in the Digital Age » (Manokha, 2018), les écrits ultérieurs de Foucault (1996) sur les dispositifs de surveillance montrent que ses concepts sont toujours pertinents pour expliquer la manière dont les « techniques du soi » conduisent les individus à « l’autocensure » et à « l’autolimitation ». Selon Manokha, le développement des technologies modernes de l’information et de la communication produit un cadre panoptique basé sur une nouvelle conception architecturale qui permet une observation continue des sujets. Son élément clé est le pouvoir du regard, qui instaure une forme d’autocontrôle où le surveillé est celui qui exerce son propre assujettissement.

6Chez Foucault (1972), la fonction du regard peut être comprise comme un élément essentiel du panoptique punitif, car il s’agit d’un certain type de « regard qui surveille, qui épie, qui s'approche pour mieux voir » (Foucault, 1972, p. 507) : un regard qui perce le corps et la psyché, obligeant l’individu à intégrer le regard de l’Autre et de se voir comme un objet. Ainsi, ce regard panoptique constitue la subjectivité même de l’individu en scindant l’expérience subjective : le sujet se voit désormais comme un objet de contrôle, c’est-à-dire comme à la fois voyant et vu. Par ailleurs, même si le regard panoptique est constitutif, il ne détermine pas la subjectivité en soi (Foucault, 1984). En ce sens, l’auteur nie l’affirmation selon laquelle les sujets, même par leurs actes de résistance, seraient condamnés à se conformer. Pour y parvenir, l’auteur établit une distinction entre d’un côté les « relations de pouvoir » et de l’autre côté un « état de domination », tout en laissant un espace pour des actes créatifs de résistance, ce qu’il appelle les « pratiques de liberté ». Par conséquent, le pouvoir n’est pas capable d’être « un système de domination qui contrôle tout et qui ne laisse aucune place à la liberté » (Foucault, 1984, p. 114). Également, Foucault soutient que les pratiques de liberté sont, en plus de possibles, nécessaires au fonctionnement du système de relations de pouvoir du fait « qu'il ne peut y avoir de relations de pouvoir que dans la mesure où les sujets sont libres » (Foucault, 1984, p. 114).

7En bref, même si nous nous accordons sur le fait que les formes de contrôle se sont dispersées grâce aux outils techniques, la notion du panoptique foucaldien constitue toujours un concept fructueux pour penser le regard inscrit dans le dispositif de surveillance.

2. L’art surveillance et le regard panoptique

3. Corpus et méthodologie

10Le corpus a été constitué d’un ensemble d’expérimentations artistiques diverses (installations, performances, tableaux, expériences collectives) réunies sous l’appellation « art surveillance » et créées dans les années 2000-2020. En effet, les années 2000 ont vu l’intensification massive de la surveillance globalisée dans un contexte marqué par l’élan sécuritaire à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York. À cela s’ajoutent l’émergence d’un modèle économique basé sur la collecte massive des données des utilisateurs et la plateformisation de l’économie et de la société (van Dijk, 2013 ; Zuboff, 2019). La récolte indiscriminée, le traitement de plus en plus automatisé et l’usage de données personnelles à des fins publicitaires, mais aussi politiques se sont accrus ces dernières années par le biais des technologies de plus en plus puissantes, voire des outils d’intelligence artificielle.

12Du point de vue méthodologique, nous avons suivi une démarche exploratoire afin d’identifier les façons d’aborder le regard surveillant. Pour y arriver, nous nous sommes notamment inspirés des travaux sur les formes de contournement de la surveillance généralisée, non nécessairement appliqués au champ artistique, mais à un contexte plus largement politique, comme c’est le cas des travaux de Gary T. Marx (2016), qui traite des formes de neutralisation de la surveillance, ou encore celui de Helen Nissenbaum et Finn Brunton (2019), qui abordent les formes d’offuscation.

