La transition écologique repose sur la double prise de conscience de la finitude des ressources sur lesquelles repose la croissance économique mondiale et de l’empreinte environnementale issue de notre consommation énergétique. La transition numérique résulte, quant à elle, d’innovations techniques, dont l’une des conséquences essentielles est de fonder la création de la valeur davantage sur la production et sur l’analyse des données que sur la production de biens et de services. (Monnoyer-Smith, 2017, p. 5)
1En 2017, les Annales des Mines publiaient un numéro complet intitulé « Transition numérique et transition écologique ». Auparavant, en France en 2016, le département de l’Isère, en partenariat avec le muséum de Grenoble et la Ligue pour la protection des oiseaux de l’Isère (LPO Isère), lançait une plateforme numérique sur la nature, Nature-Isère1, qui se voulait « innovante » et aspirait à recréer des échanges entre des pratiques et représentations de la nature parfois incompatibles sur un même territoire – chasseurs, naturalistes, pratiquants de loisirs nature, etc. Ainsi, les acteurs publics comme les chercheurs associent numérique et écologie, et réfléchissent à leurs apports mutuels. Leurs travaux se concentrent autour de l’innovation que le numérique apporterait à l’écologie et autour d’une réflexion sur les communs que l’écologie apporterait au numérique.
2Le numérique permettrait notamment d’innover autour de la production de données, des pratiques individuelles et sociales ou encore de la coordination de l’action collective (Demailly et al., 2017, p.13), afin de mieux gérer la nature et son dérèglement actuel. Cette articulation est pensée de manière gémellaire jusque dans les politiques publiques en France et en Europe : « the "twin" green and digital transition » (Bianchini et al., 2023) constitue un cadre structurant dont il est difficile de se départir.
3Seule réserve identifiée à cette connexion entre les deux transitions : la voracité énergétique du numérique ainsi que sa consommation en ressources. Les acteurs publics et privés s’engagent dès lors pour la mise en œuvre d’une « sobriété numérique », qui accompagnerait cette transition numérique écologique. C’est par le recours à l’innovation technologique et par le renouvellement de l’écologie elle-même (ADEME, 2019; ARCEP, 2020) qu’ils envisagent de solutionner cette tension. De manière logique, des recherches portant sur les transitions écologique et numérique questionnent les enjeux énergétiques et font le lien avec le changement climatique (Bianchini et al., 2023; Ferreboeuf, 2019; Monnoyer-Smith, 2017).
- 2 Stratégie nationale biodiversité 2030. Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des (...)
- 3 Comptes économiques européens de l’environnement | EUR-Lex. Disponibles sur : https://eur-lex.europ (...)
4Dans cet article, nous proposons une approche réflexive sur ces recherches et interrogeons l’impact de ces deux « formules » (Krieg-Planque, 2009) en analysant les dispositifs (Larroche, 2018) qui en découlent dans le secteur de la préservation de la biodiversité. En effet, la thématique de la biodiversité est souvent traitée par le spectre des sciences participatives lorsqu’elle est associée au numérique (Charvolin, 2019; Heaton et al., 2018), et nous formulons l’hypothèse qu’elle est beaucoup moins associée à la formule de « transition écologique », cette dernière étant plus globalement associée au climat et à l’énergie, tout au moins dans les politiques françaises2 et européennes3. La présentation de la stratégie nationale biodiversité en France ne fait nulle part mention de la formule « transition ».
- 4 Projet MIMESIS (Muséum Interface de Médiation pour l’Environnement et les sciences en ISère), 2020, (...)
5En nous inscrivant en Sciences de l’information et de la communication, nous interrogerons la relation entre « transition numérique » et « transition écologique ». Nous étudierons comment ces formules mises en œuvre par les politiques publiques en France influencent les nouvelles manières de penser les dispositifs et les politiques de protection de la nature. Ce travail s’appuie sur une recherche menée sur le département de l’Isère4 autour du vivant et de la biodiversité, dans une démarche inductive.
6Nous étudierons alors comment la formule de « transition numérique » est mobilisée par les acteurs de différents projets menés en Isère sans être réellement interrogée. Puis, nous mettrons en évidence le faible usage de la formule « transition écologique » par les acteurs de la biodiversité, alors que cette dernière est très présente dans les discours portant sur les problèmes d’énergie ou de climat. Pour conclure, nous débattrons des effets d’occultation produits par l’usage concomitant de ces deux formules : occultation du passage entre dispositif numérique et engagement sur le terrain; occultation de notre rapport au vivant au profit d’une conception de l’écologie anthropocentrée.
7Sur le plan théorique, la formule de « transition écologique » est peu, voire pas du tout utilisée par les acteurs de la biodiversité et de la préservation de la nature. En effet, le dossier de 2017 de la revue Annales des Mines – Responsabilité et Environnement, questionnant les transitions écologiques et numériques n’aborde pas la thématique de la biodiversité et, à l’inverse, celui de 2020 consacré à « la biodiversité, entre urgence et complexité » n’évoque jamais la question du numérique ou celle de la transition (Letourneux, 2020; Tutenuit, 2020).
8Afin de comprendre cette absence d’appropriation des deux formules chez les acteurs de la biodiversité étudiés, intéressons-nous à la notion même de transition. De manière métaphorique, elle suppose un passage plus ou moins brutal, plus ou moins gradué d’un état à un autre (Catellani et Lits, 2024). C’est justement cette plasticité sémantique qui en fait une notion malléable et facilement appropriable. Lorsque l’on parle de transition, de quel état initial parle-t-on et pour quel état final visé? Les acteurs revendiquant une urgence environnementale ne peuvent se contenter d’une telle indétermination. Au contraire, les acteurs institutionnels peuvent facilement jouer sur ce temps long pour engager des politiques plus ou moins court-termistes. Ainsi, les chercheurs en sciences humaines et sociales ont identifié que cette notion participe à construire un récit qui « projette un passé qui n’existe pas sur un futur qui reste fantomatique » (Fressoz, 2021, p. 11).
9Comment les acteurs de l’écologie et du numérique se sont appropriés ce terme de transition? Pour ce faire, nous analysons l’appropriation et le sens que les acteurs interrogés donnent aux formules de « transition numérique » et de « transition écologique », qui sont articulées de manière fine dans les discours.
10Deux facteurs peuvent être relevés dans l’apport de la « transition numérique » à la « transition écologique » : le premier repose sur une conception techno-déterministe (Ellul, 1954) du numérique, dans laquelle la technique peut apporter du progrès en matière d’écologie, en permettant une meilleure connaissance de la nature, des capacités de mesure et d’interprétation de phénomènes physiques, etc.; le deuxième part du constat que le numérique fait pleinement partie de nos modes de vie et qu’il ne sera pas possible de revenir en arrière. Il faut donc penser la transition numérique pour pallier les problèmes environnementaux. C’est dans ce sens qu’émerge l’injonction à la sobriété, qui donne lieu à nombre d’ateliers et guides de bonnes pratiques (appel du XXIIIe Congrès SFSIC, 2023; Ferreboeuf, 2019; Monnoyer-Smith, 2017). La sobriété devient le cadre de pensée dominant des problématiques de transitions numériques et écologiques.
11Le choix des termes, leur circulation, leur réappropriation dans un domaine aussi peu consensuel que celui de l’environnement est éminemment politique et répond à des injonctions, des mises à l’agenda, des opportunités. En 2015, Bourg évoquait la difficulté à nommer les problématiques écologiques ou environnementales globales – l’auteur ne sachant plus lui-même quel terme employer –, à une période où l’expression de développement durable tend à être abandonnée.
12Ce dernier insiste sur les effets de cadrage induits par les termes circulant dans l’espace public, cadrages qui se traduisent dans les politiques publiques et les actions mises en œuvre. Les problématiques environnementales sont, par exemple, réduites à la question des pollutions, qu’elles entraînent des dérèglements climatiques ou des risques pour la biodiversité. Si le terme de pollution occulte ici le vivant, d’autres expressions ont dominé les discours environnementaux en ayant les mêmes travers : « développement durable » et plus récemment « transition écologique ». Ces expressions peuvent être qualifiées de formules, au sens donné par Alice Krieg-Planque, c’est-à-dire
un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces formulations contribuent dans le même temps à construire. (Krieg-Planque, 2009, p. 7)
13Quatre éléments caractérisent une formule selon elle. Premièrement, la formule est une séquence formelle relativement figée et concise; deuxièmement, elle circule dans l’espace public et est reprise par de nombreux acteurs; troisièmement, elle joue le rôle d’un « référent social », signe qu’elle est connue de tous et évoque la même chose; quatrièmement, elle est polémique et entraîne des débats, des injonctions à l’utiliser ou au contraire des refus de le faire.
14Dans le domaine de l’écologie, la première formule particulièrement étudiée est celle de « développement durable » (DD), dont la dimension mondiale fait suite au Rapport Bruntland en 1987 (Jeanneret, 2010, p. 2). C’est à partir du milieu des années 1990 que des chercheurs de différentes disciplines (écologie, gestion, sciences politiques, linguistique, sciences de l’information et de la communication, etc.) se sont intéressés au « développement durable ». À l’époque, le rapprochement au numérique se faisait déjà en d’autres termes : on parlait alors de Technologies d’Information et Communication (TIC) et la question de l’énergie était déjà présente (Desbois et al., 2010). En France, l’institutionnalisation s’est faite au début des années 2000, avec en 2001 le programme Écologie et Développement Durable de la loi LOFL (Loi organique relative aux lois de finances), en 2002 la création d’un secrétariat d’État au Développement durable et un ministère de l’Écologie et du Développement durable. L’analyse du DD comme formule a pour objectif de
[…] saisir les discours politiques, médiatiques et institutionnels à travers les différentes formes de figements que ces discours modèlent et font circuler : il s’agit de « transgresser les frontières posées par les discours et par leurs producteurs pour rendre visibles des faits de reprise, de reformulation, de régularité, de circulation, de dispersion et d’écho ». (Krieg-Planque, 2010, p. 2)
15À partir des années 2010, l’expression « transition écologique » tend à se substituer à celle de développement durable (Bernard, 2016). Rob Hopkins popularise le terme qui est très vite utilisé dans les mouvements utopistes et alternatifs (Hopkins et Durand, 2010), en rupture avec la dynamique du développement durable qui n’exprimait pas réellement de volonté de modification radicale des modes de vie.