13Gary T. Marx, dans Windows into the Soul: Surveillance and Society in an Age of High Technology (2016), explique que les individus cherchent des formes de résistance qui peuvent être déployées dans 12 stratégies de neutralisation pour faire face à la surveillance. D’après l’auteur, ces stratégies montrent comment la créativité humaine, en fonction des limites logistiques et économiques, cherche à contrecarrer les systèmes de surveillance totale dans lesquels nous habitons (Marx, 2016, p. 145). Parmi ces 12 types de réponse à la surveillance envahissant la vie privée, nous trouvons par exemple les stratégies de découverte, dont l’objectif est de savoir si la surveillance est en cours et où elle se trouve. Ceci implique une forme d’autorégulation, car le comportement du sujet varie selon que la surveillance est en cours ou non, connaissance à laquelle permettent d’accéder, par exemple, les outils antiradars pour identifier les contrôles de police dans les autoroutes. Il y a également des stratégies de distorsion, ces mouvements qui manipulent le processus de collecte de données de façon à rendre celles-ci invalides. C’est par exemple le cas des tests de dépistage de drogue, qui peuvent être faussés par la prise de médicaments ou par la consommation de certains aliments confondants. Ou encore, les stratégies de rupture, dont le but est de rendre le dispositif de surveillance inopérant, par exemple par la désactivation des lignes électriques et téléphoniques ou par l’application de peinture sur une caméra de surveillance.

14Helen Nissenbaum et Finn Brunton, dans « Obfuscation. La vie privée, mode d’emploi » (2019), décrivent une série de stratégies qui varient en fonction des objectifs poursuivis, de la nature d’information à brouiller, ainsi que de l’adversaire auquel on se confronte. Le terme « brouiller » est compris ici comme une sorte de trouble servant à confondre ou à semer le désordre dans un système. La réflexion part du principe qu’il est impossible d’esquiver ou de bloquer la surveillance. Face à ce constat, « l'offuscation consiste à produire délibérément des informations ambiguës, désordonnées et fallacieuses et à les ajouter aux données existantes afin de perturber la surveillance et la collecte des données personnelles » (Nissenbaum et Finn Brunton, 2019, p. 20). Pour Nissenbaum et Brunton (2019), « la réussite d’une action est liée aussi aux moyens utilisés, aux méthodes appliquées, aux règles de conception et aux principes d’exécution qui y sont associés » (p. 158). Parmi l’éventail de formes d’offuscation que les auteurs décrivent, nous pouvons citer les bots de Twitter, « ces programmes qui créent des identités fictives et génèrent des messages automatiques ciblés […] afin de dominer le débat » (Ibid., p. 36); le logiciel TrackMeNot, dont la méthode « consiste à brouiller les pistes par le bruit généré avec d’autres recherches effectuées à partir d’une liste de mots-clés […] à chaque nouvelle recherche, chaque usager génère des mots qui alimentent la liste de références, la faisant évoluer au fur et à mesure par les nouveaux mots utilisés lors de nouvelles recherches avec une précision qui s’affine en permanence, jusqu’à ce que chaque utilisateur ait sa propre liste » (Ibid., p. 41) ; l’identité de groupe, où plusieurs individus sont logés sous le même nom; le babble tape, qui « est un fichier numérique, plutôt complexe, qui reproduit un bruit de fond et qui remplit l’arrière-plan d’une conversation […] connue spécifiquement par les ingénieurs du son pour interférer avec le système de contrôle des appareils d’écoute » (Ibid., p. 53) ; ou encore, l’application AdNauseam, qui permet d’entraver les mécanismes de ciblage publicitaire, car elle « clique de façon aléatoire sur tous les bandeaux publicitaires de toutes les pages web où navigue l’internaute » (Ibid., p. 63).

15En s’inspirant de ces travaux, nous avons pu identifier cinq catégories d’analyse propres à notre corpus d’expériences artistiques, datant des années 2000-2020, traitant de la surveillance en régime numérique et plaçant le regard au cœur de l’expérience. Dans un continuum, nous pouvons situer les formes de représentation du regard surveillant au sein duquel nous trouvons 1) :la représentation du regard voyant afin de le rendre visible ; 2) l’incarnation du regard surveillant par la représentation du champ surveillé ; et 3) la représentation du voyant et du vu par la construction d’un appareil de surveillance à part entière. À l’autre extrême du continuum, nous trouvons des formes de contournement à proprement parler comme 4) le contournement du regard du surveillant par masquage ou par évitement, et 5) les formes d’obfuscation face au regard surveillant pour le défier et le rendre inefficace. Il est néanmoins important de souligner qu’il ne s’agit pas de catégories excluantes ; bien au contraire, il s’agit d’un continuum d’expériences qu’après l’analyse, nous avons pu situer dans l’une ou l’autre catégorie.