- 5 Vidéo d’une conférence sur Youtube - cf. bibliographie
16Cependant, dès lors que l’expression « transition écologique » est reprise par le politique dans une forme de recyclage institutionnel (Cottin-Marx et al., 2013) « pour [la] vider assez rapidement de son contenu » (Bourg, 2019)5, et est devenue une formule, le caractère disruptif de la notion a été effacé, pour finalement repousser les échéances du changement « de l’urgence au lointain » (Bourg, 2019).
17On assiste en outre à un foisonnement de formules construites autour du terme de transition en France et à l’international. Si nous nous sommes concentrées pour cet article sur « transition numérique » et « transition écologique », nous n’en sommes pas moins conscientes de leur variété et de leur implantation et développement divers en fonction des cadres géographiques, politiques et symboliques. La « transition socioécologique » paraît alors porter en elle des valeurs différentes de la « transition écologique », en étant plus proche des « sustainability transitions » dans le monde anglo-saxon et plus orientée sur l’agir citoyen et les communautés (Rosário et Dias, 2022). L’expression « transition écologique » est certes utilisée dans les discours naturalistes et écologiques (les aires de transition écologiques), mais est moins présente dans les discours politiques de biodiversité. L’acception de ces expressions est encore loin d’être clairement normalisée et les cadres d’interprétations varient en fonction des lieux d’énonciation.
18Néanmoins, si Alice Krieg-Planque a montré en quoi les expressions « développement durable » ou « transition écologique » sont des formules, notre perspective communicationnelle nous amène à les considérer comme telles et à analyser leur circulation dans l’espace public (ici numérique), leurs appropriations par des acteurs en charge des politiques environnementales en France et les effets de cadrage sur les politiques publiques nationales.
- 6 En France, la Loi Open Data Biodiversité sera votée le 8 août 2016. Elle exige des acteurs publics (...)
- 7 LPO, Faune-Isère, https://www.faune-isere.org/, consulté le 7 mars 2023.
- 8 Extrait du Cahier des Clauses techniques Particulières, Cahier des charges de la plateforme numériq (...)
- 9 Disponible sur : https://www.gbif.org/fr/
19Au tournant des années 2010, le muséum de Grenoble (Isère), comme de nombreuses institutions culturelles, engage une réflexion globale sur sa stratégie numérique, principalement autour des questions de médiation et de vulgarisation scientifique (en lien avec les projets nationaux impulsés notamment par la Conférence permanente des Muséums de France). Au niveau local, la réflexion s’oriente sur la problématique de la valorisation des données, dans la mouvance des projets Open Data6. En effet, en 2014, la ville de Grenoble accueille la première élue à l’Open Data et aux logiciels libres en France. La LPO souhaite valoriser ses données sur les espèces protégées (diffusées sur la base de données Web Faune-Isère7) et le département de l’Isère a la responsabilité de signer des conventions avec les différents acteurs locaux de préservation de l’environnement. Le contexte est alors favorable pour que ces trois acteurs que sont le Muséum, le département et la LPO collaborent à la réalisation d’une plateforme numérique Nature-Isère, conçue comme un « espace éditorial numérique qui facilite l’accès à un capital d’information sur la biodiversité iséroise et qui fournit les clefs de son décryptage »8. Ce dispositif a pour objectif de délivrer des informations sur la nature, de partager des connaissances et des données naturalistes ouvertes pour et par un ensemble d’acteurs du territoire (collectivités, associations, institutions culturelles, citoyens). L’outil est alors pensé comme un espace numérique conçu pour fédérer des acteurs isérois en lien avec la nature et pour sensibiliser le grand public à la biodiversité, grâce à la mise à disposition de données naturalistes et d’informations vulgarisées autour des espèces présentes sur le territoire. Le projet est éloigné du format des portails « biodiversité » dont le Global Biodiversity Information Facility (GBIF)9 est un exemple et qui se concentrent plus sur l’accès brut aux données dans un objectif de connaissance.
20Sur notre terrain, au contraire, la plateforme numérique est pensée comme un dispositif de médiation à la nature, comme le serait une exposition, à la différence qu’il se veut participatif. Ce dernier serait un espace au sein duquel le public est invité à déposer ses expériences de nature, à poser des questions et à engager des échanges en ligne menant à des collaborations bien réelles.
Nature Isère a vocation à agglomérer autour de lui toutes les bonnes volontés, à avoir de plus en plus de contributeurs, de plus en plus d’idées, à être un forum de discussion, d’échange, et à devenir un média, c’est-à-dire une agora sur laquelle pouvait se rassembler un peu tout le monde de l’environnement. (Extrait d’entretien, Département de l’Isère, 27 février 2020)
21Les entretiens menés avec les initiateurs du projet montrent une certaine naïveté vis-à-vis du numérique : l’ouverture d’une plateforme numérique suffirait à ce que tout un chacun s’en empare. Elle deviendrait alors un espace d’échanges fonctionnant sur les contributions spontanées de professionnels de l’environnement, d’associations naturalistes ou de citoyens qui pourraient tous consulter les données disponibles et finalement contribuer à leur échelle. La promesse portée par le Web 2.0 est ici pleinement incarnée dans les discours des acteurs : la mise à disposition d’un outil numérique est vue comme la condition minimale mais suffisante à la participation de tous.
22Afin d’analyser ce lien étroit entre transition numérique et transition écologique, nous avons développé une méthodologie multiscalaire. Nous avons mené, en 2020 et 2021, des entretiens semi-dirigés avec plusieurs agents des trois institutions à l’origine du projet (département de l’Isère, muséum de Grenoble, LPO) ainsi qu’avec le concepteur du site Web. Nous avons également analysé l’ensemble de la documentation produite lors de la conception de ce projet. Le recueil des discours des acteurs nous permet de mieux comprendre les intentions politiques et les positionnements idéologiques qui ont précédé la création de Nature-Isère, ainsi que les contraintes techniques, institutionnelles, financières et politiques qui ont orienté les choix fonctionnels, graphiques et discursifs.
23Par ailleurs, nous avons procédé à l’analyse sémio-communicationnelle de la plateforme numérique, en nous appuyant sur l’approche socio-sémiotique des écrits d’écran (Bonaccorsi, 2013; Jeanneret et Souchier, 2009). Cette méthode permet de révéler le contrat de communication proposé par les concepteurs d’un site Web, par l’analyse des signes, de l’arborescence, de l’organisation spatiale de l’information et des signes, des fonctionnalités offertes à l’internaute, ainsi que par l’analyse linguistique et discursive des énoncés présents sur le site. C’est ainsi que nous avons pu analyser les représentations et les fonctions associées au numérique dans le secteur professionnel de la médiation à la nature, et ainsi questionner la « transition numérique » au service du vivant (dans la partie 2).
24Enfin, nous avons particulièrement prêté attention, dans les entretiens, les documents et sur la plateforme elle-même, aux liens énoncés par les acteurs entre numérique et préservation de la nature. Plus précisément, nous avons procédé à l’analyse du recours au terme de « transition » ainsi qu’aux formules de « transition écologique » et « transition numérique », analyse que nous présenterons dans la partie 3.
25Dans une démarche inductive, ce premier terrain nous a permis de dégager nos hypothèses de travail quant aux liens, chez différents acteurs de l’écologie et de la médiation scientifique, entre transition numérique et transition écologique. Il est ressorti une approche relevant du solutionnisme technique (Morozov, 2014) et d’un impensé du numérique (Robert, 2020) dans la mise en œuvre d’un projet de sensibilisation à la nature. Dès lors, nous avons voulu vérifier cette hypothèse sur d’autres terrains et auprès d’autres acteurs publics, et ses conséquences dans les projets de protection de la biodiversité.
26Nous avons donc élargi notre corpus de plateformes numériques à celles produites par d’autres acteurs publics travaillant sur le territoire de l’Isère dans le domaine de l’environnement :
-
https://biodiversite.isere.fr/ un site Web développé dès 2016 par le département qui a rapidement laissé la gestion de Nature-Isère au muséum de Grenoble;
-
Isère.gouv.org un site Web qui représente les services de l’État en Isère ;
-
Les Parcs nationaux régionaux (PNR) du Vercors10 et de Chartreuse11;
-
Le site Web de l’Association pour une gestion durable de l’énergie (AGEDEN38)12 et de sa déclinaison https://www.tousentransition38.org/
27Ces sites Web représentent des dispositifs numériques qui portent la promesse d’une action concrète sur la nature, pensés dans un engagement écologique. Ils ont été créés par des acteurs jouant un rôle clé dans la mise en œuvre des politiques publiques en matière d’écologie. Comme les entretiens ont pu le montrer, ils engagent une réelle réflexion sur les apports d’un dispositif numérique pour répondre à des questions écologiques.
28Malgré cet effort d’élargissement de notre premier terrain, nous verrons que le centrage de notre étude sur le vivant et la biodiversité nous amène à produire des résultats « en creux » et à analyser l’absence de mobilisation de ces formules pour traiter de ces questions.