4. Analyse et discussion

1. Représenter le regard surveillant comme un œil (littéral et métaphorique) afin de le rendre visible et de le dénoncer : 7 expériences identifiées.

2. Incarner le regard surveillant soit en l’adoptant comme perspective, soit en représentant le champ sous surveillance afin de le parodier, de le rendre absurde, de le ridiculiser et de démontrer ses limites : 10 expériences identifiées.

3. (Re)construire le regard surveillant par le biais de logiciels, de dispositifs numériques et de composants informatiques avec l’intention de mettre en scène les processus de surveillance, de les rendre visible, de les tordre, de les déformer et de les dénoncer : 13 expériences identifiées.

4. Contourner le regard surveillant par camouflage ou par évitement : 5 expériences identifiées.

5. Obfusquer le regard surveillant pour le défier ou le rendre inefficace : 5 expériences identifiées.

17Nous allons détailler chaque catégorie à partir des exemples les plus saillants du corpus.

4.1. Représenter le regard surveillant

18Cette première catégorie est constituée d’expériences qui répondent au regard de surveillance en le visualisant sous la forme d’un œil, soit littéralement, soit métaphoriquement. Nous trouvons ici le cas de « Google » de Jennifer Marman et Daniel Borins (2010), qui est une installation sculpturale composée de deux grands yeux largement ouverts montés sur un mur. Le titre de l’œuvre, « Google », et le jeu de mots, « goggle » (« yeux largement ouverts »), représentent la collecte de données de Google fonctionnant comme un œil dévorant. L’idée de l’œil surveillant est intensifiée par les caméras cachées à l’intérieur de la sculpture, qui suivent et qui enregistrent les personnes qui passent, ajoutant un élément potentiellement sinistre à l’humour offert par la forme des yeux globuleux.

Image 1 : Jennifer Marman et Daniel Borins, « Google » (2010), extrait de artandsurveillance.com

19Dans cette catégorie, nous trouvons également l’œuvre « And all watched over by machines of loving grace » de Donna Szoke et Ricarda McDonald (2012), qui se compose de deux grands moniteurs, chacun affichant un œil désincarné qui fixe le public. Les yeux regardent les personnes qui passent et suivent leurs mouvements, forçant la connexion entre l’œil de la caméra et l’œil de l’humain. Cette pièce met en question l’objectivité présumée des technologies de surveillance et les subjectivités inhérentes de ceux qui les contrôlent et qui les interprètent (souvent de manière invisible). Pour renforcer cette idée, une vidéo située dans une zone adjacente diffuse en boucle le gros plan d’un œil qui clignote au ralenti. Les deux moniteurs ne constituent pas une paire d’yeux, mais chacun un œil désincarné, intensifiant ainsi la sensation étrange du non-humain et marquant davantage la différence entre la vision humaine et non humaine.

Image 2 : Donna Szoke et Ricarda McDonald, « And all watched over by machines of loving grace » (2012), extrait de donnaszoke.com

20Toujours dans la même catégorie, nous identifions des artistes qui abordent le regard surveillant en le représentant comme un œil métaphorique, comme dans « Today is great » (2014). Julien Prévieux utilise un téléobjectif pour photographier les bureaux de Google à Los Angeles, plus précisément le deuxième étage du Binoculars Building de Frank Gehry. Nous y voyons des notes laissées par des employés, leurs dernières idées, des fragments d’algorithmes, des diagrammes ou des dessins humoristiques. L’artiste a réalisé une série de dessins à l’encre de Chine à partir de détails extraits de ces images. Pour Prévieux, il s’agit d’inverser les rôles : si les géants du Web captent nos données, c’est à nous de reprendre le contrôle de nos informations et de traquer le traqueur. De plus, en se focalisant sur le bâtiment des Binoculars (des jumelles), il évoque l’idée du panoptique, où la fenêtre centrale de la photographie est une métaphore de l’œil du panoptique. La fenêtre fonctionne comme une brèche permettant de surveiller le surveillant.