29Comme nous l’avons évoqué sur le plan théorique et dans la présentation du contexte de création de Nature-Isère, la rencontre entre les deux modalités de transition, numérique et écologique, est favorisée et accentuée dans son acception solutionniste et techniciste par la rencontre entre deux croyances qui naturalisent ce processus. Les dispositifs numériques sont en effet perçus comme un moyen d’aider à la diffusion de la connaissance de manière large et égalitaire, et c’est justement cette même connaissance qui va aider nos sociétés à rationaliser leurs choix de gouvernance de la nature en favorisant une observation plus fine de celle-ci par les données, la modélisation, etc. (Serveille et Lavergne, 2017).
30Sur notre terrain, celui de la biodiversité et du rapport au vivant, cette croyance en rencontre une deuxième, ancrée dans l’éducation à la nature : connaître les espèces, connaître son environnement aide à sensibiliser le grand public à la protection de la nature. Ainsi, les discours mobilisés autour de la biodiversité, que ce soit dans les Parcs naturels régionaux (Kohlmann, 2017) ou par l’UNESCO lors de l’année internationale de la biodiversité (Kohlmann, 2020), présentent une même structure implicite : la connaissance donne de la valeur à la biodiversité et sensibilise le public pour l’amener à agir pour sa protection. Si nous poussons plus en avant, il paraît alors normal que le numérique participe de ce besoin de diffusion massive des connaissances naturalistes. Comme nous le voyons sur la figure 1, la rencontre de deux croyances aboutit à la naturalisation du recours au numérique pour mobiliser le grand public à la cause écologique sous la forme du sophisme suivant : « A favorise B et B favorise C donc A favorise C ».
Figure 1 : La rencontre de deux croyances autour du partage de la connaissance
- 13 Il s’agit d’un schéma produit dans le cadre de cet article.
Crédit : Kohlmann et Cambone, 202413
31Ce même mouvement se retrouve également sur le terrain de notre recherche, à savoir la plateforme Nature-Isère et son contexte de réalisation. En effet, si nous lisons la Convention de cogestion du projet signée en 2015 à la fois par le département, par le muséum de Grenoble et par la LPO Isère, nous pouvons noter que celle-ci engage le projet autour d’un objectif de connaissance et de préservation de la biodiversité et du patrimoine naturel.
Donner à comprendre les débats de société liés au monde naturel en Isère est un acte politique et culturel fort pour l’avenir, mais rendre chacun acteur de cette connaissance l’est encore plus. C’est pourquoi les partenaires ont souhaité aller plus loin en s’adressant à tous les citoyens et en centralisant tous les types de ressources disponibles (collections, études, données synthétisées...) et même de rendre le citoyen contributeur de cet inventaire, autant de milliers d’observateurs potentiels au service du patrimoine naturel local. (Extrait de la Convention de cogestion, 2015, p. 9)
32Dans ce texte fondateur, on associe diffusion et partage des connaissances, meilleure compréhension du monde naturel, projet politique et participation citoyenne, sans pour autant que cela corresponde à la définition des sciences participatives. Au contraire, la place des citoyens est circonscrite à un rôle de « contributeurs », petites mains de la science comme cela a été souvent le cas dans le champ de la biodiversité et de l’observation naturaliste (Fages, 2021). La réponse apportée à cet ambitieux projet sera donc la mise en place d’une plateforme qui permettra aux citoyens, grâce au numérique, de « découvrir », « partager », « connaître » et « agir » dans un rubriquage qui se veut graduel à la fois au regard de l’expertise et de l’engagement (Kohlmann et Cambone, 2021).
On se disait : comment faire pour faire venir plus de gens? Nous ce qui nous intéressait dans le projet c’était ça, mais on n’avait pas la capacité technique et financière de monter notre propre site de valorisation. Et puis on souhaitait également s’associer avec d’autres partenaires qui aussi brassaient d’autres publics. Le Muséum de Grenoble était intéressant parce qu’il portait la vulgarisation du département, donc c’était relativement pertinent de partir là-dessus. Sachant qu’ils étaient déjà partis sur un autre projet, un an avant Nature-Isère, mais que ce projet n’avait pas abouti parce qu’ils étaient sur une idée de base de données un peu concurrente, entre guillemets, à la nôtre. (Extrait d’entretien, LPO, 26 mai 2020)
33Dans cet extrait d’entretien, comme dans ceux des autres responsables de la conception de Nature-Isère, le fait que l’outil à développer soit numérique n’est jamais interrogé. La formule « transition numérique » n’est d’ailleurs jamais employée. Il apparaît chez ces acteurs une croyance : l’outil numérique va leur permettre de répondre à leurs problématiques, qu’elles se situent au niveau de la valorisation de leurs données, de la diffusion des connaissances ou encore, nous le verrons dans la partie suivante, de la mise en relation des différents acteurs de la nature en Isère.