Image 3 : Julien Prévieux, « Today is great » (2014), extrait de previeux.net

21Le même principe apparaît dans « Access Denied » (2006) de Thomas Kneubühler, qui utilise la figure de l’agent de sécurité comme une métaphore appropriée du regard du surveillant. Les portraits d’agents de sécurité jettent un regard anonyme sur des zones étroitement surveillées et contrôlées, généralement interdites au public. Cette intervention dans l’espace public urbain décrit le processus de surveillance par un corps qui regarde, en utilisant un symbole de contrôle et de discipline, la posture de l’agent de sécurité évoquant fortement celle d’un gardien de prison. Si l’œuvre de Szoke et McDonald met l’accent sur la nature artificielle du regard surveillanciel, Kneubühler semble tâcher de rendre visibles les êtres humains qui se cachent derrière les caméras ; autrement dit, derrière la technologie surveillancielle se cachent toujours des « agents » qui, inévitablement, font recours à l’interprétation, c’est-à-dire des sujets humains qui représentent les intérêts des organismes de contrôle et de collecte de données sur les populations à des fins sécuritaires ou économiques.

Image 4 : Thomas Kneubühler, « Access Denied » (2006), extrait de thomaskneubuhler.com

22Nous pouvons enfin mentionner le cas de « The Invisible Hand (after Adam Smith) » (2009) d’Antonia Hirsch, qui utilise des miroirs convexes pour écrire « la main invisible » en braille. Cette expression est parue dans le livre d’Adam Smith La richesse des nations, où l’économiste parle de la « main invisible du marché ». Smith (1759) suggère que le marché idéal est aveugle de la même manière que la justice devrait être aveugle ou impartiale. Cependant, les miroirs convexes sont censés fonctionner comme une sorte d’œil universel. Nous les rencontrons souvent dans des contextes de vente au détail où ils servent à prévenir les vols. En combinant la main invisible du capitalisme et l’œil qui voit tout, l’artiste semble anticiper l’idée du « capitalisme de surveillance » plusieurs années avant qu’elle ne soit théorisée par Shoshana Zuboff (2019).

Image 5 : Antonia Hirsch, « The Invisible Hand (after Adam Smith) » (2009), extrait de antoniahirsch.com

23En rendant l’œil surveillant visible d’une manière littérale ou métaphorique, ces artistes font confronter les spectateurs à l’œil surveillanciel, qui regarde sans relâche. Ils abordent ainsi le sentiment étrange (uncanny) d’être constamment surveillé tel que le décrit Brighenti (2010). Le sentiment d’étrangeté est d’autant plus intensifié qu’en étant partiellement assujettis au regard de l’Autre, comme le développe Limare (2015), nous sommes constamment déplacés vers le statut d’objet plutôt que de sujet.

4.2. Incarner le regard surveillant

24La deuxième catégorie que nous avons pu identifier répond à des expériences qui représentent et qui reproduisent ce qui est vu par le regard surveillanciel. Dans ce cas, le champ surveillé est incarné par un regard qui plonge le spectateur dans l’expérience artistique, en voyant ce que l’œil artificiel capte dans la limite de son champ visuel. C’est le cas de l’installation interactive proposée par Dries Depoorter, nommée « Jaywalking » (2015), ce qui veut dire « les piétons traversant au feu rouge ». L’installation permet aux visiteurs d’observer la circulation en direct de caméras de surveillance, dans différents pays, et de dénoncer les piétons qui traversent la route imprudemment hors du passage piéton. C’est aux visiteurs de décider du sort des piétons, en appuyant sur un bouton qui envoie une capture d’écran de l’infraction au poste de police le plus proche par courriel. Donc, ce n’est plus le regard d’une caméra qui nous surveille et qui nous punit, mais le regard de celui qui incarne la vision de la caméra qui exerce le contrôle. Ceci nous renvoie à la notion d’assujettissement du sujet surveillé, dont parle Foucault (1975) lorsque l’expérience représente la manière dont les pouvoirs agissent à travers des corps. En d’autres termes, la surveillance est surveillée, et le surveillé est sanctionné par le regard qui incarne le système de caméras. L’installation dénonce ainsi la condition effrayante de surveillance des corps que produisent les systèmes des caméras tout en démontrant l’ubiquité de ces systèmes telle qu’elle a été formulée par Tesquet (2020).

Image 6 : Dries Depoorter, « Jaywalking » (2015), extrait de driesdepoorter.be

25L’incarnation du regard surveillant est travaillée également dans l’œuvre « Some will take more prodding others will be more difficult » de Michael Lewis (2008). Partant d’une série de peintures intitulée « I’ll take of it », l’artiste représente un rassemblement de personnes d’un bureau interagissant ou conversant les unes avec les autres. La peinture semble reproduire banalement des moments de la vie quotidienne dans une entreprise. Mais, en regardant de plus près, nous percevons quelque chose de troublant : l’identité des personnages semble masquée par des lunettes de soleil. Le champ de la peinture reconstruit la perspective du regard surveillant, mais l’artiste ne dévoile pas complètement l’identité des personnages grâce à ce subterfuge. Cette expérience pose la question de la limite du privé et du public dans les espaces sous surveillance. La scène représentée reproduit en elle-même la perspective de la surveillance par l’incarnation telle que les travaux d’Andrea Brighenti (2010) le suggèrent.

Image 7 : Michael Lewis, « Some will take more prodding others will be more difficult » (2018), extrait de michaellewisartist.com

26Dans « Your face is Big Data » (2019), Egor Tsvetkov capture des clichés d’inconnus dans le métro de la banlieue de Saint-Pétersbourg en Russie. Avec l’aide d’un logiciel libre de reconnaissance faciale appelé « FindFace », il essaie de reconnaître les visages parmi les 55 millions d’utilisateurs du réseau « Vkontakte » (l’équivalent russe de Facebook). L’artiste cherche à montrer les limites et la fiabilité des algorithmes. Une telle démarche pose la question de la fiabilité de la perception visuelle et aboutit également à la question de savoir si l’apparente certitude provenant de la vue permet l’accès au savoir. De surcroît, cette expérience artistique souligne aussi la transformation de soi et du regard en objet de contrôle, tout comme le décrit Manokha (2018). Ici, l’expérience produit une sorte de mise en abyme de l’acte même de voir, en montrant le sujet comme un objet de contrôle, c’est-à-dire celui qui se voit simultanément en tant que voyant et vu.

Image 8 : Egor Tsvetkov, « Your face is Big Data » (2019), extrait de medium.com

27En montrant l’incarnation du regard surveillant, les artistes de cette catégorie reproduisent et représentent les effets d’un système de surveillance. Mais, ils déjouent aussi les machines à voir, en montrant leurs fissures et leurs limites. Ce faisant, ils se moquent des fabrications ou des réponses rendues visibles par ces systèmes de surveillance.

4.3. Reconstruire le regard surveillant

28Au-delà de l’incarnation du regard surveillant, la troisième réponse artistique à la surveillance numérique que nous avons trouvée consiste à construire un dispositif de surveillance à part entière, combinant souvent l’utilisation de matériel (hardware) et de logiciels (software) numériques. Nous pouvons citer notamment « Gathering » de David Rokeby (2004), qui consiste en une caméra vidéo qui observe la rue extérieure d’une galerie et qui capture des images de personnes à l’extérieur. Un logiciel détache chaque personne de l’arrière-plan, puis organise des aspects particuliers (têtes, t-shirts, jeans, manteaux, mains, etc.) par couleur. Les éléments sont recontextualisés selon l’un des trois ensembles de règles disponibles qui déterminent la manière dont les images sont reconstituées. À l’intérieur de l’espace de la galerie, les images composites résultantes sont affichées sur un cercle de huit projections vidéo disposées dans un cercle incliné afin que nous puissions entrer et être immergés dans l’espace de tri. L’œuvre met en question la nature arbitraire qui dicte la manière dont les systèmes automatisés examinent, enregistrent et organisent l’information. L’artiste utilise les médias numériques pour questionner les problèmes de surveillance, et les différences entre l’intelligence humaine et artificielle. Rokeby confronte ainsi le spectateur à une vision artificielle en reconstruisant la vision machinique.