34En effet, la culture numérique comporterait comme principale caractéristique une dimension participative marquée (Proulx, 2020). Associée à celles de bricolage et de remédiation (Deuze, 2006), la participation serait l’apanage des dispositifs numériques qui « nécessitent un engagement actif pour la production de contenus, pour la mise en relation et la création de valeur (pas forcément marchande), qui naît de l’accroissement du nombre de personnes actives dans un réseau » (Monnoyer-Smith, 2017, p. 6). L’épithète « 2.0 » accolé au Web ou à d’autres noms communs comme « démocratie » par exemple, porte une idéologie construite autour de la notion de participation qui s’articule en deux points : la « contribution renforcée des utilisateurs (empowerment) et l’idée de partage, par la multiplication des échanges entre internautes » (Rebillard, 2011, p. 26). En 2015-2016, années de conception du projet Nature-Isère, le numérique apparaît alors comme la solution idéale pour faire participer les habitants de l’Isère et faire échanger des communautés de pratique auparavant séparées et présentes sur des réseaux différents.
C’est un espace social, symboliquement. Je crois à la puissance d’outils comme ça dans la symbolique. C’est-à-dire, à un moment un chasseur il peut poster, un gars de la LPO peut poster, un… un cuisinier… voilà. Et renvoyer vers autre chose. C’est ce qui manque dans la société d’aujourd’hui pour moi. Le silo est terrible, avec tous ces robots, toutes ces intelligences qui coupent, et la circulation de la connaissance. (Extrait d’entretien, Muséum, 10 mars 2020)
35Dans les entretiens menés, la plateforme Nature-Isère apparaît comme une réponse apportée à la volonté d’élargir les questions écologiques des traditionnelles communautés naturalistes. Il s’agit, par la mise à disposition d’un espace numérique pensé comme contributif, d’élargir les communautés et de les faire se rencontrer. La croyance partagée, qui préside à la conception du dispositif, présuppose l’existence de communautés en ligne en dehors des espaces d’expression institutionnels (forum, sites, réseaux sociaux autour de différentes pratiques de la nature) et que celles-ci sont susceptibles de migrer vers les espaces institutionnels proposés (ici Nature-Isère). La transition vers le numérique offrirait donc la possibilité de réunir en un même espace l’ensemble des acteurs de la nature, créant ainsi un « commun », entendu comme :
- 14 Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne
- 15 Le portail des Communs, https://lescommuns.org/, consulté le 13 mars 2023.
des ressources, gérées collectivement par une communauté, celle-ci [établissant] des règles et une gouvernance dans le but de préserver et pérenniser cette ressource. Des logiciels libres aux jardins partagés, de la cartographie à l’énergie renouvelable, en passant par les connaissances et les sciences ouvertes ou les Amap14 et les épiceries coopératives, les « Communs » sont partout !15
36Cependant, l’analyse du fonctionnement de Nature-Isère démontre qu’un dispositif numérique nécessite une médiation humaine pour alimenter et soutenir la participation en ligne. Si, dans les premières années et jusqu’à la fin 2019, la personne en charge de l’animation de la plateforme était active et sollicitait régulièrement les éventuels contributeurs, la fin de son contrat a mis en lumière ce besoin d’animation (Kohlmann et Cambone, 2021). En son absence, les contributions se sont faites moins régulières et certains contributeurs ont abandonné même leur usage du site.
37Autre frein à cette ambition de « participation », la conception même de Nature-Isère comme dispositif numérique encore très transmissif et où l’expression est très encadrée par les institutions. Premièrement, les données biodiversité qui sont mobilisées sont celles d’une institution reconnue, la LPO, dont la priorité n’est pas réellement la recherche de nouveaux contributeurs non experts. Deuxièmement, les contenus sont modérés, les échanges et commentaires sont limités, la création de comptes « contributeur » est obligatoire, etc. Une page complète sur le site est dédiée à détailler les conditions de contribution16 et différencie chacune des actions : « faire part de ses observations », « annoncer une actualité », « faire un témoignage », « proposer un document », « commenter un contenu », etc. La volonté de faire de Nature-Isère un espace non conflictuel et dépolitisé, au même titre que les politiques de la nature en France (Comby, 2013; 2019), mène à un verrouillage des modalités de contribution qui in fine limite l’usage.
38Enfin, un dernier aspect illustre un autre biais logique que nous pouvons résumer ainsi : le numérique favorise la participation; la participation en ligne favorise la participation sur le terrain; donc le numérique favorise la participation sur le terrain. En effet, sur Nature-Isère, un lien implicite, non questionné, est fait entre la participation en ligne, qu’il vaudrait mieux désormais qualifier de simple contribution au regard de ce qui a été dit plus haut, et la participation sur le terrain.
Figure 2. Page d’accueil de la rubrique « Enfiler ses bottes » qui présente les différentes possibilités de participer à la fois en ligne et sur le terrain.