Image 9 : David Rokeby, « Gathering » (2004), extrait du compte officiel de l’artiste sur vimeo.com

29L’intérêt pour la façon dont les ordinateurs voient et donnent un sens aux images des êtres humains est également présent dans « Database » de Tobias Zimmer (2014). Ici, les visages des passants sont filmés, imprimés, puis passés au broyeur de papier. De jour en jour, les papiers déchiquetés s’accumulent, offrant aux passants une image concrète des données qui s’amoncellent sur eux. Les visages des passants sont détectés et imprimés avec une entrée de données correspondante, qui indique la date, l’heure et le numéro de la capture. Comme « Gathering », « Database » reconstruit tout en mettant en scène la façon dont l’œil surveillant et les dispositifs numériques qui le soutiennent fragmentent le corps, l’éclatant en petits morceaux et en en construisant une masse de données.

Image 10 : Tobias Zimmer, « Database » (2014), extrait de tobiaszimmer.net

30Enfin, l’œuvre de Shin Seung Back et Kim Yong Hun, « Cloud face » (2015), élabore un questionnement sur les limites de visualité et l’inefficacité des machines à voir. Partant de l’idée d’un jeu de l’imagination qui cherche à retrouver des traces d’un visage dans les formes des nuages, ces artistes explorent le pouvoir de reconnaissance des systèmes d’algorithmes, plus précisément leur capacité à reconnaître et à identifier des signes. À partir d’un système d’algorithmes installé dans un ordinateur, les artistes tournent la caméra de l’appareil vers le ciel. L’œil de la caméra saisit les traces ressemblant à celles d’un visage humain, mais malgré leur capacité de reconnaissance, les systèmes algorithmiques, à la différence des yeux humains, ne sont pas capables de différencier le traçage d’un vrai visage de celui tracé par les nuages.

Image 11 : Shin Seung Back et Kim Yong Hun, « Cloud face » (2015), extrait de elektramontreal.ca

31En se servant souvent du même type de technologie utilisée dans la surveillance étatique ou commerciale à grande échelle, les artistes de cette catégorie reconstruisent l’appareil de surveillance, rendent visible le processus technique de la surveillance, habituellement invisibilisé. En même temps, ils visent à contrer le processus de surveillance en reconstruisant sa version déformée ou déformante. L’autre élément clé de ces expérimentations artistiques est le fait qu’ils interrogent la nature même de la vision artificielle en l’opposant à la vision humaine. Elles reconstruisent la perception du champ surveillé par un œil-machine, ce qui renvoie à ce que Paul Virilio nomme la « visionique », c’est-à-dire « la possibilité d’obtenir une vision sans regard où la caméra-vidéo serait asservie à un ordinateur, ce dernier assumant pour la machine, et non plus pour un quelconque téléspectateur, la capacité d’analyse du milieu ambiant, l’interprétation automatique du sens des événements » (Virilio, 1988, p. 125).

4.4. Contourner le regard surveillant

32Dans cette catégorie, nous trouvons des expériences qui cherchent à contourner le regard surveillant par des techniques de camouflage ou d’évitement. C’est le cas d’« Incognito » d’Ewa Nowak (2018) qui, par la création de bijoux, cherche à contrecarrer les technologies de reconnaissance faciale. Ces bijoux sont simples à porter, car ils s’ajustent au visage comme une paire de lunettes. En ce sens, Nowak cherche à créer un objet facilement portable, un bijou facial qui pourrait être d’usage quotidien tout en le rendant moins perceptible aux yeux du surveillant. Ceci se rapproche plutôt de techniques de discrétion, compris par Pierre Zaoui (2013) comme la résistance à un nouvel ordre établi, celui de la transparence. Enfin, l’artiste cherche à mobiliser les citoyens dans la récupération de l’anonymat dans la voie publique, mais aussi face aux outils propres aux réseaux sociaux. Par une « stratégie de masquage » (Marx, 2003), le bijou protège l’identité d’un individu face au logiciel de reconnaissance faciale « DeepFace », que Facebook utilise pour identifier les personnes dans une photographie.

Image 12 : Ewa Nowak, « Incognito » (2018), extrait de creapills.com

33Ce même principe de quête d’anonymat par masquage se retrouve dans l’œuvre d’Adam Harvey « CV Dazzle » (2010). Cet artiste crée des styles qui, grâce à la coiffure et au maquillage, empêchent de détecter les visages, tout particulièrement, par la technologie de détection « Viola-Jones Haar Cascadé « et donc bloque la reconnaissance faciale. Le nom du projet « CV Dazzle » a été inspiré par un type de camouflage naval de la Première Guerre mondiale appelé « Camouflage dazzle » qui utilisait des conceptions d’inspiration cubiste du peintre Norman Wilkinson pour briser la continuité visuelle d’un cuirassé et ainsi dissimuler son orientation et sa taille. Dans « CV Dazzle », les visages sont dissimulés par des coiffures et par un maquillage unique pour chaque visage. D’après l’artiste, il y a des zones clés comme la région où le nez, les yeux et le front se croisent. Dans ces zones, l’artiste applique un maquillage de contraste. Étant donné que les algorithmes de détection de visage attendent une symétrie entre les côtés gauche et droit du visage, l’artiste développe un style asymétrique pour la coiffure afin de diminuer la probabilité d’être détecté.

Image 13 : Adam Harvey, « CV Dazzle » (2010), extrait de ahprojects.com

34Zach Blas, dans « Facial Weaponization » et « Facial Weaponization suite » (entre 2012 et 2014), fabrique, à partir d’une agglomération de données faciales, des masques amorphes qui rendent impossible l’identification d’un visage humain. Par un jeu troublant, l’artiste transforme le masque en une arme de dénonciation des formes de reconnaissance faciale et de la société de transparence dans laquelle nos visages sont toujours reconnus. En fonction des couleurs (rose, noir, bleu ou gris), chaque masque explore un sujet que l’artiste cherche à dénoncer. Par exemple, le masque noir exprime l’incapacité des technologies biométriques à détecter la peau foncée et, par conséquent, le racisme de ces technologies. Ceci constitue une démarche différente de celles présentées précédemment car, même si le masquage est utilisé comme stratégie de contournement, il n’y a pas de quête de discrétion, bien au contraire. Le masque ne dédouble pas un visage humain, il « ne crée plus l’illusion, mais instaure un trouble dans le visible et la reconnaissance » (Aubry-Tirel dans Revue RadaЯ N°1). Cela apporte un paradoxe intéressant pour comprendre comment ces artistes interprètent ce regard du surveillant, soit pour l’esquiver, soit pour le confronter tout en le rendant inutile.

Image 14 : Zach Blas, « Facial Weaponization » (2013), extrait de zachblas.info

35Une autre façon de contourner le regard du surveillant consiste à l’éviter. C’est le cas d’« Un mouvement disparu » de Deng Yufeng (2020). Il s’agit d’une performance dans laquelle des personnes réalisent une sorte de chorégraphie permettant d’esquiver les caméras de vidéosurveillance. Un parcours d’environ un kilomètre a été préalablement tracé par l’artiste et la performance a duré deux heures, ce qui montre les difficultés qu’implique l’évitement du champ visuel des caméras. Yufeng cherche par diverses formes à démontrer cette difficulté en effectuant des mouvements divers : accroupis, des inclinations de la tête vers le sol, ainsi que des périodes de pause pour attendre la rotation de certaines des caméras. Ceci est une métaphore de la difficulté à esquiver l’intrusion du gouvernement dans la vie des citoyens, notamment par l’usage de la technologie « Sky Net », utilisée par la police chinoise pour scanner les visages de sa population en une seconde.

Image 15 : Deng Yufeng, « Un mouvement disparu » (2020) extrait de bbc.com

36Ce dernier exemple montre l’efficacité et la rapidité avec lesquelles ce type de technologie fonctionne ainsi que les difficultés à le contourner car, tel que l’explique Marx (2016), la réussite d’une action de contournement dépend de moyens techniques, des limites logistiques et économiques qui, dans ce cas, sont notamment inégaux.

4.5 Obfusquer le regard surveillant

37Nous avons pu également identifier un ensemble d’expériences artistiques qui cherchent à défier le système de surveillance tout en le brouillant par différents mécanismes : détourner la finalité initiale, le rendre inefficace et le parasiter. C’est par exemple l’expérience « Face to Facebook » (2011) de Paolo Cirio et Alessandro Ludovico. Ces artistes ont récolté les données personnelles d’un million de profils sur le réseau social Facebook. Ensuite, à l’aide d’un logiciel de reconnaissance faciale, ils créent un faux site de rencontres où l’affinité est établie à partir de l’analyse des expressions des visages des profils récoltés. Concrètement, brouiller, ici, c’est détourner les données de leur finalité initiale pour les rendre signifiantes dans un autre système (Nissenbaum et Brunton, 2019). En imitant un système réel, les artistes reconfigurent le contenu de l’information afin de le mettre en question.