Crédit : site Web Nature-Isère : https://www.nature-isere.fr/. 10.12.2024
39Sur la page d’accueil de la rubrique « Enfiler ses bottes » de Nature-Isère, un chapeau surplombe les différentes possibilités identifiées de participation. Il y est noté : « Du clavier aux bottes et inversement : invitez-vous sur le terrain ». L’articulation d’une participation numérique et d’une participation sur le terrain se présente de manière totalement fluide, les allers-retours de l’un à l’autre pouvant se produire de manière spontanée, en fonction des besoins et attentes des contributeurs/citoyens. Pourtant, il est important de penser cette articulation entre la technique, le processus et les comportements. Un ensemble observable d’opérations, de médiations, de négociations sociales, d’usages se situe entre le dispositif numérique et la participation sur le terrain, que nous ne pouvons pas nous contenter de passer sous silence.
Comment l’imaginaire d’un citoyen connecté ayant accru ses connaissances par lui-même, plus alerte, voire contributeur de signalements pouvant conduire à des changements de pratiques personnelles ou à la publicisation d’un problème, pourrait-il se concrétiser grâce au développement de la technologie numérique? (Charvolin, 2019, p. 66)
40Si parfois, les allers-retours en ligne/hors-ligne existent et s’organisent, c’est souvent dans le cadre de collectifs déjà existants et structurés, en capacité d’accompagner l’investissement et la mobilisation des outils numériques (Bonnet et al., 2023), bien plus rarement de manière spontanée et individuelle.
41Pour clore cette analyse autour des « transitions », nous nous sommes intéressées à la présence du terme lui-même sur les différents sites Web étudiés. L’élargissement de la formule « transition écologique » au simple terme de « transition » nous a permis à la fois d’obtenir un peu plus de résultats, car nous verrons que la formule est très peu utilisée et dans un cadre très précis uniquement, mais nous a aussi permis de mieux comprendre le contexte d’utilisation du terme « transition ». En effet, sur le site Nature-Isère qui est consacré à la nature et au vivant, nous avons obtenu seulement neuf occurrences du terme de « transition » de 2016 à 2019, et ce, sur l’ensemble des contenus du site (actualités, témoignages, articles, rubriques, etc.). Depuis 2020, le terme n’a plus été mobilisé dans le site que ce soit dans les pages ou dans les actualités, témoignages, etc.
42Nous constatons en outre que la « transition » telle qu’elle est mobilisée dans le site ne correspond pas uniquement à la formule de « transition écologique » puisque seuls quatre articles utilisent l’expression exacte et simplement deux font référence au « Ministère de la Transition écologique et solidaire » en 2018 et 2019 : le Conservatoire Botanique National Alpin (CBNA) et une réserve naturelle régionale (RNR Isles du Drac).
Figure 3. Évolution de la mobilisation du terme « transition » de 2016 à 2019 sur le site Nature-Isère
- 17 Il s’agit d’un schéma produit dans le cadre de cet article.
Crédit : Kohlmann et Cambone, 202417
43La « transition » est mobilisée ici dans un cadre où le vivant et la nature ont peu de place : la « transition énergétique » associée à la sobriété énergétique; ou la « transition écologique » dans un double mouvement (Bernard, 2016) entre sa saisie par une forme de pensée alternative (Hopkins et Durand, 2010) et sa saisie par le champ des politiques publiques18. Mais dans ces articles en ligne où il est question de la « transition écologique », le sujet n’est pas vraiment le vivant ou la préservation de la biodiversité. Il s’agit plutôt de « renouveler nos façons de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble » (France Nature Environnement Isère, 201719) et donc de maintenir une approche anthropocentrée et basée sur le changement de comportement des consommateurs (Désaunay, 2022). Les seules utilisations du terme de transition qui n’occultent pas le vivant, relèvent du vocabulaire naturaliste dans lequel on parle de « zones de transitions » ou de « transitions entre des espèces migratrices » (LPO Isère, 2016 et 201720) et sortent donc des usages de formules en tant que telles.
44Ce premier travail d’analyse a consolidé notre hypothèse d’un cadrage de la formule « transition écologique » inadapté aux pratiques des acteurs qui travaillent à la protection de la biodiversité. Nous avons alors souhaité poursuivre cette recherche sur d’autres sites pour consolider ces résultats.
45Nous avons recherché les mobilisations du terme de « transition » et de la formule « transition écologique » dans d’autres sites du département de l’Isère afin de mieux saisir leur contexte et cadre d’apparition.
Tableau 1. Mobilisations du terme de transition (écologique, énergétique, climatique, politique)
- 21 Il s’agit d’un tableau produit dans le cadre de cet article.
Crédit : Kohlmann et Cambone, 202421
Légende : Les cases grisées représentent les champs les plus mobilisés.
46Plusieurs constats s’imposent. Tout d’abord la mobilisation du terme de « transition » et sa construction en formule grâce à l’ajout d’un adjectif est très inégale. Sur le site Biodiversité-Isère, la formule « transition écologique » n’est jamais employée : le terme de « transition » n’est employé que dans un usage naturaliste. Ce site présente les espaces naturels sensibles du département et les valorise dans une démarche d’incitation au tourisme de nature. Il est éloigné des logiques d’aménagement du territoire et des enjeux climatiques ou énergétiques. La formule « transition écologique » ne fait pas écho à ces préoccupations, tout comme sur le site Nature-Isère qui lui aussi traite d’espaces naturels, d’écosystèmes et du vivant.