Image 16 : Paolo Cirio et Alessandro Ludovico, « Face to Facebook » (2011), extrait de paolocirio.net

38Simon Weckert, dans « Google Maps Hacks » (2020), provoque un embouteillage virtuel dans les rues de Berlin sur Google Maps en tirant une charrette remplie d’une centaine de téléphones intelligents. Son objectif est de tromper Google pour dénoncer comment la géolocalisation conduit nos comportements, notamment par la suggestion via cette application de restaurants, de stationnements, de centres d’intérêts ainsi que par la traçabilité constante des appareils connectés permettant à d’autres applications d’en faire usage. Cette expérience est comprise comme un acte d’obfuscation, car elle produit délibérément des fausses informations (Nissenbaum et Brunton, 2019) tout en rendant inefficace ce dispositif de géolocalisation.

Image 17 : Simon Weckert, « Google Maps Hacks » (2020), extrait de simonweckert.com

39De même, Christophe Bruno, dans « Google Adwords Happening » (2002), génère ce qu’il appelle des « épiphanies » afin de parasiter l’algorithme de Google. Cela fonctionne par la requête d’un mot-clé saisi par un internaute dans la barre de recherche du moteur. Le premier adword loué par Christophe Bruno était le mot « symptom ». Lorsqu’un internaute connecté à Google saisissait ce mot, il tombait sur le poème suivant : « Words aren’t free anymore/bicornuate-bicervical uterus one-eyed hemi-vagina ». Le générateur d’épiphanies parasite l’algorithme de Google afin de collecter sur Internet des fragments de phrases réagencées comme de petits poèmes aléatoires dénonçant la logique strictement commerciale et utilitariste du langage instaurée par Google.

Image 18 : Christophe Bruno, « Google Adwords Happening »(2002), extrait de zerodeux.fr

40Ces artistes cherchent par différents moyens à offusquer le système de surveillance, à semer le désordre, le trouble ou un brouillage, empêchant le surveillant d’exercer son action de contrôle.

Conclusion

41Alors que la « nouvelle surveillance », de plus en plus généralisée et décentralisée, semble s’éloigner du modèle foucaldien de la surveillance panoptique et de son « économie de visibilité » unilatérale (Foucault 1975), les expérimentations artistiques étudiées dans cet article montrent à quel point le regard surveillant foucaldien persiste comme un élément structurant du pouvoir. Bien que le rapport entre la visibilité et la surveillance soit de plus en plus complexe, le regard panoptique demeure, pour ces artistes, au cœur de toute forme de résistance et de dénonciation. Autrement dit, le fait que la visibilité offerte par les nouvelles technologies est désormais multiforme, « partagée » et « multilatérale » (Lyon et Bauman 2013) ne signifie pas pour autant la disparition des « relations de pouvoir » (Foucault 1975) au sein desquelles la force dominante se heurte constamment à la résistance. La complexification, multiplication et décentralisation des « pratiques surveillancielles » (Aïm, 2020) n’impliquent donc pas la décentralisation du pouvoir et du contrôle. Par ailleurs, ce qui demeure « central » est bien la place du regard comme l’outil de pouvoir et de contrôle par excellence. C’est pourquoi toute forme de résistance à la surveillance s’adresse, d’une manière ou d’une autre, à ce regard structurant.

42L’art surveillance, dans ce sens, s’avère comme un espace privilégié pour incarner les pratiques de liberté. Les cinq catégories d’expériences artistiques que nous avons pu identifier mettent le regard au cœur des représentations : le regard surveillant est rendu visible, incarné, reconstruit, contourné et obfusqué par différents moyens artistiques. Dans ce cadre, les artistes cherchent à dénoncer un regard surveillant (incarné par les États ou par la police) tout en rendant visible leur matérialité technique, notamment, par l’utilisation de caméras, des logiciels de reconnaissance faciale et par la collecte de données de géolocalisation.