47Autre constat, le site qui utilise le plus la formule « transition écologique » est celui des services de l’État en Isère (Isère.gouv.fr) avec 1 624 résultats au 23 février 2023 (contre 541, un an plus tôt). Les contenus associés portent sur les actions du Ministère, mais aussi sur des appels à projets, des chartes, des plans quadriennaux, des politiques d’aménagement du territoire, etc. Ceci nous semble conforter l’idée que la formule « transition écologique » est prise dans une dimension politique d’aménagement des territoires et de maîtrise de l’énergie.
- 22 Voir pour exemples les Comptes économiques européens de l'environnement pour l’Europe, la Stratégie (...)
48Ainsi, tous les sites Web observés, à l’exception des sites que nous qualifierons de « naturalistes », mobilisent la formule de « transition écologique » de manière implicitement associée à celles de « transition énergétique » ou de « changement climatique » pour lesquelles la « transition numérique » relève du champ des solutions. Le champ lexical et les articles liés à la biodiversité, aux écosystèmes, aux espèces, qui sont présents sur des sites comme ceux des parcs naturels régionaux, ne reprennent pas ce vocabulaire de la transition, ce qui semble acter que la formule s’est structurée et rigidifiée dans une dimension gestionnaire et liée aux activités humaines. Cette conclusion paraît confirmée par une étude de différents documents-cadres qui séparent la politique de suivi et connaissance de la biodiversité des questions liées à celles de la transition, la biodiversité paraissant alors relayée aux questions de connaissance et de conservation22.
49Notre analyse s’est concentrée sur des sites conçus comme des moyens actifs de participer à la connaissance et à l’accès à la nature, avec une forte aspiration à la participation des publics, en ligne et sur le terrain. Nos résultats mettent en lumière à quel point les promesses du numérique se retrouvent dans les discours d’acteurs. Présenté comme un outil adapté pour la structuration de la connaissance par la récolte de données et pour la gestion de la nature à partir de ces données exploitées, le numérique répondrait aussi grâce au Web 2.0 à cette grande idée des communs pour l’écologie, mais dans un objectif de conservation et de production de connaissances. Pourtant, la « transition numérique », en se concentrant sur ces aspects et en ciblant sa critique sur l’appel à la sobriété, occulte une étude plus fine de ses effets sur d’autres champs tels que le vivant ou la biodiversité.
50Nous avons fait le choix de développer une argumentation en deux points qui nous paraissent aboutir à la même conclusion : la banalisation et surtout la reprise, dans des formes de cadrage technico-administratif, des deux formules de « transition numérique » et de « transition écologique » en Isère et plus largement en France qui aboutissent à un effet de normalisation et de standardisation des manières de penser les questions écologiques (Bourg, 2015). Ces nouveaux discours minorent en définitive les questions liées au vivant et évitent de penser le lien au numérique par-delà la question de la « sobriété ». Ce sont des formules écrasantes et qui lissent les potentialités d’action.
51L’écologie de la « transition écologique » est alors rabattue non pas sur une approche globale qui étudierait les relations des êtres vivants à leur environnement, mais sur une vision gestionnaire et étriquée de la « maison » (oikos en grec), prise très fortement dans un cadre domestique et dans les pratiques individuelles. De la même manière, la « transition numérique », définie dans son rapport à l’énergie (Serveille et Lavergne, 2017) et à la question de la sobriété numérique s’associe facilement à la question climatique : moins de CO2, donc moins de réchauffement, mais n’inclut quasiment jamais les thématiques du vivant alors même que des outils se développent depuis des années en lien avec le numérique pour faciliter la récolte de données de biodiversité et les partager (Kohlmann, 2023).
52On peut alors mieux comprendre la non appropriation des formules par les acteurs sur le terrain observé : que peuvent-ils faire de ces notions de « transition » si elles n’offrent pas de prises à un rapport plus naturaliste au monde? Pourquoi hésiteraient-ils à mobiliser des dispositifs numériques s’ils paraissent porter en eux une forme de solution à des problèmes récurrents lorsqu’il s’agit de sensibiliser à la nature?
53Il nous semble nécessaire de repenser ces différents aspects et de nous réinterroger sur la manière dont nous construisons l’écologie lorsque nous l’orientons ainsi. Ne serait-il pas possible de réfléchir au numérique autrement que sous l’angle de solution ou de sobriété dans sa dimension écologique? Mais également de sortir de l’idée d’une « transition » qui perd de son caractère disruptif, collectif et de son urgence (Bourg, 2019) lorsqu’elle est limitée à des questions de stockage de courriels ou de domotique? Tout en l’ouvrant à autre chose que la simple réduction des activités humaines (Désaunay, 2022)?